2 janvier 1830 — La Première nuit du sabbat. Morceau lyrique de Goethe, dans Le Mercure de France au XIXe siècle, t. XXVIII, p. 10-12, non signé.
Cette pièce sera reprise en volume en 1840 dans Faust de Goëthe, suivi du second Faust. Nerval trouve ici chez Goethe, dans l’antagonisme qui oppose les vieilles croyances païennes au christianisme triomphant, la préférence qui l’animera aussi, dans le sonnet Antéros notamment, pour les dieux antiques contre le dieu biblique Jéhovah.
Voir la notice LA CAMARADERIE DU PETIT CÉNACLE.
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LA PREMIÈRE NUIT DU SABBAT.
MORCEAU LYRIQUE DE GOETHE.
UN DRUIDE.
Voici mai qui nous sourit ! la forêt s’est dégagée de ses glaçons et de ses frimats. La neige a disparu, et de joyeux chants retentissent parmi la verdure nouvelle. La blanche neige s’est retirée vers les hautes montagnes : il faut cependant que nous y montions, selon la coutume antique et sainte, pour célébrer les louanges du père de toutes choses. Que la flamme s’élève à travers la fumée ; c’est ainsi que les cœurs montent à lui !
LES DRUIDES.
Que la flamme s’élève à travers la fumée ! Suivons la coutume antique et sainte de célébrer les louanges du père de toutes choses ! Montons, montons encore !
UNE VOIX DANS LE PEUPLE.
Mais quelle audace vous transporte ? Voulez-vous marcher à la mort ?... Ne savez-vous pas que nos ennemis victorieux sont de ce côté ? Leurs pièges sont tendus autour de ces retraites pour surprendre les payens, les pécheurs !...
Hélas ! ils égorgeront dans nos cabanes et nos femmes et nos enfans, et nous marcherons tous vers une mort certaine !
CHŒUR DE FEMMES.
Dans l’asile de nos cabanes, ils égorgeront nos enfans, ces impitoyables vainqueurs ! et nous marcherons tous vers une mort vertaine !
UN DRUIDE.
Celui vers qui vont s’élever nos sacrifices protégera ses adorateurs. La forêt est libre, le bois n’y manque pas, et nous en ferons d’énormes bûchers. Cependant arrêtons-nous dans les broussailles voisines, et tenons-nous tranquilles tout le jour ; plaçons des guerriers pour veiller à notre défense : mais, ce soir, il faut avec courage songer à remplir nos devoirs !
CHŒUR DES GUERRIERS QUI VEILLENT.
Veillez ici, braves guerriers, aux environs de la forêt ; et veillez en silence, pendant qu’ils rempliront leur saint devoir.
UN GUERRIER.
Ces stupides chrétiens se laissent abuser par notre audace : si nous les effrayions nous-mêmes par le diable auquel ils croient !... Venez ! Il faut nous armer de cornes, de fourches et de brandons ! faire grand bruit à travers les rochers. Chouettes et hibous accompagnez notre ronde et nos hurlemens !
CHŒUR DES GUERRIERS QUI VEILLENT.
Armons-nous de fourches et de cornes, comme le diable auquel ils croient, et faisons grand bruit à travers les rochers. Chouettes et hibous accompagnez notre ronde et nos hurlemens !
UN DRUIDE.
Maintenant, au sein de la nuit, célébrons hautement les louanges du père de toutes choses ! Le jour approche où il faudra lui porter un cœur purifié !... Il peut permettre à l’ennemi de triompher aujourd’hui et quelques jours encore ; mais la flamme s’élance de la fumée : ainsi s’épure notre culte : on peut nous ravir nos vieux usages, mais la lumière divine, qui nous la ravira ?
UN CHRÉTIEN.
A moi ! au secours, mes frères !... Ah ! voici l’enfer qui nous vient !... Voyez ces corps magiques tout en feu..... ces hommes-loups et ces femmes-dragons qui se pressent en foule immense ! Oh ! quel tumulte épouvantable ! Fuyons tous, fuyons bien loin !... Là-haut flambe et mugit le diable... et l’odeur infecte des sorciers se répand jusqu’à nous !
CHŒUR DES CHRÉTIENS.
Voyez, voyez ces corps magiques ! hommes-loups et femmes-dragons..... Oh ! quel tumulte épouvantable !..... Là-haut flambe et mugit le diable..... et l’odeur des sorciers se répand jusqu’à nous.
CHŒUR DES DRUIDES.
La flamme s’élance de la fumée..... Ainsi s’épure notre culte ! On peut nous ravir nos vieux usages, mais la lumière divine, qui nous la ravira ?
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