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LE DOCTEUR ÉTIENNE LABRUNIE

Étienne Labrunie est né à Agen le 12 juillet 1776, de Marie Thérèse Dublanc et Joseph Labrunie. Il est baptisé le lendemain en l'église Saint-Hilaire. Joseph Labrunie meurt le 6 novembre 1782. Étienne est donc orphelin à six ans.

Dans un récapitulatif de carrière rédigé par lui à Glogau le 16 novembre 1810 (soit treize jours avant le décès supposé de sa femme), il rappelle ses campagnes de jeunesse : engagé volontaire à seize ans auprès des fédérés de Soissons en juillet 1792, (le 11 la Patrie a été proclamée en danger), Étienne participe au siège de Lille (29 septembre au 8 octobre 1792) où il est blessé d’un éclat d’obus au pied gauche. Rappelé par sa famille à Agen, il préfère s’enrôler à nouveau à Toulouse dans la 3e Compagnie franche des chasseurs de cette ville, le 25 octobre 1792. Le 7 mars 1793, la jeune République a déclaré la guerre à l’Espagne. La Compagnie franche de Toulouse est incorporée à l’armée d’Espagne. Étienne Labrunie sert donc en Espagne sans interruption, dit-il encore, jusqu’au 2 pluviôse an II (21 janvier 1794), date à laquelle il est à nouveau blessé, la jambe gauche fracassée. Il sera réformé le 29 ventôse an III (19 mars 1795), ce qui représente, compte-t-il, 2 ans, 4 mois et 25 jours de service. Il n’a pas encore 20 ans et se trouve handicapé à vie. Un billet de visite du ministère de la guerre en date du 14 floréal an VII (3 mai 1799) constate son infirmité : « Le sieur Labrunie a perdu partiellement l’usage de la jambe gauche dont l’articulation avec le pied est engorgée et imparfaitement enkilosée (sic), suite d’une fracture. Il ne peut librement pourvoir à sa subsistance ni faire de service militaire ». Sur quoi il recevra une pension de 112 fr. 50.

C’est probablement son oncle Gérard Dublanc, pharmacien rue Saint-Martin, qui le fait venir à Paris et s’occupe de lui faire reprendre ses études de pharmacie et de médecine. Étienne Labrunie choisit la médecine en gynécologie, peut-être en souvenir du père de son ami Justin Duburgua, chirurgien accoucheur à Aiguillon, près d’Agen. Le 2 juillet 1807, il épouse Marie Antoinette Marguerite Laurent, en l'église Saint-Eustache à Paris, et six mois plus tard, pose sa candidature pour un poste de médecin militaire, alors que sa jeune femme est déjà enceinte. Les deux lettres de candidature envoyées par Étienne Labrunie en décembre 1807 et janvier 1808 éclairent son parcours étudiant, avec toutefois de curieuses imprécisions et erreurs. Ainsi, dans la lettre du 23 décembre 1807, il écrit: « J’étudie la médecine depuis quatorze ans; j’ai été huit ans élève interne à l’hôpital Saint-Louis ; j’ai 31 ans et depuis deux ans je suis reçu docteur », et dans celle du 22 janvier 1808 : « j’ai obtenu mon congé de retraite et depuis je me suis livré à la médecine. J’ai été pendant sept ans élève interne à l’hôpital Saint-Louis et pendant six ans étudiant à l’école de médecine de Paris dans laquelle j’ai été reçu docteur dans le mois de brumaire 1806, âgé de 30 ans. » Cette même durée de 14 ans est mentionnée sur le curriculum vitae adressé au ministère le 12 mars 1808. Réformé en mars 1795, il ne peut matériellement avoir fait 13 ou 14 ans d’études. Les inscriptions universitaires fonctionnaient alors par trimestres, et les registres conservés aux Archives nationales portent le nom et la signature d’Étienne Labrunie en février 1800, puis d’avril 1802 à décembre 1804. Le choix de l’hôpital Saint-Louis est bon : c’est à l’époque un des plus réputés de Paris pour sa beauté architecturale, son hygiène et son enseignement, particulièrement en dermatologie et vénéréologie, spécialité d’Étienne Labrunie. Dans son Mémoire sur les hôpitaux civils de Paris, publié en 1805, Clavareau, architecte des hôpitaux, classe Saint-Louis tout de suite après l’Hôtel-Dieu : « c’est un des plus beaux monuments qui existent en ce genre, non seulement en France mais dans toute l'Europe », et vante les améliorations qui y ont été apportées, notamment en matière d'hygiène: adductions d'eau, plantations de promenades pour les malades. En matière d’enseignement, Saint-Louis est aussi un établissement de pointe. Le décret du 14 frimaire an III (4 décembre 1794) a créé les écoles de Santé, futures Facultés de Médecine et de Pharmacie à Paris, Montpellier et Strasbourg Dans celle de Paris exercent des maîtres exceptionnels, Corvisart, Pinel, Alibert. Ces deux derniers sont cités dans la thèse d’Étienne Labrunie. Jean-Louis Alibert (1768-1837), originaire du Rouergue – un compatriote pour Étienne Labrunie – est nommé médecin-adjoint à l’hôpital Saint-Louis en 1801 et innove en donnant des leçons cliniques à un vaste auditoire d’étudiants, et de médecins français et étrangers. La thèse d’Étienne Labrunie se nourrit des observations cliniques faites à l’hôpital Saint-Louis, pour lequel manquent malheureusement les archives du personnel sur cette période. En 1802, Étienne Labrunie est inscrit à l’École de Médecine de Paris. Il commet un curieux lapsus sur la date de sa soutenance de thèse. En fait, cette soutenance eut lieu le 19 brumaire an XIV (31 octobre 1805). L’intitulé, particulièrement long et détaillé – Dissertation sur les dangers de la privation et de l’abus des plaisirs vénériens chez les femmes – relève à la fois de la psychiatrie et de la gynécologie. Alibert avait aussi commencé sa carrière par un ouvrage au titre balzacien, où s’allient médecine et psychologie : Physiologie des passions.

À noter qu’Étienne Labrunie fut durant ses études de médecine le condisciple d'Emmanuel Pascal Blanche, originaire de Rouen, de Jacques Aussandon, né à Clermont-Ferrand le 26 août 1778, qui soutint sa thèse de médecine sur le sujet: Dissertation sur les ménorragies (donc gynécologie) le 24 juillet 1806, de même que Jean Marie Dessaix, sur lequel nous allons revenir.

La Thèse d’Étienne Labrunie au titre étrange, Dissertation sur les dangers de la privation et de l’abus des plaisirs vénériens chez les femmes (accessible sur Gallica) est très éclairante sur la culture et la personnalité du jeune médecin. Ses Préliminaires s’inscrivent philosophiquement dans la droite ligne du sensualisme de Condillac. En tant que praticien, bien loin de faire preuve de misogynie sur un sujet qui s’y prêtait, le jeune médecin manifeste un très grand respect, voire même de la compassion pour les malheureuses passées dans le service de l’hôpital Saint-Louis, et s’il est critique, c’est bien plutôt envers la condition que la société corsetée de son temps fait aux femmes.

Un permis de séjour délivré par le Conseiller d’État chargé du 3e arrondissement de Paris en date du 30 janvier 1806 le dit docteur en médecine, logeant rue Jehan de Beauvais n° 17, et donne son signalement : 29 ans, 1, 75m., cheveux, sourcils, yeux bruns, front haut. Étienne Labrunie quitte donc son logement d’étudiant pour venir s’installer 23 rue Coquillière, 3e arrondissement, adresse donnée sur son acte de mariage. À cette adresse se trouve une petite pension de famille, et c'est aussi l'adresse de sa fiancée, Marie Antoinette Marguerite Laurent, dont les parents, mariés à Mortefontaine en 1782, sont venus s’installer fripiers près du Temple avant d’acheter un fonds de commerce de lingerie 23 rue Coquillière.

Marié, le couple s’installe à côté de la pharmacie Dublanc, 96 rue Saint-Martin. Le 23 décembre 1807, alors que sa femme est déjà enceinte, Étienne Labrunie adresse un peu gauchement une première lettre de candidature à un poste de médecin militaire, demande réitérée en bonne et due forme le 28 janvier 1808. Émotion, distraction ? il accumule les inexactitudes : il n’avait pas 14 mais 16 ans lors de son premier engagement volontaire en 1792, il n’a pas soutenu sa thèse en brumaire 1806, mais, on l’a vu, le 14 brumaire an XIV, soit le 31 octobre 1805, il n’avait pas 30 ans mais 29. Peu importe, sa demande est retenue, appuyée par la recommandation qu’adresse pour lui son compatriote, ami de sa famille agenaise, Lacépède, pour l’heure chancelier de la Légion d’honneur, au ministre de la guerre, le 24 février 1808 .

Le 22 mai lui naît un fils, Gérard, dont l’oncle Gérard Dublanc est le parrain, et quinze jours plus tard, le 8 juin, il reçoit sa nomination de médecin-adjoint et son ordre de mission. Des trois raisons invoquées par Étienne Labrunie pour motiver sa demande de poste de médecin militaire – besoin d’argent après des études dispendieuses, incitation de Lacépède, bonheur de servir à nouveau la Patrie – la troisième semble avant tout recevable. Il aurait très bien pu ouvrir un cabinet de médecin civil à Paris dès 1808 (ce qu’il fera après la chute de l’Empire) pour subvenir aux besoins de sa femme et de son fils. Mais il ne veut renoncer ni à son attachement à la cause nationale, la Révolution puis l’Empereur, ni à son attachement à la médecine telle qu’il l’a découverte à Saint-Louis. La charge d’hôpitaux militaires constitue donc l’idéal pour un homme handicapé physiquement et qui ne peut de toute façon reprendre les armes. C’est la démarche que vient de faire son condisciple Jean Marie Dessaix, parti déjà en mars 1807 comme médecin-adjoint pour l’armée d’Italie. Restent son épouse et son fils. Le couple est-il réellement parti vivre ensemble l’aventure des campagnes napoléoniennes, comme Nerval le répète comme une leçon bien apprise ? Rien ne permet de vérifier que Marie Antoinette Marguerite Laurent a bien suivi son époux en Allemagne ni surtout qu’elle soit décédée à Glogau. Aucun document ne vient corroborer la date de décès du 29 novembre 1810 que donne le seul Étienne Labrunie, le cimetière de Glogau, aujourd’hui en Pologne, ainsi que les archives ont été détruits De même, la mise en nourrice à Loisy dès le lendemain de la naissance de Gérard n'est qu'une probabilité. La seule certitude est que l’oncle Antoine Boucher a récupéré l’enfant à Mortefontaine jusqu’à ce que son père vienne l’y chercher après la chute de l'Empire.

La carrière d’Étienne Labrunie comme médecin militaire adjoint à partir du 8 juin 1808, puis médecin ordinaire à partir du 22 décembre 1808 va le conduire sur les bords de la Baltique, en Mecklembourg et Poméranie, à Anklam, Dantzig, Stettin, à Linz en Autriche : « J’ai été chargé successivement des hôpitaux militaires d’Anklam, Dantzig, de Lintz pendant la campagne d’Autriche où j’ai fait seul pendant plusieurs mois le service médical des hôpitaux de cette place dans le temps où l’encombrement était le plus considérable » note-t-il dans le récapitulatif mentionné plus haut. Le 7 avril, il part rejoindre l’armée d’Allemagne, prend la direction de l’hôpital de Hanovre, et se trouve à partir du 6 juin 1810 à Glogau en Pologne. C'est là qu'il rédige, le 16 novembre 1810, ses états de service, et c'est là aussi que Mme Labrunie, serait morte, le 29 novembre 1810. Rien dans le dossier militaire ne vient corroborer ce décès. Les notations du Dr Labrunie pour l’année 1811 sont toutes favorables : « zèle, talent, moralité » (19 octobre 1811) « jeune médecin (biffé) zélé, laborieux, propre à son art, bonnes mœurs, paraît peu subordonné » (5 novembre 1811).

Les épreuves sont loin d’être terminées : après les campagnes d’Allemagne et d’Autriche, c’est la campagne de Russie qui s’annonce, et surtout la retraite. Dans une lettre adressée le 15 octobre 1814 (par un lapsus bien significatif, il a écrit 1812) au ministre de la guerre de la première Restauration, le comte Dupont, Étienne Labrunie évoque son état de santé catastrophique : « Labrunie Étienne, âgé de 38 ans, médecin ordinaire depuis le mois de juillet (en fait décembre) 1808, a eu le tendon d’Achille de la jambe gauche rompu par un coup de feu à Wilna où il fut fait prisonnier le 10 décembre 1812. Cet accident, qui a produit dans le pied gauche une grande difformité, ne lui permet de marcher qu’avec des difficultés d’autant plus pénibles qu’une blessure reçue dans l’armée d’Espagne à cette même jambe l’avait déjà mis dans un état qui lui avait fait accorder une pension de 112 fr. 50, qu’il a touché (sic) jusqu’au moment de son départ comme médecin. Il ose prier votre excellence de lui désigner la retraite qu’elle jugera convenable, étant prêt à se soumettre d’ailleurs aux examens qu’elle ordonnera. Veuillez agréer... Labrunie médecin rue St-Martin n° 96 à Paris ». Une petite note marginale abandonne la 3e personne impersonnelle et témoigne du désarroi du rapatrié sans ressource : « tous mes papiers ayant été perdus lorsque j’ai été fait prisonnier, je ne puis envoyer que la copie d’un mandat de payement, cy inclus ».

Étienne Labrunie est donc bien rentré en France à cette date, ce que confirme un autre document de licenciement en date du 14 septembre 1814 qui précise la date de ce retour, le 25 (surchargé 21) août. Dans ces conditions d’épuisement et de dénuement, s’est-il précipité à Mortefontaine ? Pour voir son fils, sans doute, pour le récupérer, c’est peu probable, d’autant que l’administration de Louis XVIII se fait tirer l’oreille pour pensionner les fidèles de l’usurpateur : au dossier d’Étienne Labrunie manque un certificat médical attestant de la blessure de Wilna. En avril 1815, on lui adresse un billet de visite avec cette mention : « Le billet de visite est ci-joint, mais M. Labrunie ne peut pas fournir la preuve qu’il a été blessé à Wilna comme il l’a annoncé. » Qu’à cela ne tienne. Sans doute excédé par ces suspicions tatillonnes, Étienne Labrunie fournit le certificat demandé, rédigé de la main… de son condisciple de l’École de médecine, qui soutint sa thèse quelques mois après lui, en juillet 1806, Jean Marie Dessaix, (1781-1844), médecin militaire, frère du général d’Empire Joseph Marie Dessaix (1764-1834). Dans le dossier militaire de Jean Marie Dessaix se trouve une lettre demandant en sa faveur la légion d’honneur pour son admirable comportement à Wilna : « ce brave jeune homme a non seulement rendu des services signalés pendant le temps qu’il était à l’armée, mais encore pendant celui qu’il est resté prisonnier à Vilna, où il a donné tous ses soins aux officiers et militaires français restés malades dans cette ville, il n’y a qu’un cri sur son généreux dévouement et tout le monde en fait un éloge qui depuis longtemps aurait dû lui mériter cette décoration ». Le certificat fourni par Dessaix est envoyé le 20 mai 1815 au ministre de la guerre le prince d’Eckmülh (donc à l’administration impériale des Cent-Jours) Une pension de 496 fr. sera finalement attribuée à Étienne Labrunie, réglée d’ailleurs non au grade de médecin ordinaire, mais à celui de chirurgien major. Maigre reconnaissance des services rendus, de quoi lui mettre du baume au cœur, mais non le faire vivre, lui et son fils.

Il ouvre donc un cabinet de médecin, probablement spécialisé en gynécologie compte tenu du sujet de sa thèse et de la petite phrase de Promenades et Souvenirs : « une des belles dames qui visitaient mon père... », au 96 jusqu’en 1821, puis à partir de 1822 au 72 de la rue St-Martin. Quand a-t-il récupéré Gérard à Mortefontaine ? On a souvent cité la scène fondatrice du « retour du père » de Promenades et Souvenirs : « J’avais sept ans, et je jouais insoucieux, sur la porte de mon oncle, quand trois officiers parurent devant la maison ; l’or noirci de leurs uniformes brillait à peine sous leurs capotes de soldats. Le premier m’embrassa avec une telle effusion que je m’écriai : “Mon père !... tu me fais mal !” De ce jour mon destin changea. Tous trois revenaient du siège de Strasbourg. Le plus âgé, sauvé des flots de la Bérésina glacée, me prit avec lui, pour m’apprendre ce qu’on appelait mes devoirs » en remarquant que Nerval se trompait deux fois, sur son âge et sur le nom de Strasbourg. Ce n’est pas si sûr : on a du mal à penser qu’Étienne Labrunie, qui a suivi l’armée impériale jusque dans la retraite de Russie, se soit rallié à la première Restauration, et l’on peut se demander si pendant les Cent-Jours, il n’a pas tenté, comme son camarade Jean Marie Dessaix de servir jusqu’au bout la cause de l’Empereur. Il y eut en effet deux sièges de Strasbourg, le premier du 2 janvier au 13 avril 1814, et le deuxième du 26 juin au 4 septembre 1815. La garnison de Strasbourg, où l’armée du Rhin s’est repliée, ne rendra la ville que deux mois après le retour de Louis XVIII. Le docteur Labrunie, rentré en France le 25 août 1814 peut très bien être allé une première fois voir son fils à Mortefontaine, tenter de régler ses affaires de solde de retraite à Paris, repartir témoigner sa fidélité à l’Empereur pendant les Cent-Jours, et n’être venu récupérer définitivement son fils qu’ensuite, donc bien en 1815, alors de Gérard a déjà 7 ans. Nerval, pour donner toute sa puissance à la scène fondatrice du « retour du père », ne commettrait aucune erreur, mais superposerait simplement deux moments.

Durant cette période, si l’on en croit Promenades et Souvenirs, le jeune frère d’Étienne a vécu quelque temps avec son aîné avant de partir s’installer comme pharmacien à Sainte-Foy en Gironde. Un seul et unique document de réforme avec gratification aux Archives de la Défense témoigne que Jean Labrunie fut bien officier de santé, pharmacien ordinaire attaché à l’armée d’Espagne, et qu’il peut donc bien être l’un des trois officiers qui apparurent un beau matin à la porte de l’oncle Boucher à Mortefontaine Si l’on en croit Promenades et Souvenirs toujours, Étienne Labrunie fut très attentif à la première éducation de son fils qui nous donne cette autre image, émouvante, de son père à cette époque: « Ce brave homme [il s’agit d’un membre de la société chantante de St-Germain] m’a rappelé mon père, qui, jeune encore, chantait avec goût des airs italiens à son retour de Pologne. Il y avait perdu sa femme, et ne pouvait s’empêcher de pleurer en s’accompagnant de la guitare aux paroles d’une romance qu’elle avait aimée… » En octobre 1822, le docteur Labrunie inscrit son fils au collège Charlemagne, avec une intention bien arrêtée sur sa carrière future, puisque Gérard entre également à la pension Barbette qui vient d’ouvrir en 1822, 10 rue de Jarente, spécialisée dans l’enseignement des mathématiques en vue de carrières dans « le génie, le commerce et la marine », précise l’Annuaire du Commerce de Paris.

Décoré de la Légion d’honneur en 1827 (c’est du moins ce qu’indique l’Annuaire du commerce de cette année-là, non confirmé par la base Léonore de la Légion d'honneur), Étienne Labrunie semble s’être enfermé dans le silence à mesure qu’il se rendait compte que son fils lui échappait, conservant les lettres que celui-ci lui envoyait, mais ne lui répondant apparemment pas. Conscient de sa fragilité nerveuse, il n’a pu que désapprouver les amitiés « excentriques » des années 1830, voire les expériences de haschich que Gérard a pu faire. Il ne s’est jamais remarié et a vécu assez petitement, avec sa gouvernante Gabrielle Benard, décédée le 3 octobre 1853, après dix années de service auprès de lui. Il habite depuis 1846 un appartement, rue Culture-Ste-Catherine, trop petit, dit-il, pour recueillir les affaires de son fils après son internement chez le docteur Blanche à Passy en 1853. Les amis de Nerval le lui ont reproché, c’est oublier qu’Étienne Labrunie a alors 77 ans, qu’il est infirme depuis des années, et convaincu que ces mêmes amis sont la cause des malheurs de son fils.

Étienne Labrunie meurt le 1er juin 1859. Il laisse ses biens (dont une bibliothèque considérable de près de 1500 volumes de médecine, littérature et philosophie), à sa sœur Anne Marie et à sa nièce Zulma, fille de Jean Labrunie et Jeanne Lamaure.

 

Le docteur Gérard Vassal >>>

Labrunie 23dec.1807v°
Siege de Lille1792

Premier engagement volontaire d'Étienne Labrunie comme chasseur à la 5e 1/2 brigade d'infanterie légère. En note, à droite, les réclamations d'Étienne Labrunie à la commune d'Agen et à l'administration de l'armée de Sambre-et-Meuse pour récupérer les papiers qui attestent de sa campagne en Flandre

Siege de Lille1792

L'hôpital Saint-Louis tel que l'a connu Étienne Labrunie

Siege de Lille1792
planplacedeCambrai

La place de Cambrai (actuelle place Berthollet), devant le Collège de France), où vécut Étienne Labrunie avant de s'installer rue Jehan de Beauvais chez ses cousins. (plan de Paris de 1802)

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Signature d'Étienne Labrunie sur le registre d'Inscription de la faculté de médecine pour le trimestre de nivôse an XIII (Archives nationales)

Labrunie 23dec.1807v°

Deuxième lettre de candidature, du 28 janvier 1808:

"Monseigneur, / D'après la lettre de Votre Excellence datée du 22 janvier, j'ose vous instruire du sujet de ma demande. / Agé seulement de 14 ans, j'ai servi l'État dès 1792 comme chasseur dans la 5e 1/2 brigade d'infanterie légère, armée des Pyrénées occidentales. À l'âge de 17 ans et à l'affaire du 17 pluviôse une blessure que j'ai reçue et qui m'a fracturé la jambe gauche m'a mis dans l'impossibilité de continuer la carrière militaire; à cette époque j'ai obtenu mon congé de retraite et depuis je me suis livré à l'étude de la médecine. J'ai été pendant sept ans élève interne à l'hôpital St-Louis et pendant six ans étudiant à l'école de médecine de Paris dans laquelle j'ai été reçu docteur dans le mois de brumaire 1806, âgé de 30 ans. Des études longues et très dispendieuses ont épuisé mes moyens d'existence. Je mettrai d'ailleurs mon bonheur à être encore utile à l'État comme médecin: veuillez décider, Monseigneur, si je puis espérer y parvenir. / C'est surtout par monseigneur de Lacépède que je suis encouragé à vous faire cette demande; c'est donc de votre excellence que j'attends mon bonheur. Mais de quelque manière qu'elle le décide, je me trouverai très heureux d'avoir pu assurer votre excellence que je suis avec le plus profond respect, Monseigneur, de votre excellence votre très humble et très obéissant serviteur. / Labrunie doc. méd. rue St-Martin n° 96 / Paris 28 janvier 1808".

Labrunie 23dec.1807v°

Récapitulatif de carrière établi par Étienne Labrunie le 16 novembre 1810 à Glogau:

partie gauche: "Détail des services / Parti volontairement pour l'Espagne dans la 5e 1/2 brigade d'infanterie légère le 25 octobre 1792 jusqu'au 29 ventôse an 3 époque où j'ai été congédié pour cause de blessures (2 ans, 4 mois, 25 jours) / Remis en activité comme médecin adjoint par commission ministérielle le 8 juin 1808 jusqu'au 22 décembre même année (6 mois 14 jours). Nommé médecin ordinaire par commission le 22 décembre 1808 jusqu'à ce jour 16 novembre 1810 (5 ans, 10 mois, 25 jours) / J'ai été chargé successivement du service des hôpitaux militaires d'Anklam, Dantzig, de Lintz pendant la campagne d'Autriche où j'ai fait seul pendant plusieurs mois le service médical des hôpitaux de cette place dans le temps où l'encombrement était le plus considérable. Je n'en suis parti que le 7 avril 1810 pour aller rejoindre l'armée d'Allemagne où j'ai pris le service de l'hôpital d'Hanovre et enfin de Glogau où je suis depuis le 6 juin 1810 / Note du médecin en chef: jeune médecin, qui a beaucoup de zèle".

partie droite: "Observations / indépendament (sic) des campagnes cy contre j'ai servi en Flandres ainsi qu'il suit. Je suis parti volontairement en juillet 1792 âgé (?) avec des fédérés qui à Soissons formèrent le 18e bataillon des fédérés nationaux. Je me suis trouvé au siège de Lille en Flandres pendant lequel je fus blessé par un éclat d'obus à la partie postérieure du pied gauche. Peu de jours après je demandai et j'obtins mon congé, étant alors à Haubourdin près Lille. Au lieu de me rendre à Agen chez mes parents qui avaient sollicité mon congé à cause de ma jeunesse, je m'enrôlai à Toulouse dans la 3e compagnie franche des Chasseurs de cette ville. C'est là que je fus forcé de laisser les papiers qui constatent ma campagne et ma blessure en Flandres. J'ai écrit plusieurs fois pour les avoir sans pouvoir obtenir une réponse. Cette compagnie franche fut envoyée en Espagne et incorporée dans la 5e 1/2 brigade d'infanterie légère. J'y ai servi sans interruption jusqu'au 2 pluviôse 2e an rép., époque à laquelle j'eus la jambe gauche fracassée d'un coup de feu en défendant des avant postes. J'en suis toujours estropié. Une retraite de 112 fr. 50 m'a été accordée par un arrêté des Consuls en date du 29 frimaire an 9 et je n'en ai pas joui depuis mon départ comme médecin."

Labrunie etat1811

Note d'états de service pour 1811:

à l'encre rouge: " A Glogau - état 1e mai 1811 / A Stettin, zèle, talent, moralité - état 19 octobre 1811 / 4e division d'infanterie, jeune médecin (biffé) zélé, laborieux, propre à son art, bonnes moeurs, paraît peu subordonné - état 5 novembre 1811".

puis à l'encre noire, la date de licenciement de l'armée (14 septembre 1814), mais surtout la date du retour en France d'Étienne Labrunie: 25 surchargé en 21 août 1814.

La rue Jehan de Beauvais, près de la place de Cambrai, où se trouvait la boulangerie des parents d'Alexandre Labrunie (photo Marville)

LabruniecertificatdeDessaix20mai1815copie

Certificat établi par J.M. Dessaix, daté du 20 mai 1815, attestant de la blessure reçue par Étienne Labrunie à Wilna le 10 décembre 1812.

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