5 mars 1841 — Lettre à Edmond Leclerc, portant la suscription : de M. Gérard, à M. Edmond Leclerq, ou en son absence à M. Mallac, à Paris

Depuis son séjour viennois, Nerval semblait craindre quelques menées secrètes de la part du pouvoir autrichien. Dans la lettre « confidentielle », qu’il adressait le 10 janvier 1840, de Vienne, à Jacques Mallac, secrétaire au ministère de l’Intérieur, Nerval y exprimait sa crainte d’être surveillé, soupçons d’ailleurs confirmés par la suite. « Il resta quelque temps à Vienne, alla dans le monde et fut accueilli avec une grande bienveillance, très justifiée par la grâce de son esprit et l’aménité et la distinction de ses manières; il en fut d’abord enchanté, puis troublé, et revint en France persuadé de M. de Metternich le persécutait » écrit Alphonse Karr dans son Livre de bord. En effet, dans la refonte des Amours de Vienne, publiée dans le feuilleton intitulé Al-Kahira en 1849-1850 ( 6e ,7e et 8e livraisons, 11, 18 et 25 février), la fin du séjour viennois est marquée par le sentiment d’être espionné par la police viennoise, et s’achève par une véritable fuite. La crainte, exacerbée par la crise nerveuse de février 1841, devient une véritable hantise d’un complot dont il serait le jouet, dans les lettres « confidentielles » adressée coup sur coup les 5 et 6 mars à Edmond Leclerc, secrétaire particulier du ministre de l’Intérieur Duchâtel. Il est probable que la crainte de Nerval a quelque fondement. Le 5 novembre 1839 en effet, alors que il avait fait demande d’un passeport pour Vienne, une lettre émanant de la Direction de la police générale du Royaume, donc du ministère de l’Intérieur, avait averti le ministère des Affaires étrangères que « Gérard Labrunie de Nerval, agent légitimiste » avait fait l’objet d’une communication à la Direction de la police générale le 5 septembre 1838,  stipulant qu’il est « l’un des émissaires de Mme la Duchesse de Berry » et que « l’on doit croire que son voyage a un but politique » (Archives des Affaires étrangères, Autriche 10ADP/30).

Notons encore qu’en 1853, alors qu’il s’apprête à publier le récit de Pandora, qui fait suite à celui des Amours de Vienne, Nerval demande que soit insérée à la publication la note suivante : «Je suis obligé d’expliquer que Pandora fait suite aux aventures que j’ai publiées autrefois dans la Revue de Paris, et réimprimées dans l’introduction de mon Voyage en Orient sous le titre : Les Amours de Vienne. Des raisons de convenance qui n’existent plus j’espère m’avaient forcé de supprimer ce chapitre. S’il faut encore un peu de clarté, permettez-moi de vous faire réimprimer les lignes qui précédaient jadis ce passage de mes Mémoires. J’écris les miens sous plusieurs formes, puisque c’est la mode aujourd’hui. Ceci est un fragment d’une lettre confidentielle adressée à M. Théophile Gautier, qui n’a vu le jour que par suite d’une indiscrétion de la police de Vienne — à qui je pardonne — et il serait trop long, dangereux peut-être d’appuyer sur ce point. »

Voir les notices UN HIVER À VIENNE et LA CRISE NERVEUSE DE 1841

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[...] j’ai cru saisir bien des choses qui me sont arrivées tant à Paris qu’à Vienne et à Bruxelles une certaine intrigue ou du moins un certain jeu convenu dont je ne possède pas l’intelligence complète.

1re question. — Est-ce de la part de M-c [Jacques Mallac], que j’ai reçu à Vienne une somme dont j’avais besoin et que je lui avais demandée par écrit ?

2° Combien de lettres a-t-il reçues sur les quatre que je lui ai écrites alors, et comment sont-elles parvenues ?

3° A Bruxelles encore des lettres écrites par moi ont été perdues. Toutes celles de Vienne que j’ai pu relire avaient été décachetées et lues tant à la police qu’à [un blanc] preuve m’en a été donnée il y a trois mois.

4° De la part de qui m’at-on offert de l’argent à Bruxelles quand celui que j’attendais ne m’était point parvenu ?

5° Pourquoi des difficultés insurmontables sur certaines choses ? des réussites ou des accueils non moins singuliers sur d’autres ?

6° J’avais demandé à Texier de parler à M. M-c pour que j’eusse une somme légère après le vote des L-s [lois] afin de pouvoir terminer mon travail pour M. V- [Villemain] sans lui rien demander. L’a-t-il su ?

7° Avec quel argent m’a-t-on conduit dans la maison où je suis, où ma dépense a été largement payée. J’ai beaucoup d’amis ; mais on n’oblige pas les gens sans qu’ils le demandent ; surtout d’une façon si brillante. J’ai peur d’approfondir, j’ai peur de parler.

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