13 février 1830 — Les Papillons, dans Le Mercure de France au XIXe siècle, t. XXVIII, p. 289-291, signé Gérard.

Le poème sera repris dans Petits Châteaux de Bohême,, Premier Château, en trois parties numérotées, et avec les deux dernières strophes différentes.

Avec Les Papillons, Gérard inaugure une autre orientation de sa recherche poétique, l’odelette au rythme impair.

Voir la notice LA CAMARADERIE DU PETIT CÉNACLE

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LES PAPILLONS.

 

De toutes les belles choses
Qui nous manquent en hiver,
Qu’aimez-vous mieux ? — Moi, les roses.
— Moi, l’aspect d’un beau pré vert.
— Moi, la moisson blondissante,
Chevelure des sillons :
— Moi, le rossignol qui chante.
— Et moi, les beaux papillons !
 
Le Papillon, fleur sans tige
Qui voltige,
Que l’on cueille en un réseau :
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la fleur et l’oiseau !...
 
Ah ! quand vient l’été superbe,
Je m’en vais au bois tout seul,
Je m’étends dans la grande herbe
Comme un mort dans son linceul,
Sur ma tête renversée,
Là, chacun d’eux à son tour
Passe comme une pensée
De poésie ou d’amour.
 
Voici le Papillon Faune
Noir et jaune ;
Voici le Mars azuré,
Qui porte des étincelles
Sur ses ailes
D’un velours riche et moiré ;
 
Voici le Vulcain rapide
Qui vole comme un oiseau,
Sa robe noire et splendide
Porte un grand ruban ponceau :
Dieu ! le Soufré dans l’espace
Comme un éclair a relui...
Mais le joyeux Nacré passe,
Et je ne vois plus que lui :
 
Comme un éventail de soie
Il déploie
Son manteau semé d’argent ;
Et sa robe bigarrée
Est dorée
D’un or verdâtre et changeant.
 
Voici le Machaon-Zèbre,
De fauve et de noir rayé ;
Le Deuil en habit funèbre,
Et le Miroir bleu-strié ;
Voici l’Argus feuille-morte,
Le Morio, le Grand-Bleu,
Et le Paon de jour, qui porte
Sur chaque aile un œil de feu !
 
Mais le soir brunit nos plaines,
Les Phalènes
Prennent leur essor bruyant,
Et les Sphinx, aux couleurs sombres,
Dans les ombres
Voltigent en tournoyant.
 
C’est le Grand-Paon à l’œil rose
Dessiné sur un poil gris,
Qui ne vole qu’à nuit close
Comme les chauve-souris ;
Le Bombice du troène,
Rayé de rouge et de vert,
Et le Papillon du chêne
Qui ne meurt point en hiver.
 
Voici le Sphinx à la tête
De squelette,
Peinte en blanc sur un fond noir,
Que le villageois redoute,
Sur sa route,
De voir voltiger le soir.
 
Je hais aussi les Phalènes,
Ces lourds hôtes de la nuit,
Qui voltigent dans nos plaines
De sept heures à minuit ;
Mais vous, Papillons que j’aime,
Légers Papillons du jour,
Tout en vous est un emblême
De poésie et d’amour !

 

GÉRARD.

 

 

[Dans Petits Châteaux de Bohême, les deux dernières strophes sont remplacées par ces deux strophes, qui apparaissaient déjà en 1833 dans La France littéraire :]

 

III

 

Malheur, papillons que j’aime,
Doux emblêmes,
À vous pour votre beauté !...
Un doigt, de votre corsage,
Au passage,
Froisse, hélas ! le velouté !...
 
Une toute jeune fille
Au cœur tendre, au doux souris,
Perçant votre cœurs d’une aiguille,
Vous contemple, l’œil surpris :
Et vos pattes sont coupées
Par l’ongle blanc qui les mord,
Et vos antennes crispées
Dans les douleurs de la mort !

 

GÉRARD

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