Mai 1829 — Lénore, Ballade allemande, imitée de Bürger, dans La Psyché, t. XV, p. 56-61,

Revue mensuelle très élégante, La Psyché avait été fondée en mars 1826. Traduction, imitation, adaptation, Nerval n’a cessé de travailler la légende germanique de Lénore telle que l’a transmise le poète allemand Bürger.

La guerre finie, tandis que les soldats reviennent au village, Lénore attend en vain son fiancé et maudit Dieu. Apparaît alors un cavalier qui, sous l’apparence de Wilhelm, va emporter Lénore dans une folle chevauchée : « Les morts vont vite ». Arrivée dans un cimetière, Lénore assiste terrifiée à la métamorphose du cavalier devenu créature satanique pour la punir de son blasphème. Gérard ajoute une issue heureuse à la folle chevauchée qui n’était qu’un rêve : « Quel rêve j’ai fait cette nuit ! » conclut Lénore. Sous cette forme, qui modifie le dénouement, le poème ne sera pas repris en volume.

Voir la notice LA CAMARADERIE DU PETIT CÉNACLE

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LÉNORE,

 

BALLADE ALLEMANDE

IMITÉE DE BÜRGER.

 

Le point du jour brillait à peine, que Lénore
Saute du lit : — Guillaume, es-tu fidèle encore,
Dit-elle, ou n’es-tu plus ? — C’était un officier
Jeune et beau, qui devait l’épouser ; mais la veille
Du mariage, hélas ! le tambour le réveille
De grand matin ; il s’arme et part sur son coursier.
 
Depuis, pas de nouvelle...., et cependant la guerre,
Aux deux partis fatale, avait cessé naguère,
Les soldats revenaient, avec joie accueillis :
« Mon mari ! mon amant ! mon fils !.. Dieu vous renvoie !.. »
Tout cela s’embrassait, sautait, mourait de joie....
Lénore seule en vain parcourait le pays.
 
L’avez-vous vu ?.. — Non. — non. — Chacun a sa famille,
Ses affaires... chacun passe. — La pauvre fille
Pleure, pleure... et sa mère accourt, lui prend la main :
— Qu’as-tu, Lénore ? — Il est mort, et je dois le suivre ;
Nous nous sommes promis de ne pas nous survivre....
— Patience ! sans doute il reviendra demain.
 
— Quelque chose l’aura retardé. — Viens, ma fille,
Il est nuit. — Elle rentre, elle se déshabille,
Et dort, ou croit dormir.... Mais tout à coup voilà
Qu’un galop de cheval au loin se fait entendre.
Puis éclate plus près.... Enfin une voix tendre : —
Lénore ! mon amour,.. ouvre-moi,.. je suis là !
Elle n’est pas levée encore, que Guillaume
Est près d’elle. — Ah ! c’est toi ! D’où viens-tu ? — D’un royaume
Où je dois retourner cette nuit ; me suis-tu ?
— Oh ! jusqu’à la mort ! — Bien. — Est-ce loin ? — À cent lieues.
— Partons. — La lune luit... les montagnes sont bleues...
À cheval !... D’ici là le chemin est battu.
 
Ils partent.... sous les pas agiles
Du coursier les cailloux brûlaient,
Et les monts, les forêts, les villes,
A droite, à gauche, s’envolaient.
 
— Le glas tinte, le corbeau crie,
Le lit nuptial nous attend....
Presse-toi contre moi, mon épouse chérie.
— Guillaume, ton lit est-il grand ?
— Non, mais nous y tiendrons.. six planches, deux planchettes,
Voilà tout.... pas de luxe. — Oh ! l’amour n’en veut pas. —
Ils passaient, ils passaient, et des ombres muettes
Venaient se ranger sur leurs pas.
— Hourra ! hourra ! je vous invite
A ma noce.... les morts vont vite....
Ma belle amie en as-tu peur ?
— Ne parle pas des morts.... cela porte malheur. —
 
Hop ! hop ! hop !... sous les pas agiles
Du coursier les cailloux brûlaient,
Et les monts, les forêts, les villes
A droite, à gauche, s’envolaient.
 
— Mais d’où partent ces chants funèbres,
Où vont ces gens en longs manteaux ?
— Hourra ! que faites-vous là-bas dans les ténèbres
Avec vos chants et vos flambeaux ?
— Nous conduisons un mort. — Et moi, ma fiancée :
Mais votre mort pourra bien attendre à demain ;
Suivez-moi tous, la nuit n’est pas très avancée....
Vous célébrerez mon hymen.
 
Hourra ! hourra ! je vous invite
À ma noce,... les morts vont vite....
Ma belle amie, en as-tu peur ?
— Ne parle pas des morts.... cela porte malheur. —
 
Hop ! hop ! hop ! sous les pas agiles
Du coursier les cailloux brûlaient,
Et les monts, les forêts, les villes
A droite, à gauche, s’envolaient.
 
— Tiens ! vois-tu ces ombres sans tête
Se presser autour d’un tréteau,
Là, du supplice encor tout l’attirail s’apprête....
Pour exécuter un bourreau.
Hourra ! dépêchez-vous.... hourra ! troupe féroce,
Faites aussi cortège autour de mon cheval !
Vous seriez déplacés au banquet de ma noce,
Mais vous pourrez danser au bal.
 
Hourra ! Mais j’aperçois le gîte
Sombre, où nous sommes attendus....
Les morts au but arrivent vite ;
Hourra ! nous y voici rendus ! —
 
Contre une grille en fer le cavalier arrive,
Y passe sans l’ouvrir,... et d’un élan soudain,
Transporte Lénore craintive
Au milieu d’un triste jardin....
C’était un cimetière. — Est-ce là ta demeure ?
— Oui, Lénore : mais voici l’heure,
Voici l’heure de notre hymen ;
Descendons de cheval... Femme, prenez ma main ! —
 
— Ah ! seigneur Dieu ! — Plus de prestige....
Le cheval, vomissant des feux
S’abîme. Et de l’homme (ô prodige !)
Un vent souffle les noirs cheveux
Et la chair qui s’envole en poudre,....
Puis, à la lueur de la foudre
Découvre un squelette hideux !
 
— Hourra ! qu’on commande la fête !
Hourra ! — Tout s’agite, tout sort,
Et pour la ronde qui s’apprête
Chaque tombeau vomit un mort.
…………………………………
—Tout est fini ! — Par Notre-Dame !
Reprend la même voix, chaque chose a son tour :
Après la gloire vient l’amour !
Maintenant j’embrasse ma femme.
 
— Jamais ! — Elle s’agite... et tout s’évanouit !
— Jamais ? dit son amant, est-ce bien vrai, cruelle ? —
(Il était près du lit.) — Ah ! Guillaume, dit-elle,
Quel rêve j’ai fait cette nuit !

 

GÉRARD.

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