29 juin 1827 — La Dernière scène de Faust, dans Le Mercure de France du XIXe siècle, t. XVII, p. 577-581, signé Gérard, auteur des Élégies nationales.

Nerval n’a jamais renié son premier engagement politique, la mention : « Satires Le Cuisinier, l’Académie & » figurant dans le projet de ses « Œuvres complètes » établi en 1855, quelques jours avant sa mort, l’atteste. Pourtant, c’est la littérature, et spécifiquement la littérature allemande qui capte désormais toute son attention. La Dernière scène de Faust en vers, publiée en revue, précède de quelques mois la publication en volume de la traduction intégrale du premier Faust de Goethe.

Voir la notice LA CAMARADERIE DU PETIT CÉNACLE.

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LA DERNIÈRE SCÈNE DE FAUST.

 

Faust, avec l’aide de Méphistophélès, pénètre dans la prison de Marguerite ; cette jeune fille infortunée est plongée dans le sommeil.

 

FAUST.

Dans ce séjour d’effroi souffre celle que j’aime,
Et c’est moi qui sur elle attirai l’anathème ;
Tout son crime pourtant fut une douce erreur...
Je tremble d’approcher... Un sentiment d’horreur...
Oh ! ne balançons plus, hâtons sa délivrance,
Chaque instant de retard ajoute à sa souffrance.
Marguerite !

MARGUERITE, se réveillant.

On m’appelle... il faut déjà mourir...
Déjà !

FAUST.

Rassure-toi, je viens te secourir.

MARGUERITE, égarée et ne le reconnaissant pas.

Prends pitié de mon sort si ton cœur est sensible ;
Hélas ! je suis si jeune, et la mort est terrible...
J’ai passé d’heureux jours, ils sont loin mainternant ;
J’ai vu tout mon bonheur fuir avec mon amant ;
Car je fus jeune aussi : c’est ce qui m’a perdue ;
Ma couronne de fleurs s’est flétrie et rompue ;
Je vois que tout cela n’est que songe, qu’erreur...

(Faust détache ses chaînes.)

Mais pourquoi me saisir avec cette fureur ?
Que t’ai-je fait ? pourquoi vouloir agir en maître ?...
Je ne te connais point... ni ne veux te connaître.

FAUST.

(A part.)

Ciel ! comment l’arracher à cet égarement ?

(Haut.)

Je viens briser tes fers ; c’est moi ! c’est ton amant !
Je te supplie...

(Il se met à genoux.)

MARGUERITE, s’agenouillant aussi.

Oh ! oui, prions les saints ensemble,
Que pour nous protéger notre voix les rassemble !
Qu’ils chassent les démons par des signes sacrés ;
Car, près de cette porte, au pied de ces degrés...
Je les vois... Entends-tu de l’infernal empire
Et les cris de triomphe, et l’effroyable rire...
Il nous attend, il s’ouvre... Ah ! la terre a frémi !

FAUST, à haute voix.

Marguerite !

MARGUERITE, attentive.

C’était la voix de mon ami !
A son accent si doux, ah ! je l’ai reconnue ;
Elle s’est fait entendre à mon âme éperdue
Du milieu de ces cris qui me glaçaient d’effroi...
Il ne peut être loin.

FAUST.

Marguerite, c’est moi !

MARGUERITE.

C’est toi ! mais je m’abuse... ? oh ! non, j’en suis certaine ;
C’est toi ! plus de chagrins, plus de maux, plus de chaîne,
Tu viens pour me sauver : eh bien ! je suis tes pas...
Mais je suis faible encor, soutiens-moi de ton bras...
Ah ! nous sommes sauvés !... à la fin je respire !...
A notre liberté tout me semble sourire.
Dieu ! que de souvenirs dans ces champs, dans ces bois !...
Tiens, ici je te vis pour la première fois ;
Là, mes aveux naïfs ont payé ta tendresse ;
Là, tu reçus hier ma première caresse...

FAUST.

Viens, échappe à la mort, quitte ces lieux...

MARGUERITE

Pourquoi ?
Mon ami, j’aime tant à rester avec toi !

FAUST, s’arrachant à ses embrassemens.

Au nom de cet amour, hâte-toi de me suivre,
Ou ton refus tous deux au supplice nous livre ;
Hâte-toi !

MARGUERITE

Dieu ! ta main semble me repousser ;
Ta bouche, comme hier, ne sait plus m’embrasser ;
Dis-moi quels souvenirs, quelles peines secrètes
Rendent tes baisers froids et tes lèvres muettes ?
Tu veux avec effort t’échapper de mes bras...
Qui m’a ravi ton cœur ?... tu ne me réponds pas !

FAUST.

Peux-tu douter de moi ? Tu m’es toujours plus chère.
Mais viens, fais quelques pas, c’est ma seule prière !

MARGUERITE

Tu détaches mes fers, tu t’approches de moi...
Faust, à mon seul aspect ne sens-tu pas d’effroi ?
Sais-tu ce que je suis ?

FAUST.

Viens, la nuit est moins sombre.

MARGUERITE

Vois le long de ces murs se dessiner une ombre :
C’est celle de ma mère ; ah ! mon bras criminel
Fit prendre à sa faiblesse un breuvage mortel...
Chassons ce souvenir de mon âme flétrie ;
Mon ami, donne-moi ta main, ta main chérie,
Contre mon cœur !... Que vois-je ? elle est humide... ah dieux...
Ah ! je sais... C’est du sang... un sang bien précieux...

FAUST.

Laisse-là le passé, le passé... que j’abhorre :
Tu me ferais mourir.

MARGUERITE

Non, tu dois vivre encore ;
J’attends de ton amour un service nouveau :
Car, sans toi, qui voudrait m’élever un tombeau ?
Deux autres sont encor confiés à ton zèle :
Dans le premier ma mère, et mon frère auprès d’elle ;
Moi, quelques pas plus loin... personne près de moi...
Ah ! j’espérais un jour reposer avec toi ;
Mais c’eût été trop doux, je n’y dois plus prétendre.

FAUST.

Tu m’aimes ! à mes vœux pourquoi ne pas te rendre ?
Viens !

MARGUERITE

Dehors ?

FAUST.

A la vie.

MARGUERITE

Oh ! non, c’est au trépas,
La justice divine y veille sur mes pas ;
Et même... en ce moment... Quel bruit ! je crois entendre....
Sur la place déjà le peuple vient m’attendre...
La cloche de la mort a trois fois résonné ;
Pour mon triste départ le signal est donné.
On me bande les yeux... et, pour faveur dernière,
Au pied de l’échafaud j’achève ma prière...
M’y voici ! c’en est fait... le glaive !... le bourreau...
Ah ! le monde est déjà muet comme un tombeau.

FAUST.

Ciel ! pourquoi suis-je né ?

MÉPHISTOPHÉLÈS, entrant.

Venez, voici l’aurore :
Cessez de vains retards qui vous perdraient encore.

MARGUERITE

Que vois-je ? loin d’ici ! c’est l’ennemi de Dieu :
Il vient pour me ravir... chassez-le du saint lieu !...
Quand il parle, ô terreur ! ses lèvres convulsives
Vomissent tout l’enfer...

FAUST, cherchant à l’entraîner.

Viens, il faut que tu vives !

MARGUERITE

Non.

FAUST..

Il faut surmonter un puéril effroi.

MARGUERITE

O justice de Dieu, je m’abandonne à toi !

MÉPHISTOPHÉLÈS, à Faust.

Viens ! viens ! ou je te livre à la mort avec elle.

MARGUERITE

Mon Dieu, je t’appartiens ! Anges, troupe immortelle,
Sauvez-moi ! de l’enfer combattez la fureur.. !

(Des soldats entrent et l’entraînent au supplice.)

Faust, je subis mon sort ; le tien... me fait horreur !

GÉRARD,

Auteur des Élégies nationales.

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