14 mars 1831 — En avant marche ! dans Le Cabinet de lecture.
Toujours dans la perspective de glorification des journées de Juillet, le poème célèbre le souvenir du jeune Bonaparte libérateur des peuples, et la solidarité enthousiaste à l’égard des soulèvements provoqués en Europe par les Trois Glorieuses en Belgique, en Pologne, et aussi en Italie et en Allemagne, avant de reconnaître amèrement que partout l'absolutisme a finalement triomphé. et que « tout cela pue autour de nous ». Peut-être du fait des liens que son père avait conservés avec des Polonais, Nerval éprouve un attachement particulier pour la Pologne. Il collaborera en 1833 à l’album La Vieille Pologne.
Voir la notice LA CAMARADERIE DU PETIT CÉNACLE.
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EN AVANT MARCHE !
J’entendis ces mots prononcés distinctement en français : En avant, marche !... Je me retournai, et je vis une troupe de petits arabes tout nus qui faisaient l’exercice avec des bâtons de palmier.
Chateaubriand.
I
- En avant marche !... Amis, c’est notre cri d’attaque,
- De départ, de conquête... Il a retenti loin :
- Aux plaines blanches du Cosaque,
- Aux plaines jaunes du Bédouin !
- Les peuples nos voisins l’ont dans l’oreille encore,
- Car, sous le drapeau tricolore,
- Il les guida contre le czar ;
- Lorsque leurs légions à nos succès fidèles
- De l’aigle immense étaient les ailes,
- Le jour d’Austerlitz... et plus tard.
-
- La grande armée enfin se remet en campagne !
- Accourez, Nations, sous la triple couleur ;
- Que la liberté joue et gagne
- La revanche de l’empereur !
- En avant, marche !... Est-il une cause plus belle ?
- La Pologne encor nous appelle,
- Il faut écraser ses tyrans !
- Une neige perfide en vain ceint leurs frontières....
- Prenons le chemin que nos frères
- Ont pavé de leurs ossemens !...
-
- En avant, marche ! la Belgique !
- Toi, notre sœur de liberté,
- Viens pour cette guerre héroïque
- La première à notre côté !
- Et si tu sais dans quelle plaine
- Un jour dix rois ivres de haine
- Ont voulu pousser au tombeau
- La France lâchement frappée....
- Aiguise en passant ton épée
- Au monument de Waterlo !
-
- En avant, marche ! l’Italie !
- Les sépulchres de tes héros,
- Alors que la liberté crie,
- Ont de magnifiques échos :
- Long-temps tu leur fermas l’oreille ;
- Mais puisqu’enfin tu te réveille,
- Viens, ton opprobre est effacé !...
- Ce jour aux vieux jours se rattache,
- Et les vivans ne font plus tache
- Au sol glorieux du passé !
-
- En avant, marche ! l’Allemagne !
- Hurra ! les braves écoliers !...
- Par la cendre de Charlemagne !
- Voulez-vous être les derniers ?
- Les âmes sont-elles glacées
- Au pays des nobles pensées
- Et de la foi des anciens temps ?...
- Non ! notre feu s’y communique,
- Et le vieux chêne teutonique
- Reverdit avant le printemps !
-
- Sommes-nous là tous ?... Déjà brille
- Pour nous accompagner toujours
- Le beau soleil de la Bastille
- Et d’Austerlitz et des trois jours !
- Marchons ! la voici reformée
- Après quinze ans, la grande armée !...
- Mais à des succès différens
- Quoique la liberté nous mène...
- Pour l’ombre du grand capitaine,
- Laissons un vide dans les rangs !...
-
- Ah ! ah ! la route est belle, et chère à notre gloire....
- Toutes les plaines, là, sont des pages d’histoire ;
- Mais combien de Français y sont ensevelis !...
- Oh ! pourtant nous aurons l’âme joyeuse et fière,
- Quand nos pieds triomphans fouleront la poussière
- D’Iéna, de Friedland, d’Essling ou d’Austerlitz !
-
- Puis, avant d’arriver jusqu’à l’empire russe,
- Nous pousserons du pied et l’Autriche et la Prusse,
- Tuant leurs aigles noirs qui semblent des corbeaux
- Et nous rirons à voir ces vieilles monarchies
- Honteuses, cheoir parmi les estrades pourries,
- Leurs tréteaux vermoulus et leur pourpre en lambeaux.
-
- Et, l’apercevez-vous, mes amis, qui sans cesse
- Sur la pointe des pieds, haletante se dresse....
- La Pologne.... pour voir si nous n’arrivons pas ?...
- Enfin notre arc-en-ciel à l’horizon se montre :
- ... Ah ! le voyage est long, frères, quand on rencontre
- Un trône à renverser sous chacun de ses pas !
-
- Nous voici !... Dans nos rangs vous savez votre place,
- Braves de Pologne, accourez !
- Maintenant, attaquons dans ses remparts de glace
- Le géant... et marchons serrés !
- Car il faut en finir avec le despotisme :
- Ceci, c’est une guerre ! et non
- De ces guerres d’enfant où brillait l’héroïsme
- De Louis Antoine de Bourbon....
-
- Mais une guerre à mort ! et des batailles larges
- Avec des canons par milliers !
- Où viendront se heurter en effroyables charges
- Des millions de cavaliers !...
- Guerre du chaud au froid, du jour à l’ombre.... Guerre
- Où le ciel dira ses secrets !
- Et telle qu’à coup sûr les peuples de la terre,
- N’en oseront plus faire après !...
- Là, quinze ans de vengeance entassée et funeste
- Eclateront comme un obus,
- Et coucheront à bas plus d’hommes que la peste
- Ou que le choléra-morbus !
- Là, le sang lavera des affronts sanguinaires,
- Et sur nos bataillons épars,
- Nous croirons voir toujours les ombres de nos frères
- Flotter comme des étendards !...
II.
- Ut turpiter atrum
- Desinat in piscem mulier formosa superne.
- Horace.
-
- Que dis-je ?... hélas ! hélas ! Tout cela, c’est un rêve,
- Un rêve à jamais effacé !...
- L’autaucrate (sic) est vainqueur.... le niveau de son glaive
- Sur notre Pologne a passé !
- C’est en vain, qu’à la voir tomber faible et trahie,
- La honte nous montait au cœur !...
- En vain, que nous tendions de toute sa longueur
- La chaîne infâme qui nous lie !...
- Mais c’est fini !... L’éclat dont notre ciel brillait
- S’évanouit.... le temps se couvre,
- La gloire de la France est enterrée au Louvre
- Avec les martyrs de juillet !...
- Une vieille hideuse à nos yeux l’a tuée,
- Vieille à l’œil faux, aux pas tortus,
- La Politique enfin, cette prostituée
- De tous les trônes absolus !
-
- Oh ! que de partisans s’empressent autour d’elle !
- Jeunes et vieux, petits et grands,
- Inamovible cour à tous les rois fidèle,
- Fouillis de dix gouvernemens ;
- Avocats, professeurs à la parole douce,
- Mannequins usés aux genoux,
- Tout cela vole, et rampe, et fourmille, et se pousse,
- Tout cela pue autour de nous !...
-
- C’est pourquoi nous pleurons nos rêves poétiques,
- Notre avenir découronné,
- Nos cris de liberté, nos chants patriotiques !...
- Leur contact a tout profané !
- Notre Coq, dont ils ont coupé les grandes ailes,
- Dépérit, vulgaire et honteux ;
- Et nos couleurs déjà nous paraissent moins belles
- Depuis qu’elles traînent sur eux !
-
- Oh ! vers de grands combats, de nobles entreprises,
- Quand pourront les vents l’emporter,
- Ce drapeau conquérant, qui s’ennuie à flotter
- Sur des palais et des églises !...
- Liberté, l’air des camps aurait bientôt reteint
- Ta robe, qui fut rouge et bleue....
- Liberté de juillet ! femme au buste divin,
- Et dont le corps finit en queue !
GÉRARD.
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