EL DESDICHADO
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El Desdichado fut publié pour la première fois sous ce titre le 10 décembre 1853 par Alexandre Dumas dans la « Causerie » de son journal Le Mousquetaire. Dumas crut bon de l’accompagner d’un commentaire qui tourne quasiment en dérision le poète et son œuvre, renouvelant ainsi la blessure infligée douze ans plus tôt par Jules Janin, autre prétendu ami de Nerval, lors de la crise de 1841. Comme la préface de Lorely avait répondu à Janin, la préface des Filles du feu répond à Dumas : « Je vous dédie ce livre, mon cher maître, comme j’ai dédié Lorely à Jules Janin. J’avais à le remercier au même titre que vous. Il y a quelques années, on m’avait cru mort et il avait écrit ma biographie. Il y a quelques jours, on m’a cru fou, et vous avez consacré quelques-unes de vos lignes les plus charmantes à l’épitaphe de mon esprit. Voilà bien de la gloire qui m’est échue en avance d’hoirie… »
Sans doute pour se garder des aléas d’une mauvaise publication journalistique (et le sort de Pandora, dans le même Mousquetaire le 31 octobre 1854 lui donnera amplement raison) et offrir à ses lecteurs une image cohérente de sa dernière production poétique, Nerval choisit de faire imprimer les douze sonnets des Chimères à la suite des sept récits des Filles du feu, en mai 1854.
Au-delà d’une référence toujours possible à Walter Scott (Ivanhoé, VIII), Nerval donne lui-même la clé du titre de son poème : le déshérité, le ténébreux, l’inconsolé, c’est son double Brisacier, dont il rappelle l’histoire à Dumas dans la préface des Filles du feu. Brisacier est le héros du Roman tragique que Nerval rêvait d’écrire, comme une continuation du Roman comique de Scarron, et dont il avait donné à son ami Arsène Houssaye une esquisse romanesque, parue dans L’Artiste en 1844. Brisacier est le Destin, amoureux de son Étoile, et qui se désigne ainsi lui-même : « moi… le prince ignoré, l’amant mystérieux, le déshérité, le banni de liesse, le beau ténébreux… » Nerval a fait de Brisacier un autre lui-même, et de ses aventures le roman de sa propre vie. Ce « livre infaisable » ne verra jamais le jour sous sa forme romanesque. C’est, à la fin de sa vie, sous la forme poétique du sonnet El Desdichado, aussi appelé sur un autre manuscrit Le Destin, que Nerval en donnera comme un condensé suggérant les thèmes majeurs de son mythe personnel : le « prince d’Aquitaine », rappelant l’ascendance fabuleuse des Labrunie « chevaliers d’Othon » dans la Généalogie fantastique, l’Étoile et le Destin, inspirés de Scarron, à nouveau incarnés dans Pandora, Naples, le Pausilippe et le tombeau de Virgile, déjà présents dans la Lettre III d’Un Roman à faire, devenus l’épisode central d’Octavie.
Il existe un manuscrit du sonnet El Desdichado, écrit à l'encre rouge, avec quelques variantes ou précisions intéressantes. Le manuscrit dit « Lombard » adressé à Alexandre Dumas en novembre 1853 (ci- contre) porte au vers 8: « Et la treille où le pampre à la vigne s' allie »; au vers 11: « J'ai dormi dans la grotte où verdit la sirène »; au vers 12: « Et j'ai deux fois vivant traversé l'Achéron »; au vers 13: « Modulant et chantant sur la lyre d'Orphée ». Le manuscrit dit « Éluard » porte le titre: Le Destin et les notes suivantes: au mot « veuf »: « olim Mausole »; au mot « fleur »: « l'Ancolie »; au vers 8: « jardins du Vatican »; au vers 14: « Mélusine ou Mante ».
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Odilon Redon, « Tête laurée derrière une grille », fusain, vers 1882.
Manuscrit Lombard à l'encre rouge de El Desdichado et d'Artémis adressé à Dumas le 14 novembre 1853.