24 janvier 1852 (BF) — L’Imagier de Harlem ou La Découverte de l’imprimerie, à la Librairie théâtrale
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ACTE II
Désormais sous la coupe de Satan, qui prend ici les traits du comte de Bloksberg, Coster se trouve à la cour de l'archiduc d'Autriche Frédéric III, séduit par les artifices de Bloksberg qui remplit miraculeusement les caisses de l'État avec la monnaie papier: « Nous fondons une chose immense et qui se nommera le crédit ! le monde n’a plus besoin d’argent et d’or ; le premier des métaux, c’est le papier ». Puis, comme Faust suscita l’apparition d’Hélène dans le Second Faust de Goethe, Satan fait apparaître sa créature, Aspasie, dont la beauté, déjà entrevue et rêvée, fascine Coster. Avec la complicité d’Aspasie qui pourtant met en garde l'inventeur : « Cet hommedétruit tout... Quiconque vient à lui / Ne s’en retourne plus », Satan est sur le point de triompher de Coster quand intervient Catherine.
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ACTE DEUXIÈME.
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TROISIÈME TABLEAU.
A Aix-la-Chapelle. — La salle du trône, au palais de l’archiduc Frédéric III. Une grande entrée au fond. A droite et faisant face au public, une porte sculptée donnant dans les caveaux. — A gauche sur le devant est le trône. Du même côté, une grande fenêtre.
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SCÈNE PREMIÈRE.
LE COMTE DE BLOKSBERG, COSTER, SEIGNEURS, au fond.
DE BLOKSBERG, entrant de droite.
Entrez, entrez, maître Coster ; nous sommes chez nous... (Montrant les seigneurs qui causent au fond.) Ne vous effrayez pas de ces hommes qui causent là-bas... ce sont les ministres de l’archiduc Frédéric III d’Autriche, surnommé le Pacifique, parce qu’il se borne à rêver les conquêtes de César et d’Alexandre le Grand. (Ils descendent sur le devant.) Moi, j’ai l’honneur insigne d’être le fou de l’archiduc ; c’est la première dignité de l’Etat. On nomme un fou pour faire croire que tout le reste de la cour est sage ; et c’est précisément le contraire qui arrive, comme dans toutes les combinaisons humaines : le titre de fou ne m’enlève pas celui de chambellan. Je cumule ces deux charges et je touche deux honoraires. Vous voilà maintenant fixé sur ma position et mon crédit. Soyez donc sans crainte, vous êtes mon protégé.
COSTER.
J’ai laissé à l’hôtellerie ma femme et mes trois compagnons ; ils ne connaissent personne à Aix-la-Chapelle, et ils sont déjà peut-être impatients de me voir.
DE BLOKSBERG.
Vous êtes très-naïf en amour et en amitié, maître Coster, c’est une belle qualité. Nos femmes et nos amis sont les seuls qui ne s’inquiètent jamais de notre absence ; nos créanciers, à la bonne heure. J’écoute votre pensée depuis une heure, et j’ai donné des ordres pour que votre femme et vos trois compagnons soient logés près d’ici.
COSTER.
Merci, monseigneur. J’admire tout dans ce vieux palais de Charlemagne. (Montrrant la porte du fond à droite.) Avez-vous remarqué cette porte ? Quelles sculptures étranges... On les dirait fouillées par le ciseau des vieux maîtres de Nuremberg.
DE BLOKSBERG.
Cette porte, maître Coster, conduit aux caveaux où dorment les anciens césars d’Allemagne. L’archiduc, superstitieux comme un bon Allemand, s’entoure d’une légion de magiciens qui promettent toujours de lui faire apparaître l’une des grandes ombres qui errent sous ces voûtes sépulcrales... Il attend et il paye. Mais voici son altesse ! Tenez-vous à l’écart, et laissez-moi causer quelques instants avec monseigneur. (Il sort en courant.)
COSTER, à lui-même, passant à droite.
Cet homme étrange exerce une fascination qui me lie à ses pas ; m’attire-t-il vers le bien ou le mal ? (Avec résolution.) N’importe, marchons à l’inconnu.
SCÈNE II.
COSTER, L’ARCHIDUC, DE BLOKSBERG, SUITE. (entrée vive et bruyante)
L’ARCHIDUC, à des seigneurs qui viennent d’entrer de droite.
Bonjour, margraves.
DE BLOKSBERG, vivement, en riant.
Bonjour margraves, landgraves, rheingraves, burgraves et tout ce qu’il y a d’hommes graves en Allemagne... Après moi, bien entendu !
L’ARCHIDUC, à un seigneur.
Comte de Saltzbourg, je ne vois plus votre femme.
DE BLOKSBERG, au même seigneur.
C’est vrai, mon gros sénéchal, qu’en faites-vous, ou plutôt qu’en fait-on ?
L’ARCHIDUC, passant à gauche, à un seigneur.
Baron d’Aremberg, paierons-nous nos troupes ?
DE BLOKSBERG, au même seigneur.
Lui, payer ! jamais ! (Le seigneur fait un mouvement.) Ah ! trésorier, argentier, économe, triple économe, lombard que tu es ! il doit à tout le monde... il doit à droite ! il doit à gauche, il doit à la ville, à la cour, aux manants, à la noblesse, à l’armée ! il doit à Dieu ! il doit au diable ! il me doit trois années de traitement, et je crois que ce bourgeois parvenu s’est acheté les trente-six quartiers de sa noblesse avec les trente-six quartiers de ma pension. (Rires.)
L’ARCHIDUC, qui s’assied, à Bloksberg.
Ah çà, Caspar, toi qui es si insolent avec tout le monde, on m’avait affirmé que tu t’étais brisé le cou, la nuit, en cherchant une bonne fortune dans un escalier dérobé... à ton âge !
DE BLOKSBERG, au milieu.
L’accident est vrai, monseigneur, mais le médecin qui est heureux au jeu de hasard, m’a guéri... après cela, peut-être suis-je mort... dans cette vie... est-on sûr... que votre altesse ne se fie pas trop à mes apparences de vivant.. peut-être suis-je le diable qui a pris la forme de votre fou défunt.
L’ARCHIDUC.
Si tu étais le diable, tu ne serais pas ici sans la permission de mes magiciens ordinaires.
DE BLOKSBERG.
Je les connais vos magiciens... ils ne sont pas très-sorciers et ce ne sont pas eux qui relèveront les finances de vos États.
L’ARCHIDUC, étonné.
Ah ! eh bien, si tu en sais plus qu’eux, c’est le moment de te montrer ; mon trésorier et moi nous avons besoin de...
DE BLOKSBERG.
De conseils ?
L’ARCHIDUC.
Non, d’argent...
DE BLOKSBERG.
Pourquoi pas des conseils ? ma chute dans l’escalier m’a rendu grave, et j’ai peur que la percussion du crâne n’ait développé tout à coup sur ma tête la bosse folle de la raison... (En montrant Coster qui est sur le devant à droite.) En voici la preuve... je vous présente un savant illustre dont le cerveau est un arsenal de merveilles ; il a fait, ces jours-ci, une découverte qui va changer la face du monde.
L’ARCHIDUC.
Mais le monde est bien comme il est...
DE BLOKSBERG.
Finances à part !..
L’ARCHIDUC.
Finances à part ! et qu’a-t-il découvert ton savant ?
DE BLOKSBERG.
Que votre altesse l’interroge elle-même.
L’ARCHIDUC.
Soit. (A Coster.) Voyons, monsieur le savant, approchez, parlez, expliquez-vous !
COSTER, s’approchant.
Monseigneur, il y a un fléau qui désole le monde, c’est l’ignorance ; les hommes naissent, vivent et meurent sans avoir rien appris. Il faut que la lumière de l’intelligence luise pour tout le monde, il faut que chacun puisse s’abreuver à ce fleuve du savoir, dont la source est au ciel. Dieu se sert quelquefois du plus indigne pour ses desseins, et c’est à lui que je dois ma découverte : ainsi, cherchez l’inventeur là-haut, et ne regardez pas l’instrument. Altesse, donnez-moi le manuscrit d’un sage, d’un penseur, d’un poëte, d’un historien, et grâces au levier qui est en mon pouvoir, je distribue ce livre à des millions de mains ; je fais rayonner ces pages sur le globe, comme le soleil la lumière ; je prends une à une les lettres écrites, et je les grave sur un papier fragile qui, à force d’être multiplié, devient éternel, comme l’airain, et défie l’incendiaire et le ravageur, la torche d’Omar et l’épée d’Attila.
L’ARCHIDUC, après une pantomime avec Bloksberg.
Je crois comprendre votre idée...
COSTER.
Ah ! monseigneur !
L’ARCHIDUC.
Attendez, on m’en a dit déjà quelques mots ; il paraît que votre invention se borne à marquer avec du plomb ce qu’on traçait avec une plume auparavant... Eh bien ! mon ami, vous ne ferez pas fortune avec votre découverte... le monde restera comme il est, croyez-moi, je le connais. Mais puisque vous êtes un de ces hommes qui cherchent ce qui est absent, pourquoi ne vous êtes-vous pas occupé d’alchimie !... Je veux fonder une académie d’alchimistes... j’aime beaucoup l’alchimie ! Allons, faites-nous de l’or, et non des livres. Je suis peu disposé à écouter les faiseurs d’invention... lorsqu’ils ne m’inventent pas de l’argent.
DE BLOKSBERG, vivement.
Monseigneur, votre détresse vous arrive par la faute de votre trésorier : un trésorier qui n’a pas toujours un trésor sous la main est un imbécile et doit être cassé. Prenez celui que je vous offre, c’est mon ami Laurent Coster, vos finances seront rétablies en un instant.
COSTER.
Mais, monseigneur... (En ce moment les trois compagnons paraissent à droite.)
DE BLOKSBERG, prenant une petite planche que lui remet Guttemberg.
Attendez, Monseigneur... voici les trois ouvriers du comte Laurent Coster... hâtez-vous de m’apporter les exemplaires que je vous ai fait tirer ce matin, sur cette planche gravée... (Les trois compagnons sortent.)
COSTER.
Que signifie...
L’ARCHIDUC, se levant.
Eh quoi ! ce morceau de bois...
DE BLOKSBERG, avec éclat, lui remettant la planche.
Ce morceau de bois, grande altesse, chef-d’œuvre de l’art de mon ami ; c’est moi qui l’ai gravé ! (A Coster.) Tu es déjà contrefait... (Haut.) Ce morceau de bois, c’est le trésor de tous ; c’est la richesse du monde : c’est le Pactole... (Mouvement de l’Archiduc.) en bois de poirier ; c’est la mine de Thulé ou d’Ophir ; c’est la pierre philosophale, c’est l’infini !
L’ARCHIDUC, lui remettant la planche et passant à droite, aux seigneurs.
Dieu le veuille, et mon rêve d’ambition se réaliserait demain ; car au fond, j’ai toujours rêvé la grandeur et la prospérité de ma bonne Autriche ; j’ai même composé à ce sujet une maxime latine dont chaque mot commence par une des cinq voyelles.
DE BLOKSBERG, s’asseyant à la place de l’Archiduc.
Ah ! voyons ce tour de force archiducal.
L’ARCHIDUC.
Austriœ est imperare orbi universo.
DE BLOKSBERG.
Comme notre ministre des belles-lettres ne sait pas le latin, je vais traduire ! L’Autriche doit commander à l’univers. (A part.) Tous les souverains du monde en disent autant de leur empire. (Il se lève.) En attendant, voici la fortune de l’Allemagne qu’on nous apporte... (Guttemberg entre avec un coffre qu’il dépose sur une table que les Pages viennent de mettre au milieu du théâtre.)
GUTTEMBERG.
Puissiez-vous dire vrai, monseigneur ! (Il sort.)
DE BLOKSBERG, ouvrant le coffret et prenant une quantité de billetsqu’il remet à l’Archiduc qui a repris sa place.
Voilà des ducats de papier... dix ducats !... vingt ducats !... trente !... quarante !... cinquante !... cent ducats !... deux cents !... trois cents !... quatre cents !... cinq cents ducats !... mille ducats !... des milliards de millions de ducats !... Il n’y manque rien... moi, je demande la place de directeur de la banque archiducale et des archiducats !
L’ARCHIDUC.
La banque de ce nouveau système monétaire... accordé ! (Bruit au dehors.)
DE BLOKSBERG.
Songeons au plus pressé... payons les troupes, d’abord. (A un seigneur.) Ministre de la guerre, allez payer vos troupes qui murmurent... (Il lui remet des billets, le Ministre sort.) Elles ne murmureront plus. (A d’autres qui sont près de la table.) Messieurs les ministres, voici vos appointements arriérés... Eh bien ! vous hésitez à les prendre !... c’est de l’or en barre... tenez, en voici la preuve, je me paye à moi-même mes appointements de chambellan et de fou, et je me donne un reçu. (Il met plusieurs billets dans sa poche et signe un papier qu’il serre aussi. — On entend un grand bruit au dehors, il ouvre la fenêtre.) Janissaires à jeun, vous dînerez aujourd’hui. Voici des ducats de papier revêtus de l’auguste sceau de l’archiduc ! Partagez-vous ces lingots ! Achetez tous les vins du Rhin des marchands de Bernstrasse, et buvez-le à la gloire de l’archiduc et de mon ami Laurent Coster ! (Hourrah au dehors. — Revenant sur le devant.) Mon allocution a produit le meilleur effet... tous les ventres affamés ont des oreilles ! (A l’Archiduc.)
Aux hommes de cour.
COSTER, s’avançant, bas.
Comte de Bloksberg, c’est une action infâme que vous m’avez fait commettre ! vous allez flétrir ma découverte et mon nom !
DE BLOKSBERG.
Homme de peu d’intelligence, taisez-vous ! savez-vous ce que nous fondons en ce moment ?
COSTER.
La ruine de l’Allemagne et la mienne.
DE BLOKSBERG.
Nous fondons une chose immense et qui se nommera le crédit ! le monde n’a plus besoin d’argent et d’or ; le premier des métaux, c’est le papier. (On entend crier Vive l’Archiduc.)
L’ARCHIDUC, quittant la fenêtre d’où il regardait dans la place.
Comte Laurent Coster, l’Archiduc d’Autriche vous remercie, vous êtes un puissant magicien.
COSTER.
Moi, monseigneur !...
L’ARCHIDUC.
Oh ! ne vous défendez pas ; l’Allemagne, d’ailleurs, ne s’est jamais sauvée que par la magie, et je fais le plus grand cas de cette science.
COSTER.
Monseigneur, je vous proteste...
L’ARCHIDUC.
Ne protestez pas... je sais que les magiciens ont la pudeur de leur art, et veulent cacher leur génie pour produire plus d’effet.
DE BLOKSBERG, bas à Coster.
Allons, puisque Son Altesse le veut, te voilà forcé d’être magicien... c’est un état comme un autre à la cour de l’archiduc. (A l’Archiduc.) Votre sagacité a pénétré à fond le talent de mon ami. Aucun prodige ne lui coûte.
L’ARCHIDUC.
Je le fais chevalier de mes ordres, et lui alloue une pension annuelle de six mille ducats.
DE BLOKSBERG, à part.
De papier !... (A Coster.) Notre association continue à prospérer.
L’ARCHIDUC, aux seigneurs.
J’imite en cela l’empereur d’Allemagne qui a daigné accorder la même récompense à Paul Faustus, celui qui évoqua devant toute la cour les fantômes d’Alexandre, de César et de Périclès !
DE BLOKSBERG.
Oh ! celui-là vous évoquera tout ce que vous voudrez ; c’est le grand évocateur par excellence !
COSTER.
Ne le croyez pas, monseigneur !
DE BLOKSBERG.
Laissez-le dire, il s’acharne dans sa modestie, cette vertu-là est son seul défaut. Je l’en corrigerai.
L’ARCHIDUC, à de Bloksberg.
Et tu prétends que si je l'ordonnais...
DE BLOKSBERG.
Il mettrait les ombres du Styx à votre disposition.
L’ARCHIDUC.
Quelle gloire pour moi si je luttais de pouvoir magique avec l’empereur d’Allemagne !
DE BLOKSBERG.
L’empereur a vu Périclès... une idée !...
L’ARCHIDUC.
Laquelle ?
DE BLOKSBERG.
Demandez au comte de Bredenrode... de vous faire apparaître Aspasie !
COSTER, à part.
Aspasie !
DE BLOKSBERG, à Coster.
Je t’avais promis de te la montrer... je tiens toujours ma parole...
COSTER, surpris, regarde de Bloksberg.
Quel est donc cet homme ?
L’ARCHIDUC, à lui-même.
Aspasie, c’était, dit-on, la plus belle femme de son temps.
DE BLOKSBERG.
Un mot, et vous allez la voir paraître... Coster, toujours modeste, daigne faire rejaillir sur moi une partie de sa gloire et vient de me dicter la formule magique de l’évocation.
L’ARCHIDUC.
Si vous faites cela, comte Laurent Coster, je vous donne le plus beau des apanages du Rhin.
DE BLOKSBERG, à Coster.
Tout le domaine sera pour toi... voilà comment je partage ! (A l’Archiduc.) Il accepte ! (Mouvement général.)
L’ARCHIDUC, à ses courtisans.
Vous l’entendez, messieurs ; s’il s’en trouve qui aient des scrupules, ils peuvent se retirer. (Personne ne bouge.)
DE BLOKSBERG.
Comment auraient-ils peur d’un si mince miracle... lorsque le règne de votre Altesse n’est qu’une suite de prodiges ! (Aux seigneurs.) Nous restons, n’est-ce pas ?
TOUS.
Oui, oui, sans doute !
L’ARCHIDUC.
En ce cas, nous sommes prêts.
DE BLOKSBERG, regardant la porte, tout le monde se range à gauche,Coster est sur le devant à droite.
Un bruit terrible se fait entendre. Une obscurité profonde voile la scène, les portes du caveau s’ouvrent avec violence et Aspasie paraît. Mouvement général de surprise.
SCÈNE III.
LES MÊMES, ASPASIE.
DE BLOKSBERG, passant à droite, à Coster.
COSTER.
O vision !
ASPASIE, à l’Archiduc.
COSTER.
La fixant.
Avec force en passant à droite.
Le fantôme disparaît, le jour revient.
L’ARCHIDUC, à Coster.
Il sort avec sa suite en regardant Coster et l’endroit par où est sorti le fantôme.
SCÈNE IV.
DE BLOKSBERG, COSTER.
COSTER.
Il va pour sortir.
DE BLOKSBERG.
COSTER, lui prenant la main.
Non ! je te suivrai !
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QUATRIÈME TABLEAU.
Chez le comte de Bloksberg. — Un cabinet d’alchimiste. A gauche, au premier plan, une grande cheminée gothique avec un grand feu. Du même côté, une entrée par une galerie. — A droite, deux portes ; un peu au-dessus, vers le deuxième plan, une bibliothèque. — Au bas de cette bibliothèque, une table chargée de livres.
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SCÈNE PREMIÈRE.
COSTER, ASTARTÉ ; ils entrent de gauche.
COSTER, à lui-même, suivant le Page.
J’ai laissé ma femme tremblante au seuil de ce manoir. (Au Page.) Où me mènes-tu, page ?
ASTARTÉ.
Digne seigneur, mon maître, en partant pour la chasse... m’a dit : Il doit se présenter ici ce matin au château de Bloksberg un noble étranger venant d’Aix-la-Chapelle... En attendant le retour du comte, je suis chargé de vous montrer toutes les merveilles de sa châtellenie.. et nous commençons par la salle d’armes...
COSTER, regardant autour de lui.
La salle d’armes ? Où sont les armes et les trophées ?
ASTARTÉ.
C’est vrai ; vous ne voyez ici ni cuirasses damasquinées, ni cottes de mailles de Milan. Ces cornues... ces alambics, tout cet arsenal, honnête bourgeois de Harlem, n’est pas celui de la guerre, mais il n’en donne pas moins de puissance à la main qui s’en sert.
COSTER.
En effet, tout ce qui m’entoure ici me révèle des forces inconnues et pourtant naturelles que mon ignorance ne soupçonnait pas. Etre aussi savant que cet homme, et prendre à la cour un masque de bouffon !.. (A part.) Qui donc est cet homme ? quel mystère l’entoure ? et comment ai-je pu, malgré les prières de Catherine, venir le rejoindre dans cette sombre solitude !..
ASTARTÉ.
C’est un grand chasseur que le comte de Bloksberg, quand il va par les taillis et les hallers ; mais il pousse aussi quelquefois sa chasse ardente jusque dans les bourgades et les villes... L’homme est le gibier qu’il préfère !
COSTER.
Que dis-tu ?
ASTARTÉ.
C’est un grand chasseurdevant les hommes que le comte de Bloksberg ! (On entend une fanfare infernale.)
COSTER.
Quelle fanfare ! ces voûtes en sont ébranlées ! Où suis-je ?
ASTARTÉ.
Chez un bon suzerain qui se plaît à retenir ses hôtes... et qui offre à tout venant une place à son foyer.
COSTER.
C’est étrange ! ce feu me glace !
ASTARTÉ.
C’est le vent du nord qui descend par cette cheminée et qui passe sur ce feu sans se réchauffer... Remettez-vous, monsieur le Flamand ! oh ! vous n’êtes pas le premier voyageur que mon maître ait hébergé dans cette demeure hospitalière. (Indiquant la bibliothèque.) Tenez, regardez, les noms de vos devanciers sont ici gravés sur ces nombreux manuscrits !
COSTER, lisant.
Albert !.. Avicenne !... (Prenant un livre sur la table.) Averroës !..
ASTARTÉ, sans se détourner.
Paracelse, Apollonius de Thyane, Archimède, Dédale et jusqu’à Prométhée ! C’est-à-dire tous les grands génies dont les œuvres sont perdues.
COSTER.
Mais moi, je retirerai de leurs boisseaux toutes ces lumières, et j’en illuminerai le monde... Ces figures hermétiques tracées à la plume, je les graverai sur le bois qui les rendra aux hommes par milliers !..
ASTARTÉ, s’approchant de lui.
Eh bien ! je ne vous conseille pas d’en faire la proposition au comte de Bloksberg. (Catherine entre effrayée de gauche ; Astarté disparaît de droite.)
SCÈNE II.
CATHERINE, COSTER.
CATHERINE.
Ah ! te voilà, Coster !
COSTER, remettant le livre sur la table et allant à Catherine.
Catherine ! Que t’est-il arrivé... tu es pâle et tremblante !
CATHERINE.
Oui, j’ai surmonté ma crainte ; j’ai franchi le portail... j’ai pénétré dans ce château... je t’ai appelé en vain... personne n’a répondu à ma voix... et je me suis égarée dans une suites de salles immenses dont les portes s’ouvraient d’elles-mêmes devant moi... je n’ai vu personne.
COSTER.
Personne ! mais demande donc à ce page ?
CATHERINE.
Quel page ?
COSTER.
Disparu !...
CATHERINE.
Tu vois bien. Je te dis que dans cette maison le sol tremble sous les pieds ! Je te dis qu’on entend des murmures et des bruissements qui ne sont pas de la terre... Tu ne sais pas, pendant que je t’attendais, je rappelais mes souvenirs... je répétais ce nom de Bloksberg... et je me souvenais des récits de mon enfance, des contes de la veillée... c’est vers la montagne de Bloksberg, disait-on, que se tenait le sabbat !
COSTER, souriant.
Pauvre femme !.. elle est là toute frissonnanteè Écoute, Catherine... avec ma découverte, je devais tôt ou tartd arriver à une haute position... Et quoi d’étonnant que je sois l’ami et le protégé du seigneur de Bloksberg ? et si les richesses nous arrivent, ne t’en effraye pas ; il est si facile de s’en débarrasser.
CATHERINE, avec calme.
Oh ! comme je voudrais revoir ma petite maison de Harlem... Notre joli jardin si calme et que je tenais si propre qu’on aurait dit qu’il était peint. Comme il doit être triste sans moi... sans nous. Il me semble que je ne le reverrai plus !
COSTER.
Allons, mon amie, reprends ce bon et calme sourire qui te sied si bien. (Fanfares éloignées qui se rapprochent.)
CATHERINE.
Ce cor, je l’ai entendu tout à l’heure...
COSTER.
C’est la chasse de Bloksberg qui se rapproche... Ne tremble donc pas ainsi, Catherine... tu vas le voir... il vient... le voilà !
CATHERINE.
Cet homme m’est odieux !
SCÈNE III.
LES MÊMES, BLOKSBERG, entrant de droite.
DE BLOKSBERG.
Vous aurais-je fait attendre ?.. j’arrive !.. je n’ai pris que le temps de passer un costume de maison... (Apercevant Catherine.) Ah ! ah ! bon père, bon époux. Tout en me suivant, vous avez suivi mes conseils. Allons, c’est bien ! (Saluant Catherine.) Madame Coster, considérez cette demeure comme la vôtre. Il y aura bien ici quelque chambre à vous donner.
CATHERINE.
Oh ! de vos chambres, je n’en veux pas, les portes s’ouvrent toutes seules.
DE BLOKSBERG, ouvrant la porte du premier plan à droite.
Madame, en voici une que j’ouvre moi-même, et qui donne dans un oratoire que je mets à votre disposition. (A part.) L’oratoire est un peu dégarni, mais... (Haut.) A propos, vous savez que je ne suis pas dangereux ; je suis marié aussi. — Hélas, oui ! je partage vos faiblesses vertueuses, honnête Coster, et même, je dois le dire, ma femme arrive, ce matin, à notre château de Bloksberg, — et je l’attends.
CATHERINE.
Une grande dame, sans doute ?...
DE BLOKSBERG.
Mais oui, assez grande dame ; par exemple, tenez... elle donnerait tout ce qu’elle n’a pas pour être veuve, mais elle est très-jalouse de mon vivant. — C’est une Allemande à passion concentrée... un volcan sous cloche. — Je la crois fidèle au fond, quoique très-harcelée d’adorateurs. — Je paye quatre pages qui la surveillent nuit et jour ; mais les drôles prennent mon argent et font la cour à ma femme, ce qui devient intolérable au dernier point ; aussi, pour être plus tranquille, je vais loger ma femme chez moi, ou pour mieux dire chez nous ! car nos deux ménages n’en feront qu’un ; nous vivrons tous les quatre, en bon accord, n’est-ce pas ?... Ma femme et la vôtre, Coster, feront de la tapisserie, comme deux Pénélopes, et nous, nous travaillerons au bonheur du genre humain et allemand !
COSTER.
Ces projets sont très-beaux.
CATHERINE, à Coster.
Mais je ne veux pas connaître cette femme ! — Que dirais-je à une femme de la cour, moi qui ne sais rien ?...
COSTER.
Tu la laisseras parler.
DE BLOKSBERG.
Eh ! tenez je vous l’annonce ! je l’entends ! je reconnais son pas. — Aucune femme vivante ne marche comme elle... (Elle paraît à droite au deuxième plan. — Sa main rencontre celle d’Aspasie.) Je vous présente ma femme, la comtesse Aspasie de Bloksberg !
SCÈNE IV.
LES MÊMES, ASPASIE.
COSTER.
Grand Dieu ! le portrait, l’apparition... Oh ! ceci tue ma raison ! (Haut, allant au Comte.) Comte de Bloksberg, m’expliquerez-vous ?...
DE BLOKSBERG.
Ah ! oui, je comprends, je devine ! — Le fantôme d’hier, n’est-ce pas ? — Votre étonnement est fort naturel !... Mais je vais vous dire. Les souverains, vous le savez, ont des caprices d’enfant, le nôtre surtout ; et nous, qui sommes des hommes, nous devons satisfaire tous leurs caprices pour être un peu plus souverains qu’eux. Si bien que ma femme, inconnue à la cour, et arrivant de pays éloignés, a bien voulu se prêter à notre petite comédie ; et vous l’avez vu, elle a parfaitement rempli son rôle de fantôme, c’était à jurer qu’elle avait joué les morts toute sa vie.
COSTER, à part.
Dois-je le croire ?...
DE BLOKSBERG.
Ma femme, je vous présente le comte Laurent Costert, qui a du reste un amour d’artiste pour tout ce qui porte le doux nom d’Aspasie ! (A Aspasie.) A propos, comtesse, vous qui êtes curieuse de vieux parchemins, je veux vous en montrer un dont ma bibliothèque vient de s’enrichir. (Bas et terrible.) J’ai un ordre à te donner, obéis ! (Il remonte avec elle.)
CATHERINE, à Coster, l’attirant à droite.
Mon ami, tout ceci me glace d’effroi !
COSTER, embarrassé.
Mais tout ceci est fort naturel. — C’est un mari qui reçoit sa femme.
CATHERINE.
Une femme !... cela ?... C’est une statue qui marche. — Je manque d’air ici ; viens, mon ami ; allons-nous-en, partons, j’ai besoin de revoir ma fille... j’ai besoin de voir un ange !
COSTER, regardant toujours Aspasie.
Catherine, laisse-moi.
CATHERINE, insistant.
Mon ami !...
COSTER.
Laisse-moi, te dis-je !
CATHERINE.
Viens !...
COSTER.
Non !
CATHERINE, frappée du ton de Coster.
Coster ! je crois que l’heure est venue de prier pour toi. — Il y a là un oratoire, a-t-il dit ; eh bien, j’y vais, moi... et puisque tu veux rester ici, toi, je serai là... je prierai !... (Elle sort par la porte, premier plan à droite. — La nuit vient peu à peu.)
SCÈNE V.
DE BLOKSBERG, ASPASIE, puis ASTARTÉ, ensuite CATHERINE.
DE BLOKSBERG.
Eh bien ! et madame Catherine ?
COSTER
Pardon, monsieur le comte ; excusez une pauvre Flamande qui n’est pas habituée aux usages de la cour.
DE BLOKSBERG, s’asseyant près du feu.
Agissez sans cérémonie, mon cher comte ; voyez ! je m’installe à côté de cette vaste chemibée, le feu me réjouit la vue, c’est mon élément de prédilection. (Il bâille.) Ah ! quand on a passé toute une journée comme celle d’hier avec Son Altesse et ses augustes conseillers, cela vous laisse une somnolence incurable ; j’aurai pendant quinze jours ce conseil de ministres sur les paupières. — Allez... causez, comte Coster, je vous écoute. — Je vous préviens que ma femme a un esprit d’enfer... ainsi, tenez-vous bien.
COSTER, avec effroi, à part.
Et Catherine ! Catherine !... elle n’est plus là... mon bon ange est parti !... O mon Dieu !... veillez sur ma raison.
ASPASIE, qui est passée à droite sur le devant.
COSTER.
ASPASIE.
COSTER.
ASPASIE.
COSTER.
ASPASIE, étonnée.
COSTER.
ASPASIE, avec un sourire d’incrédulité.
COSTER, à part.
ASPASIE.
COSTER, à part.
ASPASIE.
COSTER.
ASPASIE.
Passant devant Coster et allant à Bloksberg.
DE BLOKSBERG, se réveillant.
Aspasie remonte vers le fond à gauche ; Astarté paraît avec un plateau garni et lui verse à boire.
Astarté va présenter une coupe à Coster qui la prend et boit, puis revient près de Bloksberg.
Il le congédie et reprend son attitude de dormeur.
COSTER, comme en délire.
Il jette sa coupe.
ASPASIE.
Qui nous sommes ? — Écoute !
COSTER.
ASPASIE.
COSTER.
ASPASIE, elle montrer la bibliothèque où l’on voit les noms de plusieurs poëtes en lettres de feu.
COSTER.
ASPASIE.
COSTER.
ASPASIE.
COSTER.
ASPASIE.
COSTER, en délire.
ASPASIE.
COSTER.
ASPASIE.
Elle lui offre un poignard.
COSTER, égaré.
ASPASIE.
Coster, au comble du délire, s’exalte, cède à la main d’Aspasie qui le presse et frappe Bloksberg. — On entend comme un coup de marteau sur une enclume de bronze. — Aspasie disparaît par la gauche.
DE BLOKSBERG, se retourne tranquillement.
COSTER, regardant autour de lui.
DE BLOKSBERG.
COSTER.
DE BLOKSBERG, se levant.
CATHERINE, sortant vivement de l’oratoire.
COSTER.
DE BLOKSBERG, à Catherine, feignant la douleur.
Il tombe assis.
CATHERINE.
Elle entraîne Coster. — Ils disparaissent.
SCÈNE VI.
DE BLOKSBERG, foudroyé, reste immobile et pensif.
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