19 mai 1830 — La Pipe, chanson traduite de l’allemand, de Pfeffel, dans Le Cabinet de lecture.

Le texte ici reproduit avait été publié le 29 avril dans La Tribune romantique. Ce poème de l'auteur de langue allemande Théophile Conrad Pfeffel sera repris en volume en 1840 dans Faust de Goëthe, suivi du second Faust.

Voir la notice LA CAMARADERIE DU PETIT CÉNACLE

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LA PIPE,

CHANSON TRADUITE DE L’ALLEMAND, DE PFEFFEL.

 

Bonjour, mon vieux ! Hé bien ! comment trouvez-vous la pipe ? Montrez donc : un pot de fleurs en terre rouge, avec des cercles d’or ! Que voulez-vous pour cette tête de pipe ?

— Oh ! Monsieur, je ne puis m’en défaire ; elle me vient du plus brave des hommes, qui, Dieu le sait, la conquit sur un Bassa, à Belgrade.

C’est là, Monsieur, que nous fîmes un riche butin....... Vive le prince Eugène ! On vit nos gens faucher les membres des Turcs comme du regain.

— Nous reviendrons sur ce chapitre une autre fois, mon vieux camarade : maintenant soyez raisonnable. Voici un double ducat pour votre tête de pipe.

— Je suis un pauvre diable, et je vis de ma solde de retraite ; mais, Monsieur, je ne donnerais pas cette tête de pipe pour tout l’or du monde.

Ecoutez seulement. Un jour, nous autres hussards, nous chassions l’ennemi à cœur joie ; voilà qu’un chien de janissaire atteint le capitaine à la poitrine.

Je mis le capitaine sur mon cheval.... Il en eût fait autant pour moi, et je l’amenai doucement, loin de la mêlée, chez un gentilhomme.

Je pris soin de sa blessure. Mais quand il se vit près de sa fin, il me donna tout son argent, avec cette tête de pipe ; il me serra la main, et mourut comme un brave.

Il faut, pensai-je, que tu donnes cet argent à l’hôte, qui a trois fois souffert le pillage ; mais je gardai cette tête de pipe en souvenir du capitaine.

Dans toutes mes campagnes, je la portais sur moi comme une relique : nous fûmes tantôt vaincus, tantôt vainqueurs ; je la conservai toujours dans ma botte.

Devant Prague, un coup de fusil me cassa la jambe : je portai la main à ma pipe et ensuite à mon pied.

— Je me suis ému en vous écoutant, bon vieillard, ému jusqu’aux larmes ; Oh ! dites-moi comment s’appelait votre capiraine, afin que je l’honore, moi aussi, et que j’envie sa destinée.

— On l’appelait le brave Walter : son bien est là- bas, près du Rhin. — C’était mon aïeul, et ce bien est à moi.

Venez, mon ami, vous vivrez désormais dans ma maison ! Oubliez votre indigence ! Venez boire avec moi le vin de Walter, et manger le pain de Walter avec moi.

— Bien, Monsieur, vous êtes son digne héritier ! j’irai demain chez vous, et en reconnaissance vous aurez cette pipe après ma mort. 

 

Tribune romantique.

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