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28 novembre 1827 – La Bibliographie de la France enregistre la publication de Faust, tragédie de Goethe, nouvelle traduction complète en prose et en vers, par Gérard, chez Dondey-Dupré.

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FAUST

PREMIÈRE PARTIE (suite)

 

CABINET D’ÉTUDE

Faust, entrant avec le barbet

J’ai quitté les champs et les prairies qu’une nuit profonde environne. Je sens une religieuse horreur éveiller, par des pressentiments, la meilleure de mes deux âmes. Les grossières sensations s’endorment avec leur activité orageuse ; je suis animé d’un amour ardent des hommes et l’amour de Dieu me ravit aussi.

Sois tranquille, barbet, ne cours pas çà et là auprès de la porte ; qu’y flaires-tu ? Va te coucher derrière le poële ; je te donnerai mon meilleur coussin ; puisque là-bas sur le chemin de la montagne, tu nous as recréés par tes tours et par tes sauts, aies soin que je trouve en toi maintenant un hôte parfaitement paisible.

Ah ! dès que notre cellule étroite s’éclaire de la lampe bienfaisante, la lumière pénètre aussi dans notre sein, dans notre cœur qui se connaît lui-même. La raison recommence à parler, et l’espérance à luire ; on se baigne au ruisseau de la vie, à la source d’où elle jaillit.

Ne grogne point, barbet ! Les hurlements d’un animal ne peuvent s’accorder avec les divins accents qui remplissent mon âme entière. Nous sommes accoutumés à ce que les hommes déprécient ce qu’ils ne peuvent comprendre, à ce que le bon et le beau, qui souvent leur sont nuisibles, les fassent murmurer ; mais faut-il que le chien grogne à leur exemple ?... Hélas ! je sens déjà qu’avec la meilleure volonté, la satisfaction ne peut plus jaillir de mon cœur. Mais pourquoi le fleuve doit-il si tôt tarir, et nous replonger dans notre soif éternelle ? J’en ai trop fait l’expérience ! Cette misère va cependant se terminer bientôt ; nous apprenons à estimer ce qui s’élève au-dessus des choses de la terre, nous aspirons à une révélation, qui nulle part ne brille d’un éclat plus pur et plus beau que dans le Nouveau Testament. J’ai envie d’ouvrir le texte, et me livrant une fois à des sentiments sincères, de traduire le saint original dans la langue allemande qui m’est si chère.

(Il ouvre un volume et s’apprête.)

Il est écrit : Au commencement était la parole ! Ici je m’arrête déjà ! Qui me soutiendra plus loin ? Il m’est impossible d’estimer assez ce mot, la parole ; il faut que je le traduise autrement, si l’esprit daigne m’éclairer. Il est écrit : Au commencement était la volonté ! Réfléchissons bien cette première ligne, et que la plume ne se hâte pas trop ! Est-ce bien la volonté qui crée et conserve tout ? Il devrait y avoir : Au commencement était la force ! Cependant tout en écrivant ceci, quelque chose dit que je ne dois pas m’arrêter à ce sens. L’esprit me secourt enfin ! Je suis tout à coup inspiré et j’écris consolé : Au commencement était l’action !

S’il faut que je partage la chambre avec toi, barbet, laisse-là tes hurlements et tes cris ! Je ne puis souffrir près de moi un compagnon si bruyant : il faut que l’un de nous deux quitte la chambre ! C’est malgré moi que je viole les droits de l’hospitalité ; la porte est ouverte et tu as le champ libre. Mais que vois-je ? Cela est-il naturel ? Est-ce une ombre, est-ce une réalité ? Comme mon barbet vient de se gonfler ! Il se lève avec effort, ce n’est plus une forme de chien. Quel spectre ai-je introduit chez moi ? Il a déjà l’air d’un hippopotame, avec ses yeux de feu et son effroyable mâchoire. Oh ! je serai ton maître ! Pour une bête aussi infernale, la clef de Salomon m’est nécessaire.

Esprits dans la rue

Par un puissant sortilège,
Ici l’un de nous est pris
Comme un vieux renard au piège :
Restez-là, restez, esprits ! -
Mais faisons un peu silence ;
Balançons-nous, balançons
Nos ailes d’or en cadence,
Et nous le délivrerons !
Il est là, c’est notre frère,
Volons donc à son secours !
Car il employa toujours
Tous ses efforts à nous plaire.

Faust

D’abord, pour aborder le monstre, j’emploierai la conjuration des quatre.

Que le Salamandre s’enflamme !
Que l’Ondin se replie !
Que le Sylphe s’évanouisse !
Que le Lutin travaille !

Qui ne connaîtrait pas les éléments, leur force et leurs propriétés, ne se rendrait jamais maître des esprits.

Vole en flammes, Salamandre !
Coulez ensemble en murmurant, Ondins !
Brille en éclatant météore, Sylphe !
Apporte-moi tes secours domestiques,
Incubus ! incubus !
Viens ici, et ferme la marche !

Aucun des quatre n’existe dans cet animal. Il reste immobile, et grince des dents devant moi ; je ne lui ai fait encore aucun mal. Tu vas m’entendre employer de plus fortes conjurations.

Méphistophélès entre pendant que le nuage tombe et sort de derrière le poële, en habit d’étudiant

D’où vient ce vacarme ? Qu’est-ce qu’il y a pour le service de Monsieur ?

Faust

C’était donc là le contenu du barbet ? Un écolier ambulant.

Méphistophélès

Je salue le savant docteur. Vous m’avez bien fait suer.

Faust

Quel est ton nom ?

Méphistophélès

La demande me paraît bien frivole, pour quelqu’un qui a tant de mépris pour les mots ; qui toujours s’écarte des apparences, et regarde surtout le fond des êtres.

Faust

Chez vous autres, messieurs, on doit pouvoir aisément deviner votre nature d’après vos noms, et c’est ce qu’on fait connaître clairement en vous appelant ennemis de Dieu, séducteurs, menteurs. Eh bien ! qui donc es-tu ?

Méphistophélès

Une partie de cette force qui tantôt veut le mal, et tantôt fait le bien.

Faust

Que signifie cette énigme ?

Méphistophélès

Je suis l’Esprit qui toujours nie ; et c’est avec justice : car tout ce qui existe est digne d’être détruit ; il serait donc mieux que rien n’existât. Ainsi, tout ce que vous nommez péché, destruction, bref, ce qu’on entend par mal ; voilà mon élément.

Faust

Tu te nommes partie, et te voilà entier devant moi.

Méphistophélès

Je te dis la modeste vérité. Si l’homme, ce petit monde de folie, se regarde ordinairement comme formant un entier, je suis, moi, une partie de la partie qui existait au commencement de tout, une partie de cette obscurité qui donna naissance à la lumière, la lumière orgueilleuse, qui maintenant dispute à sa mère, la nuit, son rang antique et l’espace qu’elle occupait ; ce qui ne lui réussit guère pourtant, car malgré ses efforts elle ne peut que ramper à la surface des corps qui l’arrêtent ; elle jaillit de la matière, elle l’embellit, mais un corps suffit pour enchaîner sa marche. Je puis donc espérer qu’elle ne sera plus de longue durée, ou qu’elle s’anéantira avec les corps eux-mêmes.

Faust

Maintenant, je connais tes honorables fonctions ; tu ne peux anéantir la masse, et tu te rattrapes sur les détails.

Méphistophélès

Et franchement, je n’ai point fait grand ouvrage : ce qui s’oppose au néant, le quelque chose, ce monde matériel, quoi que j’ai entrepris jusqu’ici, je n’ai pu encore l’entr’ouvrir ; et j’ai en vain déchaîné contre lui, flots, tempêtes, tremblements, incendies ; la mer et la terre sont demeurées tranquilles. Nous n’avons rien à gagner sur cette maudite semence, matière des animaux et des hommes. Combien n’en ai-je pas déjà enterré ! Et toujours circule un sang frais et nouveau. Voilà la marche des choses ; c’est à en devenir fou. Mille germes s’élancent en l’air, de l’eau, comme de la terre, dans le sec, l’humide, le froid, le chaud. Si je ne m’étais pas réservé le feu, je n’aurais rien pour ma part.

Faust

Ainsi tu opposes au mouvement éternel, à la puissance secourable qui crée, la main froide du démon, qui se roidit en vain avec malice ! Quelle autre chose cherches-tu à entreprendre, étonnant fils du chaos !

Méphistophélès

Nous nous en occuperons à loisir la prochaine fois ! Oserais-je cette fois m’éloigner ?

Faust

Je ne vois pas pourquoi tu me le demandes. J’ai maintenant appris à te connaître ; visite-moi désormais quand tu voudras : voici la fenêtre, la porte, et même la cheminée, à choisir.

Méphistophélès

Je l’avouerai ! un petit obstacle m’empêche de sorti : le pied magique sur votre seuil.

Faust

Le pentagramme te met en peine ? Hé ! dis-moi, fils de l’enfer, si cela te conjure, comment es-tu entré ici ? Comment un tel esprit s’est-il laissé attraper ainsi ?

Méphistophélès

Considère-le bien : il est mal posé ; l’angle tourné vers la porte est, comme tu vois, un peu ouvert.

Faust

Le hasard s’est bien rencontré ! Es-tu donc mon prisonnier ? C’est un heureux accident !

Méphistophélès

Le barbet, lorsqu’il entra, ne fit attention à rien ; du dehors la chose paraissait toute autre, et maintenant le diable ne peut plus sortir.

Faust

Mais pourquoi ne sors-tu pas par la fenêtre ?

Méphistophélès

C’est une loi des diables et des revenants, qu’ils doivent sortir par où ils sont entrés. Le premier acte est libre en nous ; nous sommes esclaves du second.

Faust

L’enfer a donc ses lois ? C’est fort bien ; ainsi, un pacte fait avec vous, messieurs, sera fidèlement observé.

Méphistophélès

Ce qu’on te promet, tu peux en jouir entièrement ; il ne t’en sera rien retenu. Ce n’est pas cependant si peu de choses que tu crois, mais une autre fois nous en reparlerons. Cependant je te prie et te reprie de me laisser partir cette fois-ci.

Faust

Reste donc encore un instant, pour me dire ma bonne aventure.

Méphistophélès

Eh bien ! lâche-moi toujours ! Je reviendrai bientôt ; et tu pourras me faire tes demandes à loisir.

Faust

Je n’ai point cherché à te surprendre, tu es venu toi-même t’enlacer dans le piège. Que celui qui tient le diable le tienne bien ; il ne le reprendra pas de si tôt.

Méphistophélès

Si cela te plaît, je suis prêt aussi à rester ici pour te tenir compagnie ; avec la condition cependant de te faire par mon art passer dignement le temps.

Faust

Je vois avec plaisir que cela te convient ; mais il faut que ton art soit divertissant.

Méphistophélès

Ton esprit, mon ami, va gagner davantage dans cette heure seulement que dans l’uniformité d’un année entière. Ce que te chantent les esprits subtils, les belles images qu’ils apportent, ne sont pas une vaine magie. Ton odorat se délectera ainsi que ton palais, et ton cœur sera transporté. De vains préparatifs ne sont point nécessaires, nous voici rassemblés, commencez !

Esprits

Disparaissez bien vite
Arceaux noirs et poudreux,
Et que l’azur des cieux
Un instant nous visite !
Des nuages épais
Percez, percez les voiles,
Scintillantes étoiles,
Par vos tendres reflets.
Ah ! déjà ces murs sombres
Ont semblé s’agiter,
Comme de vaines ombres.
De sites, de passants,
La campagne se couvre,
Et notre œil y découvre
Des fleurs, des bois, des champs,
Et d’épaisses feuillées
Où les tendres amants
Promènent leurs pensées.
Mais plus loin sont couverts
Les longs rameaux des treilles,
De bourgeons, pampres verts,
Et de grappes vermeilles ;
Sous de vastes pressoirs
Elles roulent ensuite,
Et le vin à flots noirs,
Bientôt s’en précipite.
Le lac étend ses flots
À l’entour des montagnes ;
Dns les vastes campagnes,
Il serpente en ruisseaux.
Partout, l’oiseau timide,
Cherchant l’ombre et le frais,
S’enfuit d’un vol rapide
Au milieu des marais,
Vers la retraite obscure
De ces nombreux îlots,
Dont la tendre verdure
S’agite sur les flots.
Là, de chants d’allégresse
La rive retentit ;
D’autres chœurs, là, sans cesse
La danse nous ravit :
Les uns gaîment s’avancent
Autour des coteaux verts,
De plus hardis s’élancent
Au sein des flots amers :
Tous, pour goûter la vie,
Tous cherchent dans les cieux
Une étoile chérie,
Qui s’alluma pour eux.

Méphistophélès

Il dort : c’est bien, jeunes esprits de l’air ! vous l’avez fidèlement enchanté ! c’est un concert que je vous redois. Tu n’es pas encore homme à bien tenir le diable ! Fascinez le par de doux prestiges, plongez-le dans une mer d’illusions. Cependant, pour détruire le charme de ce seuil, j’ai besoin de la dent d’un rat… Je n’aurai pas longtemps à conjurer, en voici un qui trotte par-là et qui m’entendra bien vite.

Le seigneur des rats et des souris, des mouches, des grenouilles, des punaises, des poux, t’ordonne de venir ici, et de ronger ce seuil comme s’il était frotté d’huile. - Ah ! te voilà déjà tout en l’air ! Allons, vite à l’ouvrage ! La pointe qui m’a arrêté, elle est là sur le bord… encore un morceau, c’est fait !

Faust, se réveillant

Suis-je donc trompé cette fois encore ? Toute cette foule d’esprits a-t-elle déjà disparu ? Serait-ce un songe qui m’a présenté le diable ?... Et n’est-ce qu’un barbet qui a sauté après moi ?

 

CABINET D’ÉTUDE

FAUST, MÉPHISTOPHÉLÈS

Faust

On frappe ? entrez ! Qui vient m’importuner encore ?

Méphistophélès

C’est moi.

Faust

Entrez !

Méphistophélès

Tu dois le dire trois fois.

Faust

Entrez donc !

Méphistophélès

Tu me plais ainsi ; nous allons nous accorder, j’espère. Pour dissiper ta mauvaise humeur, me voici en jeune seigneur, avec l’habit écarlate brodé d’or, le petit manteau de satin empesé, la plume de coq au chapeau, une épée longue et bien affilée ; et je te donnerai le conseil court et bon d’en faire autant, afin de pouvoir, affranchi de tes chaînes, éprouver ce que c’est que la vie.

Faust

Sous quelque habit que ce soit, je n’en sentirai pas moins les chagrins de l’existence humaine. Je suis trop vieux pour jouer encore, trop jeune pour être sans désirs. Qu’est-ce que le monde peut m’offrir de bon ? Tout doit te manquer ; tu dois manquer de tout ! Voilà l’éternel refrain qui tinte aux oreilles de chacun de nous, et ce que, toute notre vie, chaque heure nous répète d’une voix cassée. C’est avec effroi que le matin je me réveille ; je devrais répandre des larmes amères, en voyant ce jour qui dans sa course n’accomplira pas un de mes vœux, pas un seul ! Ce jour qui par des tourments intérieurs énervera jusqu’au pressentiment de chaque plaisir, qui sous mille contrariétés paralysera les inspirations de mon cœur agité. Je dois aussi, dès que la nuit tombe, m’étendre d’un mouvement convulsif sur ce lit où nul repos ne viendra me soulager, où des rêves affreux m’épouvanteront. le dieu qui réside en mon sein peut émouvoir profondément tout mon être ; mais lui, qui gouverne toutes mes forces, ne peut rien déranger autour de moi. Et voilà pourquoi la vie m’est un fardeau, pourquoi je désire la mort, et j’abhorre l’existence.

Méphistophélès

Et pourtant la mort n’est jamais un hôte très bien venu.

Faust

O heureux celui à qui, dans l’éclat d’un triomphe, elle ceint les tempes d’un laurier sanglant ; celui qu’après l’ivresse d’une danse ardente, elle vient surprendre dans les bras d’une jeune fille ! O que ne puis-je, devant la puissance du grand Esprit, me voir transporté, ravi, et ensuite anéanti !

Méphistophélès

Et quelqu’un cependant n’a pas avalé cette nuit certaine liqueur brune…

Faust

L’espionnage est ton plaisir, à ce qu’il paraît.

Méphistophélès

Je n’ai pas la science universelle, et cependant, j’en sais beaucoup.

Faust

Hé bien ! puisque des sons bien doux et bien connus m’ont arraché à l’horreur de mes sensations, en m’offrant, avec l’image de temps plus joyeux, les aimables sentiments de l’enfance, je maudis tout ce que l’âme environne d’attraits et de prestiges, tout ce qu’en ces tristes demeures elle voile d’éclat et de mensonge ! Maudite soit d’abord la haute opinion dont l’esprit s’enivre lui-même ! Maudite soit la splendeur des vaines apparences qui assiège nos sens ! Maudit soit ce qui nous séduit dans nos rêves, illusions de gloire et d’immortalité ! Maudits soient tous les objets dont la possession nous flatte, femme ou enfant, valet ou charrue ! Maudit soit Mammon, quand, par l’appât de ses trésors, il nous pousse à des entreprises audacieuses, ou quand, pour des jouissances oisives, il nous entoure de voluptueux coussins ! Maudite soit toute exaltation de l’amour ! Maudite soit l’espérance ! Maudite la foi, et maudite avant tout la patience !

Chœur d’esprits invisibles

Malheur ! malheur !
Ta voix héroïque,
Du monde magique
A détruit l’erreur !
Que sa chute au loin résonne !...
Ici son règne finit :
C’est le puissant Faust qui l’ordonne,
C’est un Dieu qui l’anéantit !
Tous les débris de sa gloire abattue,
Dans le chaos nous les précipitons,
Et nous pleurons
Sur sa beauté perdue !
Que ta puissante main,
Noble fils de la terre,
L’arrache à sa poussière…
Qu’il soit reconstruit dans ton sein !
Alors d’une nouvelle vie,
Ton âme entreprendra le cours.
Et nos chants, que le ciel envie,
Sauront en embellir les jours.

Méphistophélès

Ceux-là sont les petits d’entre les miens. Écoute comme ils te conseillent sagement le plaisir et l’activité ! Ils veulent t’entraîner dans le monde, t’arracher à cette solitude, où se figent et l’esprit et les sucs qui servent à l’alimenter.

Cesse donc de te jouer de cette tristesse qui, comme un vautour, dévore ta vie. En si mauvaise compagnie que tu sois, tu pourras sentir que tu es homme avec les hommes ; cependant on ne songe pas pour cela à t’encanailler. Je ne suis pas moi-même un des premiers ; mais si tu veux, uni à moi, diriger tes pas dans la vie, je m’accommoderai volontiers de t’appartenir sur-le-champ. Je me fais ton compagnon, ou, si cela t’arrange mieux, ton serviteur et ton esclave.

Faust

Et quelle obligation devrais-je remplir en retour ?

Méphistophélès

Tu auras le temps de t’occuper de cela.

Faust

Non, non ! Le diable est un égoïste, et ne fait point pour l’amour de Dieu ce qui est utile à autrui. Exprime clairement ta condition ; un pareil serviteur porte malheur à une maison.

Méphistophélès

Je veux ici m’attacher à ton service, obéir sans fin ni cesse à ton moindre signe ; mais, quand nous nous reverrons là-dessous tu devras me rendre la pareille.

Faust

Le dessous ne m’inquiète guère ; mets d’abord en pièces ce monde-ci, et l’autre peut arriver ensuite. Mes plaisirs jaillissent de cette terre, et ce soleil éclaire mes peines ; que je m’affranchisse une fois de ces dernières, arrive après ce qui pourra. Je n’en veux point apprendre davantage. Peu m’importe que, dans l’avenir, on aime ou haïsse, et que ces sphères aient aussi un dessus et un dessous.

Méphistophélès

Dans un tel esprit tu peux te hasarder : engage-toi ; tu verras ces jours-ci tout ce que mon art peut procurer de plaisir ; je te donnerai ce qu’aucun homme n’a pu même encore entrevoir.

Faust

Et qu’as-tu à donner, pauvre diable ? L’esprit d’un homme en ses hautes inspirations fut-il jamais conçu par tes pareils ? Tu n’as que des aliments qui ne rassasient pas, de l’or pâle qui sans cesse s’écoule des mains comme le vif argent ; un jeu auquel on ne gagne jamais ; une fille qui, jusque dans mes bras, fait les yeux doux à mon voisin ; l’honneur, belle divinité qui s’évanouit comme un météore. Fais-moi voir un fruit qui ne pourrisse pas avant que de tomber, et des arbres qui tous les jours se couvrent d’une verdure nouvelle.

Méphistophélès

Une pareille entreprise n’a rien qui m’étonne, je puis t’offrir de tels trésors. Oui, mon bon ami, le temps est venu aussi où nous pouvons faire la débauche en toute sécurité.

Faust

Si jamais je puis m’étendre sur un lit de plume pour y reposer, que ce soit fait de moi à l’instant ! Si tu peux me flatter au point que je me plaise à moi-même, si tu peux m’abuser par des jouissances ; que ce soit pour moi le dernier jour ! Je t’offre le pari !

Méphistophélès

Tope !

Faust

Et réciproquement ! Si je te dis à l’instant : Reste donc ! tu me plais tant ! Alors tu peux m’entourer de liens ! Alors, je consens à m’anéantir ! Alors la cloche des morts peut résonner, alors tu es libre de ton service… Que l’heure se fasse entendre, que l’aiguille tombe, que le temps n’existe plus pour moi !

Méphistophélès

Penses-y bien, nous ne t’oublierons pas !

Faust

Tu as là tout à fait raison ; je ne me suis pas frivolement engagé ; et puisque je suis constamment esclave, qu’importe que ce soit de toi ou de tout autre ?

Méphistophélès

Je vais donc aujourd’hui-même, à la table de monsieur le Docteur, remplir mon rôle de valet. Un mot encore : pour l’amour de la vie ou de la mort, je demande pour moi un couple de lignes.

Faust

Il te faut aussi un écrit, pédant ? Ne sais-tu pas ce que c’st qu’un homme, ni ce que la parole a de valeur ? N’est-ce pas assez que la mienne doive, pour l’éternité, disposer de mes jours ? Quand le monde s’agite de tous les orages, crois-tu qu’un simple mot d’écrit soit une obligation assez puissante !... Cependant, une telle chimère nous tient toujours au cœur, et qui pourrait s’en affranchir ? Heureux qui porte sa foi pure au fond de son cœur, il n’aura regret d’aucun sacrifice ! Mais un parchemin écrit et cacheté est un épouvantail pour tout le monde, le serment va expirer sous la plume ; et l’on ne reconnaît que l’empire de la cire et du parchemin. Esprit malin, qu’exiges-tu de moi ? airain, marbre, parchemin, papier ? Faut-il écrire avec un style, un burin, ou une plume ? Je te laisse le choix libre.

Méphistophélès

À quoi bon tout ce bavardage ? Pourquoi t’emporter avec tant de chaleur ? Il suffira du premier papier venu. Tu te serviras pour signer ton nom d’une petite goutte de sang.

Faust

Si cela t’est absolument égal, ceci devra rester pour la plaisanterie.

Méphistophélès

Le sang est un suc tout particulier.

Faust

Aucune crainte maintenant que je viole cet engagement. L’exercice de toute ma force est justement ce que je promets. Je me suis trop enflé, il faut maintenant que j’appartienne à ton espèce ; le grand Esprit m’a dédaigné ; la nature se ferme devant moi ; le fil de ma pensée est rompu et je suis dégoûté de toute science. Il faut que, dans le gouffre de la sensualité, mes passions ardentes s’apaisent ! Qu’au sein de voiles magiques et impénétrables, de nouveaux miracles s’apprêtent ! Précipitons-nous dans le murmure des temps, dans les vagues agitées du destin ! Et qu’ensuite la douleur et la jouissance, le succès et l’infortune se suivent comme ils pourront. Il faut désormais que l’homme s’occupe sans relâche.

Méphistophélès

Il ne vous est assigné aucune limite, aucun but. s’il vous plaît de goûter un peu de tout, d’attraper au vol ce qui se présentera, faites comme vous l’entendrez. Allons ! Attachez-vous à moi, et ne faites pas le timide !

Faust

Tu sens bien qu’il ne s’agit pas là d’amusements. Je me consacre au tumulte, aux jouissances les plus douloureuses, à l’amour qui sent la haine, à la paix qui sent le désespoir. Mon sein, guéri de l’ardeur de la science, ne sera désormais fermé à aucune douleur : et ce qui est le partage de l’humanité toute entière, je veux le concentrer dans le plus profond de mon être ; je veux, par mon esprit, atteindre à ce qu’elle a de plus élevé et de plus secret ; je veux entasser sur mon cœur tout le bien et tout le mal qu’elle contient, et, me gonflant comme elle, me briser ainsi de même.

Méphistophélès

Ah ! vous pouvez me croire, moi qui, pendant plusieurs milliers d’années, ai mâché un si dur aliment : je vous assure que, depuis le berceau jusqu’à la bière, aucun homme ne peut digérer le vieux levain ! Croyez-en l’un de nous, tout cela n’est fait que pour un Dieu ! Il s’y trouve dans un éternel éclat ; il nous a créés, nous, pour les ténèbres, et, pour vous, le jour vaut la nuit et la nuit le jour.

Faust

Mais je le veux.

Méphistophélès

C’est entendu ! Je suis encore inquiet sur un point : le temps est court, l’art est long. Je pense que vous devriez vous instruire. Associez-vous avec un poète ; laissez-le se livrer à son imagination, et entasser sur votre tête toutes les qualités les plus nobles et les plus honorables, le courage du lion, l’agilité du cerf, le sang bouillant de l’Italien, la fermeté de l’habitant du Nord : laissez-le trouver le secret de concilier en vous la grandeur d’âme avec la finesse, et, d’après le même plan, de vous douer des passions ardentes de la jeunesse. Je voudrais connaître un tel homme ; je l’appellerais Monsieur Petit-Monde.

Faust

Eh ! que suis-je donc ?... Cette couronne de l’humanité vers laquelle tous les cœurs se pressent, m’est-il impossible de l’atteindre ?

Méphistophélès

Tu es, au reste… ce que tu es. Entasse sur ta tête des perruques à mille marteaux, chausse tes pieds de socques hauts d’une aune, tu n’en resteras pas moins ce que tu es.

Faust

Je le sens, en vain j’aurai accumulé sur moi tous les trésors de l’esprit humain… lorsque je veux enfin prendre quelque repos, aucune force nouvelle ne jaillit de mon cœur ; je ne puis grandir de l’épaisseur d’un cheveu, ni me rapprocher tant soit peu de l’infini.

Méphistophélès

Mon bon monsieur, c’est que vous voyez tout, justement comme on le voit d’ordinaire ; il vaut mieux bien prendre les choses avant que les plaisirs de la vie vous échappent pour jamais. – Allons donc ! tes mains, tes pieds, ta tête et ton derrière t’appartiennent sans doute ; mais ce dont tu jouis pour la première fois t’en appartient-il moins ? Si tu possèdes six chevaux, leurs forces ne sont-elles pas les tiennes ? tu les montes, et te voici, homme ordinaire, comme si tu avais vingt-quatre jambes. Vite ! laisse-là tes sens tranquilles, et mets-toi en route avec eux à travers le monde ! Je te le dis : un gaillard qui spécule est comme un animal qu’un esprit malin fait tourner en cercle autour d’une lande aride, tandis qu’un beau pâturage vert s’étend à l’entour.

Faust

Comment commençons-nous ?

Méphistophélès

Nous partons de suite, ce cabinet n’est qu’un lieu de torture : appellerait-on vivre, s’ennuyer soi et ses petits drôles ? Laisse tout cela à ton voisin la grosse panse ! À quoi bon te tourmenter à battre la paille ? Ce que tu sais le mieux, tu n’oserais le dire à l’écolier. J'en entends justement un dans l’avenue.

Faust

Il ne m’est point possible de le voir.

Méphistophélès

Le pauvre garçon est là depuis longtemps, il ne faut pas qu’il s’en aille mécontent. Viens ! donne-moi ta robe et ton bonnet ; le déguisement me siéra bien. (Il s’habille) Maintenant, repose-toi sur mon esprit ; je n’ai besoin que d’un petit quart d’heure. Prépare tout cependant pour notre beau voyage. (Faust sort.)

Méphistophélès dans les longs habits de Faust

Méprise bien la raison et la science, suprême force de l’humanité. Laisse-toi désarmer par les illusions et les prestiges de l’esprit malin, et tu es à moi sans restrictions. – Le sort l’a livré à un esprit qui marche toujours intrépidement devant lui, et dont l’élan rapide a bientôt surmonté tous les plaisirs de la terre ! – Je vais sans relâche le traîner dans les déserts de la vie ; il se débattra, me saisira, s’attachera à moi, et son insatiabilité verra des aliments et des liqueurs se balancer devant ses lèvres, sans jamais les toucher ; c’est en vain qu’il implorera quelque soulagement, et ne se fût-il pas donné au diable, il n’en périrait pas moins.

(Un Écolier entre.)

L’Écolier

Je suis ici depuis peu de temps, et je viens, plein de soumission, parler et faire connaissance avec un homme qu’on ne m’a nommé qu’avec vénération.

Méphistophélès

Votre honnêteté me réjouit fort ! Vous voyez en moi un homme tout comme un autre. Avez-vous déjà beaucoup étudié ?

L’Écolier

Je viens vous prier de vous charger de moi ! Je suis muni de bonne volonté, d’une dose passable d’argent, et de sang frais ; ma mère a eu bien de la peine à m’éloigner d’elle, et j’en profiterais volontiers pour apprendre ici quelque chose d’utile.

Méphistophélès

Vous êtes vraiment à la bonne source.

L’Écolier

A parler vrai, je voudrais déjà m’éloigner. Parmi ces murs, ces salles, je ne me plairai en aucune façon ; c’est un espace bien étranglé, on n’y voit point de verdure, point d’arbres ; et dans ces salles, sur les bancs, je perds l’ouïe, la vue et la pensée.

Méphistophélès

Cela ne dépend que de l’habitude : c’est ainsi qu’un enfant ne saisit d’abord qu’avec répugnance le sein de sa mère, et bientôt cependant y puise avec plaisir sa nourriture. Il en sera ainsi du sein de la sagesse, vous le désirerez chaque jour davantage.

L’Écolier

Je veux me pendre de joie à son cou ; cependant enseignez-moi le moyen d’y parvenir.

Méphistophélès

Expliquez-vous avant de poursuivre ; quelle faculté choisissez-vous ?

L’Écolier

Je souhaiterais devenir fort instruit, et j’aimerais assez à pouvoir embrasser tout ce qu’il y a sur la terre et dans le ciel, la science et la nature.

Méphistophélès

Vous êtes en bon chemin, cependant il ne faudrait pas vous écarter beaucoup.

L’Écolier

M’y voici corps et âme ; mais je serais bien aise de pouvoir disposer d’un peu de liberté et de bon temps aux jours de grandes fêtes, pendant l’été.

Méphistophélès

Employez le temps, il nous échappe si vite ! cependant l’ordre vous apprendra à en gagner. Mon bon ami, je vous conseille avant tout le cours de logique. Là on vous dressera bien l’esprit, on vous l’affublera de bonnes bottes espagnoles, pour qu’il trotte prudemment dans le chemin de la routine, et n’aille pas se promener en zigzag comme un feu follet. Ensuite, on vous apprendra tout le long du jour que, pour ce que vous faites en un clin d’œil, comme boire et manger, un, deux, trois, est indispensable. Il est de fait que la fabrique des pensées est comme un métier de tisserand, où un mouvement du pied agite des milliers de fils, où la navette monte et descend sans cesse, où les fils glissent invisibles, où mille nœuds se forment d’un seul coup : le philosophe entre ensuite, et vous démontre qu’il doit en être ainsi : le premier est cela, le second cela, donc le troisième et le quatrième cela ; et que, si le premier et le second n’existaient pas, le troisième et le quatrième n’existeraient pas davantage. Les étudiants de tous les pays prisent fort ce raisonnement, et aucun d’eux pourtant n’est devenu tisserand. Qui veut reconnaître et détruire un être vivant commence par en chasser l’âme : alors il a entre les mains toutes les parties ; mais, hélas ! que manque-t-il ? rien que le lien intellectuel. La chimie nomme cela encheiresin naturae ; elle se moque ainsi d’elle-même, et n’en sait rien.

L’Écolier

Je ne puis tout à fait vous comprendre.

Méphistophélès

Cela ira beaucoup mieux, quand vous aurez appris à tout réduire, et à tout classer convenablement.

L’Écolier

Je suis si hébété de tout cela que je croirais volontiers avoir une roue de moulin dans la tête.

Méphistophélès

Et puis, il faut avant tout vous mettre à la métaphysique : là vous devrez scruter profondément ce qui ne convient pas au cerveau de l’homme ; que cela aille ou n’aille pas, ayez toujours à votre service un mot technique. Mais d’abord, pour cette demi-année, ordonnez votre temps le plus régulièrement possible. Vous avez par jour cinq heures de travail ; soyez ici au premier coup de cloche, après vous être préparé toutefois, et avoir bien étudié vos paragraphes, afin d’être d’autant plus sûr de ne rien dire que ce qui est dans le livre ; et cependant ayez grand soin d’écrire, comme si le Saint-Esprit dictait.

L’Écolier

Vous n’aurez pas besoin de me le dire deux fois ; je suis bien pénétré de toute l’utilité de cette méthode : car, quand on a mis du noir sur du blanc, on rentre chez soi tout à fait soulagé.

Méphistophélès

Pourtant, choisissez-moi une faculté.

L’Écolier

Je ne puis m’accommoder de l’étude du droit.

Méphistophélès

Je ne vous en ferai pas un crime : je sais trop ce que c’est que cette science. Les lois et les droits se succèdent comme une éternelle maladie, ils traînent de générations en générations, et s’avancent sourdement d’un lieu dans un autre. Raison devient folie, bienfait devient tourment ; malheur à toi, fils de tes pères, malheur à toi ! car du droit né avec nous, hélas ! il n’est jamais question.

L’Écolier

Vous augmentez encore par là mon dégoût : ô heureux celui que vous instruisez ! J’ai presque envie d’étudier la théologie.

Méphistophélès

Je désirerais ne pas vous induire en erreur, quant à ce qui concerne cette science ; il est si difficile d’éviter la fausse route, elle renferme un poison si bien caché, que l’on a tant de peine à distinguer du remède ! Le mieux est, dans ces leçons-là, si toutefois vous en suivez, de jurer toujours sur la parole du maître. Au total… arrêtez-vous aux mots ! et vous arriverez alors par la route la plus sûre au temple de la Certitude.

L’Écolier

Cependant un mot doit toujours contenir une idée.

Méphistophélès

Fort bien ! mais il ne faut pas trop s’en inquiéter, car où les idées manquent, un mot peut être substitué à propos ; on peut, avec des mots, discuter fort convenablement ; avec des mots, bâtir un système ; les mots se font croire aisément, on n’en ôterait pas un iota.

L’Écolier

Pardonnez si je vous fais tant de demandes, mais il faut encore que je vous en importune. Ne me parlerez-vous pas un moment de la médecine ? Trois années, c’est bien peu de temps, et, mon Dieu ! le champ est si vaste ; souvent un seul signe du doigt suffit pour nous mener loin !

Méphistophélès, à part

Ce ton sec me fatigue, je vais reprendre mon rôle de diable. (haut) L’esprit de la médecine est facile à saisir ; vous étudiez bien le grand et le petit monde, pour les laisser aller enfin à la grâce de Dieu. C’est en vain que vous vous élanceriez après la science, chacun n’apprend que ce qu’il peut apprendre ; mais celui qui sait profiter du moment, c’est là l’homme avisé. vous êtes encore assez bien bâti, la hardiesse n’est pas ce qui vous manque, et si vous avez confiance en vous-même, vous en inspirerez à l’esprit des autres. Surtout, apprenez à conduire les femmes ; c’est leur éternel hélas ! modulé sur tant de tons différents, qu’il faut traiter toujours par la même méthode, et tant que vous serez avec elles à moitié respectueux, vous les aurez toutes sous la main. Un titre pompeux doit d’abord les convaincre que votre art surpasse de beaucoup tous les autres : alors vous pourrez parfaitement vous permettre certaines choses, dont plusieurs années donneraient à peine le droit à un autre que vous : ayez soin de leur tâter souvent le pouls, et en accompagnant votre geste d’un coup d’œil ardent, passez le bras autour de leur taille élancée, comme pour voir si leur corset est bien lacé.

L’Écolier

Cela se comprend de reste : on sait son monde !

Méphistophélès

Mon bon ami, toute théorie est sèche et l’arbre précieux de la vie est fleuri.

L’Écolier

Je vous jure que cela me fait l’effet d’un rêve ; oserais-je vous déranger une autre fois pour profiter plus parfaitement de votre sagesse ?

Méphistophélès

J’y mettrai volontiers tous mes soins.

L’Écolier

Il me serait impossible de revenir, sans vous avoir offert mon album ; accordez-moi la faveur d’une remarque…

Méphistophélès

J’y consens. (Il écrit, et le lui rend.)

L’Écolier lit

Eritis sicut Deus, bonum et malum scientes.

(Il salue respectueusement, et se retire.)

Méphistophélès

Suis seulement la vieille sentence de mon cousin le serpent, tu douteras bientôt de ta ressemblance divine.

(Faust entre.)

Faust

Où devons-nous aller maintenant ?

Méphistophélès

Où il te plaira. Nous pouvons voir le grand et le petit monde : quel plaisir, quelle utilité seront le fruit de ta course !

Faust

Mais, par ma longue barbe, je n’ai pas le plus léger savoir-vivre ; ma recherche n’aura point de succès, car je n’ai jamais su me produire dans le monde ; je me sens si petit en présence des autres ! je serais embarrassé à tout moment.

Méphistophélès

Mon bon ami, tout cela se donne ; aie confiance en toi-même, et tu sauras vivre.

Faust

Comment sortirons-nous d’ici ? Où auras-tu des chevaux, des valets et un équipage ?

Méphistophélès

Étendons ce manteau, il nous portera à travers les airs : pour une course aussi hardie, tu ne prends pas un lourd paquet avec toi ; un peu d’air inflammable que je vais préparer, nous enlèvera bientôt de terre, et si nous sommes légers, cela ira vite. Je te félicite du nouveau genre de vie que tu viens d’embrasser.

 

FAUST, Seconde partie >>>

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