7 mai 1831 — Profession de foi, dans Le Mercure de France au XIXe siècle, t. XXXIII, p. 242-243, signé M. Personne.

Il est probable que ce « M. Personne » cache une collaboration entre Gautier et Nerval, alors « Castor et Pollux » inséparables, qui partageaient la même désillusion sur les suites de la Révolution de Juillet. Douze vers (« Car la société... noir et gros ») sont transcrits, de la main de Nerval, sur le manuscrit Loliée de Champavert, de Pétrus Borel, où ils servent d’épigraphe.

Au titre de rubrique « Poésie extra-romantique », est attaché la note suivante, signée de la Rédaction de la revue : « Ce titre seul suffirait pour annoncer que les rédacteurs du Mercure sont loin d’accepter la responsabilité et la manière que l’on blâmera sans doute dans ces deux pièces. Mais ces poésies que nous insérons en tête de chaque numéro ne représentent presque jamais notre religion poétique ; c’est aux lecteurs à les juger en premier comme en dernier ressort ; nous accueillons avec la même faveur le pour et le contre, le sublime et le ridicule. » Le second poème, qui fait suite à Profession de foi, est un poème de Ch. Lassailly de même inspiration « fantaisiste » dans sa forme quoique fort politique dans son fond.

Voir la notice LA CAMARADERIE DU PETIT CÉNACLE.

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POÉSIE EXTRA-ROMANTIQUE.

 

PROFESSION DE FOI.

J’aimerais mieux, je crois, manger de la morue,
Du karis à l’indienne, ou de la viande crue,
Et le tout chez Martin, place du Châtelet,
D’où je sors ; j’aimerais mieux, même, s’il fallait,
Travailler à cent sous la colonne au Corsaire,
Ou bien au Figaro, comme un clerc de notaire ;
Ou bien dans la Revue, à raison de cent francs
La feuille in-octavo, petit romain, sur grand
Papier — ou dans la Mode, ou le Globe ou l’Artiste,
Pour rien, — que de m’entendre appeler Philippiste,
Républicain, Carliste, Henriquiste — Chrétien,
Payen, Mahométan ou Saint-Simonien,
Blanc ou noir, tricolore, ou gris, ou vert, ou rose ;
Enfin quoi que ce soit qui croie à quelque chose.
 
C’est qu’il faut être aussi bête à manger du pain
Rentier, homme du jour et non du lendemain,
Garde national, souscripteur, ou poète,
Ou tout autre animal à deux pieds et sans tête,
Pour ne pas réfléchir qu’il n’est au monde rien
Qui vaille seulement les quatre fers d’un chien ;
Que la société n’est qu’un marais fétide,
Dont le fond sans nul doute est seul pur et limpide,
Mais où ce qui se voit de plus sale, de plus
Vénéneux et puant, va toujours par-dessus :
Et c’est une pitié, c’est un vrai fouillis d’herbes
Jaunes, de roseaux secs épanouis en gerbes,
Troncs pourris, champignons fendus et verdissans,
Arbustes épineux croisés dans tous les sens,
Fange verte, mousseuse et grouillante d’insectes,
De crapauds et de vers qui de rides infectes
La sillonnent, le tout parsemé d’animaux
Noyés, et dont le ventre apparaît noir et gros.
Que sais-je encore ?... Il vient de ces momens de crise
Où le marais se gonfle et s’agite et se brise,
Le fond vient par-dessus, clair et battant les bords
Pour creuser une issue et s’épandre au-dehors...
Il se fait étang, lac, torrent — Puis tout se calme
Et redevient marais ; la fin en général me
Paraît toujours la même, et la nature aussi
Des choses montre bien qu’il en doit être ainsi.
 
Cette perception m’est seulement venue
Depuis sept à huit mois, que j’ai vue toute nue
L’allure des partis, — et sur cet autre point
Des croyances, que j’ai connu qu’il n’en est point
De bonne, ni n’en fut — ce que m’a la logique
Des Saint-Simoniens démontré sans réplique,
Et j’y comprends la leur. — Donc, comme j’ai fort bien
Dit plus haut, maintenant, je ne crois plus à rien,
Hormis peut-être à moi ; — c’est bien triste ! et, sans doute,
En venir à ce point est chose qui me coûte ;
J’ai fait ce que j’ai pu, pour qu’errant au hasard
Mon âme autour de moi s’attachât quelque part,
Mais comme la colombe hors de l’arche envoyée,
Elle m’est revenue à chaque fois mouillée,
Traînant l’aile, sentant ses forces s’épuiser.
Et n’ayant pu trouver au monde où se poser !

 

M. PERSONNE.

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