6 mai 1826 (BF) — Complainte sur l’immortalité de M. Briffaut, par Cadet Roussel, auteur de plusieurs ouvrages politiques et littéraires. Sur la même air de la dernière ouvrage du même auteur. Paris, chez tous les marchands de nouveautés. 1826.

Il est probable que c’est aussi au « plus jeune peut-être de nos hommes de lettres » de la « boutique de scandale », plutôt qu’à Cadet Roussel lui-même, qu’il faut attribuer ce nouveau brûlot, rédigé toujours à la manière de Vadé, et dirigé contre l’Académie, comme le sera quelques jours plus tard le petit drame intitulé : L’Académie ou les membres introuvables, signé Gérard, dans lequel apparaissent le personnage de Briffaut, et aussi celui de M. Raynouard, mentionné strophe XI.

Voir la notice LES ANNÉES CHARLEMAGNE.

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On se demandera peut-être pourquoi moi, Cadet Roussel, je m’ingère aujourd’hui dans la liberté de m’immiscer de but en blanc, à propos de bottes, dans la question dont il s’agit dans ce moment ici, d’autant plus que bien des personnes qui ne voient pas plus loin que leur nez, se donnent des airs de se croire persuadées que je ne suis pas un homme digne d’être capable d’entrer jamais à l’Académie, et qu’alors ils se permettent de trouver étonnant que j’prenne la défense de ce pauvre M. Briffaut que tout le monde aboie comme..... comme...... comme un chien là, puisqu’il faut lâcher le mot ; et je vous avoue que ça me fait de la peine, moi, voyez-vous, car je suis bon enfant dans le fond ; c’est connu, ça ; c’est même, pour ainsi dire, sans me flatter, passé en proverbe ; et comme je suis persuadé que M. Briffaut est aussi un excellent enfant, moi, en qualité de son aîné, j’veux prendre son parti ; personne n’peut m’empêcher, j’crois toujours. Si un jour j’suis reçu à l’Académie, où je serai alors son cadet, il pourra me rendre la pareille, et puis en tout cas, telle chose qu’arrive, entre zommes de lettres on doit toujours se prêter la main zà l’occasion. Sur ci j’entre en matière.

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COMPLAINTE

SUR

L’IMMORTALITÉ DE M. BIFFAUT (1)

Sur la même air de la dernière ouvrage du même auteur.

 

I.

Le fauteuil académique
Lassé de tendre les bras,
Disait : ne pouvons-nous pas,
Sur notre velour antique
Voir enfin quelque savant
S’asseoir doctoralement.

II.

De noble corps des quarante,
Les trent’-neuf membres restans,
Disaient : depuis trop long-temps
Reste une chaire vacante,
Faut trouver pour s’y asseoir
Un queuqzun qu’ait du savoir.

III.

Aussitôt trente-neuf têtes,
Qui comm’ quatre ont du toupet,
Ont d’abord conclu tout net
De choisir dans les moins bêtes,
Un candidat comme il faut,
Et la rime a dit Biffaut.

IV.

La raison un peu jalouse,
Et tout en mordant ses doigts,
S’écria : « pour cette fois,
« La rime à coup sûr se blouse ;
« Finira-t-elle jamais
« De nous faire ainsi des traits ?

V.

« J’en appelle à la justice
« De votre docte sénat,
« Souffririez-vous l’attentat
« De cette femme à caprice ?
« Pourquoi donc en votre cour
« Parle-t-elle avant son tour ?

VI.

Malgré cette plainte amère
On vote au scrutin secret,
Dont il résulte en effet,
De la façon la plus claire,
Que le père de Ninus
Pour les quarante est inclus.

VII.

Ce Ninus lui fut propice
Sous défunt Napoléon,
Sa représentation
Valut à l’auteur novice
Mille écus de pension,
Et point de conscription

VIII.

Mais notre poète imberbe
Prit cela pour un affront,
Et malgré Napoléon,
Ce petit héros en herbe
Voulait, en dépit de Mars
Foudroyer murs et remparts

IX.

Il se vengea, je vous jure,
Car Bonaparte déchu,
Biffaut s’est bien souvenu
D’avoir reçu cette injure,
Et vint en temps et saison
Du pied frapper le lion.

X.

En tous lieux, on jase, on glose,
On se demande pourquoi
Par quelle bizarre loi,
Par quelle métamorphose,
De ce simple ménestrel,
On a fait un immortel.

XI.

Paix, dis-je, l’aréopage
A prononcé, c’est fini,
Par Raynouard c’est écrit,
Que voulez-vous davantage ?
Comme Pilate il nous dit :
Quod ego scripsi scripsi.

XII.

Or, messieurs les journalistes,
Avec tous vos airs moqueurs,
Et tous vos propos frondeurs,
Fiers anti-congréganistes,
Vous ne pouvez empêcher
Le talent de triompher.

XIII.

Sur moi pleuv’nt les apostrophes,
On dit que j’ny connais rien,
Et qu’mon académicien
Fait des vers comm’moi des strophes
Sans goût, sans saveur, sans sel,
Et qu’ cest un Cadet Roussel.

XIV.

Ce propos est un peu leste,
Je n’l’ai pas pris au sérieux,
Méprisant ces envieux,
Acharnés comme la peste,
A déployer leurs fureurs
Contre nous autres auteurs.

XV.

D’ailleurs, jamais je n’me fâche,
On sait que j’suis bon enfant ;
Et puis j’nécris pas souvent,
Mais je remplis cette tâche
Quand je vois nos libertés,
Ou bien nos droits menacés.

XVI.

Aujourd’hui, je dois défendre
Ce pauvre M. Biffaut.
Si ses vers l’ont mis si haut,
Les miens qu’on sût si bien vendre
N’les val’nt pas en vérité ;
Je le dis sans vanité.

XVII.

Y a des gens qui n’peuv’nt pas s’taire,
Et l’démon les fait parler ;
Ils dis’nt donc pour se venger,
Qu’au moyen d’un’ circulaire
L’candidat obtint des voix
Par l’ordre d’ M’sieur Lordois.

XVIII.

Mais je suis toujours bien aise,
En mon p’tit particulier,
De voir aujourd’hui siéger
Sur l’académique chaise,
L’compatriot’ de Piron
Qui s’trouv’ bien vengé, dit-on.

XIX.

Pour terminer, je dois dire
Que, foi de Cadet Roussel,
Pour mon compte personnel,
Au fauteuil point je n’aspire,
Bornant mon ambition
[A] la congrégation.

XX.

Il faut ici qu’on m’excuse,
Je dois aussi m’expliquer,
Et je ne désire entrer
Que dans celle où l’on s’amuse,
Partageant le sentiment
Du nouveau récipiend.

XXI.

Sous le ministre Villèle,
Dans le temps du jubilé,
Je fis, quoique peu stilé,
Cette pièce telle quelle ;
De mes vers je suis content,
S’ils sont bons à trois pour cent.

 

FIN.

(1) M. Briffaut prononce ainsi son nom ; il est comme moi, il est modeste, il n’aime pas s’donner des R.

 

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