14 novembre 1829 — Les Bienfaits de l’enseignement mutuel, publié dans le Procès-verbal de la distribution des prix d’émulation et d’encouragement aux moniteurs et aux maîtres des écoles primaires gratuites de garçons de la ville de Paris, faite le 14 novembre 1829 par la Loge des Sept-Écossais-Réunis, J.L. Bellemain, Paris, 1829 (BnF 8-H-10487(261)

Le procès verbal est introduit par la description suivante : « Une salle élégamment décorée, plus de douze cents personnes des deux sexes, plusieurs maires de la Capitale, soixante moniteurs, accompagnés de leurs maîtres respectifs, un grand nombre d’officiers du Grand-Orient ; deux cents maçons, revêtus de leurs insignes, offraient un spectacle aussi nouveau qu’imposant. A septe heures et un quart, Monsieur de Dr Vassal, président, a ouvert la séance [...] M. Labruni (sic) fils, âgé de dix-huit ans, a composé et lu les vers suivans : ». Nerval n’a donc rien exagéré en évoquant le public imposant, la présence de son grand-oncle par alliance Gérard Vassal et le discours que lui-même prononça, dans un fragment manuscrit autobiographique de Promenades et Souvenirs demeuré inédit de son vivant : « C’est de cette époque qu’ont daté mes premiers essais lyriques. Je composai en un seul jour un poème intitulé Adam ert Eve que je m’empressai de lire à mes compagnons de l’Ecole de Dessin. J’obtins un tel succès que l’un des élèves qui était compositeur, se chargea d’imprimer mon œuvre, avec un frontispice orné de la lyre d’Apollon. Le bruit de mon succès vint aux oreilles du père d’une de mes jolies cousines, qui était Vénérable d’une loge de Francs Maçons ; il me demanda un discours que je fus admis à lire en séance générale à la distribution des prix faite aux élèves des écoles mutuelles de Paris. Les maires des 12 arrondissements assistaient à cette solennité dont l’effet fut immense. Le Vénérable Lasteyrie me pressa longtemps dans ses bras aux applaudissements de l’assemblée. Voici les vers : / Citation ; Messieurs etc. »

Faut-il induire de la participation de Gérard à cette fête des Écoles mutuelles organisée par la loge maçonnique dont son oncle par alliance, Gérard Vassal, était Vénérable, qu’il fut lui-même élève des Écoles mutuelles avant d’entrer au Collège Charlemagne ?

Voir la notice LES ANNÉES CHARLEMAGNE.

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LES BIENFAITS DE L’ENSEIGNEMENT MUTUEL

 

Messieurs,

Quelle fête nouvelle ici s’offre à vos yeux ?
De timides enfans, sages et studieux,
Vont d’un an de travail trouver la récompense :
Que vous auriez de droits à leur reconnaissance
Si d’un nouveau système appuyant les bienfaits
Vous daigniez applaudir à leurs premiers succès !
Succès bien glorieux alors, car leur jeunesse
N’a point d’un maître dur éprouvé la rudesse,
L’instruction pour eux se voila sous des fleurs,
Et jamais leur travail ne fut mouillé de pleurs :
Heureux progrès d’un siècle où la liberté règne,
Où le savoir à tous se produit et s’enseigne
Sans larmes, sans efforts, sans ces fouets flétrissans
Contre qui tant de fois réclama le bon sens,
Et qui formant de loin l’homme libre aux entraves
Produisaient moins jadis de savans que d’esclaves.
 
Mais eux, que le travail leur offrit de douceur !
Chacun fut tour à tour élève et professeur.....
Si vous les aviez vus, dans ces vastes enceintes
Où n’ont jamais entré les peines ni les craintes,
Se livrer à l’étude, avec ardeur, sans bruit,
Jamais inoccupés, et sortir à la nuit
Non comme ces enfans qu’il semble qu’on déchaîne,
Mais sages, en bon ordre, et peut-être avec peine.
 
Messieurs, sur eux aussi se fonde un grand espoir ;
Dans un siècle où l’on sent tout le prix du savoir,
Ils sauront, comprendront, leurs droits, leurs devoirs même,
Ils anéantiront cet odieux système
Qui fait croire aux puissans que tout peuple éclairé
Contre un juste pouvoir sans cesse est conjuré.....
Non, le peuple ignorant est le plus indocile :
A qui connaît ses droits, le devoir est facile.
 
« Mais, disent quelques-uns, l’ouvrier qu’on instruit
En remplira-t-il mieux la carrière qu’il suit ?
Sera-t-il plus heureux, plus actif et plus sage ? »
— Sans doute : l’ouvrier comprendra son ouvrage,
Le perfectionnera, s’il se peut..... et le soir,
Lorsque le malheureux qui ne veut rien savoir
Tentera d’endormir ses peines dans l’ivresse,
Lui, dans nos bons auteurs puisera la sagesse,
Plus haut qu’une machine il saura se placer,
Et verra qu’il est doux d’être homme et de penser.
 
Certes, il ne faut pas qu’il sorte de sa sphère :
Un peuple de savans nous est peu nécessaire ;
Mais cet excès je crois n’est pas à redouter :
Chacun de son état saura se contenter
Quand il connaîtra bien ce qu’il faut de génie
Pour trouver dans ce siècle une route aplanie
Vers les grandeurs, la gloire, où si peu sont admis.
Cependant on a vu de sublimes esprits
Sortir du peuple..... Alors, gloire à leur hardiesse !
La science a pour eux des lettres de noblesse.
Mais sans l’instruction, sans ses vives clartés,
Partis d’un rang obscur, ils y seraient restés.
Que d’hommes nés plus grands que tous ceux qu’on admire,
Messieurs, n’ont été rien faute d’avoir su lire !
Commensal des palais, le savoir autrefois
Du peuple dédaigné fuyait les humbles toits.
Aussi qu’était le peuple ? Une masse servile,
Pour les ambitieux un instrument docile
Qu’on agitait aux cris de gloire et liberté ;
Pour les grands, les seigneurs, une propriété
Dont ils disposaient seuls sans scrupule et sans crainte.
Mais des hommes meilleurs ont entendu ses plaintes ;
Ils ont pris en pitié sa peine et ses erreurs,
Sont descendus à lui pour guérir ses douleurs ;
Ils ont, foulant aux pieds l’ignorance irritée,
Purifié le peuple..... et comme Prométhée,
Faibles mortels, auteurs d’un bienfait immortel,
Ont pour le ranimer ravi le feu du ciel.
 
Honneur à leurs efforts ! honneur surtout au sage
Qui de l’instruction simplifia l’usage,
Apprit à notre siècle un art si bienfaisant
Par lequel l’écolier s’instruit en s’amusant,
De l’ordre, du travail se fait un soin facile,
Et le prépare jeune au bonheur d’être utile.
 
Encourageons cet art né sur le sol français,
Gage d’heureux destins, qu’il prospère à jamais,
Jusqu’aux plus aveuglés que sa clarté s’étende ;
Qu’il brave la routine, et qu’enfin il répande
Sur un pays longtemps par l’erreur agité,
Trois dons du ciel : grandeur, richesse et liberté.

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