1824 — Poésies diverses, manuscrit.

Le recueil manuscrit autographe de 54 pages intitulé par Nerval Poësies diverses est cocomposé de deux « livres », publié pour la première fois par Gisèle Marie dans Des inédits de Gérard de Nerval, Mercure de France, 1939, illustré de fac-simile de quatre feuillets du manuscrit :

- les « Adieux de Napoléon à la France » en intégralité, avec en tête un motif à la plume représentant une épée croisée du foudre, flèche et trompette, et à la fin, un pot à feu,

- les strophes XXII et XXIII d’ « Ipsara », avec à la fin un motif à la plume de ruban mêlé de lauriers,

- la fin de « Chant d’un Espagnol », avec à la fin un motif à la plume représentant une lyre croisée de deux trompettes et branches de laurier, soutenues par un mascaron,

- la fin de « Il fait lui-même ses sermons », avec à la fin un motif à la plume de trophée d’instruments de musique, violon, flûtes et trompettes.

Il est probable que ce recueil manuscrit a été composé en même temps que celui de Poésies et Poëmes, il contient quatre pièces qui sont également présentes dans Poésies et Poëmes : « Licidas, à son ami Daphnis », « A Tindaris », « Petite Satire », qui porte ici le titre : « Le Riche poète », « Ce n’est qu’un rêve ou Le Sceptique », ici simplement appelé « Le Sceptique », et « Le Chant d’un Espagnol ». Soigneusement calligraphié et orné, le manuscrit semble destiné à l’impression, peut-être par l'ami typographe de l’école de dessin, avec des vignettes correspondant à celles que Gérard avait dessinées à la plume.

Sur le plan littéraire, le recueil témoigne de recherches poétiques formelles de genre (ode, élégie, épître, rondeau) et de métrique (alexandrin, décasyllabe, octosyllabe, heptasyllabe), mais aussi d’un engagement politique contre la Restauration réactionnaire et cléricale (« Ipsara », « Chant d’un Espagnol», « Il fait lui-même ses sermons »), d’attachement au souvenir de Napoléon, et de convictions littéraires clairement affirmées contre le romantisme ambiant dans les deux épîtres et l’ode adressées à son ami Duponchel, et dans « Les Écrivains ». On connaît un recueil manuscrit des Deux Épîtres adressées à M.  Duponchel, portant la date de 1825. La page de titre est ornée d’un titre calligraphié à la plume et d’un motif de lyre et lauriers également à la plume.

Voir la notice: LES ANNÉES CHARLEMAGNE.

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LIVRE PREMIER.

 

ADIEUX DE NAPOLÉON À LA FRANCE.

I.

Adieu, France, berceau de ma mourante gloire,
D’où l’éclat de mon nom éclaira l’Univers,
Toi qui m’accompagnais au jour de la victoire,
Qui me fuis au jour du revers.

II.

Au monde entier j’ai déclaré la guerre,
Mes succès trop nombreux égaraient ma valeur,
Je fus vaincu... mais par l’Europe entière ;
L’Europe, dont j’étais vainqueur !

III.

Tant que mon règne fut durable,
France, je te couvris de gloire et de splendeur,
Maintenant je te fuis, ô terre impitoyable,
Qui dévores ton bienfaiteur !

IV.

France, à l’opprobre réservée,
Pleure sur tes fils abattus,
Je t’abandonne ainsi que je t’avais trouvée,
Veuve de gloire et de vertus.

V.

Quels rois m’ont enchaînés ? Des rois chargés de chaînes,
Esclaves couronnés plus hautains et plus fiers,
Plus fiers que le guerrier, coupable d’un revers,
Qu’ils suppliaient jadis de leurs bouches hautaines.

VI.

Que n’ai-je encor ces vieux guerriers
Qui naguère avaient fait ma gloire ;
Mon aigle renaîtrait sur de nobles lauriers
Et fixerait ses yeux altiers
Sur le soleil de la victoire.

 

IPSARA.

I.

Du despotisme odieux partisans,
Que la gaîté réjouisse vos âmes,
Vils prosélytes des tyrans,
Tournez les yeux vers cette ville en flammes,
C’est Ipsara... que l’on vient de trahir,
Avec avidité recueillez ces nouvelles,
Déjà sur vos lèvres cruelles,
Un sourire de sang vient de s’épanouir.

II.

Et vous, chrétiens, vous restez immobiles,
Ou vous versez quelques pleurs inutiles
Sur ces héros prêts à périr.
Vous plaignez leur longue souffrance,
Et vous admirez leur vaillance,
Lorsqu’il faudrait les secourir.

III.

Pour moi que la gloire inspire,
Jeune ami de la vérité,
J’ose à seize ans prendre la lyre,
Et faire entendre un chant de Liberté.
La douleur a pour moi des charmes,
Hélas ! Je sais les plaindre, et non les soulager.
Faible enfant, je ne puis que verser quelques larmes,
Homme, peut-être, un jour je saurai les venger...

IV.

A la faveur de la nuit sombre,
Quels sont donc ces guerriers qui se glissent dans l’ombre,
Portant la mort et la terreur ?
Le Monde, astre des nuits, te voit pâlir d’horreur,
Et cessant d’éclairer ces malheureux rivages,
Retirer tes rayons dans le sein des nuages.

V.

Aux armes, Citoyens, Liberté ! Liberté !
Viens remplir tous les cœurs d’une flamme sublime.
Que ta main punisse le crime,
Qui lève parmi nous un front ensanglanté.

VI.

Généreux citoyens, vous n’êtes plus esclaves,
Ah ! levez vos fronts glorieux,
Vous mourrez de la mort des braves,
C’était la mort de vos aïeux.

VII.

Allez, sauvez leurs tombeaux et leur cendre,
Et de vos descendants sauvez la liberté,
Qu’ils n’aient pas à rougir de votre lâcheté,
Ce n’est pas vous, c’est eux que vous devez défendre.

VIII.

Nous sommes tous prêts à périr,
C’est au milieu de notre ville en flammes
C’est sur les corps sanglants de nos fils, de nos femmes,
Qu’il faut faire serment de vaincre ou de mourir.

IX.

Vengeons-les, vengeons-nous, qu’une foule servile
Apporte à des Dieux sourds un hommage inutile,
L’encens que nous offrons coule de notre flanc,
Liberté ! Liberté ! nous t’offrons notre sang.

X.

Ils chantaient cette hymne guerrière,
Et la terreur accompagnait leurs pas,
La mort marche sous leur bannière.
Et l’on voit s’élever entre eux et le trépas,
De morts et de mourants une immense barrière.

XI.

Mais ils frappent en vain leurs lâches oppresseurs,
Le nombre hélas ! prévaut sur la vaillance,
Elle tombe, Ipsara, ta dernière espérance,
Après tes derniers défenseurs.
O peuple d’Ipsara, peuple grand et terrible !
Qui tombe sous les coups du sort
Tu peux bien mériter le titre d’invincible,
Tu n’es vaincu que par la mort.

XII.

On vit alors la vierge au front timide,
D’un pesant glaive armer son faible bras,
Et dans le bronze homicide,
La jeune enfant fit voler le trépas.

XIII.

Quels miracles ne peux-tu faire,
Déesse de la Liberté,
Puisqu’à ta voix l’Enfance et la Beauté,
Qui frémissaient naguère
Au récit des combats,
Dans les rangs ennemis vont chercher le trépas.

XIV.

Oui, la valeur est de tout âge,
Et dans de jeunes cœurs, dans de débiles bras,
Peut s’allumer un grand courage.

XV.

Mais de la liberté les derniers défenseurs,
Retirés dans un fort qu’assiègent les vainqueurs,
Au milieu des vieillards, des femmes, en silence
Attendent du trépas la noble indépendance.

XVI.

Ils accourent vos vils tyrans,
Elle accourt cette troupe impie ;
Et les étendards ottomans,
Remplacent sur vos murs celui de la Patrie.

XVII.

Par un peuple entier répété,
Soudain, tantôt aux Cieux, et tantôt dans l’abîme
Monte ou descend un cri sublime,
C’était un cri de liberté !

XVIII.

Le salpêtre enfermé, sort, rival du tonnerre,
L’Île soudain s’entrouvre, et mugit toute entière,
Et la terre, fatale aux vaincus, aux vainqueurs,
Couvre ses ennemis comme ses défenseurs.

XIX.

Tous ces héros descendent dans la tombe ;
La mer frémit, frémit le nautonnier ;
O liberté, tu vois un peuple entier,
S’offrir sur tes autels, la sanglante hécatombe !

XX.

Les barbares Ottomans
Ont fondé leur pouvoir sur des débris sanglants,
Mais leur altière insolence
Ne subsista pas longtemps ;
Près de l’injure est la vengeance !

XXI.

Ils apprirent à leurs dépens
Contre une peuplade aguerrie,
Combien l’emportent en tous temps
Les défenseurs de la patrie
Sur les défenseurs des tyrans !

XXII.

Vainqueurs des nations contre vous conjurées,
Peut-être, un jour, ô Grecs, vous saurez les punir,
Et vous égalerez les exploits à venir
Et la gloire future, à la gloire passée.

XXIII.

En vain il ose encor présenter le combat,
Cet empire orgueilleux, qui semble encore à craindre ;
Ranimez votre ardeur, c’est le dernier éclat
D’un flambeau tout prêt à s’éteindre.

 

A NAPOLÉON.

Traduit de Lord Biron.

I.

C’en est fait, tu n’es plus favori de Bellone,
Hier encor ton front portait une couronne,
Ta main rétablissait ou renversait les rois,
Et la terre en tremblant admirait tes exploits ;

II.

Mais ta gloire a passé comme un vain météore,
Tu n’es plus, et pourtant tu respires encore,
Une île est ta retraite, et c’est là que ton bras,
A déposé la foudre, et le fer des combats !

III.

Île de l’Océan, salut à ton rivage,
Vers toi du monde entier se portera l’hommage,
On verra de ton nom l’éclatant souvenir,
Passer un jour sans tache aux siècles à venir ;

IV.

Salut au noble chef, au fils de la victoire
Qui pose sur tes bords le fardeau de sa gloire ;
Sa vie est consacrée à l’immortalité,
Il lègue ses exploits à la postérité,
Les monarques viendront lui rendre des hommages
Et son nom revivra dans les écrits des sages,

V.

Les poètes un jour chanteront ses exploits.
Il verra les héros, les princes et les rois,
Et tous ces conquérants qu’a trop vanté l’histoire
Abaisser leur orgueil, et fuir devant sa gloire.

 

ÉPÎTRE PREMIÈRE.

C’est à toi que j’écris, ami tendre et fidèle,
Je voudrais que ma Muse à mes vœux moins rebelle,
Entonnât des accents dignes d’elle et de toi,
Mais c’est toujours en vain que je voudrais bien faire,
Apollon me rebute, et rit de ma colère
Et Pégase rétif ne connaît plus ma loi.
Pourtant je fais des vers, dont tout le monde enrage.
On me dit que j’aurai l’infortune en partage,
On me dit, et pourtant on n’a pas encor tort,
Que souvent le Génie est un vilain trésor ;
Que pour devenir riche, en rimant, il faut l’être,
Que le plus beau talent ne nourrit pas son maître ;
On me dit... cent raisons que je n’écoute pas,
Et je crois, entre nous, qu’on y perd bien ses pas ;
Mon désir généreux part d’une âme bien née,
Être auteur et jeûner, voilà ma destinée !
Je veux remplir le sort que les dieux m’ont offert,
Et suivre à l’hôpital, Malfilâtre et Gilbert.
Tu ris, mon cher rival, tu plains mon infortune,
Tu crois que mon esprit est parti dans la lune,
Que mon glorieux sort fera peu de jaloux,
Et qu’il faudra me mettre à l’hôpital des fous.
À ce compte, mon cher, on t’y mettrait peut-être,
Car qu’est-ce qu’un Poète ? Un poète est un Être
Bonhomme au demeurant, mais tant soit peu menteur
Tant soit peu médisant, et tant soit peu hâbleur ;
Tourmenté jour et nuit d’une sotte manie,
Et brûlé d’un beau feu qu’il appelle génie,
Du reste tout entier en proie aux ignorants,
Et servant de jouet même aux petits enfants.
 
Il est vrai cependant que des moments de gloire,
Sur ses vils ennemis lui donnent la victoire,
Lorsqu’il voit s’agiter les mains du spectateur,
Et qu’il entend partout crier : l’auteur, l’auteur !
Qu’il voit tout lui sourire, et tout lui rendre hommage.
Mais aussi que fait-il ? que devient son courage
Quand un malin Public, lançant maints quolibets,
Souffle dans des tuyaux qu’on appelle sifflets !
Naguère il fut un temps où l’Enfant du Génie,
Habitant fortuné des vallons d’Aonie,
Au sein d’un peuple entier attentif à ses chants
Faisait entendre au loin ses aimables accents.
Sur le soir d’un beau jour, lorsque dans la vallée
Des joyeux habitants la troupe rassemblée
À des jeux innocents occupait ses loisirs,
Le luth harmonieux variait leurs plaisirs.
 
Aux accents du poète, une troupe attentive,
Accourait écouter la romance plaintive,
L’ode qui noblement roule ses vers pompeux,
Ou coule avec langueur ses soupirs amoureux ;
Là l’enfant d’Apollon par ses accents enchaîne
Une foule empressée et qui respire à peine,
Il en sait à son gré disposer les esprits,
Tantôt aux spectateurs, étonnés, attendris
Il sait communiquer le beau feu qui l’inspire,
Et tantôt sur leur bouche il enchaîne un sourire.

 

CHANT D’UN ESPAGNOL.

Jour terrible, Jours de douleurs,
Hélas l’Espagne est asservie !
La liberté de la patrie
Expire avec ses défenseurs !
 
En vain ô fortune ennemie !
Des crimes de la tyrannie
Nous avions voulu nous venger,
Vains efforts ! L’Espagne entière
Incline sa tête altière
Sous les drapeaux de l’étranger !
 
Ils reviennent ces jours de pleurs et d’infortune
Où content du malheur, de la douleur commune
Le vice applaudissait à la division,
Déjà reparaissant avec de nouveaux crimes
Assurant son pouvoir d’un monceau de victimes
On a vu s’élancer la Superstition !
A tous les partisans de sa fureur impie
L’odieux fanatisme en sa rage s’écrie :
« Amis, foulons aux pieds ce culte détesté
Que l’homme malgré nous rend à la vérité ;
Massacrez, égorgez, un dieu nous favorise,
Méritez ce grand nom de sauveur de l’Église,
De nos droits méprisés montrez-vous protecteurs,
Que tout tombe, pourvu que nous soyons vainqueurs ! »
Ainsi leur troupe sanguinaire,
Semant la mort et la terreur,
Au nom d’un dieu de paix nous apporte la guerre !
Et l’Europe n’a pas frémi ?
Et ranimant notre espérance,
Tous n’ont pas pris notre défense
Contre ce barbare ennemi !
 
Non, ces étrangers homicides,
S’il était tombé sous nos coups,
Étaient comme des loups avides,
Tout prêts à fondre sur nous.
 
Ah ! c’en est fait, tout tombe, tout expire,
Vaine défense ! Inutiles efforts !
Ils sont contents ! Ils ont l’empire !
Ils règnent sur des tas de morts !
 
 Valeureux Riego, ta troupe est accablée,
Tu tombes dans leurs fers,
Ta mort si longtemps désirée
Assure dans cette journée
L’esclavage de l’univers !
Tu péris sous les coups du vice,
En martyr de la liberté,
Pour toi le chemin du supplice,
Est le chemin de l’immortalité.
Sur des lauriers la liberté sommeille
Et cesse de nous protéger,
Tyrans, craignez qu’elle ne se réveille
Car ce sera pour nous venger !

 

LES ÉCRIVAINS.

Où fuir ? Où me cacher ? Quel déluge d’écrits
En ce siècle falot vient infecter Paris !
En vain j’ai reculé devant Le Solitaire,
O Dieu du mauvais goût ! Faut-il donc pour te plaire
Entasser des grands mots toujours vides de sens,
Chanter l’homme des nuits, ou l’esprit des torrents,
Mais en vain j’ai voulu faire entrer dans ma tête,
La foudre qui soupire au sein de la tempête,
Devant Le Renégat j’ai pâli de frayeur ;
Et je ne sais pourquoi les esprits me font peur.
 
O grand Hugo, poète et raisonneur habile,
Viens me montrer cet art et grand et difficile,
Par lequel le talent fait admirer aux sots
Des vers, peut-être obscurs, mais riches de grands mots.
O Racine, Boileau ! vous n’étiez pas poètes,
Déposez les lauriers qui parèrent vos têtes,
Laissez à nos auteurs cet encens mérité,
Qui n’enivra jamais la médiocrité ;
Que vos vers relégué avec ceux de Virgile,
Fassent encor l’ennui d’un Public imbécile,
Ils sont plats, peu sonnants et souvent ennuyeux,
C’était peut-être assez pour nos tristes aïeux,
Esprits lourds et bornés, sans goût et sans usage,
Mais tout se perfectionne avec le temps et l’âge.
 
C’est comme vous parlez, ô sublimes auteurs,
Il ne faut pas, dit-on, disputer des couleurs,
Cependant repoussant le style Romantique
J’ose encor, malgré vous, admirer le classique,
Je suis original, je le sais, j’en conviens,
Mais vous du Romantisme, ô glorieux soutiens,
Allez dans quelques clubs ou dans l’Académie
Lire les beaux produits de votre lourd génie,
Sans doute ce jour-là vous serez mis à neuf,
Parés d’un long jabot et d’un habit d’Elbeuf
Vous ferez retentir dans l’illustre assemblée,
Les sons lourds et plaintifs d’une muse ampoulée.
 
Quoi, misérable auteur que vieillit le travail,
Voilà donc le motif de tout cet attirail,
Surnuméraire obscur du Temple de la gloire,
Tu cherches les bravos d’un nombreux auditoire.
Eh quoi, tu ne crains pas que quelques longs sifflets,
Remplissent le salon de leurs sons indiscrets,
Couvrant ta lourde voix au sortir de l’exorde,
En te faisant crier, grâce, miséricorde !
Et c’était pour l’appât des applaudissements 
Que dans ton cabinet tu séchas si longtemps ?
 
Voilà donc le motif de ta longue espérance,
Quoi ! tout fut pour la gloire, et rien pour la science ?
Le savoir n’aurait donc aucun charme puissant
S’il n’était pas suivi d’un triomphe brillant,
Et tu lui préféras une vaine fumée,
Qui n’est pas la solide et bonne renommée ;
Sans compter, direz-vous, combien il est flatteur
D’entendre murmurer : « C’est lui, ce grand auteur »,
D’entendre le public en citer des passages,
Et même après la mort admirer ses ouvrages ;
Pour le défunt, dis-tu, quel triomphe éclatant ;
Sans doute pour le mort c’est un grand agrément,
La gloire embellira sa demeure dernière,
La terre qui le couvre en est bien plus légère.
 
Ah ! C’est trop vous moquer de nos auteurs nouveaux,
Dis-tu, lorsque vous-même avez tous leurs défauts,
Mais en vain vous voulez censurer leurs ouvrages,
Vous les verrez toujours postuler des suffrages,
Vous les verrez toujours occupés tout entiers
A tirer leurs écrits des mains des épiciers.
Mais vous, qui paraissez faire le moraliste,
De l’état d’Apollon ennuyeux rigoriste,
Que retirez-vous [donc] de vos discours moraux ?
La haine des auteurs et l’amitié des sots.
 
O toi qui me tins lieu jusqu’ici d’auditoire,
Me crois-tu donc vraiment insensible à la gloire !
Si ma plume jamais produisait des écrits
Qui ravissent la palme à tous nos beaux esprits,
J’aimerais à gagner un hommage sincère,
Mais je plains ton orgueil, écrivain téméraire,
Qui crois que les bravos qu’à dîner tu reçois,
Témoignent ton mérite, et sont de bon aloi.
 
Et cet Auteur encor qui sur la place invite
A son maigre dîner un maigre parasite
Et qui lui dit ensuite à la fin du repas :
« Ami, parlez sans fraude, et ne me flattez pas,
Trouvez-vous mes vers bons ? Dites en conscience »,
Peut-il à votre avis dire ce qu’il en pense ?
 
En plein barreau Damis est traité de voleur,
Il prend pour sa défense un célèbre orateur.
Comment défendra-t-il une cause pareille ?
Par des mots, de grands mots, et l’on dira : « Merveille ! »
 
Eh ! Quoi ! peuple ignorant, vous gardez vos bravos,
Et vos cris répétés pour encenser les sots,
Croyez-vous qu’en chantant une chanson risible,
Un pauvre à ses malheurs me rende bien sensible ?
Non, à d’autres plus sots il pourra s’adresser,
Et le vrai, le vrai seul pourra m’intéresser.

 

LIVRE SECOND.

Il fait lui-même ses sermons,
La morale en est courte et bonne,
Il n’y parle pas de démons,
Et n’y dit du mal de personne ;
Toujours son langage amical
Se conforme à notre langage.
Ah ! c’est un curé sans égal,
Le curé de notre village.
 
Si quelqu’un meurt sans sacrement
Sans aucun scrupule il l’enterre,
Et si quelqu’un meurt sans argent
Sans argent il le met en terre ;
Son revenu paroissial,
Lui suffit pour tout apanage.
Ah ! c’est un curé sans égal,
Le curé de notre village.
Jamais il ne les exorcise,
Il ne force pas les mourants
À donner leurs biens à l’Église.
Son air est toujours amical,
Il entend bien le badinage.
Ah ! c’est un curé sans égal,
Le curé de notre village.
 
Mais bientôt on le changera,
Il est, dit-on, trop débonnaire,
Et l’on nous envoye déjà,
Pour prêcher, un missionnaire.
Il revient, le temps féodal,
Un jour nous tiendrons ce langage.
C’était un curé sans égal,
Le curé de notre village !

 

RONDEAUX.

Accourez à ma voix, vers simples et touchants,
Inspirez-moi la verve et les nobles accents
Du berger de Mantoue et du divin Homère,
Ma muse ne veut pas ramper dans la poussière,
Ainsi que ces rimeurs dont le vénal encens
Au fond de leurs palais vient enivrer les grands ;
Vous que la liberté rendit indépendants,
Au honteux déshonneur, préférant la misère,
Accourez à ma voix.
 
Venez aussi vers moi, vers tendres et coulants,
Qui chantez dans l’Idylle, et les bois et les chants,
Ô vous qui dépeignez la saison printanière
Ou l’amant qui soupire aux pieds de sa bergère,
Vers légers ou badins, pompeux ou languissants,
Accourez à ma voix.

 

AUTRE.

O temps heureux de la chevalerie,
Temps fortuné de la galanterie,
Vous n’êtes plus, hélas ! Plus d’Amadis
Plus de Renauds, les amours engourdis
Ont méconnu leur antique patrie,
Le chevalier n’expose plus sa vie
Pour son pays, pour sa belle chérie.
Vous n’existez plus que dans nos écrits,
O temps heureux !
 
Plus d’enchanteurs, hélas ! Plus de féerie,
Dans l’ignorance et dans la barbarie,
Depuis longtemps nous sommes abrutis,
Temps des Arthurs et des Bliomberis,
Vous avez fui loin de notre patrie,
O temps heureux !

 

RONDEAU REDOUBLÉ.

Je ne chanterai plus, je veux briser ma lyre,
Le métier que je fais est par trop dangereux.
Je veux brûler les vers qui firent mon martyre,
Je ne veux plus souffrir le destin rigoureux.
 
Dans certains jours, lorsqu’Apollon m’inspire,
Je veux traiter un sujet langoureux,
Mais la rime toujours se refuse à mes vœux,
Je ne chanterai plus, je veux brûler ma lyre.
 
Une autre fois je fis une satire
Où voulant rire au nez des envieux,
J’apprêtais aux autres à rire,
Le métier que je fais est par trop dangereux.
 
Mais c’est en vain que je veux bien écrir
A moi s’attache un sort malencontreux.
Que faire, hélas ! En mon état affreux
Je veux brûler les vers qui firent mon martir.
 
Sans doute un autre état me rendrait plus heureux,
Car cette gloire à laquelle j’aspire,
Rend dès longtemps ma fortune encore pire.
Je ne veux plus souffrir le destin rigoureux.
 
ENVOI
 
Gloire, pour qui plus d’un mortel soupire,
J’abandonne en ce jour ton chemin trop scabreux.
Ah ! trop longtemps exista mon délire,
Je quitte enfin ce métier dangereux.
Je ne chanterai plus !

 

A TINDARIS.

Il l’invite à venir passer quelques jours à la campagne.

Souvent Faune quittant les sommets du Lycée,
Vient habiter ces lieux et ces coteaux riants.
Il garde mes brebis de l’haleine glacée,
De l’auster furieux et des sombres autans.
Dès que l’écho qui fuit au fond de nos vallées
Reproduit dans nos bois ses joyeuses chansons
Mes chèvres, mes moutons paissent dans ces contrées,
Parcourent sans danger et les bois et les monts,
Épars la nuit, le jour sur nos vertes collines,
Ils y broutent en paix le thym et l’arboisier,
Ils errent à loisir dans les plaines voisines,
Sans craindre le serpent et le loup meurtrier.
En paix mes doigts brûlants font résonner la Lyre,
Les habitants des cieux chérissent mes accents.
Ah ! venez dans ces lieux où ma Muse m’inspire,
L’automne, Tindaris, vous offre ses présents,
Là vous pourrez, tranquille, admirer la Nature.
Dans le réduit heureux d’un paisible vallon,
Vous pourrez des oiseaux écouter le murmure,
Ou faire résonner le luth d’Anacréon,
Goûtant de Tivoli les verdoyants ombrages,
Vous pourrez enchanter ces aimables bocages.
Vous pourrez de Lesbos savourer la douceur.
Là du terrible Mars Bacchus sera vainqueur,
Et tous dans ces beaux lieux vous rendront des hommages.

 

LICIDAS.

A son ami partant pour les Indes occidentales.

Le Printemps sur ses douces ailes
Avait ramené les beaux jours,
Et les rossignols infidèles
Chantaient leurs nouvelles amours ;
L’oiseau remplissait le bocage
Du gazouillement de sa voix,
Et de son tendre ramage,
Venait enchanter les bois ;
Une nouvelle verdure
Couvrait les arbres frémissants,
Tout renaissait dans la Nature,
Avec les Zéphirs caressants :
Mais sur la lyre plaintive,
Licidas, assis sur la rive,
Faisait entendre ses accents.
Il dit, l’oiseau se tait, sur la branche, immobile,
Attentif à ces chants,
Et la vague indocile,
Frappe avec moins de bruit les rocs retentissants.
« O Daphnis, disait-il, tu quittes ces rivages,
Où tu vis dans la paix couler tes jours heureux,
Et sur la vaste mer toujours grosse d’orages,
Tu vois s’enfuir bien loin le toit de tes aïeux.
Quoi, tu pars sans regret, sans regret ? non, peut-être
Tu regrettes déjà des lieux qui t’ont vu naître.
Mais un vil intérêt t’oblige à nous quitter,
Croyant que le Bonheur doit toujours t’escorter,
Tu parcours l’Océan et des mers incertaines.
Eh ! que vas-tu chercher à ces rives lointaines ?
De l’or. En est-il donc qui vaille le Bonheur ?
Ainsi de ton printemps va se flétrir la fleur.
Et lorsque rapportant ta tardive richesse,
Tu viendras pour passer une heureuse vieillesse,
La mer lasse à la fin de te porter encor
Va t’engloutir peut-être avec tout ton trésor !
Malheureux le premier dont la voile fatale
Aborda sans péril la rive occidentale,
Troubla dans leurs forêts ces peuples innocents,
Érigea son pouvoir sur leurs membres sanglants
Et jonchant ces pays de morts et de victimes,
Avec la croix du Christ y porta tous les crimes.
Tu resterais encor dans nos vallons charmants,
Cher Daphnis, tu viendrais dans nos bois verdoyants
Contre le chaud du jour chercher de frais asiles.
Mais tu pars loin d’ici, mes pleurs sont inutiles,
Désormais pour moi seul, il n’est plus d’heureux jours.
Tu pars ? Le flot qui fuit emporte mes amours. »
Il dit, reprend sa lyre, et l’Echo des montagnes
Redit ces derniers chants dans nos vertes campagnes.
Sa voix enchante encor les bois retentissants,
Et le léger Zéphir porte au loin ses accents.

 

LE DUC DE MONTMORENCY FUT CONDAMNÉ
À ÊTRE DÉCAPITÉ DEVANT LA STATUE DE HENRI IV.
J’ai demandé ma grâce, hélas ! c’était en vain,
Malheureux que je suis ! quel destin est le mien,
En vain je suppliais, et le fils et le père,
Tout était contre moi, pour moi tout était pierre.

***

Damis pour sa personne est d’un amour extrême
Et n’aimant que lui seul, il est le seul qui s’aime.

 

ÉPÎTRE SECONDE.

O toi, cher Duponchel, que ton mauvais génie
A doué comme moi d’une sotte manie
Et qui sais, à la rime asservissant tes mots,
Emprisonner un sens dans des mètres égaux,
Admirateur zélé du pur et beau classique ;
Fuis surtout, fuis toujours le style Romantique ;
Ah ! fuis, il en est temps, ces vers éblouissants,
Où tout est pour l’éclat, où rien n’est pour le sens ;
En vain de maint lecteur la bizarre manie,
Accueille de ces vers l’étrangère harmonie,
Le faux goût passera, les bardes à leur tour
Verront tomber leur gloire aux premiers feux du jour,
Et suivis de l’oubli qui sur leurs vers retombe,
Des héros de Morven partageront la tombe.
 
Quelques-uns, il est vrai, surent loin des humains,
Dans l’ombre des brouillards se tracer des chemins ;
Lamartine, Biron, et leurs rimes obscures,
Iront sans trébucher jusqu’aux races futures.
 
Eux seuls sont immortels puisqu’ils sont créateurs,
Anathème, anathème, à leurs imitateurs,
C’est en vain qu’on voudra marcher dans leur carrière,
Apollon sur leurs pas a fermé la barrière !
 
Pourquoi vouloir d’ailleurs, suivre un genre étranger,
Trop de Français déjà loin de les protéger,
Dédaignent des Français les arts et l’industrie,
Sachons mieux soutenir les droits de la patrie.
 
Que le talent au moins reste national,
Laissons dans leurs marais les héros de Fingal
Ressusciter encor leurs vieux titres de gloire ;
Mais n’allons pas sur nous leur donner la victoire,
Français, soyons Français, soyons indépendants,
Et sachons conserver le sceptre des talents ;
En vain depuis longtemps on prône l’Angleterre,
Quel auteur pourra-t-elle égaler à Voltaire ?
Qui pourrait à Rousseau préférer Richardson,
Shakespear au grand Racine, à Corneille Thompson,
A Jean Rousseau Dryden, et Milton à Delille ;
Le parallèle entre eux serait trop difficile ;
 
Et toi, savant Newton, homme inspiré d’en haut,
Nous t’opposons encor d’Alembert, et Clairaut ;
Nos auteurs, nos héros, leur mémoire immortelle,
Voilà les fondements d’une gloire éternelle ;
Voilà ce qu’outre-mer on veut en vain chercher ;
Et voilà ce que rien ne peut nous arracher !
 
Je ne te défends pas ces sublimes images,
Ces vers grands et fougueux qui font les bons ouvrages,
Mais use sobrement de ces vers, de ces mots,
Qui ne font de l’effet qu’aux oreilles des sots.
Ou, si toujours épris du style romantique,
Tu veux, faible pygmée, renverser le classique,
Va donc braver ces Dieux si longtemps admirés,
Des talents, du bon goût, arbitres révérés ;
Va ! Tu verras bientôt, Titan trop indocile,
Expirer les efforts de ta rage inutile,
Tu voudras obscurcir ces astres radieux,
Et l’éclat de leur gloire aveuglera tes yeux.
 
Ah ! Plutôt sur les pas des maîtres du Parnasse
Tâche de conquérir une honorable place,
Va cueillir des lauriers puisqu’ils te sont offerts,
Laisse là les Anglais et suis le Dieu des vers ;
 
Que les bardes du Nord s’engloutissent dans l’ombre,
Ou portent loin de nous leur style pâle et sombre !
Armé d’un verre plein, assis sur un tonneau,
Défions sans péril ces tristes buveurs d’eau.
Tous les Français sont gais et la joie est française.
Si tous les partisans de la manie anglaise
Veulent sur nos auteurs fondre de toutes parts
Qu’ils viennent : on craint peu leurs armes de brouillards !
Ou plutôt au bon goût cessant de faire outrage,
Qu’ils s’endorment en paix dans le sein du nuage !

 

LE RICHE POÈTE
CONTRE LES POÈTES DESCRIPTIFS.
« Heureux qui dans les champs toujours calme et tranquille
Y trouve le bonheur qu’il ignore à la ville ;
Dans le sein des forêts coulant des jours heureux,
Il habite le toit, berceau de ses aïeux !
Là buvant à loisir une onde toujours pure
Il reçoit les bienfaits de la seule nature.
Les fruits que le printemps lui offre à pleines mains
Composent tous les mets de ses joyeux festins ;
Il dédaigne des grands la table fastueuse
Et les raisins vermeils, la pêche cotonneuse
Qu’il mange avec plaisir dans son simple réduit
Y sont assaisonnés par le simple appétit.
Ah ! Quel bonheur pour lui quand joyeux et tranquille
Il s’en va dans le bois chercher un frais asile ;
Sans soucis il s’endort sous un antique ormeau,
Ses jours coulent alors comme ce clair ruisseau
Qui couronné de fleurs autour de lui serpente,
Et traîne en murmurant son onde languissante. »
— Ah ! voilà, direz-vous, des vers doux et touchants,
C’est d’un cœur généreux que partent ces accents :
J’aime le romantique, et si je ne m’abuse,
Ces vers sont inspirés par une tendre muse ;
Sans doute ce poète et si simple et si doux,
Bravant dans les forêts les destins en courroux,
Respirant des zéphirs la bienfaisante haleine,
Soupire ses accents au pied d’un tendre chêne
Qui frémissant de joie à des accents si beaux,
Agite tendrement ses sensibles rameaux.
— Non, dans un lit pompeux que le luxe décore,
Il chante en s’éveillant la vigilante aurore,
Qui de ses doigts de rose entrouvre l’orient
Mais il est réveillé dans le même moment,
Où Phébus dans la ville épandant la lumière
A fourni la moitié de sa courte carrière :
« 
« 
« 
« 
« 

 

LE SCEPTIQUE.

Air : Vaudeville de l’Héritière.

Jadis Pyrrhon, nous dit l’histoire,
Regardant pour rien le trépas,
A son disciple faisait croire
Que tout était songe ici-bas.
Suivant ses maximes antiques,
Quand le sort comble mes souhaits
Je me dis : vive les sceptiques,
Ah ! Le beau rêve que je fais !
 
Quand on savoure le Champagne,
Le Bordeau, le Madère sec,
Quand le Volnay les accompagne,
Avec le Frontignan, le Grec,
On passe une nuit agréable
En mangeant bien, en buvant frais,
Et l’on dit quand on est à table :
Ah ! Le beau rêve que je fais !
 
Lorsque je vois la France heureuse
Sous le Gouvernement des lois,
Relevant sa tête orgueilleuse,
Recouvrer ses antiques droits ;
Je vois une charte équitable,
Y mettant toujours le cachet
Rester toujours inviolable,
Ah ! Le beau rêve que je fais !
 
Quand je vois de dignes Ministres,
Soutenir notre liberté,
Et laisser voir dans leurs registres
Les marques de leur Probité.
Je vois leurs mesures prudentes,
Soutenir les arts et la paix,
Ils ne remboursent pas les rentes... (oh ! non),
Ah ! Le beau rêve que je fais !
 
Bien souvent dans ma rêverie
(Comme je rêve de travers),
Je vois la liberté chérie,
Descendre dans notre univers ;
Prosternez-vous, peuples de France,
Elle vient apporter la paix !
Peuples formez une alliance...
Ah ! Le beau rêve que je fais !
 
Bien souvent mon esprit s’enflamme,
Lorsque je lis nos grands auteurs,
Je sens une divine flamme,
Elle vient embraser mon cœur ;
Attendez-moi, Rousseau, Voltaire,
Je m’élance aux sacrés sommets ;
Attendez, je quitte la terre, ...
Ah ! Le beau rêve que je fais !

 

LE RETOUR DE L’EXILÉ.

Élégie nationale.

Dites surtout aux fils des nouveaux preux
Que j’ai chanté l’infortune et la gloire
Et déploré mon pays malheureux.

Béranger

Au tumulte des camps, aux fracas des batailles,
Le calme succédait, mais un calme trompeur ;
Nous recevions la paix, qu’imposait le vainqueur,
La paix, et l’ennemi remplissait nos murailles !
 
Devant notre premier revers,
Nous avions vu fuir la victoire
Et l’aigle de la gloire
S’endormait dans les fers.
Vous n’étiez plus, temps héroïques,
De nos exploits anéantis ;
Vous n’étiez plus, lauriers civiques,
Que des traîtres avaient flétris.
 
O toi, guerrier, dont la vaillance
Si longtemps protégea la France,
Tout ton pouvoir est renversé,
Fléau des libertés humaines,
Au monde tu donnas des chaînes,
Et tes captifs t’ont terrassé !
 
Dans une île inconnue et qu’illustre ta gloire
Tu vas ensevelir ton nom et ta mémoire,
Objet de crainte encor pour tes lâches vainqueurs
Tu survis, roi sans gloire à tes propres malheurs ;
Chassé par des amis perfides,
Renversé par la trahison,
Ainsi que le soleil il quitta l’horizon,
Qu’embrasaient ses feux trop rapides ;
Au sein de l’Océan ses rayons abattus,
Éteignirent leurs feux dans les plaines humides ;
C’est là qu’il s’endormit, et ne s’éveilla plus !
………………………………………………..
………………………………………………..
Après tant de malheurs, après tant de défaites,
La France se relève et demande ses rois.
Tes rois ?... Où sont tes antiques conquêtes,
Où sont tes magiques exploits,
Où sont l’empire et la victoire,
Où sont tes lauriers et ta gloire ?
Où sont-ils ces tributs de cent peuples soumis ?
Ces immortels travaux faits d’une main mortelle,
Ces amas d’étendards pris sur les ennemis,
Registres imposants d’une gloire éternelle ?
 
Où sont-ils ces guerriers que la France enfanta ?...
Allez les demander à la terre endurcie,
Aux neiges, aux glaçons qui couvrent la Russie,
Aux peuples indomptés que domptèrent leurs bras.
 
Voyez-les s’enfoncer dans la neige profonde,
Ces bataillons vainqueurs, l’épouvante du monde,
Mais vaincus par le froid plus que par les combats !
Allez dans ces pays où sous d’épais frimas,
S’engloutit une armée entière ;
Vous les verrez debout, froids, et sans mouvement,
Ils conservent encor leur maintien menaçant,
Et leur attitude guerrière.
 

 

ÉLÉGIE NATIONALE

A mettre en vers.

I.

Ils sont morts, nos guerriers, ils sont morts dans nos plaines Et nos mains n’ont pu ensevelir leurs corps couverts d’honorables cicatrices, Et le flambeau funèbre n’a pas lui pour eux ; Mais qu’en avaient-ils besoin, ces fils de la victoire ; Leur renommée les protège et voilà le plus beau tombeau, l’immortalité s’élève, et ce sera la glorieuse colonne qui le distinguera des autres tombeaux ; et le temps ne la détruira pas, mais elle croîtra de plus en plus dans l’avenir !

II.

On cherche en vain le monument des héros des Thermopyles, la terre de la servitude a dévoré ce glorieux ressouvenir de la liberté ; Ô Grecs, tâchez de relever ce monument antique de votre gloire et sachez défendre la mémoire de vos aïeux !

Quant au tombeau de nos guerriers il s’élèvera tout rayonnant de gloire, Et révélera aux siècles futurs les exploits des siècles passés.

III.

Il leur rappellera le jour déplorable, où la France pleura ce funeste revers qui détruisit l’effet de trente ans de victoires, mais qui n’en détruisit pas le souvenir ; Ce jour où les peuples vaincus enchaînèrent leur vainqueur, ce jour où l’arbre de la liberté que Napoléon voulait renverser, écrasa le conquérant de ses ruines ensanglantées.

IV.

Villes que nos ennemis avaient tant de fois convoitées, provinces dont ils avaient si longtemps désiré la possession, vous les avez reçues dans votre sein ; Et votre sol n’a pas tremblé ? Et les ombres guerrières de ces héros qui en défendirent si longtemps les approches ne se sont pas levées de cette terre victorieuse ; et cette terre même, arrosée du sang des guerriers, ne s’est point soulevée pour engloutir les légions étrangères.

V.

C’est que ce n’était plus la terre de la liberté. Le despotisme l’avait souillée. C’était un despote, Napoléon, mais aussi la gloire régnait avec lui ; la gloire, belle encor plus que la liberté ! Mais l’étranger y a passé, et les lauriers ont disparu, et l’illusion s’est dissipée et sur cette terre aride, on a cherché en vain les traces de son antique fécondité.

 

LES MARTIN.

A Saint-Germain il est quatre Martin.
Le premier, vil, ignorant journaliste,
Est rédacteur d’un journal royaliste
Qui dans les lieux anglais s’employe les matins.
L’autre a fait un poème en grands vers anodins
Qui peut servir au même usage ;
Pour Martin III il est beaucoup plus sage,
Il n’écrit pas, mais il porte au marché
Les produits du jardin que son maître a bêché ;
Ses élans sont plus sûrs, quoiqu’un peu moins sublimes.
Quant au dernier, il n’est fait que de bois,
Martin-bâton, le plus rude des trois,
Et la terreur de tous les homonymes.

 

ODE À M. DUPONCHEL.

Toi qui t’enivres d’ambroisie,
Et qui dois un jour par tes vers,
Et par ta sombre poésie
Aller effrayer l’univers,
Je t’adresse ici quelques rimes
Et quelques accords moins sublimes.
Faibles fruits d’un rare loisir,
Un vain caprice les inspire,
Trop heureux si tu peux les lire,
Et les lire sans t’endormir.
 
Que ton âme, que ta pensée
Sensible à mon empressement,
De ses brouillards débarrassée,
Avec moi converse un moment,
Unissons le noir Romantique
Avec le sévère Classique,
Entonnons des accords nouveaux ;
Et que la source d’Hippocrène,
Aille au fier torrent de la plaine
Réunir ses paisibles eaux.
 
Hélas ! mon esprit en délire
Prétend à la célébrité.
Je veux des accords de ma lyre
Enchanter la postérité.

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