24 janvier 1852 (BF) — L’Imagier de Harlem ou La Découverte de l’imprimerie, à la Librairie théâtrale.
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ACTE III
Coster et ses compagnons sont maintenant à Paris, toujours poursuivis par Satan, masqués sous l’identité d’Olivier Le Daim, favori du roi Louis XI. Et lorsque Coster pense s’assurer la protection du roi en lui offrant un exemplaire imprimé de ses « œuvres » littéraires, Satan retourne la situation, en présentant au roi un pamphlet satirique contre lui, également imprimé. C’en est fini de la faveur royale. Satan va finalement tenter de perdre Coster en utilisant une fois encore sa créature damnée, qui porte ici le nom d’Alilah. Mais ce que Satan n’a pas prévu, c’est qu’Alilah, est tombée amoureuse de sa victime. Dans la féerie du séjour au château de Beauté, le temps passe, le ballet des douze heures mesure en fait douze années, au terme desquelles Coster reprend conscience. Catherine est morte, et les compagnons s’apprêtent à tenter leur chance en Espagne.
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ACTE TROISIÈME.
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CINQUIÈME TABLEAU.
A Paris. L’atelier de Laurent Coster. — A droite une presse gothique, à gauche un compositeur. — Porte au fond donnant sur la rue. Portes latérales.
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SCÈNE PREMIÈRE.
FAUST, au compositeur, GUTTEMBERG, mettant l’encre aux lettres, SCHÆFFER, imprimant.
GUTTEMBERG.
Courage, compagnons ; repoussés de la Hollande et de l’Allemagne, nous sommes venus en France, et nous voici à Paris, grâce à la protection de son éminence le cardinal la Balue, premier ministre de sa majesté Louis XI.
FAUST.
Un roi qui doit approuver l’invention glorieuse de l’imprimerie, car, ainsi que le dit le sieur de Comines, son chroniqueur : « Le grand roi Louis XI n’est pas un ignorant comme la plupart des princes, il aime les subtils esprits. »
GUTTEMBERG.
Aussi notre maître, l’illustre Laurent Coster, commence-t-il à se montrer satisfait de son voyage à Paris. Les angelots abondent dans notre escarcelle, et, vous le dirai-je, camarades, notre maître m’a fait parfois l’effet de n’avoir plus sa première ardeur. Aujourd’hui encore, il est le dernier à l’ouvrage.
SCHÆFFER.
Je m’en suis bien aperçu maintes fois. Ah ! Coster n’est pas comme nous autres, qui trouvons à peine un quart d’heure par jour... pour boire un verre de cervoise ou de bon vin d’Argenteuil à la taverne voisine.
FAUST.
Lui, au contraire, il passe des heures entières à rêver comme un amoureux de vingt ans.
GUTTEMBERG.
Ah ! oui, tous ces inventeurs, tous ces hommes de génie, ont malheureusement là, dans le front, une folle maîtresse... une femme qui n’existe pas, et qui se nomme imagination ; ils la poursuivent toute leur vie, ils sacrifient tout à ce rêve ; ils bâtissent pour lui de beaux châteaux en Espagne, et oublient leur maison et le travail. Aussi, savez-vous ce qui arrivera ? et Dieu veuille que je me trompe !... Coster sera oublié dans l’avenir, comme créateur de l’imprimerie, et on ne se souviendra que des trois compagnons, Faust, Schæffer et Guttemberg, parce qu’ils auront été les trois seuls travailleurs.
SCHÆFFER.
En attendant, ce brave Coster s’est empressé d’avoir pignon sur rue, et il serait capable de nous ruiner tous et notre découverte, en riches habits et en ornements pour sa maison.
FAUST.
Quant à cela, dame Catherine, qui se connaît en commerce, dit que c’est un bon moyen d’attirer les clients, les Parisiens surtout...
SCHÆFFER.
Et elle n’a peut-être pas tort. C’est même elle qui a choisi cette rue aux environs du Louvre.
GUTTEMBERG, s’arrêtant de travailler.
Une chose m’étonne, la voici : nous imprimons beaucoup d’évangiles, mais encore plus de livres de magie, comme si une puissance de nécromancien était toujours là pour favoriser la vente.
SCHÆFFER.
Je l’ai remarqué aussi. Je suis souvent tenté de croire que le diable se mêle à notre œuvre.
FAUST, allant à eux.
Oui, c’est une vieille croyance en Allemagne, n’est-ce pas, le diable qui prend toutes les formes pour nuire aux gens, surtout aux hommes qui sortent de la ligne ordinaire. Si c’était le malin esprit qui s’acharne après Laurent Coster pour le détourner de la bonne voie.
GUTTEMBERG.
Quoi qu’il en soit, nous serons là. N’oublions jamais que nous avons commencé notre œuvre dans un caveau misérable à Harlem ; nous n’avions alors d’autres auxiliaires que la patience, le courage et le travail. Tâchons de garder à jamais ces trois soutiens et l’avenir est à nous. Ainsi donc, s’il arrive que Coster fléchisse, nous autres persévérerons jusqu’au bout.
SCHÆFFER et FAUST.
Nous le jurons, Guttemberg. (Ils se serrent la main.)
GUTTEMBERG.
Je compte sur vous, comptez toujours sur moi ; mais voici Coster et dame Catherine. (Coster entre avec Catherine.)
SCÈNE II.
LAURENT COSTER, CATHERINE, GUTTEMBERG, FAUST et SCHÆFFER.
COSTER.
Bonjour, compagnons.
GUTTEMBERG, lui donnant un sac.
Voici la recette de ce matin, maître.
COSTER.
Qu’avez-vous vendu ?
GUTTEMBERG.
Un grand nombre de livres relatifs aux sciences secrètes.
SCHÆFFER.
Et je disais que le diable... (Coster fait un mouvement, Schæffer se reprend.) je disais que le diable...
COSTER.
Tais-toi, Schæffer... L’ennemi du genre humain se montre toujours assez sans qu’on parle de lui. (Rendant son sac à Guttemberg.) Tenez, camarades, prenez cet argent et allez le distribuer aux pauvres élèves de la Sorbonne, où nous avons reçu un si bon accueil.
GUTTEMBERG.
Ce sera fait, maître.
COSTER.
C’est la meilleure manière de célébrer l’anniversaire de la naissance de ma fille Lucie.
GUTTEMBERG.
Allons voir nos jeunes clercs de l’Université. En voilà qui vous aiment... Si l’on vous persécutait, ils seraient capables de vous porter en triomphe. Allons, venez, compagnons. (Guttemberg sort avec Faust et Schæffer.)
SCÈNE III.
LAURENT COSTER, CATHERINE.
CATHERINE, s’appuyant sue Coster.
Tu aimes bien ta fille au moins, n’est-ce pas ?
COSTER.
Folle !
CATHERINE.
Comme tu m’aimes ?
COSTER.
Jalouse !
CATHERINE.
Oui, je suis jalouse et surtout d’une rivale redoutable...
COSTER, avec un sourire forcé.
Ah ! tu veux parler de cette femme qui ne fut qu’un prestige, un rêve... une apparition de minuit !
CATHERINE.
Ah ! oui, cette femme que tu appelles Aspasie ! et puis cette autre... ou plutôt... Tiens, ne parlons plus de ces choses mystérieuses, laissons-les dans les ténèbres, mieux vaut les oublier que de les approfondir... (Reprenant d’un ton plus caressant.) Non, mon éternel rêveur, la pauvre Catherine te pardonne tes visions, mais elle se connaît une autre rivale dans ton cœur. Veux-tu que je te la nomme ?
COSTER.
Oui.
CATHERINE.
C’est ta découverte.
COSTER.
L’imprimerie ?
CATHERINE.
Oui, tu t’occupes de ton imprimerie bien plus que de moi.
COSTER.
Voilà bien les femmes !
CATHERINE.
Tu diras ce que tu voudras. Je maudis bien le jour où l’idée de devenir un grand homme t’a passé dans le cerveau. Nous voilà courant le monde comme des bohémiens. Est-ce que c’est digne de deux braves bourgeois de Harlem ?
COSTER.
Cesse de te plaindre, Catherine ; tu vois que mon invention commence à rapporter de beaux écus sonnants. (Il lui remet un petit sac d‘argent.)
CATHERINE.
Oui, c’est un fait, j’en conviens. J’ai même une idée à cet égard, je te la dirai tout à l’heure, parce qu’il faut des ménagements pour l’y amener.
COSTER.
Il me tarde de connaître ton idée.
CATHERINE.
D’abord, dis-moi... est-ce que tu as grande confiance dans la protection du roi Louis XI ?
COSTER.
Pourquoi ?
CATHERINE.
C’est que je n’y ai pas confiance du tout, moi, et tu sais qu’il est des circonstances où mon bon sens et mon instinct de femme sont plus clairvoyants que ton génie... Pourquoi Dieu fit-il les rois ? Pour le représenter lui-même qui est la vertu, et voici un roi qui la représente fort mal.
COSTER.
Qui t’a donc si bien informée, Catherine ?
CATHERINE.
Oh ! tout le monde, car c’est un historien que tout le monde. Ce roi Louis XI, étant Dauphin, a fait la guerre à son père Charles VII, qui en est mort de chagrin.
COSTER.
En vérité, tu es bien instruite !
CATHERINE.
Tu vois bien que le genre humain pouvait se passer de l’imprimerie, et qu’au besoin, il suffit de la langue.
COSTER.
O femme ! tu devais trouver ce mot.
CATHERINE.
Et tu te fies à ce roi ?
COSTER.
Je me fierai du moins à son ministre le cardinal de la Balue. Son éminence a daigné m’attirer en France et me témoigner un intérêt particulier.
CATHERINE.
Et s’il tombe en disgrâce, ton cardinal ?
COSTER.
Comment ?
CATHERINE.
On en parle déjà.
COSTER.
N’importe, j’ai trouvé un moyen de m’assurer la bienveillance de Louis XI lui-même.
CATHERINE.
Je ne sais pas quel est ton moyen, mais je sais qu’il y a beaucoup de gens qui t’en veulent, beaucoup de gens très-puissants, et que si tu faisais bien...
COSTER.
Bon... je crois que voilà l’idée de Catherine.
CATHERINE.
Eh bien, oui ! et si tu étais sage, maintenant que tu as gagné assez d’argent pour que nous vivions en paix, nous quitterions Paris pour nous en retourner à Harlem.
COSTER.
Enfin la voilà ton idée ?
CATHERINE.
Est-elle donc bien mauvaise ?
COSTER.
Tais-toi, femme.
CATHERINE.
Je t’en prie... Oh ! mais je saurai bien t’y décider... je t’en parlerai du matin au soir...
COSTER, tirant de sa poche un livre qu’il lui donne.
Catherine... regarde !..
CATHERINE.
Oh ! un livres d’heures ! avec toutes les figures gravées et enluminées.
COSTER.
Par moi !
CATHERINE.
Vraiment ?
COSTER.
Oui, depuis un an j’y travaille sans te le dire, et je pensais à toi à chaque lettre que je posais, comme tu penseras à moi à chaque ligne que tu liras. Ceci, Catherien, c’est mon chef d’œuvre, garde-le bien pour qu’un jour nous le léguions à notre fille... — Qui sait ! ce sera peut-être là tout son héritage...
CATHERINE.
Mais elle aura de quoi en être fière.
COSTER.
Tu trouves ? (Elle l’embrasse.) Tu vois donc bien, femme, que l’imprimerie est bonne à quelque chose. — Adieu, à bientôt, je vais travailler. (Il va au compositeur et travaille.)
CATHERINE, en sortant.
C’est singulier, dans toutes nos discussions je n’ai jamais tort, et c’est toujours lui qui a raison.
SCÈNE IV.
COSTER, seul.
Pauvre femme ! ah ! n’importe. C’est une lutte pénible. Et il est donc écrit là-haut que lorsqu’une idée illumine un homme, l’obstacle qui en empêche l’accomplissement surgira partout, du ciel, du monde et de l’enfer. Eh ! oui, car enfin, si j’aimais bien ma femme, si j’aimais bien ma fille, je laisserais tout là, et je m’en irais vendre de la toile de Hollande à Harlem. — Après tout, que m’importe l’humanité... que peut-elle me donner en échange de ma vie tout entière ? L’immortalité... la vie qui ne finit pas ! (On entend du bruit, des acclamations, il remonte vers le fond.) Que se passe-t-il donc ? Ah ! ce sont les gens du peuple qui ont reconnu Louis XI sous ses simples habits... la foule crie : Noël ! sur son passage... Ce roi n’est donc pas si odieux ?... Il se plaît à parler avec les marchands... Je ne me trompe pas... il vient par ici. (Cris au dehors.) Noël ! Noël ! (On voit paraître au fond des bourgeois et des gens du peuple, puis Louis XI avec le diable sous la forme d’Olivier le Daim, et Tristan ; ils sont suivis de deux pages, des gardes font disperser la foule.)
SCÈNE V ;
LAURENT COSTER, LOUIS XI, LE DIABLE comme OLIVIER LE DAIM ;
TRISTAN et les DEUX PAGES restent dehors, avec les gardes.
COSTER, s’inclinant.
Vous chez moi, sire.
LOUIS XI.
Oui, maître Coster, je viens rendre visite à l’imagier de Harlem.
COSTER.
Sire, je ne m’attendais pas à votre présence, mais depuis longtemps je vous préparais une offrande respectueuse.
LOUIS XI.
Une offrande ? et laquelle ?
COSTER.
Si votre majesté daigne attendre quelques instants, sa curiosité sera satisfaite, je l’espère, aussi bien que mon ambition. (Il s’incline et rentre à gauche.)
SCÈNE VI.
LOUIS XI, OLIVIER LE DAIM.
OLIVIER.
LOUIS XI.
OLIVIER.
LOUIS XI, regardant autour de lui et examinant la presse.
OLIVIER.
LOUIS XI.
Il passe à droite.
OLIVIER.
LOUIS XI.
OLIVIER, faisant un mouvement.
LOUIS XI, se retournant.
OLIVIER.
LOUIS XI, s’asseyant.
OLIVIER.
LOUIS XI.
OLIVIER.
LOUIS XI.
OLIVIER.
LOUIS XI, se levant, avec colère.
OLIVIER.
LOUIS XI.
OLIVIER.
LOUIS XI, s’approchant de lui et riant.
OLIVIER, le fixant.
LOUIS XI.
SCÈNE VII.
LES MÊMES, LAURENT COSTER, CATHERINE.
COSTER, tenant un livre.
Viens, Catherine !... voici Sa Majesté le roi.
LOUIS XI.
Approchez, maître Coster. Quel livre m’apportez-vous là ? Homère ?
COSTER.
Non, sire, c’est un livre encore plus précieux pour Votre Majesté.
LOUIS XI.
C’est donc la Bible ?
COSTER.
La Bible intéresse toute la chrétienté, mais il est certain livre d’un intérêt plus particulier pour vous, sire.
LOUIS XI.
Quel est ce merveilleux ouvrage ?
COSTER, présentant le livre ouvert.
Que Votre Majesté y daigne jeter les yeux.
LOUIS XI.
Que vois-je ! Regarde, Olivier. (Il lui remet le livre.)
OLIVIER, lisant.
« Les Cent Nouvelles Nouvelles, dites les Nouvelles du roi Louis XI !... »
LOUIS XI.
Comment, maître Coster, vous vous êtes avisé d’imprimer ces œuvres légères de mes loisirs ! vous en avez tiré plusieurs exemplaires ?
COSTER.
Beaucoup, sire.
LOUIS XI.
Une vingtaine ?
COSTER.
Bien plus, sire.
LOUIS XI.
Une centaine... peut-être.
COSTER.
Non, sire, au moins trois mille.
LOUIS XI.
Trois mille !... Entends-tu, Olivier ?
OLIVIER.
Parfaitement, sire ; voilà votre esprit en effigie, comme votre figure sur les pièces de monnaie.
COSTER, à part.
Cette voix !...
LOUIS XI, feuilletant le volume.
C’est qu’il a pardieu raison, compère ; ce sont bien mes Nouvelles, oui... Voilà la Médaille à l’envers, voilà la Pêche de l’anneau. (Il rit.) Le Duel d’aiguillettes, et l’Encens du diable.
OLIVIER, faisant une révérence au Roi.
Sire ?
LOUIS XI.
Qu’est-ce qu tu as ?
OLIVIER.
Rien, sire, la satisfaction de rendre hommage au génie de Votre Majesté.
CATHERINE, à part.
Cet homme !... étrange souvenir !
LOUIS XI, souriant.
Messire Coster, nous sommes content de vous. Parlez, comment vous plaraît-il de nous voir témoigner notre bonté à votre endroit ?
COSTER.
Votre Majesté me rend vraiment confus !
OLIVIER.
Si j’osais venir en aide à l’embarras de ce pauvre homme...
LOUIS XI.
Qu’est-ce que tu dirais ?
OLIVIER.
J’oserais conseiller à Votre Majesté d’acheter l’édition entière.
LOUIS XI.
Tu parles comme un maître sot : à quoi servirait-il de se faire imprimer pour s’acheter soi-même ? Dites-moi, maître Coster, mon livre se vend-il beaucoup ?
COSTER.
Beaucoup, sire.
LOUIS XI.
Vrai, sans flatterie ?
COSTER.
C’est une fortune pour moi, sire !
LOUIS XI.
Vraiment ! Dis donc, Olivier, tu entends, je fais la fortune des gens, sans m’en douter.
OLIVIER.
Hélas ! sire, on en ruine quelquefois tant d’autres sans y songer davantage.
LOUIS XI.
Et combien vend-on chaque exemplaire ?
COSTER.
Deux écus à la rose.
LOUIS XI.
C’est cher ! c’est cher !
OLIVIER.
Un livre de votre majesté.
LOUIS XI.
Sans doute ; mais il ne faut pas décourager les acheteurs... Mais, pasque-Dieu ! dis donc, Olivier, si, au lieu de frapper des impôts, je chargeais mon argentier de vendre mes Nouvelles ?
OLIVIER.
Votre majesté serait le premier roi qui se serait enrichi en amusant son peuple !
LOUIS XI.
Voyons, maître Coster ! que puis-je pour vous ?
COSTER.
Si j’osais solliciter de votre majesté la permission de lui offrir cet exemplaire richement enluminé ?
LOUIS XI.
Comment donc ! c’est une attention qui nous touche. J’offrirai à mon tour votre présent à la dame de Beaujeu ; soyez donc le bien-venu à notre cour, messire Coster !
COSTER.
Tu l’entends, Catherine ?
CATHERINE.
Sire ! (Elle s’approche du Roi.)
LOUIS XI.
C’est ta femme ? je vous prends désormais tous deux sous ma protection royale.
CATHERINE.
C’est dépasser nos plus beaux rêves, sire.
LOUIS XI.
Oui, j’affirme que je considère l’imprimerie comme une belle invention ; je me hâterai de faire des édits et ordonnances pour la propager dans tous mes États.
OLIVIER, avec un rire sarcastique en remontant vers le fond.
Ah ! ah ! ah !
LOUIS XI.
De quoi ris-tu ?
OLIVIER.
Pardon, sire, pardon ! (Riant plus fort.) Je ris... un écolier qui donne des verges pour se faire fustiger !
CATHERINE, bas.
Coster !..
COSTER, à lui-même.
Oh ! ce rire infernal ! c’est lui !
LOUIS XI, à Olivier.
De qui parlez-vous, messire ?
OLIVIER, tirant une brochure.
Ce pamphlet vous le dira.
LOUIS XI.
Un pamphlet ?
OLIVIER.
Laurent Coster nous a montré un livre écrit par le roi... En voici un autre écrit sur le roi.
CATHERINE, à part.
Mon Dieu !
COSTER.
Sire, quelque ouvrier qu’on aura séduit sans doute.
LOUIS XI, l’ouvrant vivement.
Comment ! sur moi ?... et par qui ? par personne ?
OLIVIER.
Par tout le monde.
LOUIS XI.
Aucun nom d’auteur !... et que dit-on ?
OLIVIER.
Voyez, sire, au hasard.
LOUIS XI, feuilletant la brochure.
Ah ! j’imite sans l’égaler le roi romain Numa Pompilius, et la dame de Beaujeu, ma conseillère intime, est une triste Égérie.
OLIVIER.
Lisez encore, sire.
LOUIS XI, de même.
Ah ! je ne pardonne pas à mon cousin de Bourgogne de montrer plus de courage que moi !... Je fais pendre les paysans à tous les arbres de mon château de Plessis-lez-Tours.
OLIVIER.
Allez, allez, continuez.
LOUIS XI.
Ah ! mes contes sont détestables ! Je les ai pillés dans Boccace et...
OLIVIER.
Achevez, sire.
LOUIS XI, avec colère.
Pas une ligne de plus !... mon sang bout de colère.
CATHERINE, bas.
Coster ! nous sommes perdus.
LOUIS XI, à Coster.
Et c’est vous qui êtes venu propager cette diabolique invention dans mon beau royaume de France ?... Ah ! me voilà, grâce à vous, livré aux libelles, aux sarcasmes multipliés à je ne sais combien d’exemplaires...
OLIVIER.
Autant d’exemplaires que de payeurs de tailles.
LOUIS XI.
Par les fleurs de lys de ma couronne, je punirai tant d’audace !
OLIVIER, bas.
Du calme, sire ! on dirait partout que votre vanité d’auteur se venge !
LOUIS XI, à lui-même.
Il a raison... je m’oubliais ! (A Olivier.) N’ayons pas l’air de tuer l’invention.
OLIVIER.
Mais assurons-nous de l’inventeur !
LOUIS XI.
Je comprends... (A Coster.) Messire Coster, un roi de France est au-dessus de l’outrage et au niveau des plus grandes idées. Accompagnez-moi au Louvre... Vous recevrez la récompense qui vous est due.
COSTER, s’inclinant.
Sire ! (Louis XI remonte au fond. Entrent Tristan et les Pages.)
CATHERINE, bas à Coster.
N’en crois rien... à quelques pas d’ici, tu vas être arrêté !
COSTER, bas.
Tais-toi !
CATHERINE, montrant Olivier.
Tu ne reconnais pas cet homme ?
COSTER.
Rassure-toi, Catherine.
LOUIS XI, appelant Olivier.
Venez çà, Olivier le Diable. (Il lui remet un parchemin.)
CATHERINE.
Tu l’entends ! le roi l’a nommé.
LOUIS XI, à Coster.
Messire, je signe vos diplômes. (Il signe sur un grand livre que tient Tristan.)
CATHERINE, à Coster.
E coute. Les compagnons sont près d’ici avec les écoliers de la Sorbonne. Je cours les prévenir... et dussent-ils...
COSTER.
Non, pas de sédition... il me reste le cardinal de la Balue.
OLIVIER, s’asseyant à droite.
Le cardinal de la Balue...
CATHERINE, à Coster.
Il t’a entendu...
OLIVIER.
Est, depuis ce matin, enfermé comme un oiseau rare dans une cage de fer accrochée aux voûtes de la Bastille. Une invention de Sa Majesté et de moi, car nous sommes aussi des inventeurs, nous autres.
LOUIS XI.
Tristan, vous donnerez des gardes à monsieur, comme à un duc et pair. (A part, avec colère.) Ah ! mes contes sont détestables ! (Il sort suivi de ses Pages. — Tristan reste au milieu de théâtre.)
COSTER, calme.
Pauvre femme ! elle veut me défendre contre le roi ! (Montrant Olivier.) C’est contre celui-là qu’il faut lutter ! (Il sort suivi de Tristan et des gardes.)
CATHERINE, le regardant sortir.
Il n’y a pas un instant à perdre !... Que Dieu me conduise ! (Elle sort.)
SCÈNES VIII.
OLIVIER, seul, puis ASTARTÉ.
OLIVIER.
Des cris se font entendre dans la rue : Vive Laurent Coster ! Il se lève.
Cris.
Appelant.
Astarté paraît à droite.
Ils sortent. Le théâtre change.
SIXIÈME TABLEAU.
Au fond, le château de Beauté. — De chaque côté, des bosquets.
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SCÈNE PREMIÈRE.
OLIVIER (SATAN), ALILAH.
SATAN, entrant de droite.
Et maintenant, viens ici à ton tour, femme que j’ai soumise ; parais, mon esclave Alilah ! (Un feuillage se développe à droite, au troisième plan, et laisse voir un bosquet.)
ALILAH, sortant du bosquet, suivie de quelques femmes qui sortent par le fond.
SATAN.
ALILAH.
SATAN.
ALILAH.
SATAN.
ALILAH.
SATAN.
ALILAH.
SATAN.
ALILAH.
SATAN.
ALILAH.
SATAN.
Elle remonte vers le fond. Satan se tourne vers le côté gauche.
Il sort à droite. Alilah lève la main vers le feuillage de gauche qui se développe comme celui de droite et laisse voir Coster couché sur un banc de verdure.
CHŒUR, au dehors. — Voix de femmes.
COSTER, qui s’est levé pendant le chœur, descend sur le devant du théâtre sans voir Alilah ; regardant autour de lui.
Où suis-je ? Je m’étais endormi dans une prison, et je me réveille dans un palais !
SCÈNE II.
LA DAME DE BEAUJEU, COSTER.
LA DAME DE BEAUJEU.
COSTER.
LA DAME DE BEAUJEU, s’approchant de lui.
COSTER.
Elle cache sa figure et se détourne.
LA DAME DE BEAUJEU, à elle-même.
A Coster.
Elle ouvre ses bras, Coster veut s’y précipitet ; mais, frappée d’un souvenir subit, elle le repousse.
COSTER.
ALILAH.
LA VOIX DE SATAN, à droite.
ALILAH, passant du même côté, à elle-même.
Changeant de ton et souriant.
COSTER.
ALILAH, l’enlaçant de ses bras.
COSTER.
ALILAH.
Remontant vers le fond.
Entrent de tous côtés des faunes, sylvains, nymphes, dieux, déesses qui se rangent de chaque côté du théâtre — Alilah vient s’asseoir sur un banc de verdure, à gauche, près de Coster. Viennent ensuite les Heures qui font des attitudes devant Coster. Elles portent leurs chiffres sur leur tête. — Danses, — Le ballet se termine par un groups formé sur l’avant-scène. Le groupe s’écarte et laisse voir au milieu le dieu Pan qui paraît. Les Heures se groupent autour de lui.
LE DIEU PAN.
Après les strophes, le dieu Pan fait un geste, toutes les Heures se lèvent. Il leur indique de passer devant Coster. Les Heures passent devant lui à partir de la première.
COSTER, qui les a comptées, voyant la onzième s’élève et s’écrie :
Onze heures déjà ! Oh ! comme les heures passent près de toi ! (Le dieu Pan a retenu Minuit et l’envoie sur lui ; elle s’incline, il aperçoit son chiffre.) Douze ! Ai-je bien compté les heures !... Quoi ! tout ce temps de fièvre et d’oubli !... Non, non !... fuyons !... (Il veut remonter.)
LE DIEU PAN, l’arrêtant du geste.
Fuir !... il est trop tard !... Ce ne sont pas des heures qui viennent de passer, ce sont des années !... Depuis douze ans tu es mort pour le monde.
ALILAH.
COSTER.
Qu’elle est belle ! (Alilah s’enfuit. — Coster se précipite sur ses pas. — Elle va disparaître à droite, au fond, sous une arcade sombre de verdure formée par des nymphes, lorsque tout à coup apparaît le fantôme de Catherine, il s’écrie :) Catherine ! (Mouvement général. — Le berceau disparaît. — Nuit complète.)
SATAN, avec force.
Disparaissez, créations de mon génie ! le ciel l’emporte sur l’enfer. (Il entraîne Alilah. — Tout disparaît. — Coster reste sur le devant, à gauche.)
L’OMBRE DE CATHERINE, remontant et s’adressant à Coster.
Coster... ma vie s’est éteinte avant ton retour, mais je te laisse notre fille. Elle t’aimera sur la terre, pendant que je prierai dans le ciel. (Elle disparaît.)
COSTER.
Catherine ! morte ! est-ce possible !... et moi ! et ma fille !... ô mon Dieu ! (Il tombe anéanti. — Le théâtre change.)
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SEPTIÈME TABLEAU.
Une forêt. — Demi-jour.
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SCÈNE UNIQUE.
COSTER, à terre, puis LES TROIS COMPAGNONS. (On entend le chant des compagnons au dehors à droite. Ils entrent en costume de voyage.)
FAUST, apercevant Coster.
Silence ! un homme étendu là !
SCHÆFFER, s’approchant.
Dans ce lieu désert ?
GUTTEMBERG.
Assassiné peut-être ! c’est la Providence qui nous conduit à son secours ! (Ils le soulèvent.)
FAUST, le reconnaissant.
Coster !
TOUS.
Coster !
FAUST.
Point de blessure, rien... évanoui seulement. (Ils le font asseoir.)
GUTTEMBERG.
Il revient à lui ! Maître, c’est donc vous ! maître, vous vivez, vous voilà, vous que nous pleurions comme un ami qui n’est plus.
FAUST.
Depuis douze ans, maître, nous portons le deuil de votre mort.
COSTER.
Ces voix ! (Les reconnaissant.) Mes amis ! est-ce que je sors du sommeil ou du tombeau ! (Se souvenant.) Catherine ! là, tout à l’heure, elle me parlait.
GUTTEMBERG, tristement.
Hélas ! maître, ce ne peut être que son ombre qui vous a parlé.
COSTER.
Oui, c’est son ombre !... morte !
FAUST.
Morte, en vous attendant !...
COSTER.
Oui, en m’attendant !... depuis...
SCHÆFFER.
Depuis douze ans, maître !
COSTER, se levant.
Douze ans !... oh ! c’est à devenir fou !
GUTTEMBERG.
Privés de votre appui et de votre nom, nous avons bien souffert !...
FAUST.
Chassés de France, nous allons en Espagne nous réfugier sous le protection de l’auguste Isabelle.
SCHÆFFER.
Venez avec nous, maître.
TOUS, l’entourant.
Venez !
COSTER.
Oui, changeons d’horizon, de pays !... Au travail, au travail, mes amis ! et croyez-moi, je ne vous quitterai plus désormais !...
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