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LE VOYAGE EN ALLEMAGNE DE 1838

 

« LA VIEILLE ALLEMAGNE, NOTRE MÈRE À TOUS… TEUTONIA »

Nerval a toujours entretenu une relation quasi filiale avec l’Allemagne. En octobre 1854, alors qu’il accomplit son dernier voyage outre-Rhin, il parle à Franz Liszt de : « [s]on origine allemande, que certains généalogistes font remonter au règne d’Othon II », confirmant la mention de l’origine des Labrunie « chevaliers d’Othon » qui figure sur le feuillet autographe de la Généalogie dite fantastique élaborée en 1841.

Filiation généalogique, mais aussi littéraire : dès l’adolescence, Gérard est un lecteur de Mme de Staël et découvre par elle les grands romantiques allemands, Goethe, Schiller, Bürger, Klopstock, Richter, qu’il traduit et s’approprie dans un tel vacillement identitaire qu’en décembre 1830, il signe de son nom l’odelette La Malade qui est en fait une « imitation » d’Uhland, et qu’en 1831 il publie sous le nom de Jean-Paul Richter un « fragment » de récit intitulé Le Bonheur de la maison dont il est en fait lui-même l’auteur.

Si Mme de Staël fut l’initiatrice en matière littéraire, il est probable que c’est le docteur Labrunie qui suscita chez son fils un intérêt pour la réalité politique allemande. Engagé comme médecin dans l’armée d’Allemagne en juin 1808, Étienne Labrunie suivra la Grande Armée en Allemagne et en Autriche jusqu’en 1813 et, de retour en France à la chute de l’Empire, continuera à recevoir des amis allemands et polonais. Quelle est la situation politique de l’Allemagne, ou plutôt de l’agrégat d’États indépendants d’alors ? L’historien Saint-Marc Girardin l’a très clairement analysée dans le cours qu’il a donné à la Faculté des Lettres de Paris en 1831 et 1834 et qui fut publié en 1835 sous le titre : Notices politiques et littéraires sur l’Allemagne. Le Saint-Empire romain germanique, fondé au Xe siècle par la dynastie ottonienne, et dont le nom garde le souvenir de son origine, l’Empire Romain d’Occident, devient au XIIe siècle avec Frédéric Barberousse le Saint-Empire germanique, dont Charles-Quint fut élu empereur en 1519. Othon, Barberousse, Charles-Quint, autant de noms qui résonnent mythiquement pour Nerval et nourriront les sonnets de 1841. Au moment où les armées révolutionnaires françaises en commencent la conquête, l’Empire n’est plus qu’une mosaïque d’États d’importance et de statuts divers que Napoléon va tenter d’unifier, favorisant ainsi le sentiment national allemand à l’œuvre dans les sociétés secrètes des Illuminati en Allemagne initié par Weishaupt au XVIIIe siècle. Dès 1803, le recès de Ratisbonne réduit à une quarantaine le nombre des États, par le biais de la médiatisation, c’est-à-dire la subordination de petits États à de plus grands. C’est ainsi que Nerval peut dire du prince Pückler-Muskau qu’il a rencontré à Vienne qu’il est un prince désormais « médiatisé ». Le 12 juillet 1806, la création par Napoléon de la Confédération du Rhin met fin au Saint-Empire romain germanique. Les sociétés secrètes, particulièrement actives dans les Universités, d’abord très favorables à la Révolution française et à Bonaparte, voient dans l’instauration de l’Empire par Napoléon une trahison et suscitent un violent mouvement d’opinion contre l’occupation française, dont Saint-Marc Girardin trace ce tableau bien fait pour susciter l’imaginaire nervalien : « Dans les écoles, une jeunesse ardente puisait aux sources de la philosophie l’amour de la liberté et la haine de la servitude étrangère. La rêverie allemande devenait de l’enthousiasme. Les chants de Kœrner et de Arndt se répandaient dans les Universités et enflammaient les esprits ; et le soir, dans les tavernes, les portes closes, quand il n’y avait plus, selon le mot du temps, que les frères allemands, on buvait à l’Allemagne, à la patrie commune ; on chantait en chœur la chanson de Arndt. » Ce sont les chants patriotiques de Körner et de Arndt qui émailleront le drame de Léo Burckart. Après la chute de l’Empire français, le Congrès de Vienne en 1815 transforme la Confédération du Rhin en Confédération germanique, et la place sous l’égide conservatrice, voire réactionnaire, de l’Autriche. Sous l’influence des libéraux allemands, et tout particulièrement des universitaires, les sociétés secrètes nées pendant les guerres de l’Empire telles que le Tugendbund, ou Ligue de Vertu, vont devenir un instrument de résistance politique sous le nom de Ligue teutonique, fondée au lendemain de la fête de la Wartbourg en octobre 1817, puis de Jeune Allemagne. En 1838, c’est de cette situation politique allemande que Nerval choisira de faire le sujet de son drame Léo Burckart et quand il s’exclame au moment de franchir le Rhin : « Teutonia », il n’ignore pas que c’est le cri de ralliement des jeunes Allemands de la Ligue teutonique.

 

DE STRASBOURG À BADEN ET DE BADEN À FRANCFORT

C’est le projet dramaturgique de Léo Burckart qui met Nerval sur la route de l’Allemagne, où il retrouvera Alexandre Dumas qui a promis sa collaboration. Dumas a fait route en compagnie d’Ida Ferrier par la Belgique et est arrivé à Francfort le 27 août. À cette date, Nerval est à Strasbourg. Le 1er septembre, il est à Baden d’où il écrit au directeur du journal Le Messager. Achille Brindeau, qui vient de refuser la proposition que lui a faite Dumas de lui vendre – trop cher – ses « impressions de voyage », a fait l’offre à Nerval qui va donner au Messager quatre articles. Rivalité d’auteur qui contribuera sans doute aux heurts à venir.

 

LES QUATRE LETTRES DE VOYAGE AU MESSAGER

En s’essayant pour la première fois au genre de l’impression de voyage, Nerval le dit nettement à Brindeau dans sa première lettre, il est de ces voyageurs « d’imagination et d’intuition » doués d’une « façon particulière et fantasque de voir et de sentir ». Fantaisiste, au sens britannique du terme, qui redoute plus que tout de ressembler à un guide touristique, Nerval affute sa plume dans la description de Strasbourg qui constitue sa deuxième lettre. La troisième, qui ne sera publiée que le 26 octobre, donc après le retour de Nerval à Paris est consacrée à l’arrivée enchantée à Baden, « décoration merveilleuse, qui semble être la scène arrangée d’une pastorale d’opéra. » C’est bien en effet en termes de décor de théâtre que Nerval évoque son impression de la capitale du duché de Bade : « ces arbres sont découpés, ces maisons sont peintes, ces montagnes sont de vastes toiles tendues sur châssis, le long desquelles les villageois descendent par des praticables, et l’on cherche sur le ciel de fond si quelque tache d’huile ne va pas trahir enfin la main humaine et dissiper l’illusion. » Ce que Nerval ne dit pas, c’est la situation précaire dans laquelle il se trouve : à l’hôtel du Soleil où il est hébergé, il doit déployer des trésors d’ingéniosité pour cacher à l’hôtelier qu’il n’a plus un sou. L’argent qui devait suffire à son voyage s’est envolé aux tables du casino de Baden, et celui qu’il doit recevoir de Paris n’arrive pas. Il va donc devoir faire la navette à pied entre Baden et Strasbourg, où doit lui être adressé l’argent. L’échange de lettres entre Dumas et Nerval durant la première quinzaine de septembre montre que Nerval n’a guère envie de quitter Baden pour rejoindre Dumas à Francfort, mais le manque d’argent va faire loi. C’est finalement à Dumas qu’il va demander du secours dans une lettre datée du 10 septembre qui nous est curieusement parvenue tronquée, soigneusement découpée au ciseau, dans laquelle Nerval a rimé ce dizain « dans le goût Louis XIII » :

En partant de Baden, j’avais d’abord songé
Que par monsieur Hyrvoix, ou par monsieur Hypgé,
Je pourrais, attendant des fortunes meilleures,
Aller prendre ma place au bateau de six heures.
Ce qui m’avait conduit, plein d’un espoir si beau,
De l’hôtel du Soleil à l’hôtel du Corbeau ;
Mais à Strasbourg, le sort ne me fut point prospère,
Hyrvoix fils avait trop compté sur Hyrvoix père…,
Et je repars, pleurant mon destin nompareil,
De l’hôtel du Corbeau pour l’hôtel du Soleil !

 Après avoir tenté d’envoyer à Nerval une lettre de change qui, comme on le voit ici, ne sera pas honorée, Dumas lui adressera, dit-il, une carte de sept de carreau sur laquelle il a collé sept louis d’or qui permettront à Nerval de le rejoindre enfin à Francfort.

 

LES TROIS ARTICLES DE 1840 DANS LA PRESSE

Sachant que Dumas doit publier à sa façon le récit de leur voyage commun en Allemagne dans le journal Le Siècle, Nerval va donner son propre récit dans trois articles publiés dans La Presse en juillet 1840. Nous avons donc aujourd’hui sur le séjour à Francfort et sur le voyage de retour trois regards croisés, celui d’Alexandre Weill, qui était alors le secrétaire de Charles Durand au Journal de Francfort, celui de Dumas, qu’il reprendra dans les Excursions sur les bords du Rhin et refondra dans sa Causerie d’un voyageur publiée bien plus tard, en 1854, dans le journal Le Pays, et celui de Nerval, publié en trois articles dans La Presse en juillet 1840, qui seront partiellement repris dans Lorely. Souvenirs d’Allemagne.

Le premier article de Nerval dans La Presse reprend les deux articles du Messager sur Bade et Lichtenthal publiés un an plus tôt. Le deuxième évoque ses pérégrinations de marcheur sans le sou à travers la Forêt-Noire entre Strasbourg et Baden, son arrivée à Francfort, les soirées données en l’honneur de Dumas, et l’excursion dans le village de Dornshausen, où l’on parle encore le français du XVIIe siècle. Pas un mot en revanche sur les amours de Dumas avec Mme Durand, l’épouse du directeur du Journal de Francfort, au vu et au su d’Ida Ferrier, dont Weill fera longuement le récit.

Dumas et Nerval n’ont passé ensemble qu’une petite semaine à Francfort. Le 22 septembre, ils sont sur le chemin du retour. Le troisième article de La Presse fait le récit du voyage de retour par Mayence, Mannheim et Heidelberg. À Mannheim, le souvenir de l’assassinat du diplomate pro-russe Kotzebue par l’étudiant Carl Sand en 1819 est encore présent dans les mémoires. La personnalité du jeune étudiant allemand nationaliste affilié aux sociétés secrètes a visiblement fasciné Dumas qui lui consacre plusieurs pages de ses Excursions sur les bords du Rhin et un long chapitre de ses Crimes célèbres. Son récit de la rencontre quasi providentielle avec le directeur de la prison qui assista Sand dans les jours qui précédèrent son exécution diffère quelque peu de celui de Nerval. Selon le récit de Dumas, qui occulte d’ailleurs totalement la présence de son compagnon dans cet épisode, le directeur de la prison lui aurait communiqué des cahiers personnels que Sand lui aurait laissés avant de mourir, cahiers que Dumas aurait passionnément recopié durant toute une nuit. Nerval évoque de façon moins investie le souvenir de Sand, le lieu de son exécution, son tombeau, ainsi que celui de Kotzebue. Sans doute Dumas a-t-il pensé à faire de Sand le héros du drame en gestation, mais Nerval en avait une toute autre idée, et cette divergence est une raison, on va le voir, de l’échec de leur collaboration littéraire. À Heidelberg, Nerval et Dumas rendront visite au fils du bourreau qui exécuta Carl Sand, réalité bouleversante que Nerval tente de masquer derrière un apparent intérêt pour la technicité du geste : « Nous nous étions imaginé jusque-là que l’on enlevait la tête fort simplement d’un bon coup de sabre de dragon ou de cimeterre à la turque. L’instrument que nous avions sous les yeux confondait toutes nos idées. Le tranchant était en dedans comme celui d’une serpette, de plus, la lame était creuse et contenait du vif argent, afin que l’élan étant donné au sabre, ce métal, se portant vers la pointe, rendît le coup plus assuré. »

 

RETOUR À PARIS

HEURS ET MALHEURS DU DRAME ALLEMAND

De retour à Paris le 2 octobre, il faut faire face à la réalité : où en est le drame à faire en collaboration ? Pour Dumas, la cause est entendue : « Nous fîmes notre drame dans les conditions que j’ai dites, puis, notre drame fini, nous nous mîmes en route pour revenir en France. » écrira-t-il plus tard dans sa Causerie d’un voyageur. Nerval n’est pas aussi catégorique. Le drame est de grande ampleur, un prologue et cinq actes et a encore besoin d’être travaillé : « J’ai écrit sous vos yeux, ou plutôt pendant que vous dormiez, trois actes de drame en trois nuits, dans votre cabinet. Vous les avez lus le lendemain à Anténor Joly et à Villeneuve avec les trois premiers qui étaient de vous, mon cher Alexandre, car la pièce avait cinq actes et un prologue, vous en souvenez-vous ? » écrit-il à Dumas en 1853. Ainsi, si une première version était bien née de la collaboration avec Dumas, et le témoignage de Georges Bell qui a vu le manuscrit portant l’écriture de Dumas et de Nerval est formel à ce sujet, elle était loin de satisfaire ce dernier.

 

LE PREMIER LÉO BURCKART ET LE THÉÂTRE

DE LA RENAISSANCE

Anténor Joly et Villeneuve, mentionnés par Nerval dans la lettre que nous venons de citer, étaient les deux directeurs du théâtre de la Renaissance qui allait bientôt ouvrir ses portes, petite révolution dans le monde du théâtre parisien dont Dumas et Hugo étaient les artisans. À côté de la Comédie-française et de l’Odéon manquait à Paris une salle dédiée au drame romantique moderne, entendez avant tout aux deux fondateurs, Hugo et Dumas. Le 12 novembre 1836, les deux auteurs avaient obtenu un privilège pour l’ouverture du théâtre de la Renaissance, et convenu que la première représentation serait pour Hugo avec Ruy-Blas, qui eut lieu en effet le 8 novembre 1838. Mais les rivalités, que l’on peut suivre à travers la correspondance de Juliette Drouet désormais en ligne (www.juliettedrouet.org), ne tardèrent pas à se manifester entre Hugo et Dumas, le second reprochant au premier de se tailler la part du lion auprès d’Anténor Joly. Il est probable que Nerval fit les frais de ces dissensions. Léo Burckart, lu devant Anténor Joly, est reçu le 16 novembre, mais le même jour, Dumas et Nerval s’engagent à ne pas exiger la représentation de la pièce au théâtre de la Renaissance. Nerval a-t-il été vraiment déçu de cet échec au théâtre de la Renaissance ? Il semble que non, si l’on en croit le ton très apaisé de sa correspondance, tant à l’égard de Dumas que d’Anténor Joly, et même d’Auguste Maquet, qu’il vient de présenter à Dumas. La vérité est que tout le monde est fort soulagé : Pour Dumas, qui sait qu’aux termes de la convention passée avec Nerval son nom n’apparaîtrait pas comme auteur de Léo Burckart, et qui du reste n’a jamais fait mystère de ses réticences à l’égard du sujet qu’il juge trop sérieux, c’est l’opportunité de travailler à une autre pièce, qu’il signerait, L’Alchimiste, plus propre à assurer un succès. Soulagement également pour Anténor Joly qui, soucieux de ne pas déplaire à un pouvoir auquel il doit son existence, a dû s’inquiéter du sujet politique choisi par Nerval, et la réaction de la censure lui donnera amplement raison. Quant à Nerval, il se trouve désormais libre de remanier son drame tel qu’il le souhaitait, d’en faire, selon ses propres termes, une « refonte totale », et de la donner à Harel, directeur du théâtre de la Porte-Saint-Martin.

 

LE SECOND LÉO BURCKART AU THÉÂTRE

DE LA PORTE-SAINT-MARTIN

Reste à obtenir l’autorisation de la censure. Alors que les répétitions ont déjà commencé à la Porte-Saint-Martin, Nerval dépose son manuscrit au ministère de l’Intérieur le 24 novembre. Le texte, qui comporte toujours un prologue et cinq actes ne présente pas de différence structurelle avec celui qui sera imprimé l’année suivante chez Barba et Desessart. Seul le prologue présente de réelles différences.

Nerval a choisi pour cadre de son drame l’année 1819. L’action se passe à Francfort puis à Weimar dans le duché de Saxe. Léo Burckart est un universitaire, destitué de son poste à Weimar pour avoir publié des articles subversifs. Il vit désormais à Francfort, auprès de son vieux professeur dont il a épousé la fille, Marguerite. Retraite toute provisoire puisque le Prince de Saxe, qui a lu ses écrits, vient contre toute attente lui offrir la possibilité de mettre en œuvre ses idées politiques libérales. Désormais ministre, Léo va faire l’expérience de la réalité du pouvoir. Le premier acte se déroule dans une auberge où des étudiants ont organisé un énorme chahut. Premier accroc à son bel idéal patriotique et libéral qu’incarnent ces étudiants, mais contre lesquels il est pourtant obligé de sévir lorsque la fête est perturbée par un duel. Pire encore, en tant que premier ministre de Saxe, Léo est contraint d’assister au congrès de Carlsbad et de cautionner les mesures de répression qui vont être prises sous l’égide de l’Autriche contre les Universités, les sociétés secrètes et la presse libérale. De retour en Saxe, Léo et le Prince font désormais figure de traîtres à abattre aux yeux des libéraux. Au troisième acte, Léo va recevoir deux dures leçons de cynisme politique, de la part de son secrétaire, l’opportuniste Paulus d’abord, puis du Prince lui-même. Pourtant, malgré son dégoût, Léo, apprenant que les sociétés secrètes ont décidé sa mort et celle du Prince, va accomplir son devoir jusqu’au bout. Il assiste secrètement au quatrième acte à la réunion de la société secrète aux allures de Sainte-Vehme, qui doit voter la mort du Prince. Au terme de cette nuit de cauchemar, sa décision est prise, il quittera la politique et rentrera à Francfort en compagnie de sa douce et fidèle épouse. Seul souvenir peut-être du drame de Carl Sand, Nerval a créé en contrepoint de Léo, un personnage de jeune étudiant, amoureux depuis l’enfance de Marguerite, affilié à la société secrète et tragiquement désigné par elle pour accomplir l’exécution des traîtres. Nouveau Werther, échouant dans la passion et dans l’action, il ne trouvera d’issue que dans le suicide.

Les références de Nerval à l’histoire récente de l’Allemagne, et particulièrement au nationalisme naissant, soutenu par les Universités, les sociétés secrètes et par la presse libérale, entretenu par la commémoration de la victoire de Leipzig chaque année à la Wartbourg, pire encore, la légitimation de la destitution et peut-être du meurtre d’un souverain quand il agit contre l’idéal patriotique de son peuple, ne pouvaient que choquer une censure inféodée au pouvoir de Louis-Philippe. Il est vrai que la réplique : « Les rois s’en vont, je les pousse » déchaîna les applaudissements lors de la représentaion. Au vu du procès-verbal exceptionnellement long de treize pages, couvert de ratures, de reformulations, de notes marginales, on comprend que les délibérations de la commission de censure furent houleuses et passionnées. Néanmoins, le 19 décembre, la conclusion est claire : la pièce ne peut être représentée en l’état. Nerval a raconté dans les Faux Saulniers (5e et 6e livraisons, 31 octobre et 1er novembre 1850) quelles furent ses démarches, et notamment auprès du ministre Montalivet qui donne enfin l’autorisation de faire jouer sa pièce avec ces mots en lui rendant le manuscrit qu’il n’avait pas lu: « Reprenez votre pièce, faites-la jouer et, si elle cause quelque désordre, on la suspendra. » Nerval bénéfia-t-il finalement de quelque protection occulte, celle notamment de Joseph Lingay, sorte d’éminence grise du pouvoir, dont il avait fait la connaissance l’année précédente et par qui il obtiendra une mission semi-officielle à Vienne en octobre 1839 ? En tout état de cause, Nerval a eu accès à des dossiers secrets sur les Illuminés d’Allemagne de l’époque impériale, tant au ministère de l’Intérieur qu’aux Affaires étrangères, et il a tenu à en faire figurer certains dans l’édition de 1839 de Léo Burckart.

La pièce, représentée pour la première fois le 16 avril 1839, eut un succès d’estime. Le « beau drame sérieux » l’était évidemment trop pour le public très mélangé du théâtre de la Porte-Saint-Martin. N’importe, le voyage en Allemagne a donné à Nerval le goût de la terre de Goethe, de Schiller, d’Hoffmann et de Heine et lui a permis de poser des jalons pour son prochain voyage à Vienne. Mais là, il est probable que, dans les salons de l’ambassade de France, Metternich a regardé d’un œil particulièrement attentif le jeune diplomate auteur quelques mois plus tôt d’un drame qui mettait ouvertement en cause le conservatisme de l’Autriche et sa volonté hégémonique sur les États allemands.

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DossierIlluminesAN2a
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Le dossier intitulé: "Illuminés en

Document chiffré (?) conservé dans le dossier précédent, portant le cachet à la cire du Tugenbund.

Lettre adressée de Baden par
Portraits en médaillons  de

Première page du procès verbal de la commission de censure, portant la date du 19 décembre 1838, mais sans signature. Les multiples ratures, reports et notes marginales et la mention au simple crayon bleu du théâtre "Porte St Martin", laissent penser qu'il s'agit d'un brouillon (Archives nationales)

Dossier du théâtre de la Renaissance contenant les arrêtés des privilèges accordés à la nouvelle salle, ainsi que de la correspondance concernant le théâtre (Archives nationales)

Extérieur et intérieur de la salle Ventadour, devenue en 1838 théâtre de la Renaissance. Le bâtiment est occupé aujourd’hui par les services administratifs de la Banque de France.

Le théâtre de la Porte-Saint-Martin vers 1840.

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ChassedeLutzow

La Chasse de Lützov, de Körner, mise en musique par Weber

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Léo Burkart, copie remise à la censure