1824 — Poësies et Poëmes, par Gérard L***** (NPl I, p. 30-8)

Recueil manuscrit autographe de 139 pages, composé de deux parties, une épopée héroï-comique burlesque en six chants intitulée L’Enterrement de la Quotidienne, pièce satirique de circonstance, signée Gérard L*****, et, sur un autre manuscrit « G.L. de la famille des trois étoiles *** », et des Essais poëtiques qui ont en commun quelques pièces avec le cahier de Poésies diverses : « Licidas, à son ami Daphnis », « A Tindaris », « Petite Satire » et « Le Chant d’un Espagnol ». À noter également que l’on connaît du poème liminaire :  « Les froids autans » un manuscrit autographe, qui comporte le titre : « Satire »

Sur la page de titre, Poësies et Poëmes est calligraphié en arc de cercle, suivi de la mention : « Par Gérard L***** » et d’un fleuron dessiné à la plume, représentant trois jeunes gens sur les nuées de l’Olympe. L’un, ailé, tient une couronne de laurier derrière la tête du deuxième, qui tient une flûte à la main, a un casque à ses pieds et tend la main vers une coupe que lui tend le troisième.

La première partie du recueil (78 pages) a un feuillet de titre : «  L’Enterrement de La Quotidienne, poëme épique, par Gérard L...... orné d’une préface dans le plus nouveau genre au Collège de Charlemagne ». Cette mention a été biffée et remplacée par : « Par G...... ». À la suite, entre deux filets, une citation en caractères grecs, traduits : « Il faudrait être un dieu pour chanter leurs exploits, Hom(ère) Il(iade) ch. XII », un dessin à la plume représentant une lyre surmontée d’un pot à feu, et la date de 1824, corrigée en 1826. 

La deuxième partie (53 pages) a également un feuillet de titre : « Essais poëtiques », orné d’un dessin à la plume représentant un cartouche portant les deux initiales GL, soutenu par deux trompettes de la renommée et daté de 1824. Nerval a noté avec beaucoup de soin l'âge qu'il avait au moment de la composition des poèmes.

Le manuscrit a été donné par Nerval à Arsène Houssaye en 1852, au moment de la publication de La Bohême galante par L’Artiste. Il porte la mention, au crayon bleu, de la main d’Arsène Houssaye : « Donné par Gérard de Nerval à Arsène Houssaye 1852 ».

Ce recueil témoigne des mêmes préoccupations que celui de Poésies diverses en matière formelle, et les mêmes engagements politiques et littéraires.

Voir la notice LES ANNÉES CHARLEMAGNE

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ESSAIS POÉTIQUES

1824

 

[SATIRE]

Les froids Autans ont glacé nos contrées,
Voilà l’hiver, et les vents furieux
Soufflent au loin leurs fureurs insensées
De noirs brouillards ont attristé les cieux,
Eurus triomphe, et ma veine glacée
Pour s’affranchir en vain fait un effort,
Le froid piquant comprime ma pensée,
Ma muse en vain veut prendre son essor ;
Lorsqu’oublié des neuf sœurs du Permesse
Pour m’échauffer je souffle dans mes doigt.
Du gros Mondor la tranquille paresse
Sait défier et les vents et les froids.
Près du foyer, en attendant sa table,
Et son festin par Comus apprêté,
Ce bon prélat dans un lit délectable
Berce à loisir sa molle oisiveté.
Lorsque pensant goûter de l’ambroisie,
Et me croyant dans le divin banquet,
Je fais souvent grâce à ma rêverie
Un bon repas d’un repas sans apprêt ;
D’un pied léger, d’une démarche fière,
Je vois Damis courir au ministère,
Il faut le voir traverser un ruisseau ;
Mais il arrive et d’un air plus modeste,
Ralentissant sa démarche et son geste,
Devant le Suisse il ôte son chapeau,
C’est aujourd’hui que le ministre traite
Les intrigants et ces solliciteurs,
Et ces fripons surtout, dont il achète
Par des dîners, le mercenaire honneur.
De toutes parts entrent chez l’excellence
Tous ces fermiers, favoris de Plutus,
Tous ces banquiers, plus riches que Crésus,
Et regorgeant du sang de l’indigence,
Ces électeurs que l’espoir des emplois,
Et des dîners, plus d’une fois engage,
À trafiquer et leur vote et leur voix,
On les voit tous encombrer le passage ;
Moi qui préfère à ce pompeux dîner,
Empoisonné par l’ennui, l’étiquette
Du pain, de l’eau dans mon pauvre grenier,
Assaisonné d’une gaieté parfaite,
Je ne vais pas comme ces intrigants,
À mon destin enchaînant la fortune,
Matin et soir solliciter les grands
Et leur porter une plainte importune,
J’aime bien mieux, malheureux ignoré,
Souffrir cent fois la faim et la misère
Que de me voir de faquins entouré,
Sous mes coursiers faisant trembler la terre,
Courir Paris en carrosse doré ;
Qu’il roule donc celui dont l’opulence
À ce point-là sut endurcir le cœur,
Qu’il roule, il craint de plaindre la misère,
Qu’il roule, il craint d’adoucir le malheur ;
Moi qui suivis le métier de Phébus,
J’appris bientôt combien de fois l’outrage
Fut du talent le rude apprentissage ;
J’appris bientôt quels étaient les abus,
Qui s’exerçaient au poétique empire ;
Je vis souvent les auteurs de chansons
Récompensés et bravant la satire ;
Par de nouveaux et d’odieux Fréron
La vérité dans ce siècle avilie,
Ne trouvant plus d’asile au fond des cœurs,
Fuit loin de nous, méprisée et ternie,
On voit le vice engloutir les honneurs
Et le mérite à Sainte-Pélagie.

15 ans.

 

CORTÈGE DE LA DISCORDE

Fragment

Ceux-ci qui sortaient des Enfers,
N’avaient pas un air fort aimable.
C’était l’Envie aux yeux couverts,
Mégère aux regards détestables,
Alecton ses serpents en main,
Tisiphone, et la mort camarde ;
La peur, et la Terreur enfin,
Formaient tous deux l’arrière-garde.

14 ans.

 

Fragment d’un poème

LA DISCORDE DESCEND SUR TERRE

Déjà la sombre nuit a répandu ses voiles
Dans le ciel scintillant d’éclatantes étoiles,
Déjà l’on ne voit plus la porte Saint-Martin,
Et l’ombre a descendu sur le clocher voisin.
La lune au char d’argent nous offrant sa lumière
A déjà de la nuit marqué l’heure première :
Heure où les ouvriers après de longs travaux
Trouvent dans le sommeil un remède à leurs maux,
Heure où le vieux Ultra couché dans sa bergère
Près de La Quotidienne a fermé la paupière,
Où l’avide joueur sans prendre aucun repos,
Pour perdre son argent, entre dans les tripots.
Lors sur notre cité la discorde sanglante
Jeta les yeux du haut de la voûte éclatante,
Et voyant tout tranquille en son aigre douleur
Exhale tout le feu de sa noire fureur :
« J’ai su pour un lutrin exciter une guerre,
Pour un seau enlevé j’ai fait trembler la terre,
Et cependant tout dort et las de disputer,
Les mortels maintenant voudraient me tourmenter.
Accourez tous ici, soutiens de mon royaume.
Venez tous avec moi reconquérir mon trône. »
Aussitôt la déesse agite son flambeau,
Alors on vit paraître un spectacle nouveau,
Attirés par ses cris du fond des antres sombres,
Sortent les habitants du royaume des ombres.
Les voyant autour d’elle assemblés, aussitôt
Elle prend la parole, et leur parle en ces mots :
« Voyez donc ces Français, ce peuple vain, impie
Oserait mépriser ma souveraineté ;
Eh bientôt je perdrais mon entrée et sortie
À la Chambre des pairs, et même aux députés.
Vengez-moi, vengez-vous, vengeons notre puissance
De disputes, de cris, allons remplir la France ! »
Soudain l’escadron noir se met en marche, part
Et déjà dans son vol parcourt le boulevard.
C’était l’heure où craignant la visite nocturne
Des filous qui la nuit s’en vont chercher fortune
Des bons Parisiens de leur repos jaloux,
Ont fermé leur boutique et poussé les verrous.
Non loin du Château-d’Eau, monument aquatique,
S’élève d’un taudis l’édifice gothique,
Quatre rangs d’ais pourris aux yeux du regardant
Y présentent des pots de cirage luisant.
« Arrêtons-nous ici, dit l’affreuse déesse,
Et n’allons pas plus loin puisque l’heure nous presse,
Et que le blond Phébus sorti du fond des eaux
Va bientôt atteler ses rapides chevaux. »
La déesse a parlé, quelle étrange merveille !
Quel miracle a changé son visage hideux !
Son flambeau c’est un peigne, et dessus son oreille
L’ivoire dentelé relève ses cheveux.
Son poignard menaçant en rasoir se transforme,
Elle porte une veste, un sale tablier,
Elle tient à la main une perruque énorme,
Et tout annonce en elle un garçon perruquier.

(13 ans 1/2.)

Fin du fragment.

 

 

Du même

DESCRIPTION D’UNE CLASSE DE DESSIN

Fragment

Penché sur son carton l’un d’un crayon habile
Représente à nos yeux l’impétueux Achille,
L’autre esquisse à grands traits le bouillant Romulus,
Qui dispute l’empire au sage Tatius,
Un troisième avec soin dessine deux athlètes,
Et l’art de la nature, infaillible interprète,
A rendu leur posture et leurs muscles tendus,
On les voit l’œil en feu et les bras étendus,
S’avancer pleins d’ardeur, terribles et sans crainte,
Tout prêts à se livrer une mortelle atteinte...
 
Non loin de celui-ci, dédaignant la figure,
Cet autre admirateur de la belle nature,
Dessine avec grand soin les bois et les vallons,
Tout semble s’animer sous ses savants crayons.

13 ans 1/2.

 

LE MISSIONNAIRE

Fragment

Allez à Saint-François voir ce missionnaire,
Qui d’un son éclatant tempête dans sa chaire.
Que dit-il ? Je l’entends prêcher contre le vin,
Après un long sermon il se lève soudain,
Il sort ; mais maintenant suivons-le de la vue,
Nous le verrons entrer au détour d’une rue
Chez un marchand de vin, et là sans se gêner
Du liquide enivrant humecter son gosier.

13 ans 1/2.

 

L’ENFANCE

Qu’ils étaient doux ces jours de mon enfance
Où toujours gai, sans soucis, sans chagrin,
Je coulais ma douce existence,
Sans songer au lendemain.
Que me servait que tant de connaissance
A mon esprit vinssent donner l’essor,
On n’a pas besoin des sciences,
Lorsque l’on vit dans l’âge d’or.
Mon cœur encore tendre et novice,
Ne connaissait pas la noirceur,
Et le mensonge et l’artifice.
De la vie en cueillant les fleurs,
Je n’en sentais pas les épines,
Et mes caresses enfantines
Étaient pures et sans aigreurs.
Croyais-je exempt de toute peine
Que dans notre vaste univers,
Tous les maux sortis des enfers
Avaient établi leur domaine.
Nous sommes loin de l’heureux temps
Règne de Saturne et de Rhée,
Où les vertus, les fléaux des méchants,
Sur la terre étaient adorées,
Car dans ces heureuses contrées
Les hommes étaient des enfants.

13 ans 1/2.

 

LE BON TEMPS

Fragment.

Quel heureux temps que le temps de nos pères !
Partout régnait la vertu, la candeur,
La piété, maîtresse de leur cœur,
De son flambeau leur offrait les lumières.
On allait à la messe, et l’on jeûnait,
Les vendredis, Quatre-Temps et Vigile.
Le soir venu, la joyeuse famille
Autour du feu souvent se rassemblait.
Dans son fauteuil la bonne douairière
Leur racontait des contes de son temps,
Au doux récit de ces vieilles chimères
Dans leur effroi voyez les assistants
Se resserrer les uns contre les autres,
Craignant de voir spectres et farfadets
Et dans leurs cœurs disant leurs patenôtres
Pour écarter les démons, les follets ;
Dans ces bons temps tels étaient donc les charmes,
Que produisaient ces douces fictions.
Pendant ce temps la passion des armes
Guide au combat le brave champion,
La lame en main pour l’amour de sa belle,
Toujours errant il bravait le trépas,
Aux champs de Mars la victoire l’appelle,
Aux champs de Mars il dirige ses pas,
Pendant ce temps sa chère Dulcinée
Dans son castel attendait son amant,
Elle y restait souvent plus d’une année,
Jusqu’à ce que fidèle à son serment
Le chevalier vînt offrir à sa belle
Non pas la main car il n’en avait plus :
Dans les combats une hache cruelle
De ce membre l’avait rendu perclus,
Il revenait avec une béquille,
Accompagné de son fougueux coursier,
Seul bien qu’il eût, las ! car le pauvre drille
N’avait là-bas cueilli que des lauriers.
Temps fortuné de gloire et de franchise,
Siècles heureux et pleins de liberté !
Temps de l’honneur et de la vaillantise
Tu n’es donc plus, temps jadis si vanté.
Plusieurs auteurs au temple de mémoire
Ont consigné les glorieux exploits
Des preux guerriers, des princes et des rois
Qui de ces temps ont illustré l’histoire ;
Les Amadis, les Renauds, les Rolands,
Furent longtemps en faveur près des belles
On ne voyait partout que des romans
Entre les mains de nos chastes pucelles...
En dix-huit cent le bon goût succéda
Aux visions de ces faiseurs de fables
Et d’A*** en vain se démena,
Pour ramener ces écrits agréables.

14 ans.

 

CE N’EST QU’UN RÊVE

OU LE SCEPTIQUE

[Se trouve déjà dans le recueil Poésies diverses sous le titre : « Le sceptique »]

 

CHANTS ÉLÉGIAQUES

 

LE CINQ MAI

Le soleil s’est caché sous de sombres nuages,
Un vent précurseur des orages
Glisse dans l’horreur des forêts ;
Du peuplier et du tremble,
On voit s’agiter les sommets.
La crainte et l’effroi rassemble
Les timides oiselets ;
Dans sa terreur inquiète
Le loup cherchant une retraite
Laisse en paix les jeunes agneaux
Et dans sa crainte soudaine
Le vautour vole dans la plaine
Parmi les tendres tourtereaux.
De ces antiques châteaux
Le vent ébranle le portique,
Et dans le clocher antique
Vient agiter le beffroi ;
Tout se tait et dans la nature
Un sombre et triste murmure
Remplit tous les cœurs d’effroi,
Sur le cyprès qui dans les cieux s’élance
L’oiseau des nuits qui se balance
Des sons lugubres de sa voix
Fait au loin retentir les bois.
La foudre gronde dans l’abîme.
Quelle est la nouvelle victime
Qui descend aux sombres séjours,
Quel est le mortel déplorable,
Dont la Parque inévitable
Vient de terminer les jours ?
N’est-ce pas ce Crésus dont l’indigne opulence
Refusant une obole au pauvre malheureux
Dans ses palais fastueux
Cachait son altière insolence ?
Mais il faut enfin tout laisser,
Quand le cruel destin le presse
Et tous ses biens et toute sa richesse
Ne pourront pas l’en dispenser.
N’est-ce pas toi que dès l’enfance
Poursuivit toujours le malheur ?
Tu ne connus jamais l’aisance,
Jamais tu n’as vu le bonheur
Sourire à ton indigence
Tu ne connus que la douleur.
Mais non, le riche existe encore,
Le pauvre placé dès l’aurore
Au pied de l’orgueilleux palais
Tend encor sa main importune
A toux ceux que la fortune
A comblé de ses bienfaits.
Mais l’orage a redoublé,
Des coups terribles de la foudre
Les arbres sont réduits en poudre,
Le roc mugit ébranlé ;
Mais des fantômes funèbres
Au milieu de l’obscure nuit
Percent l’horreur des ténèbres,
L’un d’eux s’avance et me suit ;
Tel que ces feux qui dans l’orage
Glissant sur l’azur des flots
Vont ranimer le courage
Des timides matelots.
Quelques lauriers sanglants s’inclinent sur sa tête
Son front altier brave encore la tempête,
Sur sa palme flétrie on lit en frémissant
Ces mots : « Austerlitz, Mont-Saint-Jean. »
Un seul revers contre trente ans de gloire.
Tremble, dit-elle en frémissant,
Le second Mars, le dieu de la victoire,
Un vil poison a terminé ses jours,
Il meurt exilé, sans secours,
Sur une terre étrangère ;
Pleure, ton souverain expire dans les fers ;
Sur un roc, au milieu des mers,
Loin d’une terre hospitalière,
« Qu’avez-vous fait, diront d’autres mortels,
Du héros à qui Rome eût voué des autels
Du héros qui jadis, favori de la gloire,
Vous conduisait à la victoire ? »
Alors vous répondrez : « Il est mort sans secours
Et le poison perfide a terminé ses jours ! »
Il vous manquait encor cet excès d’infamie
Socrate, Phocion, ne soyez pas surpris,
Il est des lieux encor loin de votre pays,
Des lieux où les héros sont en butte à l’injure.
Que direz-vous, Français, à la race future,
Dont les décrets trop sûrs retomberont sur vous ?
Vous lui direz : « L’Enfer où les dieux en courroux
Amenant dans nos murs la terrible anarchie
Avait ensanglanté notre chère patrie.
Les flots de sang coulaient dans nos rangs divisés
L’ennemi paraissait dans nos murs ébranlés ;
Un guerrier, un héros, noble enfant de la gloire,
Dans nos foyers enfin ramena la victoire.
Ce guerrier illustré par vingt ans de succès
Faisait fleurir les arts et les talents français.
Mais par un seul revers sa gloire fut troublée
Avec lui tombe aussi sa puissance ébranlée,
Il meurt, abandonné, sans appuis, sans secours,
Et le poison perfide a terminé ses jours.
Mais il existe encor, sa gloire menaçante
Apparaît aux Français comme une ombre sanglante,
Et de ses grands exploits l’éternel souvenir
Peindra votre infamie aux siècles à venir. »

 

Poésie imitée d’Ossian

(15 ans.)

SUR LES RUINES DE BALCLUTA

Le temps n’a point affaibli mon courage,
Mon bras supporte un pesant bouclier,
Mon cœur sous l’indomptable acier,
Frémit et palpite de rage ;
Ombres de mes aïeux, errantes à loisir
Dans vos palais d’azur et de nuées,
Par mes chants laissez-vous fléchir,
Vengez nos villes outragées.
Blanche Cathlin du haut des cieux,
Cesse d’éclairer le ravage,
Des demeures de nos aïeux,
Qu’un ennemi barbare outrage
D’un sombre nuage de sang.
Voile ta lueur complaisante
Et que ton disque pâlissant,
Inspire à tous les cœurs la crainte et l’épouvante.
D’Uloïcho les rayons blanchissants
Brillent dans nos tristes contrées,
Il verse ses feux éclatants
Dans nos champs et dans nos vallées ;
Guide des nuits, ah ! dérobe à nos yeux,
Dérobe à ma faible paupière
L’aspect de nos maux douloureux,
Et de notre affreuse misère ;
Dans le silence des forêts,
Je chanterai sur la lyre plaintive
De nos vainqueurs les horribles forfaits,
La valeur dans les fers et la vertu captive
Qui finira nos maux et nos tourments,
Ville superbe, où sont les tours altières
Où sont tes colonnes si fières,
On ne voit plus que des fragments
Des débris, des morceaux de pierre
Où s’élevaient tes monuments.
Dans une fange infecte et vile
J’ai vu ces palais autrefois,
Élevés d’un art difficile,
Et sur le trône de nos rois
J’ai vu ramper l’affreux reptile,
Et toi, l’objet de tous mes vœux,
Chère et malheureuse patrie,
Demeure de nos vieux aïeux,
Seras-tu toujours asservie ?
Non, non, contre tes oppresseurs,
Nous portons le fer et la guerre,
J’entends la trompette guerrière
Qui va ranimer notre ardeur.
Liberté, bonheur de la vie,
Reviens sur nos bords malheureux.
Et toi chère et noble patrie,
Demeure de nos vieux aïeux,
Tu ne seras plus asservie.

 

LE VAISSEAU

Traduction de Gessner

Tu fuis, ô nef, qui fends les vastes mers,
Et portes ma Daphné vers un lointain rivage,
Que le seul dieu d’amour avec elle voyage,
Que Zéphir seul ride les flots amers.
 
Murmurez doucement autour de son navire
Flots argentés et si jamais ses yeux
Se reposaient sur vos folâtres jeux,
Ah ! que son cœur alors pense à moi, puis soupire.
 
Et toi, terrible mer, sois calme et sans orages,
Tu portes la plus belle enfant,
Qu’on confia jamais à tes flots blanchissants,
Pure comme le Dieu qui dore nos rivages.
 
Aussi belle que Cythérée,
Lorsque sortant de l’écume des mers
Elle monta sur sa conque azurée
Et courut à ses lois soumettre l’univers.
 
Les dieux de l’onde qui la virent
Oublièrent dans leurs transports,
Et les doux jeux et les tendres sourires
Des néréides de ces bords.

 

LICIDAS

A son ami Daphnis partant pour les Indes occidentales

[Se trouve déjà dans le recueil des Poésies diverses]

 

LE PAUVRE

« O toi qui dans un char brillant
De plaisir en plaisir promènes ta jeunesse,
Suspends un moment ton ivresse,
De grâce, arrête un seul instant,
Écoute ma plainte importune.
Jadis l’inconstante fortune
M’avait comblé de ses bienfaits ;
Maintenant placé dès l’aurore
Au pied de ces riches palais,
Que le luxe insolent décore,
Je répète à tous désormais :
“Donne au malheureux qui t’implore !”
Ô toi qui captives les cœurs,
Par tes talents et par ta grâce,
Prête l’oreille à mes malheurs,
Préviens le sort qui me menace ;
Ta main secourant l’indigent,
Semblera bien plus belle encore,
Aide par un léger présent
Cet infortuné qui t’implore.
Ô toi qui de l’est au couchant
Portes une heureuse abondance,
Tu viens enrichir notre France
Des fruits d’un autre continent,
Arrête un seul moment ta course,
Daigne aider l’honnête indigent ;
Accorde-lui quelque ressource,
Ces biens, l’objet de tes souhaits,
Te sembleront plus doux encore
S’ils sont consacrés aux bienfaits.
Donne au malheureux qui t’implore ! »
Ainsi chantait l’infortuné perclus
Qui tendait sa main chancelante.
Mais il se tait, on n’entend plus
Les sons de sa voix défaillante,
Hélas, qui donc peut l’arrêter ?
Mais près du lieu où le pauvre s’arrête,
Roule un équipage étranger,
Soudain il détourne la tête,
Il craindrait de solliciter
Les dons d’une main étrangère.
Mais quand le carrosse brillant
Ne fait plus résonner la terre
Il se retourne promptement,
On l’entend répéter encore :
« Ah ! secours un pauvre indigent,
Donne au malheureux qui t’implore. »

 

ODES D’HORACE

 

A TINDARIS

L’auteur demande pardon à Tindaris des vers qu’il a faits contre Gratidie, sa mère

Fille plus belle encor d’une adorable mère,
Les vers que mon délire écrivit contre vous,
Ces indigents produits d’un trop coupable père,
Ces ïambes sanglants qu’enfanta mon courroux,
Vous pouvez les livrer aux ondes frémissantes,
Ou les jeter en proie aux flammes dévorantes.
Pardonnez seulement à ma vive douleur.
Non, les transports sacrés qu’inspire à sa prêtresse
Du serpent pythien le terrible vainqueur,
Ou du joyeux Bacchus la turbulente ivresse,
N’égalent pas les feux de l’ardente fureur ;
Rien ne peut l’arrêter, ni les mers conjurées
Ni l’ardeur des combats, ni les feux dévorants,
Ni les glaives vengeurs, les ondes courroucées
Ni du grand Jupiter les foudres menaçants ;
Quand le fils de Japet par un art difficile
Sut animer jadis et la boue et l’argile,
Sa main en nous formant plaça dans notre cœur,
Du lion rugissant l’implacable fureur.
C’est cette ardeur aussi, c’est ce poison funeste,
Qui causa les forfaits du coupable Thyeste.
Elle domine au loin sur des murs renversés
Sur des débris sanglants, sur des morts entassés,
Et sur le sol fumant d’une ville abattue,
Un insolent vainqueur fait passer sa charrue.
Arrêtez donc le cours de vos ressentiments
Charmante Tindaris, et moi dans mon printemps
Quand des feux trop actifs animaient ma jeunesse
On m’a vu manier l’ämbe vengeresse ;
Mais l’âge a ranimé des sentiments plus doux,
J’abjure pour toujours le fiel de la satire,
Pour vous seule à jamais je monterai ma lyre,
Si vous voulez calmer votre juste courroux.

 

A TINDARIS

Il l’invite a venir passer quelques jours à la campagne.

[Se trouve déjà dans le recueil des Poésies diverses]

 

A TORQUATUS

Il l’invite a bien se réjouir pendant la belle saison

Ode VI, livre IV

La neige disparaît et déjà nos coteaux
Se sont parés d’une tendre verdure,
Des feuillages naissants ont couvert les rameaux.
Tout rajeunit dans la nature,
Les fleuves reprenant leur cours
Roulent sous la verte feuillée
Leur eau mollement agitée.
Flore ramène les beaux jours,
Jeune Euphrasie avec tes deux compagnes
Dansant sous nos feuillages verts
Tu viens des nymphes des montagnes
Diriger les joyeux concerts.
Cher Torquatus on voit fuir les années
N’espérons pas vivre toujours,
Car bientôt de nos destinées,
Atropos va trancher le cours.
Chaque saison, chaque journée
Vient nous rapprocher du trépas ;
Lorsque recommence l’année
Le printemps succède aux frimas,
Les moissons de Cérès et les fruits de Pomone
Embellissent l’été de leurs présents divers ;
Et bientôt la fertile Automne
Traîne après elle les hivers
Ainsi qu’une ombre fugitive.
Nous voyons fuir tous nos beaux jours
Et peut-être à la sombre rive
Demain nous passons sans retour,
Les saisons tous les ans reviennent à leur tour ;
Phœbé ramène chaque année
Des fleurs la saison fortunée,
Mais nous nous passons pour toujours
Lorsque déposés dans la terre,
Nous aurons rejoint Ancus,
Énée et le riche Tullus
Nous ne serons plus que poussière,
Et tous nos biens seront pour nous perdus.
Cet or qui fait à tous envie
Sachons en user les premiers.
Ce que l’on donne aux plaisirs de la vie,
On l’arrache à son héritier ;
Lorsque cédant au sort inévitable,
Minos de tes derniers moments,
Aura tracé l’arrêt irrévocable
Ta naissance ni tes talents
Ne te rendront à la lumière.
Phœbé vit malgré ses efforts
Hippolyte quittant la terre
Revoler aux sombres bords.

 

A POSTUMUS

Sur les ailes du temps on voit fuir notre vie.
Postumus, tes vertus ne pourront arrêter
Le temps qui pèse, hélas ! sur ta tête flétrie.
Aux rides, à la mort qu’on ne saurait dompter
Ne s’opposeront pas tes nombreux sacrifices ;
Non, quoique chaque jour avec trois cents génisses,
Tu tâches d’apaiser l’inflexible Pluton,
Ce Pluton qui retient le triple Géryon,
Et l’odieux Sisyphe, et l’immense Titye,
De cette onde qu’il faut traverser une fois,
Soit que dans le malheur nous traînions notre vie
Ou soit que nous marchions dans le landau des rois ;
En vain nous aurons fui les combats, les armées,
En vain nous aurons craint les ondes conjurées,
Il nous faut voir un jour ce Cocyte odieux,
Formidable aux humains, et révéré des dieux,
Du sang de Danaüs le terrible supplice,
Et du fils d’Eolus le pénible exercice ;
Lorsque la triste mort accourt à pas hâtés
Il faut quitter enfin les lieux qui t’ont vu naître,
Cette épouse qui plaît, et ces bois enchantés ;
De ces arbres chéris que ta main a plantés,
Seul l’odieux cyprès suivra son triste maître ;
Le cécube si pur avec soin conservé
Un plus digne héritier le fera disparaître,
Et de son doux nectar rougira le pavé.

 

Du mois de juin

PETITE SATIRE

[Se trouve déjà dans le recueil des Poésies diverses sous le titre : « Le riche poète »]

 

CHANT D’UN ESPAGNOL

[Se trouve déjà dans le recueil des Poésies diverses]

 

SUR LA BATAILLE DU MONT-SAINT-JEAN

O mon pays, j’ose prendre la lyre,
Que les vers qu’Apollon m’inspire
Trouvent place dans tous les cœurs,
Je veux pleurer tes défenseurs ;
Mille transports agitent ma grande âme.
Patrie, honneur vous êtes mes seuls dieux
Je sens une sublime flamme,
Qui me dit de venger mon pays malheureux.
 
Ainsi peut-être une ardeur vengeresse
Pour leur patrie animait autrefois
Les glorieux enfants de l’héroïque la Grèce.
Thémistocle, Cimon, accourez à ma voix !
Lève-toi, grand Alcibiade,
Thémistocle, Phocion
Suivez les pas de Miltiade,
Du grand vainqueur de Marathon ;
Léonidas, ranime ton courage,
Mânes des trois cents, accourez.
De la mort de nos preux votre mort est l’image.
Les siècles vous ont admirés,
Mais on mettra dans la balance,
De vingt mille Français la glorieuse mort,
Et la postérité chantera leur vaillance,
Et maudira les coups du sort.
 
O généreux guerriers écrasés par la foudre,
Vos membres gisent dans la poudre,
Le marbre ne pouvait dans ses humides flancs,
Contenir vos froids ossements.
O vous la gloire de la terre !
Vous étiez réservés pour un destin plus beau,
Le soleil est pour vous la torche funéraire,
L’univers est votre tombeau.
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