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LA GÉNÉALOGIE FANTASTIQUE

 

Le fonds Lovenjoul de la Bibliothèque de l'Institut de France conserve, de la main de Nerval, un document extraordinaire, que l'on a appelé quelquefois généalogie fantastique, ou même délirante, et qu'il serait plus juste de qualifier de rêveuse, au sens où, dans le cadre essentiellement intime d’un feuillet destiné à un usage personnel, donc libre de toute censure, la rêverie opère un véritable travail psychique sur soi, en vue de métamorphoser des origines familiales connues comme authentiques, mais vécues comme frappées d’inconsistance. Balzac disait que la vanité était cause de la folie de Nerval, c’est vrai, si vanité signifie vacuité identitaire, expérience existentielle du vide et de l’absence en soi, que la rêverie a pour fonction de somptueusement compenser ici par le trop-plein de filiations illustres.

Ce feuillet, format 21 x 26,3 cm plié en deux, Nerval l’a rempli tête-bêche de sa minuscule écriture, comme si le papier lui était compté. La moitié gauche est constituée de notes et de dates, à valeur symbolique puisque certains chiffres et certaines lettres sont soulignés, concernant la famille Bonaparte et la fin de l’épopée napoléonienne. La moitié droite, au graphisme superbe, dessine l'arbre généalogique de la double ascendance de Nerval, maternelle dans le même sens que la partie gauche, paternelle dans l'autre sens.

Ce document est contemporain de la crise de délire de février-mars 1841. Le 18 février 1841, Gérard de Nerval est admis, pour « méningite », dit le registre des entrées, à la maison de santé de Mme Sainte-Colombe, 6 rue de Picpus. Il en sort un mois plus tard, « complètement guéri », dit encore le registre de sortie. Le 21 mars, il est pourtant admis chez le docteur Esprit Blanche à Montmartre pour « manie aiguë ». Dans ce laps de temps d'un mois, Nerval adresse à Muffe (sans doute Gautier), une moitié de feuillet sur lequel il a recopié six sonnets composés en état hallucinatoire, premier état des Chimères, et des lettres à ses amis Bocage, Lingay et Weill les priant de venir le voir et si possible de faire révoquer la « lettre de cachet » qui le tient captif rue de Picpus.

La présente étude a fait l'objet en 2011 d'une publication: Sylvie Lécuyer, La Généalogie fantastique de Gérard de Nerval aux Presses Universitaires de Namur, dans la collection des "Études nervaliennes", n° 14.

Lovenjoul

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PARTIE DROITE DU DOCUMENT

Commençons par la partie droite. Malgré son apparente confusion graphique, la page s'organise de façon très structurée comme un récapitulatif des informations que Nerval a pu glaner sur sa double ascendance. Séparée en deux horizontalement, la page offre tête-bêche le côté maternel, dans le même sens que la partie droite du feuillet, et le côté paternel dans l'autre sens, tous deux installés en éventail autour d'un tronc grossièrement griffonné. L'arbre proprement dit tient donc la place centrale, et tout autour, dans ce qui restait de place sur la feuille, Nerval a ajouté des notations complémentaires que nous allons détailler.

LE CÔTÉ PATERNEL

 

LES LABRUNIE CHEVALIERS D'OTHON

Voyons d'abord le côté paternel, en retournant le document. Il se présente en trois ensembles: en tête de page, des « renseignemens pris à Francfort vers 1822 » sur les origines germaniques des Labrunie, descendants des chevaliers d'Othon, qui ont fait souche en Poitou, dans les environs de Nîmes et en Périgord, rebâtissant leurs trois châteaux détruits des bords de la Dwina sur ceux de la Dordogne (dont Nerval dessine les sinuosités) à Coux, Urval et La Prade, avant d'essaimer à travers toute l'Europe, en Italie, Pologne, Irlande, Angleterre. Pour comprendre l'inspiration obsessionnelle de ces origines germaniques, il faut se reporter au récit des états hallucinatoires de la crise de 1841 dans le premier récit d'Aurélia.

Topographiquement, les indications fournies par Nerval se vérifient: les villages de Coux et d'Urval existent bien le long de la Dordogne, à l'endroit où la rivière dessine effctivement des sinuosités. Quant à La Prade, ce n'est pas le nom d'un village, mais celui d'un membre de la famille Labrunie, habitant de Martel-en-Quercy, dans l'ancien comté de Turenne, dont le nom figure également sur le feuillet.

L'enquête généalogique est menée sur deux plans, topographique et étymologique. Le nom, comme le lieu géographique où elle s'implante, ou le blason qui la symbolise, est significatif de la personne. Nerval analyse donc l'étymologie germanique du nom de Labrunie, en le rapprochant de l'allemand Bruck, le pont, et Brunn, mais en commettant un lapsus: « Brunn signifie tour » note-t-il, alors qu'il traduira correctement « Schoenbrunn » par « belle fontaine » côté maternel. Dans la même perspective de recherche de sens par l'analogie à la fois étymologique et phonique des noms, la Dordogne, qui prend sa source au Mont Dore en Auvergne, est ici rapprochée, par le biais de la syllabe « Dor », de la Dwina, rivière de la Baltique qui suggère la tragique retraite de Russie vécue par le docteur Labrunie.

 

LE BLASON DES LABRUNIE

En marge, à gauche de l’éventail généalogique, d'une écriture minuscule, séparées en trois parties par des traits et rédigées en plusieurs temps, Nerval a ajouté des notations d'héraldique accompagnées d’un croquis de blason (Aurélia: « L’écume qui surnageait me paraissait former des figures de blazon… »). Il s’agit d’étudier les variantes des armes des Labrunie descendants des chevaliers d’Othon, selon les pays où ils ont essaimé : Périgord, Poitou, Pologne. L'enquête, dit Nerval, est à poursuivre, sans doute conformément au projet exposé à Auguste Cavé dans la lettre du 31 mars 1841, qui sera évoquée plus loin. Les meubles privilégiés sont les croissants, les étoiles, lion d’or, ceps ou pals (Aurélia: « trois enfans percés d’un pal », jouant ici encore sur le mot au sens héraldique, et la chose), croix grecque (que l’on trouve également au milieu des flammes du pot à feu qui termine l'arbre paternel), monts (?), et lion d’argent. Le croquis montre en effet un écu tiercé en barre avec étoiles et croissants, entouré d’ornements extérieurs, cimier surmonté d’une couronne, tenants, et, si l’on se reporte encore à la version primitive d’Aurélia, trois merlettes en pointe. Ces notes ressemblent plus à un récapitulatif de recherches qu’à une création fantaisiste. Tout se passe comme si Nerval étudiait, à partir de documents qu’il a ou a eu sous les yeux, les variantes du blason des Labrunie en Périgord, puis en Poitou, et enfin en Allemagne ou Pologne. Peut-être Nerval a-t-il puisé ces « renseignements » sur les chevaliers germaniques et leurs blasons dans un manuscrit que lui aurait prêté son ami le médiéviste renommé, Francisque Michel.

 

L'ARBRE GÉNÉALOGIQUE PATERNEL

Au centre, Nerval a dessiné l'arbre généalogique paternel qu'il termine par une sorte de pot à feu où brûle la croix grecque. La souche est constituée par les parents d'Étienne Labrunie, Joseph Labrunie et Marie Thérèse Dublanc. L'arbre se ramifie en plusieurs branches, de gauche à droite Lamaure, à partir du frère cadet d'Étienne Labrunie, Delpech, Boé, Duburgua, Laville de Lacépède, Dublanc, Paris de Lamaury, Chédeville et Montméjean. Sur cette famille, originaire d'Agen, Nerval est très bien renseigné et n'a rien inventé, les archives d'état civil de la commune d'Agen le vérifient. Un dessin légendé « tour et pont » figure à la racine de l'arbre, complété par la mention « toujours 3 enfants », désignant les trois enfants Labrunie, Étienne, le père de Nerval, Jean son frère cadet, et Marie Anne sa soeur aînée. Ici encore, il semble que Nerval, se soit identifié à son père: « J'étais l'un des trois enfants de mon nom » écrit-il dans la version primitive d'Aurélia.

Au-delà de ces filiations réelles, nettement limitées par le mot « authentique » en gros caractères, commencent les extrapolations rêveuses. En Béarn, en Corse, en Espagne, en Gascogne, des noms illustres et des propriétés fabuleuses viennent rehausser l'éclat des Labrunie et des Dublanc: terres de Quissac, domaine des Pomerettes « dans le style d'Henri 4 », Cazabone « terres, seigneurie ». Plus surprenant ici, le nom de Duburgua, présenté comme membre de la famille de Nerval. Le destin tragique de Justin Duburgua (1780-1803), qui fut sans doute un camarade d'enfance de son père, a frappé Nerval qui en fait le héros d'Un Roman à faire en 1842.

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PARTIE GAUCHE DU DOCUMENT

Sur la partie droite du feuillet, la famille Bonaparte a fait deux fois son apparition, à partir de l'ancêtre italien Giuseppo Labrunöe, et parmi les seigneurs de Mortefontaine, en la personne de Joseph Bonaparte. La partie gauche lui laisse toute la place, d'abord en la "recomposant" fantasmatiquement, puis en détaillant les étapes de la chute et de l'exil de Napoléon.

LA FAMILLE BONAPARTE « RECOMPOSÉE »

Le haut de la page, le plus difficile à déchiffrer du fait des abréviations, est le plus chargé fantasmatiquement. En haut, l'aïeule, « madame de Marbeuf », autrement dit Laetitia Ramolino, dont la rumeur fit la maîtresse du gouverneur de Corse Louis Charles de Marbeuf. Au-dessous, les noms de Joséphine et Napoléon, encadrant celui, en abrégé de « L.Jos.N. » repris par « prince Louis », « mort à trois ans ». S'agit-il du premier enfant d'Hortense de Beauharnais et Louis Bonaparte, mort le 5 mai 1807, à 4 ans, dont la rumeur encore avait fait le fils de Napoléon et dont l'empereur voulait faire son héritier? Au-dessous encore on lit « Ep(oux) de José(phine) déjà marié », à gauche d'un triangle dans lequel il faut, semble-t-il, lire « Europe ». Il semble que Nerval ait réuni ici dans une construction mythique les deux figures auxquelles il est le plus affectivement attaché dans la famille Bonaparte, Joséphine et Joseph, le seigneur de Mortefontaine de la petite enfance, dont il a noté de façon surprenante dans la liste des propriétaires du domaine: "marié, remarié", et dont il fera son père de substitution. S'amorce ici le schéma mental qui aboutira à la déclaration de Nerval à Alexandre Weill le 5 mars: « Moi, je descends de Napoléon, je suis le fils de Joseph, frère de l'Empereur, qui a reçu ma mère à Dantzig ». En marge, discrètement mentionné par ses initiales « D. de R. », complété par « prince à 12 ans » le duc de Reichstadt, roi de Rome puis prince de Parme, fils légitime, mais abandonné par sa mère, l'orphelin de Schönbrunn. On va le voir plus loin, fin novembre 1839 (date anniversaire, lui a-t-on dit, de la mort sa mère en lointaine Silésie), Nerval a été saisi de cette angoisse identitaire, né d'interrogations sans réponses sur son statut d'enfant abandonné, qui fut aussi le sort de l'Aiglon.

 

LA CHUTE ET L'EXIL DE NAPOLÉON

Quittant apparemment le plan fantasmatique pour la réalité historique, la page se déroule ensuite dans la continuité des événements qui ont jalonné la Campagne de France de 1814, les Cent-Jours et la Restauration, depuis le Congrès de Châtillon en février 1814 jusqu'au traité d'Aix-la-Chapelle en novembre 1818. La fascination de Nerval pour Napoléon, et particulièrement pour sa chute, son exil et sa mort, remonte à ses tout débuts poétiques. Les titres des Élégies en témoignent : « Adieux de Napoléon à la France », « Le Retour de l’exilé » (recueil manuscrit de Poésies diverses, 1824), « La Russie », « Waterloo », « Les Étrangers à Paris », « La Mort de l’exilé » (Napoléon et la France guerrière, recueil publié chez Ladvocat début 1826), fascination sans doute largement entretenue par le Dr Labrunie autour d'événements qu'il a en partie vécus.

Parmi toutes les dates mentionnées, certaines sont soulignées d’un, deux, ou trois traits : 18, à plusieurs reprises, 20, 30, 24, 13, 22, et surtout les deux 8 de 1818 en bas de la feuille. Il est difficile de savoir si Nerval attache une valeur symbolique à la date ou au nombre, certains 20, par exemple, pouvant être ou non soulignés. À propos de 18, il faut rappeler le Carnet du Caire, fol 9 r° : « ma mère / le nombre 18 ».

 

MENTIONS DES CRISES PSYCHIQUES

Enfin, comme en écho avec les dates qui marquent le crépuscule de l'épopée napoléonienne, Nerval a ajouté des indications capitales, qui renvoient non plus à Napoléon, mais à deux moments où s'obscurcit son propre état psychique. Mentionné sous « congrès de Châtillon, 3 février », on lit la lettre grecque y (psy) . Elle réapparaît sous « Napoléon à Cannes 1er mars 1815 », complétée par la mention « santé y 1841 », désignant ainsi l'état psychique de février-mars 1841 qui lui vaut l'internement qu'il subit encore au moment où il compose le feuillet. Mais une autre crise psychique est suggérée: sous « Congrès de Vienne 1er novembre 1814 », on lit la mention « y 18 novembre 1839 ». Cette date est la veille de son arrivée à Vienne au début de l’hiver 1839-40. À ces trois y très nets, il faut en ajouter un quatrième, devant la mention « à Waver » (Wavre, près de Waterloo), sans repère de date explicite mais renvoyant très vraisemblablement aux événements qui ont marqué le séjour à Bruxelles de l'hiver 1840 et aboutiront à la crise identitaire durant laquelle Nerval fait cette déclaration à Alexandre Weill: « Moi, je descends de Napoléon, je suis le fils de Joseph, frère de l'empereur ».

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LE CÔTÉ MATERNEL

Le côté maternel s'organise de façon plus complexe. Nerval a prolongé au centre, mais dans l'autre sens, le dessin de l'arbre, selon un tracé plus sinueux au long duquel sont mentionnés chronologiquement les noms de Laurent (nom de jeune fille de sa mère), Boucher, puis Olivier, dit Bégat. À ce nom de l'ancêtre maternel est rattachée la mention du « fief » de Nerval, associé à la liste des propriétaires et voisins du domaine de Mortefontaine. À droite de l'arbre maternel réapparaît le nom de Labrunie, sous la forme Labrunïe ou Labrunöe, dans un ensemble de forme triangulaire, qui va opérer la filiation entre les Labrunie et les Bonaparte. Tout au bord de la page enfin, deux petits récapitulatifs figurent, en haut à gauche, le projet de voyage détaillé dans la lettre à Auguste Cavé, et en bas, dans l'autre sens, le schéma de la théorie de Nerval sur la triple origine, grecque, latine et celte, des Français.

 

L'ARBRE GÉNÉALOGIQUE MATERNEL

Commençons par l'arbre maternel. Du côté gauche, Nerval a mentionné les noms d'Eugénie Laurent, la jeune soeur de sa mère, de sa mère elle-même (sur laquelle il commet deux fois un lapsus en l'appelant Marie-Victoire, qui est le prénom de sa grand-mère), de Boucher « propriétaire » (l'oncle Antoine Boucher de Mortefontaine), et d'Olivier. L'état civil de Mortefontaine (département de l'Oise) et de Paris vérifie très exactement ces données. Mais ici, comme du côté paternel, commencent les extrapolations rêveuses. Pierre Olivier, dont Nerval prend apparemment le patronyme pour un prénom, est dit « gentilhomme du duc de Bourbon ou du prince de Condé », et se relie ainsi d'une part aux Bonaparte par: « Madame de Marbeuf, Madame de la Valette, Joseph B. Joséphine B. », et d'autre part au « fief » de Nerval, « ressortant [sic] de la seigneurie de Mortefontaine », solidement enraciné dans le granit du Valois.

Du côté droit du tronc de l'arbre, Nerval a repris le nom de ses parents, « Ét. L. marié à Marie Victoire Laurence » (même lapsus que plus haut), et mentionne les noms de ses grands-parents Laurent: Pierre Laurent, de Soissons, et Marie Victoire Boucher, d'Ermenonville, de son grand-oncle Louis Duriez et de sa famille, et se mentionne lui-même avec une précision maniaque: « fils unique Gérard (nom de baptême) Labrunie (nom patronymique) né à Paris en 1808 », avec un complément ajouté perpendiculairement dans un encadré: « nom donné par mon père: Laurency de ma mère Laurence probablement 21 may ». L'acte de naissance de Nerval porte la date non du 21, mais du 22 mai. Le souci arithmologique du chiffre 3 associé à sa naissance (2+1 du jour de naissance et 3 lettres du mois de mai) est présent également dans la lettre qu'il envoie le 7 mars à son ami Joseph Lingay. Il est le seul à donner à sa mère le prénom de Laurence.

 

LA BRANCHE ITALIENNE DES LABRUNIE - GIUSEPPO LABRUNÖE

À droite de l'arbre, sous une croix grecque, une couronne comtale et la rubrique en caractères grecs de Lepante (LEPANTE), apparaît une nouvelle généalogie des Labrunie, branche italienne cette fois, ayant pour ancêtre Giuseppo (Joseph) Labrunïe ou Labrunöe, originaire de Corte et ayant essaimé en Bourgogne au 16e siècle, et en Gascogne au 19e. L'étymologie du nom de Labrunie n'est plus germanique, mais grecque: bronos - brounos, évocation du nom de Jupiter tonnant, maître de la foudre, attribut de Napoléon que souligne le sonnet de 1841 dédié à Ida Dumas: « Mais le César romain nous a volé la foudre... » La recherche topographique rejoint et confirme l'enquête étymologique: les mentions « Italie 16e siècle », « Corte origine », puis en biais « buona parte » lient ce Giuseppo Labrunöe à la famille Bonaparte en suggérant les mêmes origines italiennes que celle de la famille corse des Bonaparte, que Las Cases rappelle au chapitre 1 du Mémorial de Sainte-Hélène, en précisant combien Joseph en particulier était féru de généalogie et tenait aux origines aristocratiques florentines des Buonaparte. C'est dire qu'à ce stade de l'élaboration mythique, Nerval prolonge l'ascendance germanique des chevaliers d'Othon qu'il a posée au début, par une ascendance italienne qui permet l'amalgame avec les Bonaparte. Tout se passe comme s'il était en train d'opérer par le biais de l'ancêtre Labrunöe, héros de la foudre et du tonnerre, un transfert d'un « père » à l'autre. Le héros italien est toujours un Labrunie, mais il s'appelle Giuseppo / Joseph, comme l'aîné des Bonaparte. Indice plus significatif encore: alors que nous sommes du côté maternel, et non plus du côté des Labrunie, le nom de Labrunöe est relié par un trait au tronc de l'arbre généalogique au niveau de mention: « Ét L. marié à Marie Victoire Laurence 

 

LES SEIGNEURS DE MORTEFONTAINE ET LE FIEF DE NERVAL

La mention du fief de Nerval (que nous avons vue attachée au nom de Begat), vassal des seigneurs de Mortefontaine, appelle à gauche la liste des propriétaires du domaine, sous la rubrique « Wal-loys » (Valois): « Prince de Condé, suzerain, Le Pelletier seigneur, Joseph Bonaparte, marié, remarié, Baronne de Feuchères », et de leurs voisins à Montmélian, Charlepont, Ermenonville, à « trois lieues de Senlis, deux de Chantilly ». C'est toute la géographie de l'enfance et de l'adolescence de Nerval, telle qu'elle ressurgira dans Les Faux Saulniers, dans Sylvie et dans Promenades et Souvenirs qui se dessine là, et au centre de laquelle il place fantasmatiquement la terre ancestrale dont il a hérité pour moitié, et dont il peut par conséquent légitimement porter le nom. Sur sa Généalogie, Nerval a représenté, solidement enracinée dans le granit, la « terre de Nerval ou Nerva », qu'il a rêvé de reconstituer dans son entier: « J'ai écrit à Mme Alexandre Labrunie (sa tante par alliance) pour les arrangements relatifs à notre terre... Je la paierais en annuités ou autrement, quand je saurai le prix actuel de la terre dans le pays. Nos fermiers ont deux autres lots revendus par mes autres cousins, et en s'entendant avec eux, on referait en partie l'ancienne propriété de mon grand-oncle Olivier Béga » écrit-il à son père le 22 octobre 1853.

 

PROJET D'ITINÉRAIRE DE VOYAGE

Tout à fait en haut à gauche, Nerval a tracé, comme un aide mémoire en vue du projet à présenter au ministre directeur des Beaux-Arts Auguste Cavé (lettre du 31 mars 1841) , l'itinéraire qu'il se propose pour un voyage d'étude sur l'origine des races et leurs migrations. Les étapes depuis « Bar rys » (Paris, la barque d'Isis), seront Orléans, l'Auvergne et le Mont d'Or, Bergerac, Pau, Nérac, Marseille. Le projet se rattache directement à l'enquête généalogique puisque les noms de Corte et Constantinople, se mêlent à ceux de Joseph Bonaparte, roi de Rome et de Naples, lui-même rattaché à la liste des propriétaires de Mortefontaine, suzerains du fief de Nerval.

 

SCHÉMA « ÉTYMOLOGIE, RACE, PAYS »

Dans l'autre sens de la feuille, trois lignes schématisent la théorie de Nerval sur les races, dont il est question dans la lettre à Auguste Cavé, et sur laquelle Nerval reviendra dans son roman inachevé intitulé Le Marquis de Fayolle en la prêtant à Volney. Trois noms, Constantin, Napoléon et Tétricus, représentent trois races, grecque, latine et celte, caractérisées anthropologiquement par la morphologie de l'oeil, de la main et du pied. C'est de cette théorie qu'Alexandre Weill eut une démonstration pratique (et humoristique) en venant voir Nerval rue de Picpus le 5 mars. Notons l’importance du mot « étymologies », placé bien en évidence entre deux barres horizontales. La « science du vrai sens des mots » met clairement en relation de correspondance ou d’analogie le mot et la chose, le signifiant et le signifié, le signe de la race, la personne qui l’incarne et le mot qui la désigne, avec une égale puissance opératoire du verbe, et singulièrement des noms propres. La quête étymologique est liée également ici à la conception de l'histoire, de son accomplissement et de sa réversibilité, que lui a révélée la scène de descente de Faust chez les Mères du Second Faust de Goethe, qu'il vient de publier en 1840 : « Il n'y a pas de nuit des temps. »

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Haut du feuillet. "Généalogie d'après des renseignemens pris à Francfort"

Description du blasion des Labrunie

Arbre généalogique du côté paternel

Arbre généalogique du côté maternel

Giuseppo Labrunöe et les Bonaparte

le fief de Nerval et les propriétaires de Mortefontaine. En haut à gauche, le projet d'itinéraire de voyage à partir de Paris:Bar-rys

"Étymologie, race pays"

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