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LE VALOIS DE GÉRARD DE NERVAL

LE TEMPS DES RETOURS EN VALOIS

 

1850, LES FAUX SAULNIERS

Le feuilleton des Faux Saulniers est d’abord le récit d’une enquête : un livre, l’Histoire de l’abbé de Bucquoy, que Nerval a feuilleté lors de son passage à Francfort et dont il a besoin pour nourrir la chronique historique qu’il a promise au directeur du journal Le National, se révèle introuvable à Paris. De fonds de bibliothèques en fonds d’archives, Nerval va finalement tomber sur un document étonnant : le journal intime d’Angélique de Longueval, grand-tante de l’abbé de Bucquoy. Hasard objectif, n’aurait pas manqué de remarquer André Breton : en 1850, la destinée romanesque d’Angélique ramène Nerval au Valois de son enfance, le château des Longueval se situant en effet non loin de Soissons… et de Laffaux, berceau de la famille Laurent. Dans un récit mené au gré des livraisons en feuilleton, qui laisse à la conscience le loisir de la réminiscence au fil des lieux revisités, l’enquête va mener Nerval de Paris à Compiègne et de Compiègne à Senlis (dont chacun reconnaîtra que ce n’est pas le chemin le plus direct pour se rendre à Soissons), puis, sur un trajet d’une vingtaine de kilomètres, à Mont-L’Évêque, Chaalis, Ermenonville, Ver, Othis, Dammartin, lieux de l’enfance, pour s’achever finalement à Soissons.

Tout commence le 29 septembre 1850, par l’annonce aux lecteurs du National de la publication prochaine par Gérard de Nerval de l’histoire de l’abbé de Bucquoy, qui s’intitulera Les Faux Saulniers. Entre le 24 octobre et le 22 décembre 1850, le feuilleton va paraître en effet en vingt-sept livraisons. Mais dès la première livraison, Nerval avoue ses craintes : le tout récent amendement Riancey à la loi sur la liberté de la presse, interdit aux journaux la publication de « romans », mettant le feuilletoniste dans l’obligation de s’en tenir strictement aux données historiques de son sujet. Or sa source historique principale, le livre intitulé Histoire de l’abbé de Bucquoy, qu’il a négligé d’acheter à la foire de Francfort en septembre, se révèle introuvable à Paris. Dès lors, le fil conducteur du récit, qui semblait devoir être une enquête historique sur la vie d’aventurier du fameux prisonnier de la Bastille, se mue en quête du livre qui seul rendrait possible le récit historique de cette enquête. Foisonnants, proliférants, les six premiers feuilletons entrainent le lecteur du National au pas de charge de bibliothèques en librairies et de bouquinistes en fonds d’archives, en un récit constamment interrompu par des digressions à la manière de Jacques le Fataliste de Diderot, ou de Tristram Shandy de Laurence Sterne. Une telle écriture, délibérément fantaisiste, excentrique au sens littéraire de ces épithètes, a évidemment pour but d’appâter le lecteur en retardant d’autant le récit principal tout en lui donnant la garantie — ou l’illusion ? — de l’authenticité de mésaventures notées au jour le jour, mais c’est aussi, par la pratique de l’ellipse, la possibilité de « ne pas dire tout », sur ce retour, conscient ou inconscient, en Valois.

La septième livraison, publiée le 3 novembre, inaugure la séquence valoisienne du périple. Désormais les feuilletons seront présentés comme des lettres adressées par la poste au journal au fur et à mesure de la progression de l’enquête sur le terrain. La première lettre (feuilleton du 3 novembre) est adressée de Compiègne, le « jour de la Toussaint ». Notons que ce passage de Nerval à Compiègne est authentifié par la lettre qu’il adresse également ce jour-là de Compiègne à Auguste Nefftzer, rédacteur au journal La Presse. La rédaction de cette première lettre adressée au National se poursuit « de Senlis, le soir de la Toussaint » dans le même feuilleton, authentifiée cette fois par cette remarque en note sur les lenteurs de la poste : « Avis à la poste. — Cette lettre, mise à la poste de Senlis à dix heures du soir, ne nous est arrivée qu’aujourd’hui à sept heures du soir. » Les lettres suivantes seront adressées de Senlis à nouveau, mais sans date (feuilleton du 15 novembre), puis de La Chapelle-en-Serval, « ce 20 novembre » (feuilleton du 21 novembre), d’Ermenonville, sans date (feuilleton du 22 novembre) et enfin de Ver, sans date (feuilleton du 23 novembre).

Suivons Nerval dans son itinéraire labyrinthique. Convaincu, d’après les informations recueillies à Paris aux Archives nationales qu’à la bibliothèque de Compiègne il peut découvrir des documents relatifs à la « belle aventurière » et sa famille, Nerval se met en route le 31 octobre, arrive le soir à Compiègne. Distraction, acte manqué ? il trouve évidemment porte close à la bibliothèque où il se présente le lendemain, jour férié de la Toussaint. Le voyage n’aura cependant pas été tout à fait vain puisqu’un ami bibliophile lui montre, parmi sa collection d’autographes, un recueil de chansons mises en musique par Rousseau, ce qui lui « donne l’idée de revenir à Paris par Ermenonville ».

Il était aisé, de Compiègne, de se rendre à Soissons, but premier du voyage, par la « route de Paris » (N.31 actuelle) qui longe les bords de l’Aisne, mais il semble que ce premier projet n’ait pas résisté à l’attrait, suscité par le nom de Jean-Jacques Rousseau, de revoir Ermenonville avant de rentrer à Paris, ce qui va tout naturellement amener Nerval à repasser par Senlis. Sur la route de Compiègne à Senlis, en ce tout début de novembre, Nerval est d’abord sensible à la beauté mélancolique des paysages de « cette terre maternelle », qui se composent comme des tableaux d’anciens maîtres flamands, avec des horizons « aux teintes roses ou bleuâtres dans le ciel », « des champs dans le lointain ou sur le premier plan des scènes champêtres ». Plus encore, c’est à Watteau qu’il pense, comme si déjà se composait dans son esprit le chapitre IV de Sylvie :

 Le voyage à Cythère de Watteau a été conçu dans les brumes transparentes et colorées de ce pays. C’est une Cythère calquée sur un îlot de ces étangs créés par les débordements de l’Oise et de l’Aisne, — ces rivières si calmes et si paisibles en été. Le lyrisme de ces observations ne doit pas vous étonner ; — fatigué des querelles vaines et des stériles agitations de Paris, je me repose en revoyant ces campagnes si vertes et si fécondes ; — je reprends des forces sur cette terre maternelle. Quoi qu’on puisse dire philosophiquement, nous tenons au sol par bien des liens. On n’emporte pas les cendres de ses pères à la semelle de ses souliers, — et le plus pauvre garde quelque part un souvenir sacré qui lui rappelle ceux qui l’ont aimé. Religion ou philosophie, tout indique à l’homme ce culte éternel des souvenirs. C’est le jour des Morts que je vous écris ; — pardon de ces idées mélancoliques. Arrivé à Senlis la veille, j’ai passé par les paysages les plus beaux et les plus tristes qu’on puisse voir dans cette saison. La teinte rougeâtre des chênes et des trembles sur le vert foncé des gazons, les troncs blancs des bouleaux se détachant du milieu des bruyères et des broussailles, — et surtout la majestueuse longueur de cette route de Flandre, qui s’élève parfois de façon à vous faire admirer un vaste horizon de forêts brumeuses, — tout cela m’avait porté à la rêverie. 

À Senlis, où il arrive donc très symboliquement « le jour des Morts », on célèbre l’office à la cathédrale et tout près de là, au prieuré, des petites filles chantent et dansent, comme autrefois. « Comme un manuscrit palimpseste dont on fait reparaître les lignes par des procédés chimiques », sa propre enfance valoisienne remonte à sa conscience :

Il est naturel, un jour de fête à Senlis, d’aller voir la cathédrale. Elle est fort belle, et nouvellement restaurée avec l’écusson semé de fleurs de lys qui représente les armes de la ville, et qu’on a eu soin de replacer sur la porte latérale. L’évêque officiait en personne, — et la nef était remplie des notabilités châtelaines et bourgeoises qui se rencontrent encore dans cette localité. En sortant, j’ai pu admirer, sous un rayon de soleil couchant, les vieilles tours des fortifications romaines, à demi démolies et revêtues de lierre. — En passant près du prieuré, j’ai remarqué un groupe de petites filles, qui s’étaient assises sur les marches de la porte. Elles chantaient sous la direction de la plus grande, qui, debout devant elles, frappait des mains en réglant la mesure. « Voyons, mesdemoiselles, recommençons ; les petites ne vont pas !… Je veux entendre cette petite-là qui est à gauche, la première sur la seconde marche : — Allons, chante toute seule. » Et la petite se met à chanter avec une voix faible, mais bien timbrée :

Les canards dans la rivière, etc.

Encore un air avec lequel j’ai été bercé. Les souvenirs d’enfance se ravivent quand on a atteint la moitié de la vie. — C’est comme un manuscrit palimpseste dont on fait reparaître les lignes par des procédés chimiques.

Les petites filles reprirent ensemble une autre chanson, — encore un souvenir :

Trois filles dedans un pré…
Mon cœur vole ! (bis)
Mon cœur vole à votre gré !

Scélérats d’enfants ! dit un brave paysan qui s’était arrêté près de moi à les écouter… Mais vous êtes trop gentilles !… Il faut danser à présent. 

Elles se mettent toutes, — comme on dit chez nous, — à la queue leleu ; puis un jeune garçon prend les mains de la première et la conduit en reculant, pendant que les autres se tiennent les bras, que chacune saisit derrière sa compagne. Cela forme un serpent qui se meut d’abord en spirale et ensuite en cercle, et qui se resserre de plus en plus autour de l’auditeur, obligé d’écouter le chant, et quand la ronde se resserre, d’embrasser les pauvres enfants, qui font cette gracieuseté à l’étranger qui passe. Je n’étais pas un étranger, mais j’étais ému jusqu’aux larmes en reconnaissant, dans ces petites voix, des intonations, des roulades, des finesses d’accent, autrefois entendues, — et qui, des mères aux filles, se conservent les mêmes… La musique, dans cette contrée, n’a pas été gâtée par l’imitation des opéras parisiens, des romances de salon ou des mélodies exécutées par les orgues. On en est encore, à Senlis, à la musique du XVIe siècle, conservée traditionnellement depuis les Médicis. L’époque de Louis XIV a aussi laissé des traces. Il y a, dans les souvenirs des filles de la campagne, des complaintes — d’un mauvais goût ravissant. On trouve là des restes de morceaux d’opéras du XVIe siècle, peut-être, — ou d’oratorios du XVIIe. 

Première de ces variations mélodiques propres à l’écriture nervalienne, la jeune fille qui dirige ici le chœur des petites aura ailleurs un nom, Émerance. En effet, dans un fragment demeuré manuscrit, sur deux feuillets distincts qui pourraient bien être le début d’un chapitre non abouti de Promenades et Souvenirs, Nerval évoque à nouveau à Senlis la scène du choeur enfantin du début des Faux Saulniers. Mais cette fois, la jeune fille qui le dirige, Émerance, n'est pas sans ressembler par bien des côtés à Adrienne, dont le souvenir, nous allons le voir plus loin, est suscité dans la même séquence. Voici le texte de ce fragment autographe :

Au bas de la rue de la Préfecture est une maison devant laquelle je n’ai pu passer sans émotion. Des touffes de houblon et de vigne vierge s’élancent au-dessus du mur ; une porte à claire-voie permet de jeter un coup d’œil sur une cour cultivée en jardin dans sa plus grande partie, qui conduit à un vestibule et à un salon placés au rez-de-chaussée. Là demeurait une belle fille blonde qui s’appelait Émerance. Elle était couturière et vivait avec sa mère, bonne femme qui l’avait beaucoup gâtée et une sœur aînée qu’elle aimait peu, je n’ai jamais su pourquoi. J’étais reçu dans la maison par suite de relations d’affaires qu’avait la mère avec une de mes tantes […]

Un rayon de soleil est venu découper la merveilleuse architecture de la cathédrale mais ce n’est plus le temps des descriptions gothiques, j’aime mieux ne jeter qu’un coup d’œil aux frêles sculptures de la porte latérale qui correspond au prieuré. — Que j’ai vu là de jolies filles autrefois ! L’organiste avait établi tout auprès une classe de chant, et quand les demoiselles en sortaient le soir, les plus jeunes s’arrêtaient pour jouer et chanter sur la place. J’en connaissais une grande, nommée Émerance, qui restait aussi pour surveiller sa petite sœur. J’étais plus jeune qu’elle et elle ne voyait pas d’inconvénient à ce que je l’accompagnasse dans la ville et dans les promenades, d’autant que je n’étais alors qu’un collégien en vacances chez une de mes tantes. — Je n’oublierai jamais le charme de ces soirées. Il y a sur la place un puits surmonté d’une haute armature de fer ; Émerance s’asseyait d’ordinaire sur une pierre basse et se mettait à chanter, ou bien elle organisait les chœurs des petites filles et se mêlait à leurs danses. Il y avait des moments où sa voix était si tendre, où elle-même s’inspirait tellement de quelque ballade langoureuse du pays que nous nous serrions les mains avec une émotion indicible. J’osais quelquefois l’embrasser sur le col, qu’elle avait si blanc, que c’était là une tentation bien naturelle ; quelquefois elle s’en défendait et se levait d’un air fâché.

J’avais à cette époque la tête tellement pleine de romans à teinte germanique que je conçus pour elle la passion la plus insensée ; ce qui me piquait surtout c’est qu’elle avait l’air de me regarder comme un enfant peu compromettant sans doute. L’année suivante, je fis tout pour me donner un air d’homme et je parus avec des moustaches, ce qui était encore assez nouveau dans la province pour un jeune homme de l’ordre civil. 

La scène des petites filles chantant et dansant au prieuré en ce jour de Toussaint l’émeut, dit-il « jusqu’aux larmes ». C’est qu’elle a fait remonter, selon une harmonique très proustienne, le souvenir plus secret de celle qui porte ici le nom de Delphine, et portera dans Sylvie celui d’Adrienne, dans un épisode qui se déroulera non plus à Senlis, mais à Chaalis :

J’ai assisté autrefois à une représentation donnée à Senlis dans une pension de demoiselles. On jouait un mystère, — comme aux temps passés. — La vie du Christ avait été représentée dans tous ses détails, et la scène dont je me souviens était celle où l’on attendait la descente du Christ dans les enfers.

Une très belle fille blonde parut avec une robe blanche, une coiffure de perles, une auréole et une épée dorée, sur un demi-globe, qui figurait un astre éteint.

Elle chantait :

Anges ! descendez promptement,
Au fond du purgatoire !…

Et elle parlait de la gloire du Messie, qui allait visiter ces sombres lieux. — Elle ajoutait :

Vous le verrez distinctement
Avec une couronne…
Assis dessus un trône !

Ceci se passait dans une époque monarchique. La demoiselle blonde était d’une des plus grandes familles du pays et s’appelait Delphine. — Je n’oublierai jamais ce nom. 

Dans un Valois désormais totalement investi par les souvenirs d’enfance, Nerval va faire à pied le trajet de Senlis à Ermenonville en compagnie de Sylvain, présenté comme un ami d’enfance dont la rencontre à Senlis semble aller de soi. La première étape (4 kms) les mène à Mont-L’Évêque. La route est l’occasion d’évoquer des souvenirs d’enfance, en particulier celui de la noyade du petit Parisien. L’épisode, suggéré ici sur le mode mineur, reparaîtra dans Sylvie, puis dans Promenades et Souvenirs, où Sylvie, devenue Célénie, prendra la dimension fabuleuse de la « nixe germanique », ou de « Velléda ».

À l’auberge de Mont-L’Évêque, l’hôtesse est bien informée :

Nous avions parcouru une route qui aboutit aux bois et au château de Mont-l‘Évêque […]

On buvait dans le village un petit vin qui n’était pas désagréable pour des voyageurs. L’hôtesse nous dit, voyant nos barbes : — Vous êtes des artistes… vous venez donc pour voir Chaalis ?

Chaalis, — à ce nom je me ressouvins d’une époque bien éloignée… celle où l’on me conduisait à l’abbaye, une fois par an, pour entendre la messe, et pour voir la foire qui avait lieu près de là.

— Chaalis, dis-je… Est-ce que cela existe encore ? 

— Mais mon enfant, on a vendu le château, l’abbaye, les ruines, tout ! Seulement, ce n’est pas à des personnes qui voudraient les détruire… Ce sont des gens de Paris qui ont acheté le domaine, — et qui veulent faire des réparations. La dame a déclaré qu’elle dépenserait quatre cent mille francs ! 

Suscitée par cette allusion à l’abbaye, la deuxième étape (environ 5 kms) mène Nerval et Sylvain à Chaalis, qu’ils vont visiter sous la conduite du fils du garde du domaine, avant que sa nouvelle propriétaire ne commence les travaux de restauration. Le domaine de Chaalis venait en effet d’être acheté tout récemment, le 2 juillet 1850, par Rose Paméla Hainguerlot, épouse d’Alphée Bourdon de Vatry. La visite que font ici Nerval et Sylvain, qui trouvera son écho onirique dans Sylvie, est pour l’heure essentiellement touristique et érudite. Elle commence par la partie XVIIIe siècle :

 Nous sommes allés à Chaalis pour voir en détail le domaine, avant qu’il soit restauré. Il y a d’abord une vaste enceinte entourée d’ormes ; puis, on voit à gauche un bâtiment dans le style du XVIe siècle, restauré sans doute plus tard selon l’architecture lourde du petit château de Chantilly.

Quand on a vu les offices et les cuisines, l’escalier suspendu du temps de Henri vous conduit aux vastes appartements des premières galeries, — grands appartements et petits appartements donnant sur les bois. Quelques peintures enchâssées, le grand Condé à cheval et des vues de la forêt, voilà tout ce que j’ai remarqué. Dans une salle basse, on voit un portrait de Henri IV à trente-cinq ans. 

La visite se poursuit par les ruines de l’abbaye. Une sépulture apparemment mise au jour récemment, est l’occasion d’amorcer une rêverie sur le passé le plus ancien, celte ou franc, de la région :

C’était le fils du garde qui nous faisait voir le château, — abandonné depuis longtemps. — C’est un homme qui, sans être lettré, comprend le respect qu’on doit aux antiquités. Il nous fit voir dans une des salles un moine qu’il avait découvert dans les ruines. À voir ce squelette couché dans une auge de pierre, j’imaginai que ce n’était pas un moine, mais un guerrier celte ou franc couché selon l’usage, — avec le visage tourné vers l’Orient dans cette localité, où les noms d’Erman ou d’Armen* sont communs dans le voisinage, sans parler même d’Ermenonville, située près de là, — et que l’on appelle dans le pays Arme-Nonville ou Nonval, qui est le terme ancien […]

Les ruines de l’église abbatiale et du cloître, dont les ogives ont été murées sont l’occasion pour Nerval de donner son avis pour la restauration, conseil qui fut apparemment suivi, puisqu’aujourd’hui l’une des ogives est ouverte : « — On veut, nous dit le fils du garde, abattre le mur du cloître pour que, du château, l’on puisse avoir une vue sur les étangs. C’est un conseil qui a été donné à Madame.

— Il faut conseiller, dis-je, à votre dame de faire ouvrir seulement les arcs des ogives qu’on a remplis de maçonnerie, et alors la galerie se découpera sur les étangs, ce qui sera beaucoup plus gracieux.

Il a promis de s’en souvenir. 

* Hermann, Arminius, ou peut-être Hermès. [note de Nerval]

Enfin, la visite se termine par la chapelle gothique décorée de fresques commandées au Primatice par le cardinal Hippolyte d’Este, qui avait reçu l’abbaye de Chaalis en commende en 1541. Au-dessus de la porte d’entrée se trouve la grande fresque de l’Annonciation, dont les anges ressemblent en effet à des amours à l’antique :

Nous redescendîmes pour voir la chapelle ; c’est une merveille d’architecture. L’élancement des piliers et des nervures, l’ornement sobre et fin des détails, révélaient l’époque intermédiaire entre le gothique fleuri et la Renaissance. Mais, une fois entrés, nous admirâmes les peintures, — qui m’ont semblé être de cette dernière époque.

— Vous allez voir des saintes un peu décolletées, nous dit le fils du garde. En effet, on distinguait une sorte de Gloire peinte en fresque du côté de la porte, parfaitement conservée malgré ses couleurs pâlies, sauf la partie inférieure couverte de peintures à la détrempe, — mais qu’il ne sera pas difficile de restaurer.

Les bons moines de Chaalis auraient voulu supprimer quelques nudités trop voyantes du style Médicis. — En effet, tous ces anges et toutes ces saintes faisaient l’effet d’amours et de nymphes aux gorges et aux cuisses nues. L’absyde de la chapelle offre dans les intervalles de ses nervures d’autres figures mieux conservées encore et du style allégorique usité postérieurement à Louis XII. — En nous retournant pour sortir nous remarquâmes au-dessus de la porte des armoiries qui devaient indiquer l’époque des dernières ornementations.

Il nous fut difficile de distinguer les détails de l’écusson écartelé qui avait été repeint postérieurement en bleu et en blanc. Au 1 et au 4, c’étaient d’abord des oiseaux que le fils du garde appelait des cygnes, — disposés par 2 et 1 ; — mais ce n’étaient pas des cygnes.

Sont-ce des aigles éployés, des merlettes ou des alérions ou des ailettes attachées à des foudres ?

Aux 2 et 3, ce sont des fers de lance, ou des fleurs de lys, ce qui est la même chose. Un chapeau de cardinal recouvrait l’écusson et laissait tomber des deux côtés ses résilles triangulaires ornées de glands ; mais n’en pouvant compter les rangées, parce que la pierre était fruste, nous ignorions si ce n’était pas un chapeau d’abbé.

Je n’ai pas de livres ici. Mais il me semble que ce sont là les armes de Lorraine, écartelées de celles de France. Seraient-ce les armes du cardinal de Lorraine, qui fut proclamé roi dans ce pays, sous le nom de Charles X, ou celles de l’autre cardinal, qui aussi était soutenu par la Ligue ?… Je m’y perds, n’étant encore, je le reconnais, qu’un bien faible historien… 

La troisième étape (4,5 kms) est Ermenonville, que l’on pouvait atteindre facilement à pied à l’époque de Nerval en passant à travers la forêt le long de la Nonette jusqu’au lac du Désert :

En quittant Chaalis, il y a encore à traverser quelques bouquets de bois, puis nous entrons dans le désert. Il y a là assez de désert pour que, du centre, on ne voie point d’autre horizon, pas assez pour qu’en une demi-heure de marche on n’arrive au paysage le plus calme, le plus charmant du monde… Une nature suisse découpée au milieu du bois, par suite de l’idée qu’a eue René de Girardin d’y transplanter l’image du pays dont sa famille était originaire. 

Avant même le souvenir de Rousseau, c’est celui des Illuminés qui est évoqué : Cagliostro, Cazotte, Mesmer, le comte de Saint-Germain, tous adeptes de la philosophie mystique, qui se réunirent à Ermenonville et à Mortefontaine dans les années précédant la Révolution :

Quelques années avant la Révolution, le château d’Ermenonville était le rendez-vous des Illuminés qui préparaient silencieusement l’avenir. Dans les soupers célèbres d’Ermenonville, on a vu successivement le comte de Saint-Germain, Mesmer et Cagliostro, développant, dans des causeries inspirées, des idées et des paradoxes, dont l’école dite de Genève hérita plus tard. — Je crois bien que M. de Robespierre, le fils du fondateur de la loge écossaise d’Arras, — tout jeune encore, — peut-être encore plus tard Senancour, Saint-Martin, Dupont de Nemours et Cazotte, vinrent exposer, soit dans ce château, soit dans celui de Le Pelletier de Mortefontaine, les idées bizarres qui se proposaient les réformes d’une société vieillie, — laquelle dans ses modes mêmes, avec cette poudre qui donnait aux plus jeunes fronts un faux air de vieillesse, — indiquait la nécessité d’une complète transformation.

Saint-Germain appartient à une époque antérieure, mais il est venu là. — C’est lui qui avait fait voir à Louis XV dans un miroir d’acier son petit-fils sans tête, comme Nostradamus avait fait voir à Marie de Médicis les rois de sa race, — dont le quatrième était également décapité.

Nerval a déjà beaucoup travaillé sur les Illuminés d’Allemagne et de France. En 1838, il a mené des recherches approfondies sur l’illuminisme bavarois en préparant son drame de Léo Burckart. En avril 1845, il donne une longue étude sur Cazotte, en introduction au Diable amoureux, qu’il intégrera aux Illuminés en 1852. En 1849, il publie dans Le Diable rouge, Almanach cabalistique pour 1850, une étude sur Cagliostro, en deux parties intitulées Doctrine des génies, puis Du mysticisme révolutionnaire, dans laquelle il évoque explicitement la présence du comte de Saint-Germain et de Cagliostro à Ermenonville : « C’est rue Plâtrière, à Paris, et aussi à Ermenonville, que se tenaient les séances où le comte de Saint-Germain développait ses théories. » Cette étude sera également intégrée aux Illuminés. Du reste, au moment où il parcourt le Valois, Nerval est en train de publier sous le titre des Confidences de Nicolas la biographie de Restif de la Bretonne (août-septembre 1850, dans la Revue des Deux Mondes). Dans la troisième partie (livraison du 15 septembre 1850) il montre Restif accueilli dans divers salons, dont celui de Louis Le Peletier :

Cependant un autre ami riche, nommé Bultel-Dumont, remplaça pour lui Mairobert. Restif fut introduit par ce dernier patron dans une sorte de société intermédiaire où se rencontraient la haute bourgeoisie, la robe, la littérature et quelque peu de la noblesse. Robé, Rivarol, Goldoni, Caraccioli, — des acteurs, des artistes, — le duc de Gèvres, Préval, Pelletier de Mortefontaine, tel était le côté brillant de cette société, avide de lectures, de philosophies, de paradoxes, de bons mots et d’anecdotes piquantes. Les salons de Dumont, de Préval et de Pelletier s’ouvraient tour à tour à ce public d’intimes.

Nerval est donc particulièrement bien informé sur cette période prérévolutionnaire à Ermenonville et Mortefontaine, dont l’évocation provoque en lui une forte émotion : « Les souvenirs des lieux où je suis m’oppressent moi-même » dit-il. Angoisse suscitée par l’évocation de phénomènes supranaturels ou par la remontée à la conscience du souvenir personnel, lié à la première jeunesse, du grenier de la maison de l’oncle Boucher où furent relégués les livres inspirés par cette philosophie mystique, devenus là la proie des rats et des infiltrations d’eau, tels qu’ils les évoque dans la courte introduction aux Illuminés intitulée « La bibliothèque de mon oncle » ?

Du coup, le « pèlerinage » prévu au cénotaphe de Rousseau est remis au lendemain et les deux promeneurs se contentent de jeter un coup d’œil sur le pavillon qu’occupa Rousseau « de l'autre côté du château » et où il mourut, avant de faire étape en face à l’hôtel de la Croix blanche :

Nous sommes allés descendre à l’auberge de la Croix-Blanche, où il demeura lui-même quelques temps à son arrivée. Ensuite, il logea encore de l’autre côté du château, dans une maison occupée aujourd’hui par un épicier. — M. René de Girardin lui offrit un pavillon inoccupé, faisant face à un autre pavillon qu’occupait le concierge du Château. — Ce fut là qu’il mourut.

On se souvient que l’objectif de Nerval est de se rendre à Soissons, et de là au château de la famille de Longueval. Pourquoi, dès lors, continuer de cheminer vers le Sud, en direction de Dammartin ? Nerval a déjà répondu : « On ne peut parvenir à Ermenonville, ni s’en éloigner, sans faire au moins trois lieues à pied. » Soit, mais quitte à marcher, il suffit de regarder une carte pour voir qu’il était plus simple de se rendre d’Ermenonville vers l’Est, à Nanteuil-le-Haudoin d’où la route était directe vers Soissons, plutôt que vers le Sud à Dammartin. Ici encore, l’attrait des lieux chers au souvenir a pris le dessus.

La dernière lettre adressée au journal Le National, datée d’Ermenonville, fait le récit de la fin du périple valoisien. Ayant passé la nuit à l’hôtel de la Croix blanche à Ermenonville, les deux promeneurs vont consacrer la matinée à parcourir la partie Sud du parc d’Ermenonville et le Désert, en repérant les vers gravés sur les rochers :

En nous levant, nous allâmes parcourir les bois encore enveloppés des brouillards d’automne, — que peu à peu nous vîmes se dissoudre en laissant reparaître le miroir azuré des lacs. — J’ai vu de pareils effets de perspectives sur des tabatières du temps… : — l’île des Peupliers, au-delà des bassins qui surmontent une grotte factice, sur laquelle l’eau tombe, — quand elle tombe… — Sa description pourrait se lire dans les idylles de Gessner.

Les rochers qu’on rencontre en parcourant les bois sont couverts d’inscriptions poétiques. Ici :

Sa masse indestructible a fatigué le temps.

Ailleurs :

Ce lieu sert de théâtre aux courses valeureuses
Qui signalent du cerf les fureurs amoureuses.

Ou encore avec un bas-relief représentant des druides qui coupent le gui :

Tels furent nos aïeux dans leurs bois solitaires !

Ces vers ronflants me semblent être de Roucher… — Delille les aurait faits moins solides.

M. René de Girardin faisait aussi des vers. — C’était en outre un homme de bien. Je pense qu’on lui doit les vers suivants sculptés sur une fontaine d’un endroit voisin, que surmontaient un Neptune et une Amphitrite, — légèrement décolletés, comme les anges et les saints de Chaalis :

Des bords fleuris où j’aimais à répandre
Le pur cristal des mes eaux,
Passant, je viens ici me rendre
Aux désirs, aux besoins de l’homme et des troupeaux.
En puissant les trésors de mon urne féconde,
Songe que tu les dois à des soins bienfaisans,
Puissé-je n’abreuver du tribut de mes ondes
Que des mortels paisibles et contens ! 

Parmi ces citations, deux n’appartiennent pas au parc d’Ermenonville, mais au Grand Parc (le vers de Delille : « Sa masse indestructible… ») et à la fontaine du village de Mortefontaine (les vers de René de Girardin). Nerval, qui connaît évidemment parfaitement les uns et les autres semble ici encore n’avoir pas voulu « dire tout » de ces lieux trop chargés de souvenirs d’enfance authentiques.

Pris par les souvenirs d’un temps où l’influence de René de Girardin se faisait partout sentir à Ermenonville, Nerval passe auprès du Rond de la danse et du tir à l’arc de son enfance, devant l’île des peupliers et le tombeau de Rousseau, lieux qui n’ont guère changé et qui donnent maintenant à Nerval une impression de perte et d’absence : 

L’influence de son séjour est profondément sentie dans le pays. — Là, ce sont des salles de danse, — où l’on remarque encore le banc des vieillards ; là, des tirs à l’arc, avec la tribune d’où l’on distribuait les prix… Au bord des eaux, des temples ronds, à colonnes de marbre, consacrés soit à Vénus génitrice, soit à Hermès consolateur. — Toute cette mythologie avait alors un sens philosophique et profond. 

La tombe de Rousseau est restée telle qu’elle était, avec sa forme antique et simple, et les peupliers, effeuillés accompagnent encore d’une manière pittoresque le monument qui se reflète dans les eaux dormantes de l’étang. Seulement la barque qui y conduisait les visiteurs est aujourd’hui submergée…

On aura noté au passage le pluriel « des temples ronds » et les dédicaces à Vénus et Hermès qui ne renvoient évidemment pas au temple de la philosophie que nous connaissons aujourd’hui et ne sont pas mentionnés dans les documents contemporains de René de Girardin (Promenades et itinéraires des jardins d’Ermenonville, 1788), ni dans l’iconographie d’Ermenonville (série de gravures aquarellées des Vues pittoresques, plans, &c des principaux jardins anglois qui sont en France. Ermenonville, sans date, probablement de 1788.

Revenus au château, qu’ils ne peuvent visiter puisque le propriétaire y réside, les deux promeneurs devront se contenter de parcourir la partie Nord du parc que longe la Launette, en compagnie d’un paysan dont les raccourcis historiques ravissent Nerval :

Nous sommes revenus au château. — C’est encore un bâtiment de l’époque de Henri IV, refait vers Louis XIV et construit probablement sur des ruines antérieures, — car on a conservé une tour crénelée qui jure avec le reste, et les fondements massifs sont entourés d’eau, avec des poternes et des restes de ponts-levis.

Le concierge ne nous a pas permis de visiter les appartements, parce que les maîtres y résidaient. — Les artistes ont plus de bonheur dans les châteaux princiers, dont les hôtes sentent qu’après tout, ils doivent quelque chose à la nation.

On nous laissa seulement parcourir les bords du grand lac, dont la vue, à gauche, est dominée par la tour dite de Gabrielle, reste d’un ancien château. Un paysan qui nous accompagnait nous dit : — Voici la tour où était enfermée la belle Gabrielle… tous les soirs Rousseau venait pincer de la guitare sous sa fenêtre, et le roi, qui était jaloux, le guettait souvent, et a fini par le faire mourir.

Voilà pourtant comment se forment les légendes. Dans quelques centaines d’années, on croira cela. — Henri IV, Gabrielle et Rousseau sont les grands souvenirs du pays. On a confondu déjà, – à deux cents ans d’intervalle, — les deux souvenirs, et Rousseau devient peu à peu le contemporain de Henri IV. 

Représentation symbolique de la difficulté à cheminer temporellement vers l’enfance valoisienne, la dernière étape de la randonnée, d’Ermenonville à Dammartin (9 kms), se révèle particulièrement laborieuse. Est-ce un hasard si, en quittant Ermenonville, Nerval se trompe et prend la direction de Montaby, donc de Mortefontaine, qui lui était familière au temps de son enfance, au lieu de prendre celle de Ver ? Sur ce chemin pourtant familier depuis l’enfance, de Ver, d’Ève et d’Othis, Gérard et Sylvain s’égarent, comme subissant la sourde hostilité de la nature et des hommes : mal orientés à la sortie d’Ermenonville par de « fallacieuses » lavandières, ils croisent ensuite le propriétaire du château d’Ermenonville Ernest de Girardin et son régisseur sans recevoir le moindre salut, puis s’égarent, s’empêtrant dans la boue et les chardons. Curieusement, en 1852, dans Les Nuits d’octobre, Nerval sera empêché par de multiples obstacles de parcourir ce même chemin. Très symboliquement aussi, il y aura un autre égarement du narrateur, nocturne celui-là, au chapitre V de Sylvie, préludant à l’égarement onirique d’Aurélia (I, 6) dont on verra qu’il est largement inspiré par le site de Mortefontaine : « […] je marchais péniblement à travers les ronces, comme pour saisir l’ombre agrandie qui m’échappait, mais je me heurtai à un pan de mur dégradé » Pour l’heure, c’est seulement l’occasion de se donner du courage en évoquant les chansons de l’enfance :

Sylvain me dit : “Nous avons vu la tombe de Rousseau : il faudrait maintenant gagner Dammartin, où nous trouverons des voitures pour nous mener à Soissons, et de là, à Longueval. Nous allons nous informer du chemin aux laveuses qui travaillent devant le château.” […] La route était fort dégradée, avec des ornières pleines d’eau, qu’il fallait éviter en marchant sur les gazons. D’énormes chardons, qui nous venaient à la poitrine, — chardons à demi-gelés, mais encore vivaces, — nous arrêtaient quelquefois.

Ayant fait une lieue, nous comprîmes que ne voyant ni Ver, ni Eve, ni Othys, ni seulement la plaine, nous pouvions nous être fourvoyés.

Une éclaircie se manifesta tout à coup à notre droite, quelqu’un de ces coupes sombres qui éclaircissent singulièrement les forêts…

Nous aperçûmes une hutte fortement construite en branches rechampies de terre, avec un toit de chaume tout à fait primitif. Un bûcheron fumait sa pipe devant la porte. — Pour aller à Ver ?… — Vous en êtes bien loin… En suivant la route, vous arriverez à Montaby. — Nous demandons Ver, ou Ève… — Eh bien ! vous allez retourner… vous ferez une demi-lieue (on peut traduire cela si l’on veut en mètres, à cause de la loi), puis, arrivés à la place où l’on tire l’arc, vous prendrez à droite. Vous sortirez du bois, vous trouverez la plaine, et ensuite tout le monde vous indiquera Ver […] Nous chantions encore, pour aider la marche et peupler la solitude, une chanson du pays qui a dû bien des fois réjouir les compagnons […] Au sortir de la forêt, nous nous sommes trouvés dans les terres labourées. Nous emportions beaucoup de terre à la semelle de nos souliers ; — mais nous finissions par la rendre plus loin dans les prairies… Enfin, nous sommes arrivés à Ver. 

À Ver, ce soir-là, chez l’hôtesse qui les accueille par un affectueux : « Vous voilà, mes enfants », Sylvain lit à Nerval le scénario d’un drame sur la mort de Rousseau qu’il a composé. Ce scénario, attribué ici à Sylvain, est mentionné par Nerval dans le rojet d’« Œuvres complètes » que Nerval a rédigé peu avant sa mort et qu’il a remis à Paul Lacroix, sous ce même titre de « La Mort de Rousseau ».

Sylvain fera compagnie jusqu’à Dammartin avant de retourner « dans son pays », tandis que Nerval poursuit sa route vers Soissons et le château de la belle Angélique de Longueval : 

 Le but de ma tournée est atteint maintenant. La diligence de Soissons à Reims m’a conduit à Braine. Une heure après, j’ai pu gagner Longueval, le berceau des Bucquoy. Voilà donc le séjour de la belle Angélique et le château-chef de son père, qui paraît en avoir eu autant que son aïeul, le grand comte de Bucquoy, a pu en conquérir dans les guerres de Bohême. — Les tours sont rasées, comme à Dammartin. Cependant les souterrains existent encore. L’emplacement qui domine le village, situé dans une gorge allongée, a été couvert de constructions depuis sept ou huit ans, époque où les ruines ont été vendues. Empreint suffisamment de ces souvenirs de localité qui peuvent donner de l’attrait à une composition romanesque, — et qui ne sont pas inutiles au point de vue positif de l’histoire, j’ai gagné Château-Thierry, où l’on aime à saluer la statue rêveuse du bon La Fontaine, placée au bord de la Marne, et en vue du chemin de fer de Strasbourg. 

Ainsi, en juillet 1850, publier en feuilleton l’histoire de l’aventurier comte abbé de Bucquoy, dont le nom résonne étrangement en lui comme un souvenir d’enfance, va « autoriser » Nerval à faire un premier voyage de reconnaissance en Valois. La démarche consciente de l’historien va laisser place aux affects, et la conscience, aimantée par le désir refoulé de revenir au paradis perdu de l’enfance, va progressivement orienter le voyageur vers l’espace géographique aimé : le « hasard » d’un manuscrit de Rousseau induit le désir d’un « pèlerinage » à Ermenonville avant de rentrer à Paris. D’Ermenonville, il faut passer par Senlis, et, à partir de là, la rencontre « fortuite » avec un compagnon d’enfance va induire, contre toute logique géographique, le passage par Ver et Dammartin, avec l’égarement du côté de Mortefontaine, allusivement présent par les vers de sa fontaine et de son Grand Parc, direction prise « par erreur » au sortir d’Ermenonville. Le village de la petite enfance se trouve donc effleuré, suggéré, sans qu’il soit possible de le revoir effectivement, de crainte peut-être, de le retrouver mutilé, comme le dira la lettre à Jules Simon du 18 août 1852. Et il est bien vrai qu’en 1850, la maison de l’oncle Boucher à Mortefontaine, habitée alors par son « double » Antoine Narcisse Boucher, est désormais mutilée et méconnaissable.

 

Le temps des retours en Valois, Les Nuits d'octobre >>>

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LesFauxSaulniers
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Senlis
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Mont-L'Évêque, le château au pied
"les vieilles tours des fortifications

L'itinéraire suivi par Nerval et Sylvain depuis Senlis jusqu'à Dammartin. Carte d'état-major de 1820 (voir aussi la carte du Valois nervalien)

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Chaalis, dessin de Cicéri, 1860. On voit encore les murs d'enceinte de l'abbaye

Chaalis, le château XVIIIe siècle et la galerie du rez-de-chaussée tels que Nerval les a vus, aujourd'hui occupés par le musée.

Le feuilleton des Faux Saulniers publié dans le journal Le National à partir du 24 octobre 1850

"Le grand Condé à cheval" du musée de Chaalis.

Chaalis, les "arcs des ogives qu'on a remplis de maçonnerie" du mur du cloître.

Chaalis, la chapelle et les ruines de l'abbaye.

Chaalis, les "saintes un peu décolletées" du Primatice, dans la chapelle.

Chaalis, les armes de Lorraine

La fontaine de Mortefontaine dans son état actuel, avec les vers de René de Girardin.

Le tombeau de J. J. Rousseau par Hubert-Robert

La tour de Gabrielle, aquarelle du XIXe siècle

L'aspect du château d'Ermenonville sous l'Empire, avec sa "tour crénelée qui jure avec le reste".

La "chaussée" d'Ermenonville, hier et aujourd'hui

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Chaalis, les ruines de l'abbaye aujourd'hui

Le grand rocher portant l'inscription : "Sa masse indestructible a fatigué le temps" n'est pas dans le parc d'Ermenonville, mais dans celui de Mortefontaine (aujourd'hui domaine de Vallière)

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Le cénotaphe de J. J. Rousseau aujourd'hui

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la cathédrale de Senlis et "l'écusson semé de fleurs de lys" de la porte latérale

Watteau

Le Voyage à Cythère de Watteau...

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et les étangs brumeux d'Ermenonville

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Chaalis, la chapelle et le musée aujourd'hui

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Illustrations de Cazotte publié en 1845, souper à Ermenonville et portrait du comte de Saint-Germain légendé: "pour savoir ce qu'il est, il faut être lui-même" En 1853-1854, Nerval commence un récit intitulé Le Comte de Saint-Germain, demeuré inachevé.

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Les bords du lac du château d'Ermenonville aujourd'hui

SENLIS

MONT L'ÉVÊQUE

CHAALIS

ERMENONVILLE

Le château aujourd'hui

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Les armoiries de la maison d'Este peintes à l'intérieur de la chapelle et sculptées sur le mur d'enceinte de Serlio qui clôt le jardin, blason que Nerval décrit en le confondant avec celui de Lorraine

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