15 octobre 1842 — Rêverie de Charles VI, dans La Sylphide, p. 295.

On connaît de ce texte un manuscrit autographe conservé dans le fonds Lovenjoul D 741, fol. 6. Nerval l’a paraphé dans la marge de gauche d’un motif à la plume au trait violent qui a par endroit transpercé le papier. Le mot « nuit » est en majuscules, suivi de trois points d’exclamation. L’indication « fragment » laisse supposer qu’il s’agit d’un projet plus vaste, peut-être dramaturgique dont le protagoniste serait le roi dément Charles VI, qui figurait dans Le Prince des Sots, pièce composée en 1830-1831 en collaboration avec Gautier. Harel, directeur du théâtre de l’Odéon qui avait refusé Le Prince des Sots, avait alors conseillé à Nerval de faire plutôt un drame dont le roi dément serait le héros.

Nerval se remet lentement de l'année qu'il vient de passer en maison de santé, chez le docteur Blanche, à Montmartre, et surtout, il souffre du vide que la maladie et la folie ont creusé autour de lui parmi ses relations littéraires, et en lui dans ses facultés créatrices. La Rêverie de Charles VI, se présente comme un monologue intérieur du roi Charles VI au bord de la folie, rêvant à ce qu'aurait pu être son existence simple, cachée, proche de la nature, si le destin ne l'avait pas fait roi. Il est évident que le destin tragique du roi fou prend une tout autre résonance pour Nerval après la crise de 1841. Charles VI, un Valois, dynastie chère à son cœur, subit son premier accès de folie à 24 ans, en 1392. On pensa aussitôt à un mal congénital, du côté maternel, autre résonance possible avec son propre cas.

Voir BELLES PAGES, "ET N'ATTENDS PAS LA NUIT"

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RÊVERIE DE CHARLES VI.

(Fragment)

 
On ne sait pas toujours où va porter la hache,
Et bien des souverains, maladroits ouvriers,
En laissent retomber le coupant sur leurs pieds !
……………
 
Que de soins sur un front la main de Dieu rassemble
Et donne pour racine aux fleurons du bandeau !
Pourquoi mit-il encor ce pénible fardeau
Sur ma tête aux pensers sombres abandonnée,
Et souffrante, et déjà de soi-même inclinée ?
Moi qui n’aurais aimé, si j’avais pu choisir,
Qu’une existence calme, obscure et sans désir ;
Une pauvre maison dans quelque bois perdue,
De tapis de lierre et de mousse tendue,
Des fleurs à cultiver, la barque d’un pêcheur,
Et de la nuit sur l’eau respirer la fraîcheur,
Prier Dieu sur les monts, suivre mes rêveries
Par les bois ombragés et les grandes prairies,
Des collines le soir descendre le penchant,
Le visage baigné des lueurs du couchant,
Quand un vent parfumé nous apporte en sa plainte
Quelques sons affaiblis d’une ancienne complainte...
Oh ! ces feux du couchant, vermeils, capricieux,
Montent, comme un chemin splendide, vers les cieux !
Il semble que Dieu dise à mon âme souffrante :
« Quitte le monde impur, la foule indifférente,
Suis d’un pas assuré cette route qui luit,
Et viens à moi, mon fils... et n’attends pas la nuit ! »

 

GÉRARD DE NERVAL

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