Novembre 1841 — Lettre à Ida Ferrier-Dumas
D’après son contenu, cette lettre à Ida Ferrier-Dumas semble dater de la sortie de Nerval de la maison de santé d’Esprit Blanche à Montmartre (le 21 novembre). Cette sortie, il l’a obtenue au prix du reniement auprès de ses médecins d’une expérience psychique quasi mystique : « Aujourd’hui l’on mettrait Jésus à Bicêtre » écrira-t-il en 1844 dans Paradoxe et Vérité. Nerval exprime ici au contraire une profession de foi toute rimbaldienne dans la puissance poétique de l’état de voyance, assumée et même revendiquée comme mode de connaissance de la « vraie » vie.
Voir la notice LA CRISE NERVEUSE DE 1841.
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Ma chère Madame,
J’ai rencontré hier Dumas qui vous écrit aujourd’hui. Il vous dira que j’ai recouvré ce que l'on est convenu d’appeler raison, mais n’en croyez rien. Je suis toujours, et j’ai toujours été le même, et je m’étonne seulement que l’on m’ait trouvé changé pendant quelques jours du printemps dernier. L’illusion, le paradoxe, la présomption sont toutes choses ennemies du bon sens dont je n’ai jamais manqué. Au fond j’ai fait un rêve très amusant et je le regrette. J’en suis même à me demander s’il n’était pas plus vrai que ce qui me semble seul explicable et naturel aujourd’hui. Mais comme il y a ici des médecins et des commissaires qui veillent à ce qu’on n’étende pas le champ de la poésie aux dépens de la voie publique, on ne m’a laissé sortir et vaquer définitivement parmi les gens raisonnables que lorsque je suis convenu bien formellement d’avoir été malade, ce qui coûtait beaucoup à mon amour-propre et même à ma véracité. Avoue ! avoue ! me criait-on comme on faisait jadis aux sorciers et aux hérétiques, et, pour en finir, je suis convenu de me laisser classer dans une affection définie par les docteurs et appelée indifféremment Théomanie ou Démonomanie dans le dictionnaire médical. A l’aide des définitions incluses dans ces deux articles, la science a le droit d’escamoter ou réduire au silence tous les prophètes et voyants prédits par l’Apocalypse, dont je me flattais d’être l’un ! Mais je me résigne à mon sort, et si je manque à ma prédestination, j’accuserai le docteur Blanche d’avoir subtilisé l’Esprit divin [...] Que je voudrais pouvoir me réchauffer encore à ce rayon, je me trouve tout désorienté et tout confus en retombant du ciel où je marchais de plain-pied, il y a quelques mois [...]