14 août 1830 — Le Peuple, dans Le Mercure de France au XIXe siècle, t. XXX, p. 281-283, signé Gérard
Il existe un tirage à part de ce poème, avec une strophe supplémentaire intitulée : « Sa voix », intercalée entre « Sa force » et « Sa vertu ».
Renouant avec son engagement politique de 1826, Nerval célèbre ici le peuple français en révolte — « malheur à qui l’éveille ! » — qui a su s’émanciper du pouvoir réactionnaire de la Restauration. Le poème sera repris en 1848 dans L’Artiste-Revue de Paris.
Voir la notice LA CAMARADERIE DU PETIT CÉNACLE
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LE PEUPLE.
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SON NOM.
- O vous qui célébrez tous les pouvoirs, ainsi
- Que le canon des Invalides ;
- Et qui pendant la lutte aussi
- N’êtes jamais plus homicides :
- Les temps sont accomplis, le sort s’est déclaré ;
- Des Francs, sous les Gaulois l’orgueil enfin s’abaisse ;
- Le coq du peuple a dévoré
- Les fleurs de lys de la noblesse...
- A présent, paraissez : à la tête des rangs
- Cherchez quelques héros à proclamer très-grands
- Mais, entre tous les noms que le siècle répète,
- Un seul reste à chanter... cherchez ! encore un nom,
- Plus noble qu’Orléans, plus beau que Lafayette
- Et plus grand que Napoléon.
SA GLOIRE.
- Le Peuple ! — Trop long-temps on n’a vu dans l’histoire
- Pour l’œuvre des sujets que les rois admirés.
- Les arts dédaignaient une gloire
- Qui n’avait point d’habits dorés ;
- A la cour seule était l’éclat et le courage,
- Et le bon goût et le vrai beau :
- Les habits déchirés du peuple et son langage,
- Faisaient rougir la Muse et souillaient le pinceau...
- Combien ce préjugé s’efface !
- Nous avons vu le peuple et la cour face à face :
- Elle, ameutant en vain ses rouges bataillons ;
- Lui, sous leur feu cruel, marchant aux Tuileries ;
- Elle, tremblante et vile avec ses broderies,
- Lui, sublime avec ses haillons !
SA FORCE.
- C’est que le peuple aussi, malheur à qui l’éveille !
- Lorsque, paisible, il dort sur la foi des sermens,
- Il laisse bourdonner long-temps
- La tyrannie à son oreille.
- Il semble Gulliver environné de nains :
- Voyez, par des fils innombrables,
- Des milliers de petites mains
- Fixer ses membres redoutables :
- Il y montent enfin, triomphent..... le voilà
- Bien lié... Que faut-il pour briser tout cela ?
- Qu’il se lève ! Déjà de ses mains désarmées
- Il lutte avec les forts où gît la trahison,
- Et son pied en passant couche à bas les armées
- Comme les crins d’une toison !
SA VERTU.
- Je crois le voir encor, le peuple, aux Tuileries,
- Alors que sous ses pas tout le palais trembla :
- Que de richesses étaient là !..
- Etincelantes pierreries,
- Trône, manteau royal sur la terre jeté,
- Colliers, habits, cordons oubliés dans la fuite,
- Enfin tout ce qu’avait la famille proscrite
- De grandeur et de majesté !
- Eh bien ! de ces trésors, rien, pour lui, qui le tente,
- De les fouler aux pieds sa fureur se contente ;
- Et dans ce grand château, d’où les valets ont fui,
- Partout, sans rien détruire, il regarde, il pénètre,
- Montrant qu’il est le roi, montrant qu’il est le maître,
- Et que tout cela, c’est à lui !
SON REPOS
- Non, rien de ces trésors, qu’il voit avec surprise,
- Ne le tente ! Il confie à des princes nouveaux
- La couronne qu’il a reprise
- Et puis retourne à ses travaux.
- Maintenant, courtisans de tout pouvoir qui règne,
- Accourez : battez-vous, traînez-vous à genoux
- Pour ces oripeaux qu’il dédaigne,
- Et qui ne sont bons que pour vous.
- Mais lorsque des grandeurs vous atteindrez le faîte,
- N’ayez point trop d’orgueil d’être assis sur sa tête,
- Et craignez de peser sur lui trop lourdement ;
- Car, tranquille au plus bas de l’immense édifice,
- Pour que tout au-dessus penche et se démolisse,
- Il ne lui faut qu’un mouvement.
GÉRARD.
[Strophe ajoutée sur le Tiré à part :]
SA VOIX
- Et puis, victorieux, il jette un cri sublime,
- Dont ceux qu’on a cru morts s’éveillent en sursaut,
- Qui fouille au plus profond abîme,
- Eclate au faîte le plus haut,
- Un cri de liberté qui gronde et qui dévore,
- Que frontières ni murs n’arrêtèrent jamais ;
- Tonnerre au vol immense, à l’éclair tricolore,
- Qui menace tous les sommets !
- Cri, dont se fait l’écho toute poitrine libre,
- Cri, qui des nations renverse l’équilibre ;
- Oracle qu’en tous lieux et cultes et partis
- Reconnaissent divin... et comprennent s’ils peuvent,
- Et qui fait que les rois sur leurs trônes s’émeuvent,
- Pour sentir s’ils sont bien assis !
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