11 décembre 1830 — A Victor Hugo. Les Doctrinaires, dans l’Almanach des Muses pour 1831, p. 83-86, signé Gérard, avec la date du 16 octobre 1830.
Dans l’esprit du Peuple, publié le 14 août, Nerval célèbre ici le souvenir enthousiaste des Trois Glorieuses, mais manifeste aussi sa colère contre la révolution populaire confisquée par le retour à la monarchie, fût-elle celle du « roi citoyen »
Voir la notice LA CAMARADERIE DU PETIT CÉNACLE.
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A VICTOR HUGO.
LES DOCTRINAIRES.
I.
- Oh ! le vingt-huit juillet, quand les couleurs chéries
- Joyeuses, voltigeaient sur les toits endormis,
- Après que dans le Louvre et dans les Tuileries
- On eut traqué les ennemis !
- Le plus fort était fait : que cette nuit fut belle !
- Près du retranchement par nos mains élevé,
- Combien nous étions fiers de faire sentinelle
- En foulant le sol dépavé !
-
- O ! nuit d’indépendance, et de gloire, et de fête !
- Rien au-dessus de nous ! pas un gouvernement
- N’osait encor montrer la tête !
- Comme on se sentait fort dans un pareil moment !...
- Que de gloire ! que d’espérance !
- On était d’une taille immense,
- Et l’on respirait largement !
II.
- Ce n’est point la licence, hélas ! que je demande :
- Mais si quelqu’un alors nous eût dit que bientôt
- Cette liberté-là qui naissait toute grande,
- On la remettrait au maillot !
- Que des ministres rétrogrades,
- Habitans de palais encore mal lavés
- Du pur sang de nos camarades,
- Ne verraient dans les barricades
- Qu’un dérangement de pavés !
-
- Ils n’étaient donc point là, ces hommes qui, peut-être
- Apôtres en secret d’un pouvoir détesté,
- Ont en vain renié leur maître
- Depuis que le coq a chanté !...
- Ils n’ont point vu sous la mitraille
- Marcher les rangs vengeurs d’un peuple désarmé...
- Au feu de l’ardente bataille
- Leur œil ne s’est point allumé !
III.
- Quoi ! l’étranger, riant de tant de gloire vaine,
- De tant d’espoir anéanti,
- Quand nous lui parlerons de la grande semaine,
- Dirait : vous en avez menti ! —
- Le tout à cause d’eux ! Au point où nous en sommes,
- Du despotisme encore... oh non
- A bas ! à bas ! les petits hommes !
- Nous avons eu Napoléon.
-
- Petits ! — Tu l’as bien dit, Victor, lorsque du Corse
- Ta voix leur évoquait le spectre redouté,
- Montrant qu’il n’est donné qu’aux hommes de sa force
- De violer la liberté :
- C’est le dernier ! On peut prédire
- Que jamais nul pouvoir humain
- Ne saura remuer ce globe de l’empire
- Qu’il emprisonnait dans sa main !
IV.
- Et quand tout sera fait, que la France indignée
- Aura bien secoué les toiles d’araignée
- Que des fous veulent tendre encor ; —
- Ne nous le chante plus, Victor,
- Lui que nous aimons tant, hélas ! malgré ses crimes,
- Qui sont, par une vaine et froide majesté,
- D’avoir répudié deux épouses sublimes,
- Joséphine et la liberté !
-
- Mais chante-nous un hymne universel, immense,
- Qui par France, Belgique, et Castille commence...
- Hymne national pour toute nation !
- Que seule à celui-là la liberté t’inspire !...
- Que chaque révolution
- Tende une corde de ta lyre !
GÉRARD
16 octobre 1830.
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