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28 novembre 1827 La Bibliographie de la France enregistre la publication de Faust, tragédie de Goethe, nouvelle traduction complète en prose et en vers, par Gérard, chez Dondey-Dupré.

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SECONDE PARTIE

 

LES REMPARTS

(Dans un creux du mur, l’image de la Mater dolorosa : des pots de fleurs devant)

MARGUERITE met dans le pot des fleurs fraîches

Incline, ô mère de douleur
Vers moi ton gracieux visage :
Le glaive dans le cœur,
Tu regardes ton fils qui meurt avec courage.
à son père céleste adressant un soupir,
Il lui demande de finir
Un supplice cruel que ta douleur partage.
 
Qui souffrira,
Qui sentira
Le noir chagrin qui me déchire ?...
Le doute de mon cœur, comme son désespoir,
Ce qu’il craint et ce qu’il désire,
Toi seule, hélas ! paux le savoir.
 
En quelque lieu que je puisse être,
Dans mon cœur je sens naître
Une affreuse douleur :
Si je suis seule une heure,
Je pleure, pleure, pleure,
Et je sens se briser mon cœur.
 
Les deux vases de ma fenêtre,
Je les arrosai de mes pleurs,
Et puis, voyant le jour renaître,
Je t’apportai ces fleurs.
 
Du matin la lueur brillante
Perçait à peine au sein des nuits,
Lorsque sortant de ma couche brûlante,
Je vins te confier mon trouble et mes ennuis.
Le sort cruel me décourage ;
Ah ! prends pitié de mon malheur :
Incline, ô mère de douleur
Vers moi ton gracieux visage !

 

LA NUIT

(Une rue devant la porte de Marguerite.)

VALENTIN, soldat, frère de Marguerite

Lorsque j’étais assis à un de ces repas où chacun aime à se vanter, et que mes compagnons célébraient hautement devant moi la fleur de leurs bien-aimées, en arrosant l’éloge d’un verre plein et les coudes sur la table… moi, j’étais assis tranquillement, écoutant toutes ces fanfaronnades, mais je frottais ma barbe en souriant et je prenais en main mon verre plein : « Chacun son goût, disais-je, mais en est-il une dans le pays qui égale ma chère petite Marguerite, qui soit digne de servir à boire à ma sœur ? » Tope ! tope ! cling ! clang ! résonnaient à l’entour. Les uns criaient : Il a raison ! elle est l’ornement de toute la contrée ! Alors les vanteurs restaient muets. Et maintenant !... c’est à s’arracher les cheveux ! à courir contre les murs ! - Le dernier coquin peut m’accabler de plaisanteries, de nazardes ; il faudra que je sois comme un coupable ; chaque parole dite au hasard me fera suer ! et dussé-je les hacher ensemble, je ne pourrais point les appeler menteurs.

Qui vient là ? qui se glisse là le long ? Je ne me trompe pas, ce sont eux. Si c’est lui, je le punirai comme il mérite, il ne vivra pas longtemps sous les cieux.

 

FAUST, MÉPHISTOPHÉLÈS

Faust

Par la fenêtre de la sacristie, on voit briller de l’intérieur la clarté de la lampe éternelle ; elle vacille et pâlit, de plus en plus faible, et les ténèbres la pressent de tous côtés ; c’est ainsi qu’il fait nuit dans mon cœur.

Méphistophélès

Et moi je me sens éveillé comme ce petit chat qui se glisse le long de l’échelle, et se frotte légèrement contre la muraille ; il me paraît fort honnête homme d’ailleurs, mais tant soit peu enclin au vol et à la luxure. La superbe nuit du sabbat agit déjà sur tous mes membres ; elle revient pour nous après demain, et l’on sait là pourquoi l’on veille.

Faust

Brillera-t-il bientôt dans le ciel, ce trésor que j’ai vu briller ici bas ?

Méphistophélès

Tu peux bientôt acquérir la joie d’enlever la petite cassette, je l’ai lorgnée dernièrement, et il y a dedans de beaux écus neufs.

Faust

Et quoi ! pas un joyau, pas une bague pour parer ma bien-aimée ?

Méphistophélès

J’ai bien vu par là quelque chose comme un collier de perles.

Faust

Fort bien ; je serais fâché d’aller vers elle sans présens.

Méphistophélès

Vous ne perdriez pas, ce me semble, à jouir encore d’un autre plaisir. Maintenant que le ciel brille tout plein d’étoiles, vous allez entendre un vrai chef-d’œuvre ; je lui chanterai une chanson morale, pour la séduire plus sûrement. (Il chante avec la guitare.)

Devant la maison
De celui qui t’adore,
Petite Louison,
Que fais-tu dès l’aurore.
Au signal du plaisir,
Dans la chambre du drille,
Tu peux bien entrer fille,
Mais non fille en sortir.
 
Il te tend les bras,
Vers lui tu cours bien vite ;
Bonne nuit, hélas !
Bonne nuit, ma petite :
Près du moment fatal,
Fais grande résistance,
S’il ne t’offre d’avance
Un anneau conjugal.

Valentin s’avance

Qui leurres-tu là ? Par le feu ! maudit preneur de rats !... au diable d’abord l’instrument ! et au diable ensuite le chanteur !

Méphistophélès

La guitare est en deux ! elle ne vaut plus rien.

Valentin

Maintenant, c’est le coupe-gorge !

Méphistophélès, à Faust

Monsieur le docteur, ne faiblissez pas ! Alerte ! tenez-vous près de moi, que je vous conduise. Au vent votre flamberge ! Poussez maintenant, je pare.

Valentin

Pare donc !

Méphistophélès

Pourquoi pas ?

Valentin

Et celle-ci ?

Méphistophélès

Certainement.

Valentin

Je crois que le diable combat en personne ! Qu’est-cela ? déjà ma main se paralyse.

Méphistophélès, à Faust

Poussez.

Valentin tombe

O ciel !

Méphistophélès

Voilà mon lourdaud apprivoisé. maintenant, au large ! il faut nous éclipser lestement, car j’entends déjà qu’on crie au meurtre ! Je m’arrange aisément avec la police ; mais, quant à la justice criminelle, je ne suis pas bien dans ses papiers.

Marthe, à la fenêtre

Au secours ! au secours !

Marguerite, à sa fenêtre

Ici, une lumière !

Marthe, plus haut

On se dispute, on appelle, on crie et l’on se bat.

Le Peuple

En voilà déjà un de mort.

Marthe, entrant

Les meurtriers se sont-ils enfuis ?

Marguerite, entrant

Qui est tombé là ?

Le Peuple

Le fils de ta mère.

Marguerite

Dieu tout puissant ! quel malheur !

Valentin

Je meurs ! c’est bientôt dit, et plus tôt fait ecore. Femmes, pourquoi restez-vous à hurler et à crier ? venez ici, et écoutez moi ! (Tous l’entourent.) Vois-tu, ma petite Marguerite ? tu es bien jeune, mais tu n’as point encore l’habitude, et tu conduis mal tes affaires : je te le dis en confidence : tu es déjà une catin, sois-le donc convenablement.

Marguerite

Mon frère ! Dieu ! que me dis-tu là ?

Valentin

Ne plaisante pas avec Dieu notre Seigneur. Ce qui est fait est fait, et ce qui en doit résulter résultera. Tu as commencé par te livrer en cachette à un homme, il va bientôt en venir d’autres, et, quand tu seras à une douzaine, tu seras à toute la ville. Lorsque la honte naquit, on l’apporta secrètement dans ce monde, et l’on emmaillota sa tête et ses oreilles dans le voile épais de la nuit ; on l’eût volontiers étouffée, mais elle crût et se fit grande, et puis se montra nue au grand jour, sans pourtant en être plus belle ; cependant, plus son visage était affreux, plus elle cherchait la lumière.

Je vois vraiment déjà le tems où tous les braves gens de la ville s’écarteront de toi, prostituée, comme d’un cadavre infect. Le cœur te saignera, s’ils te regardent seulement entre les deux yeux. Tu ne porteras plus de chaîne d’or, tu ne paraîtras plus à l’église ni à l’autel ! tu ne te pavaneras plus à la danse en belle fraise brodée ; c’est dans de sales infirmeries, parmi les mendiants et les estropiés, que tu iras t’étendre… et, quand Dieu te pardonnerait, tu n’en serais pas moins maudite sur la terre !

Marthe

Recommandez votre âme à la grâce de Dieu ! Voulez-vous entasser sur vous des péchés nouveaux ?

Valentin

Si je pouvais tomber seulement sur ta carcasse, abominable entremetteuse, j’espérerais trouver de quoi racheter de reste tous mes péchés !

Marguerite

Mon frère ! O peine d’enfer !

Valentin

Je te le dis, laisse-là tes larmes ! quand tu t’es séparée de l’honneur, tu m’as porté au cœur le coup le plus terrible. Maintenant le sommeil de la mort va me conduire à Dieu, comme un soldat et comme un brave. (Il meurt.)

 

L’ÉGLISE

(Messe, Orgue et Chant)

MARGUERITE parmi la foule, LE MAUVAIS ESPRIT derrière elle

Le Mauvais Esprit

Comme tu étais toute autre, Marguerite, lorsque, pleine d’innocence, tu montais à cet autel, en murmurant des prières dans ce petit livre usé, le cœur occupé, moitié des jeux de l’enfance, et moitié de l’amour de Dieu ! Marguerite, où est ta tête ? que de péchés dans ton cœur ! Pries-tu pour l’ame de ta mère, que tu fis descendre au tombeau par de longs, de bien longs chagrins ? À qui le sang répandu sur le seuil de ta porte ? - Et dans ton sein, ne s’agite-t-il pas, pour ton tourment et pour le sien, quelque chose dont l’arrivée sera d’un funeste présage ?

Marguerite

Hélas ! hélas ! puissé-je échapper aux pensés qui s’élèvent contre moi !

Le Choeur

Dies irae, dies illa,
Solvet soeclum in favilla. (1)

(L’orgue joue.)

Le Mauvais Esprit

Le courroux céleste t’accable ! la trompette sonne ! les tombeaux tremblent, et ton cœur, ranimé du trépas pour les flammes éternelles, tressaille encore.

Marguerite

Si j’étais loin d’ici ! Il me semble que cet orgue m’étouffe, ces chants déchirent profondément mon cœur.

Choeur

Judex ergo cum sedebit
Quidquid latet apparebit,
Nil inultum remanebit. (2)

Marguerite

Dans quelle angoisse je suis ! Ces piliers me pressent, cette voûte m’écrase. - De l’air !

Le Mauvais Esprit

Cache-toi ! Le crime et la honte ne peuvent se cacher ! De l’air !... de la lumière !... Malheur à toi !

Choeur

Quid sum miser tunc dicturus,
Quem patronum rogaturus ?
Cum vix justus sit securus. (3)

Le Mauvais Esprit

Les élus détournent leur visage de toi : les justes craindraient de te tendre la main. Malheur !

Choeur

Quid sum miser tunc dicturus ? (4)

Marguerite

Voisine, votre flacon ! (Elle tombe en défaillance.)

 

(1) Du seigneur la juste colère réduira le siècle en poussière.

(2) Et quand le juge s’assiéra, tout ce qu’on cache apparaîtra, et tout crime se vengera.

(3) Que dirai-je au maître suprême ? Qui me prêtera son appui, lorsque le juste même devra trembler pour lui ?

(4) Que dirai-je au maître suprême ?

 

NUIT DU SABBAT

(Montagne de Harz, Vallée de Shirk, et désert)

Méphistophélès

N’aurais-tu pas besoin d’un manche à balai ? Quant à moi, je voudrais bien avoir le bouc le plus solide… dans ce chemin, nous sommes encore loin du but.

Faust

Tant que je me sentirai ferme sur mes jambes, ce bâton noueux me suffira. À quoi servirait-il de raccourcir le chemin ? car se glisser dans le labyrinthe des vallées, ensuite gravir ce rocher du haut duquel une source se précipite en bouillonnant, c’est le seul plaisir qui puisse assaisonner une pareille route. Le printems agit déjà sur les bouleaux, et les pins mêmes commencent à sentir son influence : ne doit-il pas agir aussi sur nos membres ?

Méphistophélès

Je n’en sens vraiment rien, j’ai l’hiver dans le corps ; je désirerais sur mon chemin de la neige et de la gelée. Comme le disque épais de la lune rouge élève tristement son éclat tardif ! Il éclaire si mal, qu’on donne à chaque pas contre un arbre ou contre un rocher. Permets que j’appelle un feu follet : j’en vois un là-bas qui brûle assez drôlement. Holà ! l’ami ! oserais-je t’appeler vers nous ? Pourquoi flamber ainsi inutilement ? aie donc la complaisance de nous éclairer jusque là-haut.

Le Follet

J’espère pouvoir, par honnêteté, parvenir à contraindre mon naturel léger, car notre course va habituellement en zigzag.

Méphistophélès

Hé ! hé ! il veut, je pense, singer les hommes. Qu’il marche donc droit au nom du diable, ou bien je souffle son étincelle de vie.

Le Follet

Je m’aperçois bien de vous êtes le maître d’ici, et je m’accommoderai à vous volontiers. Mais pensez donc ! la montagne est bien enchantée aujourd’hui, et si un feu follet doit vous montrer le chemin, vous ne pourrez le suivre bien exactement.

 

FAUST, MÉPHISTOPHÉLÈS, LE FOLLET

Choeur alternatif

Sur le pays des chimères
Notre vol s’est arrêté,
Fais-nous avec sûreté
Voyager dans ces bruyères,
Ces rocs, ce champ dévasté.
 
Vois ces arbres qui se pressent,
Se froisser rapidement ;
Vois ces rochers qui s’abaissent,
Trembler dans leur fondement.
Entends-tu comme le vent
Parmi ces pics souffle et crie ?
 
Dans ces rocs, avec furie,
Se heurtent fleuve et ruisseau ;
J’entends là le bruit de l’eau,
Si cher à la rêverie ;
Et du ciel les tendres chants
Qu’on espère, qu’on adore,
Et l’écho, qui gronde encore,
Comme les voix des vieux temps.
 
Ou hou ! chouchou ! retentissent
Les chats huans, les geais unissent
L’accord plaintif de leurs voix :
Mais sont-ils seuls dans ces bois ?
Non ; grands os, longues échines,
Salamandres flamboyans,
Et tortueuses racines,
Parmi les rocs, les ruines,
Glissent comme des serpens.
Ces nœuds de bois qui s’enlacent,
Comme un polype aux cent bras,
Partout arrêtent mes pas.
 
Des souris courent et passent,
Ayant soin de se cacher,
Dans la mousse du rocher.
Là, des mouches fugitives
Nous précèdent par milliers,
Et d’étincelles si vives
Illuminent les sentiers.
 
Mais quels menaçans passages
Dis-moi donc si nous restons,
Ou bien si nous avançons :
Là, de perfides branchages,
Là, ce follet incertain
Nous détourne du chemin.

Méphistophélès

Tiens-toi ferme à ma queue ! voici un sommet intermédiaire, d’où l’on voit avec étonnement comme Mammon resplendit dans la montagne.

Faust

Que cet éclat d’un triste crépuscule brille singulièrement dans la vallée ! Il pénètre jusqu’aux profondeurs de l’abîme. Là monte une vapeur, là un nuage déchiré ; là brille une flamme dans l’ombre du brouillard ; tantôt serpentant comme un sentier étroit, tantôt bouillonnant comme une source. Ici, elle ruisselle bien loin par cent jets différents, au travers de la plaine ; puis se réunit en un seul entre des rocs serrés. Près de nous jaillissent des étincelles qui répandent partout une poussière d’or. Mais regarde : dans toute sa hauteur, le mur de rochers s’enflamme.

Méphistophélès

Le seigneur Mammon n’illumine-t-il pas son palais comme il faut pour cette fête ? C’est un bonheur pour toi de voir cela ! Je devine déjà l’arrivée des bruyans convives.

Faust

Comme le vent s’agite dans l’air ! De quels coups il frappe mes épaules.

Méphistophélès

Il faut t’accrocher aux vieux pics, ou il te précipiterait au fond de l’abîme. Un nuage obscurcit la nui. Ecoute comme les bois crient. Les hiboux fuient épouvantés. Entends-tu éclater les colonnes de ces palais de verdure ? Entends-tu les branches trembler et se briser ? Quel puissant mouvement dans les tiges ! Parmi les racines, quel murmure et quel ébranlement ! Dans leur chute épouvantable et confuse, ils craquent les uns sur les autres, et parmi les cavernes éboulées sifflent et hurlent les tourbillons. Entends-tu ces voix Dans les hauteurs, dans le lointain ou tout près ?... Eh oui, la montagne retentit dans toute sa longueur d’un furieux chant magique.

Sorcières, en choeur

Gravissons le Brocken ensemble,
Le chaume est jaune, le grain vert,
Et c’est là-haut, dans le désert,
Que toute la troupe s’assemble :
Là, monseigneur Urian s’asseoit,
Tout le monde approche et le voit.

Une Voix

La vieille Baubo vient derrière ;
Place au cochon, place à la mère !

Choeur

Honneur sans doute à tout ancien,
Passez Baubo, et passez bien…
D’abord le cochon, puis la mère,
Et puis la maison toute entière.

Une Voix

Par quelle route prends-tu, toi ?

Une Autre

Par celle d’Ilsenstein, où j’aperçois une chouette dans son nid, qui me fait des yeux…

Une Voix

Oh ! viens donc en enfer ; pouquoi cours-tu si vite ?

Une Autre Voix

Elle m’a mordu : vois quelle blessure !

Sorcières, Choeur

La route est longue, et les passants
Sont très-nombreux et très-bruyants ;
Maint balai se brise ou s’arrête,
L’enfant crie, et la mère pète.

Sorciers, Demi-choeur

Messieurs, nous montons mal vraiment,
Les femmes sont toujours devant ;
Quand le Diable les met en danse,
Elles ont mille pas d’avance.

Autre Demi-choeur

Voilà parler comme il convient ;
Pour aller au palais du maître,
Il leur faut mille pas peut-être,
Quand d’un seul bond l’homme y parvient.

Voix, d’en haut

Avancez, avancez, sortez de cette mer de rochers.

Voix, d’en bas

Nous gagnerions volontiers le haut. Nous barbottons toutes sans cesse, mais notre peine est éternellement infructueuse.

Les Deux Chœurs

Le vent se calme, plus d’étoiles,
Le lune se couvre de voiles,
Mais le choeur voltige avec bruit,
Et de mille feux il reluit.

Voix, d’en bas

Halte ! halte !

Voix, d’en haut

Qui appelle dans ces fentes de rochers ?

Voix, d’en bas

Prenez-moi avec vous ; prenez-moi ! Je monte depuis trois cents ans, et ne puis atteindre le sommet ; je voudrais bien me trouver avec mes semblables.

Les Deux Chœurs

Le balai, le bouc, et la fourche
Sont là : que chacun les enfourche !
Aujourd’hui qui n’est point monté
Est perdu pour l’éternité.

Demi-Sorcière, en bas

De bien travailler je m’honore,
Et pourtant je reste en mon coin ;
Que les autres sont déjà loin,
Quand si bas je me traîne encore !

Choeur de Sorcières

Une auge est un vaisseau fort bon ;
On y met pour voile un torchon,
Car si l’on ne vogue à cette heure,
Sans voguer il faudra qu’on meure.

Les Deux Chœurs

Au sommet nous touchons bientôt,
Que chacun donc se jette à terre,
Et que de là l’armée entière
Partout se répande aussitôt.

(Ils s’arrêtent.)

Méphistophélès

Cela se serre, cela pousse, cela saute, cela glapit, cela siffle et se remue, cela marche et babille, cela reluit, étincelle, pue et brûle ! C’est un véritable élément de sorcières… Allons, ferme, à moi ! ou nous serons bientôt séparés. Où es-tu ?

Faust, dans l’éloignement

Ici !

Méphistophélès

Quoi ! déjà emporté là-bas ? Il faut que j’use de mon droit de maître du logis. Place ! c’est M. Volant qui vient. Place, bon peuple, place ! Ici, docteur, saisis-moi ! Et maintenant, fendons la presse en un tas ; c’est trop extravagant, même pour mes pareils. Là-bas brille quelque chose d’un éclat singulier. Cela m’attire du côté de ce buisson. Viens ! viens ! nous nous glisserons par là.

Faust

Esprit de contradiction ! Allons, tu peux me conduire. Je pense que c’est bien sagement fait ; nous montons au Brocken dans la nuit du sabbat et c’est pour nous isoler ici à plaisir.

Méphistophélès

Tien, regarde quelles flammes bigarrées ! c’est un club joyeux assemblé. On n’est pas seul avec ces petits êtres.

Faust

Je voudrais bien pourtant être là-haut ! Déjà je vois la flamme et la fumée en tourbillons ; là, la multitude roule vers l’esprit du mal. Il doit s’y dénouer mainte énigme.

Méphistophélès

Mainte énigme s’y noue aussi. Laisse le grand monde bourdonner encore : nous nous reposerons ici en silence. Il est reçu depuis long-tems que dans le grand monde on fait des petits mondes… Je vois là de jeunes sorcières toutes nues, et des vieilles qui se voilent prudemment. Soyez aimables, pour l’amour de moi : c’est une peine légère, et cela aide au badinage. J’entends quelques instruments ; le maudit charivari ! il faut s’y habituer. Viens donc, viens donc, il n’en peut être autrement ; je marche devant et t’introduis ; c’est encore un nouveau service que je te rends ; qu’en dis-tu, mon cher ? Ce n’est pas une petite place ; regarde seulement là : tu en vois à peine la fin. Une centaine de feux brûlent dans le cercle ; on danse, on babille, on cuit, on boit et on aime ; dis-moi maintenant où il y a quelque chose de mieux.

Faust

Veux-tu, pour nous introduire ici, te produire comme magicien ou comme diable ?

Méphistophélès

Je suis, il est vrai, fort habitué à aller incognito ; un jour de gala cependant on fait voir ses cordons. Une jarretière ne me distingue pas, mais le pied de cheval est ici fort honoré. Vois-tu là cet escargot ? Il arrive en rampant, tout en tâtant avec ses cornes, il aura déjà reconnu quelque chose en moi. Si je veux, aussi bien, je ne me déguiserai pas ici. Viens donc, nous allons de feux en feux : je suis le demandeur, et tu es le galant. (À quelques personnes assises autour des charbons à demi consumés.) Mes vieux messieurs, que faites-vous dans ce coin-ci ? Je vous louerais, si je vous trouvais gentiment placés dans le milieu, au sein du tumulte et d’une jeunesse bruyante. On est toujours assez isolé chez soi.

Général

Aux nations bien fou qui se fiera !
Car c’est en vain qu’on travaille pour elles,
Auprès du peuple, ainsi qu’auprès des belles,
Jeunesse toujours prévaudra.

Ministre

L’avis des vieux me semble salutaire,
Du droit chemin tout s’éloigne à présent,
Au temps heureux que nous régnions, vraiment
C’était l’âge d’or sur la terre.

Parvenu

Nous n’étions pas sots non plus, Dieu merci,
Et nous menions assez bien notre affaire ;
Mais le métier va mal, en ce temps-ci
Que tout le monde veut le faire.

Auteur

Qui peut juger maintenant des écrits
Assez épais, mais remplis de sagesse ?
Nul ici-bas. – Ah ! jamais la jeunesse
Ne fut plus sotte en ses avis.

Méphistophélès, paraissant soudain très vieux

Tout va périr ; et moi, je m’achemine
Vers le Blocksberg pour la dernière fois ;
Déjà mon vase est troublé. Je le vois,
Le monde touche à sa ruine.

La Sorcière revendeuse

Messieurs, n’allez pas si vite ! Ne laissez point échapper l’occasion ! Regardez attentivement mes denrées ; il y en a là de bien des sortes. Et cependant, rien dans mon magasin qui ait son égal sur la terre, rien qui n’ait causé une fois un grand dommage au hommes et au monde. Ici, pas un poignard d’où le sang n’ait coulé ; pas une coupe qui n’ait versé dans un corps entièrement sain un poison actif et dévorant ; pas une parure qui n’ait séduit une femme vertueuse ; pas une épée qui n’ait rompu une alliance, ou frappé quelque ennemi par derrière.

Méphistophélès

Ma mie, vous comprenez mal les temps ; ce qui est fait est fait. Fournissez vous de nouveautés, il n’y a plus que les nouveautés qui nous attirent.

Faust

Que je n’aille pas m’oublier moi-même… J’appellerais cela une foire.

Méphistophélès

Tout ce tourbillon s’élance là-haut, tu crois pousser, tu es poussé.

Faust

Qui est celle-là ?

Méphistophélès

Considère-la bien, c’est Lilith.

Faust

Qui ?

Méphistophélès

La première femme d’Adam. Tiens-toi en garde contre ses beaux cheveux, parure dont elle seule brille : quand elle peut atteindre un jeune homme, elle ne le laisse pas échapper de si tôt.

Faust

En voilà deux assises, une vieille et une jeune : elles ont déjà sauté comme il faut.

Méphistophélès

Aujourd’hui cela ne se donne aucun repos. On passe à une danse nouvelle ; viens maintenant, nous les prendrons.

Faust, dansant avec la jeune

Hier, un aimable mensonge
Me fit voir un jeune arbre en songe,
Deux beaux fruits y semblaient briller ;
J’y montai : c’était un pommier.

La Belle

Les deux pommes de votre rêve
Sont celles de notre mère Ève ;
Mais vous voyez que le destin
Les mit aussi dans mon jardin.

Méphistophélès avec la vieille

Hier, un dégoûtant mensonge
Me fit voir un vieux arbre en songe.
………….
…………..

La Vieille

Salut ! qu’il soit le bien venu,
Le chevalier au pied cornu !
…………..
…………..

Proctophantasmist

Maudites gens ! Qu’est-ce qui se passe entre vous ? Ne vous a-t-on pas instruit dès longtemps ? Jamais un esprit ne se tient sur ses pieds ordinaires. Vous dansez maintenant comme nous autres hommes.

La Belle, dansant

Qu’est-ce qu’il veut dans notre bal, celui-ci ?

Faust, dansant

Eh ! il est le même en tout. Il faut qu’il juge ce que les autres dansent. S’il ne pouvait point dire son avis sur un pas, le pas serait comme non-avenu. Ce qui le pique le plus, c’est de nous voir avancer. Si vous vouliez tourner en cercle, comme il fait dans son vieux moulin, à chaque tour, il trouverait tout bon, surtout si vous aviez bien soin de le saluer.

Proctophantasmist

Vous êtes donc toujours là ! Non, c’est inoui. Disparaissez donc ! Nous avons déjà tout éclairci ; la canaille des diables ne connaît aucun frein ; nous sommes bien prudens, et cependant le creuset est toujours aussi plein. Que de temps n’ai-je pas employé dans cette idée ; et rien ne s’épure. C’est pourtant inoui.

La Belle

Alors, cesse donc de nous ennuyer ici.

Proctophantasmist

Je le dis à votre nez, Esprits : je ne puis souffrir le despotisme d’esprit ; et mon esprit ne peut l’exercer (On danse toujours.) Aujourd’hui, je le vois, rien ne peut me réussir. Cependant je fais toujours un voyage, et l’espère encore à mon dernier pas mettre en déroute les diables et les poètes.

Méphistophélès

Il va de suite se placer dans une mare ; c’est la manière dont il se soulage, et quand une sangsue s’est bien délectée après son derrière, il se trouve guéri des Esprits et de l’esprit. (À Faust, qui a quitté la danse.) Pourquoi donc as-tu laissé partir la jeune fille, qui chantait si agréablement à la danse ?

Faust

Ah ! au milieu de ses chants, une souris rouge s’est élancée de sa bouche.

Méphistophélès

C’était bien naturel ! Il ne faut pas faire attention à ça. Il suffit que la souris ne soit pas grise. Qui peut y attacher de l’importance à l’heure du berger ?

Faust

Que vois-je là ?

Méphistophélès

Quoi ?

Faust

Méphisto, vois-tu une fille pâle et belle qui demeure seule dans l’éloignement ? Elle se retire languissamment de ce lieu et semble marcher les fers aux pieds. Je crois m’apercevoir qu’elle ressemble à la bonne Marguerite.

Méphistophélès

Laisse cela ! personne ne s’en trouve bien. C’est une figure magique, sans vie, une idole. Il n’est pas bon de la rencontrer ; son regard fixe engourdit le sang de l’homme et le change presque en pierre. As-tu déjà entendu parler de la Méduse ?

Faust

Ce sont vraiment les yeux d’un mort, qu’une main chérie na point fermés. C’est bien là le sein que Marguerite m’abandonna, c’est bien le corps si doux que je possédai !

Méphistophélès

C’est de la magie, pauvre fou, car chacun croit y rencontrer celle qu’il aime.

Faust

Quelles délices !... et quelles souffrances ! Je ne puis m’arracher à ce regard. Qu’il est singulier, cet unique ruban rouge qui semble parer ce beau cou… pas plus large que le dos d’un couteau !

Méphistophélès

Fort bien ! Je le vois aussi ; elle peut bien porter sa tête sous son bras ; car Persée la lui a coupée. – Toujours cette chimère dans l’esprit ! Viens donc sur cette colline ; elle est aussi gaie que le Prater. Eh ! je ne me trompe pas, c’est un théâtre que je vois. Qu’est-ce qu’on y donne donc ?

Un Servant

On va recommencer une nouvelle pièce ; la dernière des sept. C’est l’usage ici d’en donner autant. C’est un dilettante qui l’a écrite, et ce sont des dilettanti qui la jouent. Pardonnez-moi, messieurs, si je disparais, mais j’aime à lever le rideau.

Méphistophélès

Si je vous rencontre sur le Blocksberg, je le trouve tout simple. Car c’est à vous qu’il appartient d’y être.

 

WALPURGISNACTSTRAUM

(Songe d’une nuit de Sabbat)

ou

NOCES D’OR

D’OBÉRON ET DE TITANIA

Intermède

La scène qui va suivre, où Goëthe attaque la foule d’auteurs de son tems, est presque incompréhensible, même pour les Allemands, dans certains passages ; cela en rendait la traduction exacte très-difficile, aussi ne me flatté-je pas d’être parvenu à la rendre claire et élégante autant que précise, mais j’ai tâché d’en éclaircir une partie en me servant des notes de l’édition Sautelet.

Directeur du théâtre

Aujourd’hui nous nous reposons,
Fils de Mieding (1), de notre peine :
Vieille montagne et frais vallons
Formeront le lieu de la scène.

Héraut

Les noces d’or communément
Se font après cinquante années,
Mais les brouilles (2) sont terminées,
Et l’or ma plaît infiniment.

Obéron

Messieurs, en cette circonstance,
Montrez votre esprit comme moi ;
Aujourd’hui la reine et le roi
Contractent nouvelle alliance.

Puck (3)

Puck arrive assez gauchement
En tournant son pied en spirales ;
Puis cent autres par intervalles
Autour de lui dansent gaîment.

Ariel (4)

Pour les airs divins qu’il module,
Ariel veut gonfler sa voix ;
Son chant est souvent ridicule,
Mais rencontre assez bien parfois.

Obéron

Notre union vraiment est rare,
Qu’on prenne exemple sur nous deux !
Quand bien long-tems on les sépare,
Les époux s’aiment beaucoup mieux.

Titania

Époux sont unis, Dieu sait comme :
Voulez-vous les mettre d’accord ?...
Au fond du midi menez l’homme,
Menez la femme au fond du nord.

Orchestre, Tutti, fortissimo

Nez de mouches et becs d’oiseaux,
Avec mille métamorphoses ;
Grenouilles, grillons et crapauds,
Ce sont bien là nos virtuoses.

Solo

De la cornemuse écoutez,
Messieurs, la musique divine :
On entend bien, ou l’on devine
Le schnickschnack qui vous sort du nez.

Esprit, qui vient de se former

A l’embryon qui vient de naître,
Ailes et pattes l’on joindra ;
C’est moins qu’un insecte peut-être…
Mais c’est au moins un opéra.

Un Petit Couple

Dans les brouillards et la rosée
Tu t’élances… à petits pas ;
Ta démarche sage et posée
Nous plaît, mais ne s’élève pas (5).

Un Voyageur Curieux

Une mascarade, sans doute,
En ce jour abuse mes yeux ;
Trouverais-je bien sur ma route
Obéron, beau parmi les dieux ?

Orthodoxe

Ni griffes, ni queue, ah ! c’est drôle !
Ils me sont cependant suspects :
Ces diables-là, sur ma parole,
Ressemblent fort aux dieux des Grecs (6).

Artiste du nord

Ébauche, esquisse, ou folie,
Voilà mon travail jusqu’ici ;
Pourtant je me prépare aussi
Pour mon voyage d’Italie.

Puriste

Ah ! plaignez mon malheur, passants,
Mes espérances sont trompées :
Des sorcières qu’on voit céans,
Il n’en est que deux de poudrées.

Jeune Sorcière

Poudres et robes, c’est ce qu’il faut
Aux vieilles qui craignent la vue ;
Pour moi, sur mon bouc, je suis nue,
Car mon corps n’a point de défaut.

Matrone

Ah ! vous serez bientôt des nôtres
Ma chère, je le parierais ;
Votre corps, si jeune et si frais,
Se pourrira, comme tant d’autres.

Maître de chapelle

Nez de mouches et becs d’oiseaux,
Ne me cachez pas la nature ;
Grenouilles, grillons et crapauds,
Restez donc au moins en mesure.

Girouette, tournée d’un côté

Bonne compagnie en ces lieux :
Hommes, femmes, sont tous, je pense,
Gens de la plus belle espérance ;
Que peut-on désirer de mieux ?

Girouette, tournée d’un autre côté

Si la terre n’ouvre bientôt
Un abîme à cette canaille,
Dans l’enfer, où je veux qu’elle aille,
Je me précipite aussitôt.

Xénies (7)

Vrais insectes de circonstance,
De bons ciseaux on nous arma,
Pour faire honneur à la puissance
Du grand Satan, notre papa.

Hennings (8)

Ces coquins, que tout homme abhorre,
Naïvement chantent en choeur ;
Auront-ils bien le front encore,
De nous parler de leur bon cœur ?

Musagète (9)

Des sorcières la sombre masse,
Pour mon esprit a mille appas ;
Je saurais mieux guider leurs pas
Que ceux des vierges du Parnasse.

Ci-devant Génie du temps (10)

Les braves gens entrent partout :
Le Blocksberg est un vrai Parnasse…
Prends ma perruque par un bout,
Tout le monde ici trouve place.

Voyageur curieux

Dites-moi, cet homme si grand (11),
Après qui donc court-il si vite ?
Dans tous les coins il va flairant…
Il chasse sans doute au jésuite.

Grue

Quant à moi, je chasse aux poissons
En eau trouble comme en eau claire :
Mais les gens dévots, d’ordinaire,
Sont mêlés avec les démons.

Mondain

Les dévots trouvent dans la foi
Toujours un puissant véhicule,
Et sur le Blocksberg, croyez-moi,
Se tient plus d’un conventicule.

Danseur

Déjà viennent les chœurs nouveaux ;
Quel bruit fait frémir la nature ?
Paix ! du héron dans les roseaux
C’est le monotone murmure.

Idéaliste

La fantaisie, hors de sa route,
Conduit l’esprit je ne sais où,
Aussi, si je suis tout, sans doute
Je ne suis aujourd’hui qu’un fou.

Réaliste

Sondant les profondeurs de l’être,
Mon esprit s’est mis à l’envers ;
À présent, je puis reconnaître,
Que je marche un peu de travers.

Supernaturaliste

Quelle fête ! quelle bombance !
Ah ! vraiment je m’en réjouis,
Puisque, d’après l’enfer, je pense
Pouvoir juger du paradis.

Sceptique

Follets, illusion aimable,
Séduisent beaucoup ces gens-ci ;
Le doute paraît plaire au diable,
Je vais donc me fixer ici.

Maître de chapelle

En mesure ! maudites bêtes !
Nez de mouches et becs d’oiseaux,
Grenouilles, grillons et crapauds,
Ah ! quels dilettanti vous êtes !

Les Souples

Qui peut avoir plus de vertus
Qu’un sans-souci ?... rien ne l’arrête ;
Quand les pieds ne le portent plus,
Il marche très bien sur la tête.

Les Embarrassés

Autrefois nous vivions gaîment,
Aux bons repas toujours fidèles ;
Mais ayant usé nos semelles,
Nous courons nus-pieds à présent.

Follets

Nous sommes enfans de la boue,
Cependant plaçons-nous devant ;
Car puisqu’ici chacun nous loue,
Il faut prendre un maintien galant.

Étoile, tombée

Tombée, et gisante sur l’herbe,
Du sort je subis les décrets ;
À ma gloire, à mon rang superbe,
Qui peut me rendre désormais ?

Les Massifs

Place ! place ! au poids formidable,
Qui sur le sol tombe d’aplomb :
Ce sont des esprits !... lourds en diable,
Car ils ont des membres de plomb.

Puck

Gros éléphants, ou pour bien dire,
Esprits, marchez moins lourdement :
Le plus massif, en ce moment,
C’est Puck, dont la face fait rire.

Ariel

Si la nature, ou si l’esprit
Vous pourvut d’ailes azurées,
Suivez mon vol dans ces contrées,
Où la rose pour moi fleurit.

L’Orchestre, pianissimo

Les brouillards, appuis du mensonge,
S’éclaircissent sur ces coteaux ;
Le vent frémit dans les roseaux…
Et tout a fui comme un vain songe.

 

(1) Chef de troupe au théâtre de Weimar

(2) Allusion aux querelles d’Obéron et de Titania, dans le Songe d’une nuit d’été, de Shakespear. Goëthe semble avoir en vue cette pièce dans le titre et quelques détails de son intermède.

(3) Personnage fantastique de Shakespear. Esprit à la suite d’Obéron, exécutant ses volontés, et le divertissant par ses bouffonneries.

(4) Petit génie aérien, aux ordres du magicien, dans la Tempête.

(5) Peut-être le Petit Couple s’adresse-t-il à Wieland. Au moins, ce qu’il dit paraît convenir marveilleusement à l’Obéron de ce poète, imitateur un peu lourd du divin Arioste.

(6) Schiller ayant composé une Ode fort belle, où il regrettait, en poète, la riante mythologie des Grecs, il y eut, à ce propos, grande rumeur parmi les théologiens allemands ; car, prenant l’Ode au sérieux, ils se fâchèrent tout de bon et crièrent à l’impiété. C’est à ce petit poème, intitulé les Dieux de la Grèce, que Goëthe fait allusion.

(7) Recueil d’épigrammes, recueillies par Goëthe et Schiller, où tout ce qu’il y avait en Allemagne d’écrivains, hors eux, fut passé en revue et moqué. La scène est en enfer, comme ici.

(8) Une des victimes immolées dans les Xénies.

(9) Rédacteur d’un journal littéraire qui avait pour titre : les Muses.

(10) Autre journal rédigé par Hennings. Goëthe y était fort mal traité.

(11) Ceci porte sur Nicolaï, qui publia un Voyage en Europe, où il recherchait curieusement, et dénonçait à l’opinion les hommes par lui soupçonnés d’appartenir au corps des jésuites.

 

JOUR SOMBRE

(Au champ)

FAUST, MÉPHISTOPHÉLÈS

Faust

Dans le malheur !... le désespoir ! Longtemps misérablement égarée sur la terre, et maintenant captive ! Jetée, comme une criminelle, dans un cachot, la douce et malheureuse créature se voit réservée à d’insupportables tortures ! Jusque-là, jusque-là ! Imposteur, indigne esprit !... et tu me le cachais ! Reste maintenant, reste ! roule avec furie tes yeux diaboliques dans ta tête infâme ! Reste ! et brave-moi par ton insoutenable présence !... Captive ! accablée d’un malheur irréparable ! abandonnée aux mauvais esprits et à l’inflexible justice des hommes !... Et tu m’entraînes pendant ce temps à de dégoûtantes fêtes, tu me caches sa misère toujours croissante, et tu l’abandonnes sans secours au trépas qui va l’atteindre.

Méphistophélès

Elle n’est pas la première.

Faust

Chien ! exécrable monstre ! - Change-le, esprit infini ! qu’il reprenne sa première forme de chien, sous laquelle il se plaisait souvent à marcher la nuit devant moi, pour se rouler devant les pieds du voyageur tranquille, et se jeter sur ses épaules après l’avoir renversé ! Rends-lui la figure qu’il aime ; que dans le sable, il rampe devant moi sur le ventre, et que je le foule aux pieds, le maudit ! Ce n’est pas la première ! Horreur ! horreur, qu’aucune ame humaine ne peut comprendre ! plus qu’une créature plongée dans l’abîme d’une telle infortune ! Et la première, dans les tortures de la mort, n’a pas suffi pour racheter les péchés des autres, aux yeux de l’éternelle miséricorde ! La souffrance de cette seule créature dessèche la moelle de mes os, et dévore tout ce que j’ai de vie ; et toi, tu souris tranquillement à la pensée qu’elle partage le sort d’un millier d’autres.

Méphistophélès

Nous sommes encore aux premières limites de notre esprit, que celui de vous autres hommes est déjà dépassé. Pourquoi marcher dans notre compagnie, si tu ne peux en supporter les conséquences ? Tu veux voler, et n’es pas assuré contre le vertige ! Est-ce nous qui t’avons invoqué, ou si c’est le contraire ?

Faust

Ne grince pas si près de moi tes dents avides. Tu me dégoûtes ! Sublime Esprit, toi qui m’as jugé digne de te contempler, pourquoi m’avoir accouplé à ce compagnon d’opprobre, qui se nourrit de carnage et se délecte de destruction ?

Méphistophélès

Est-ce fini ?

Faust

Sauve-la !... ou malheur à toi ! La plus horrible malédiction sur toi, pour des milliers d’années.

Méphistophélès

Je ne puis détacher les chaînes de la vengeance, je ne puis ouvrir les verroux. Sauve-la ! - Qui donc l’a entraînée à sa perte ?... Moi ou toi ? (Faust lance autour de lui des regards sauvages.) Cherches-tu le tonnerre ? Il est heureux qu’il ne soit pas confié à de chétifs mortels. Écraser l’innocent qui résiste, c’est un moyen que les tyrans emploient pour se faire jour en mainte circonstance.

Faust

Conduis-moi où elle est ! il faut qu’elle soit libre !

Méphistophélès

Et le péril auquel tu t’exposes ! Sache que le sang répandu de ta main fume encore dans cette ville. Sur la demeure de la victime planent des esprits vengeurs, qui guettent le retour du meurtrier.

Faust

L’apprendre encore de toi ! Ruine, mort de tout un monde sur toi, monstre ! Conduis-moi, te dis-je, et délivre-la.

Méphistophélès

Je t’y conduis ; quant à ce que je puis faire, écoute ! Ai-je tout pouvoir sur la terre et dans le ciel ? Je brouillerai l’esprit du geolier, et je te mettrai en possession de la clef, il n’y a plus ensuite qu’une main humaine qui puisse la délivrer. Je veillerai, les chevaux enchantés seront prêts, et je vous enlèverai. C’est tout ce que je puis.

Faust

Allons ! partons !

 

LA NUIT, EN PLEIN CHAMP

FAUST, MÉPHISTOPHÉLÈS, galopant sur des chevaux noirs

Faust

Qui se remue là autour du lieu du supplice ?

Méphistophélès

Je ne sais ni ce qu’ils cuisent, ni ce qu’ils font.

Faust

Ils s’agitent çà et là, se lèvent et se baissent.

Méphistophélès

C’est une communauté de sorciers.

Faust

Ils sèment et consacrent.

Méphistophélès

Passons ! passons !

 

CACHOT

Faust, avec un paquet de clefs et une lampe, devant une petite porte de fer

Je sens un frisson inaccoutumé s’emparer lentement de moi. Toute la misère de l’humanité s’appesantit sur ma tête. Ici ! ces murailles humides… voilà le lieu qu’elle habite, et son crime fut une douce erreur ! Faust, tu trembles de t’approcher ! tu crains de la revoir ! Entre donc ! ta timidité hâte l’instant de son supplice.

(Il tourne la clef. On chante au dedans.)

Ma mère, la catin,
Qui m’a tuée,
Mon père, le coquin,
Qui m’a mangée,
Et ma petite sœur, qui m’a jetée dans l’eau,
Où je deviens un bel oiseau :
Vole ! vole ! vole !

Faust, ouvrant la porte

Elle ne se doute pas que son bien-aimé l’écoute, qu’il entend le cliquetis de ses chaînes et le froissement de sa paille. (Il entre.)

Marguerite, se cachant sous sa couverture

Hélas ! hélas ! les voilà qui viennent. Que la mort est amère !

Faust, bas

Paix ! paix ! je viens te délivrer.

Marguerite, se traînant jusqu’à lui

Es-tu un homme ? tu compatiras à ma misère.

Faust

Tes cris vont éveiller les gardes ! (Il saisit les chaînes pour les détacher.)

Marguerite

Bourreau ! qui t’a donné ce pouvoir sur moi ? tu viens me chercher déjà, à minuit ! Aie compassion de moi, et laisse-moi vivre. Demain, de grand matin, n’est-ce pas assez tôt ? (Elle se lève.) Je suis pourtant si jeune, si jeune, et je dois déjà mourir ! Je fus belle aussi, c’est ce qui causa ma perte. le bien-aimé était près de moi, maintenant il est bien loi ; ma couronne est arrachée, les fleurs en sont dispersées… Ne me saisis pas si brusquement ! épargne-moi ! que t’ai-je fait ? ne sois pas insensible à mes larmes : de ma vie je ne t’ai vu.

Faust

Puis-je résister à ce spectacle de douleur ?

Marguerite

Je suis entièrement en ta puissance ; mais laisse-moi encore allaiter mon enfant. Toute la nuit je l’ai pressé contre mon cœur ; ils viennent de me le prendre pour m’affliger, et disent maintenant que c’est moi qui l’ai tué. Jamais ma gaîté ne me sera rendue. Ils chantent des chansons sur moi ! c’est méchant de leur part ! Il y a un vieux conte qui finit comme cela. À quoi veulent-ils faire allusion ?

Faust, se jetant à ses pieds

Ton amant est à tes pieds, il cherche à détacher tes chaînes douloureuses.

Marguerite, s’agenouillant aussi

Oh ! oui, agenouillons-nous pour invoquer les saints ! Vois, sous ces marches, au seuil de cette porte… c’est là que bouillonne l’enfer ! et l’esprit du mal, avec ses grincements effroyables… quel bruit il fait !

Faust, plus haut

Marguerite ! Marguerite !

Marguerite, attentive

C’était la voix de mon ami ! (Elle s’élance, les chaînes tombent.) Où est-il ? je l’ai entendu m’appeler. Je suis libre ! personne ne peut me retenir, et je veux voler dans ses bras, reposer sur son sein ! Il a appelé Marguerite, il était là, sur le seuil. Au milieu des hurlemens et du tumulte de l’enfer, à travers les grincements, les ris des démons, j’ai reconnu sa voix si douce, si chérie !

Faust

C’est moi-même.

Marguerite

C’est toi ! oh ! redis-le encore ! (Le pressant.) C’est lui ! c’est lui ! Où sont toutes mes peines ? où sont les angoisses de la prison ? où sont les chaînes ?... C’est bien toi ! tu viens me sauver… Me voilà sauvée ! - La voici la rue où je te vis la première fois ! voilà l’agréable jardin où Marthe et moi nous t’attendîmes.

Faust, s’efforçant de l’entraîner

Viens ! viens avec moi !

Marguerite

Oh ! reste ! reste encore… j’aime tant à être où tu es ! (Elle l’embrasse.)

Faust

Hâte-toi ! nous paierions cher un instant de retard.

Marguerite

Quoi ! tu ne peux plus m’embrasser ? Mon ami, depuis si peu de temps que tu m’as quittée, déjà tu as désappris à m’embrasser ? Pourquoi dans tes bras suis-je si inquiète ?... quand naguère une de tes paroles, un de tes regards m’ouvraient tout le ciel, et que tu m’embrassais à m’étouffer. Embrasse-moi donc ; ou je t’embrasse moi-même ! (Elle l’embrasse.) Ô Dieu ! tes lèvres sont froides, muettes. Ton amour, où l’as-tu laissé ? qui me l’a ravi ? (Elle se détourne de lui.)

Faust

Viens ! suis-moi ! ma bien-aimée, du courage ! je brûle pour toi de mille feux ; mais suis-moi, c’est ma seule prière !

Marguerite, le fixant

Est-ce bien toi ? es-tu bien sûr d’être toi ?

Faust

C’est moi ! viens donc !

Marguerite

Tu détaches mes chaînes, tu me reprends contre ton sein… comment se fait-il que tu ne te détournes pas de moi avec horreur ? - Et sais-tu bien, mon ami, sais-tu qui tu délivres ?

Faust

Viens ! viens ! la nuit profonde commence à s’éclaircir.

Marguerite

J’ai tué ma mère ! Mon enfant ! je l’ai noyé ! il te fut donné comme à moi ! oui, à toi aussi. C’est donc toi !... je le crois à peine. Donne-moi ta main. Non, ce n’est point un rêve. Ta main chérie !... Ah ! mais elle est humide ! essuie-la donc ! il me semble qu’il y a du sang. Oh Dieu ! qu’as-tu fait ? cache cette épée, je t’en conjure !

Faust

Laisse-là le passé, qui est passé ! Tu me fais mourir.

Marguerite

Non, tu dois me survivre ! Je vais te décrire les tombeaux que tu auras soin d’élever dès demain ; il faudra donner la meilleure place à ma mère, que mon frère soit tout près d’elle, moi, un peu sur le côté, pas trop loin cependant, et le petit contre mon sein droit. Nul autre ne sera donc auprès de moi ! Reposer à tes côtés, c’eût été un bonheur bien doux, bien sensible ! mais il ne peut m’appartenir désormais. Dès que je veux m’approcher de toi, il me semble toujours que tu me repousses ! Et c’est bien toi pourtant, et ton regard a tant de bonté et de tendresse.

Faust

Puisque tu sens que je suis là, viens donc !

Marguerite

Dehors ?

Faust

A la liberté.

Marguerite

Dehors, c’est le tombeau ! c’est la mort qui me guette !... Viens ! d’ici dans la couche de l’éternel repos, et pas un pas plus loin. - Tu t’éloignes ! ô Henri ! si je pouvais te suivre !

Faust

Tu le peux ! veuille-le seulement, la porte est ouverte.

Marguerite

Je n’ose sortir, il ne me reste plus rien à espérer, et, pour moi, de quelle utilité serait la fuite ? Ils épient mon passage ! Et puis ! se voir réduite à mendier, c’est si misérable, et avec une mauvaise conscience encore ! C’est si misérable d’errer dans l’exil ! et d’ailleurs ils sauraient bien me reprendre.

Faust

Je reste donc avec toi !

Marguerite

Vite, vite ! sauve ton pauvre enfant ! va, suis le chemin le long du ruisseau, dans le sentier, au fond de la forêt, à gauche, où est l’écluse, dans l’étang. Saisis-le vite, il s’élève à la surface, il se débat encore ! sauve-le ! sauve-le !

Faust

Reprends donc tes esprits ; un pas encore, et tu es libre !

Marguerite

Si nous avions seulement dépassé la montagne ! Ma mère est là, assise sur la pierre. Le froid me saisit la nuque ! Ma mère est là, assise sur la pierre, et elle secoue la tête, sans me faire aucun signe, sans cligner de l’œil, sa tête est si lourde, elle a dormi si longtemps !... Elle ne veille plus ! elle dormait pendant nos plaisirs. C’étaient là d’heureux temps !

Faust

Puisque ni larmes ni paroles n’opèrent sur toi, j’oserai t’entraîner loin d’ici.

Marguerite

Laisse-moi ! non, je ne supporterai aucune violence ! Ne me saisis pas si violemment ! je n’ai que trop fait ce qui pouvait te plaire.

Faust

Le jour se montre !... mon amie ! ma bien-aimée !

Marguerite

Le jour ? oui, c’est le jour ! c’est le dernier des miens : il devait être celui de mes noces ! Ne va dire à personne que Marguerite t’a reçu si matin. Ah ! ma couronne !... elle est bien aventurée !... Nous nous reverrons, mais ce ne sera pas à la danse. La foule se presse, on ne cesse de l’entendre ; la place, les rues pourront-elles lui suffire ? La cloche m’appelle, la baguette de justice est brisée. Comme ils m’enchaînent ! comme ils me saisissent ! Je suis déjà enlevée sur l’échafaud, déjà tombe sur le cou de chacun le tranchant jeté sur le mien. Voilà le monde entier muet comme le tombeau !

Faust

Oh ! que ne suis-je jamais né !

Méphistophélès se montre au dehors

Sortez ! ou vous êtes perdus. Que de paroles inutiles ! que de retards et d’invertitudes ! Mes chevaux s’agitent, et le jour commence à poindre.

Marguerite

Qui s’élève ainsi de la terre ? Lui ! lui ! chasse-le vite ; que vient-il faire dans le saint lieu ?... c’est moi qu’il veut.

Faust

Il faut que tu vives !

Marguerite

Justice de Dieu, je me suis livrée à toi !

Méphistophélès, à Faust

Viens ! viens ! ou je t’abandonne avec elle sous le couteau !

Marguerite

Je t’appartiens, père ! sauve-moi ! Anges, entourez-moi, protégez-moi de vos saintes armées !... Henri, tu me fais horreur !

Méphistophélès

Elle est jugée !

Voix, d’en haut

Elle est sauvée !

Méphistophélès, à Faust

Viens à moi ! (Il disparaît avec Faust.)

Voix, du fond, qui s’affaiblit

Henri ! Henri !

 

FIN

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