30 août 1846 — De Ramsgate à Anvers, dans L’Artiste-Revue de Paris, 4e série, t. VII, p. 141-142, signé Gérard de Nerval.
Durant la traversée depuis la côte anglaise jusqu’à Anvers, Nerval retrouve l’esprit des odelettes de 1831-1834 pour composer ce poème dédié à Rubens, — qui sera le premier des « phares » de Baudelaire —, en pensant plus précisément aux grands tableaux commandés au maître flamand par Marie de Médicis, que les Parisiens peuvent contempler depuis 1817 dans la Grande Galerie du Louvre. Le poème ne sera pas repris en volume.
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DE RAMSGATE A ANVERS.
- A cette côte anglaise
- J’ai donc fait mes adieux,
- Et sa blanche falaise
- S’efface au bord des cieux !
-
- Que la mer me sourie !
- Plaise aux dieux que je sois
- Bientôt dans ta patrie,
- O grand maître anversois !
-
- RUBENS ! à toi je songe
- Seul peut-être et pensif
- Sur cette mer où plonge
- Notre fumeux esquif.
-
- Histoire et poésie,
- Tout me vient à travers
- Ma mémoire saisie
- Des merveilles d’Anvers.
-
- Cette mer qui sommeille
- Est belle comme aux jours
- Où, riante et vermeille,
- Tu la peuplais d’Amours.
-
- Ainsi ton seul génie,
- Froid aux réalités
- De la mer d’Ionie,
- Lui prêtait les clartés,
-
- Lorsque la nef dorée
- Amenait autrefois
- Cette reine adorée
- Qui s’unit aux Valois,
-
- Fleur de la renaissance,
- Honneur de ses palais, —
- Qu’attendait hors de France
- Le coupe-tête anglais !
-
- Mais alors sa fortune
- Bravait tous les complots,
- Et la cour de Neptune
- La suivait sur les flots.
-
- Tes grasses Néréïdes
- Et tes Tritons pansus
- S’accoudaient tout humides
- Sur les dauphins bossus.
-
- L’Océan qui moutonne
- Roulait dans ses flots verts
- La gigantesque tonne
- Du Silène d’Anvers.
-
- Pour ta Flandre honorée,
- Son nourrisson divin
- A sa boisson ambrée
- Donna l’ardeur du vin ! —
-
- Des cieux tu fis descendre
- Vers ce peuple enivré,
- Comme aux fêtes de Flandre
- L’olympe en char doré.
-
- Joie, amour et délire,
- Hélas ! trop expiés !
- Les rois et le navire
- Et les dieux à leurs pieds ! —
-
- Adieu, splendeur finie
- D’un siècle solennel !
- Mais toi seul, ô génie !
- Tu restes éternel.
GÉRARD DE NERVAL.
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