4 février 1849 — Al-Kahira. Souvenirs d’Orient, dans La Silhouette, 5e livraison.

Cette 5e livraison d’Al-Kahira est le reprise des Amours de Vienne publiées le 7 mars 1841 dans la Revue de Paris. Elle sera reprise au chapitre VII, « Suite du journal » et VIII, « Suite du journal » de l’Introduction du Voyage en Orient.

Nerval interrompt ici le récit à la date du 31 décembre du « Journal » tenu par le narrateur au moment où se terminent les amours pupulaires (« Je reviendrai quand j’aurai le temps »). Le texte de 1841 poursuivait par l’amorce des amours du grand monde : « maintenant sonnons de la trompette... ». Nerval omettra dans Al-Kahira cette fin du récit de 1841, qui ne sera reprise qu’en 1853-1854 dans Les Amours de Vienne. Pandora.

Voir les notices UN HIVER À VIENNE et LE VOYAGE EN ORIENT, ÉLABORATION LITTÉRAIRE DU VOYAGE EN ORIENT

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AL-KAHIRA

SOUVENIRS D’ORIENT.

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VII. — Suite.

Ce 13 décembre. — Tant d’événemens se sont passés depuis les quatre premiers jours qui fournissaient le commencement de cette lettre, que j’ai peine à les rattacher à ce qui m’arrive aujourd’hui. Je n’oserais te dire que ma carrière don-juanesque se soit poursuivie toujours avec le même bonheur... La Katty est à Brünn en ce moment auprès de sa mère malade ; je devais l’y aller rejoindre par ce beau chemin de fer de trente lieues qui est à l’entrée du Prater ; mais ce genre de voyage m’agace les nerfs d’une façon insupportable. En attendant, voici encore une aventure qui s’entame et dont je t’adresse fidèlement les premiers détails.

Comme observation générale, tu sauras que dans cette ville aucune femme n’a une démarche naturelle. Vous en remarquez une, vous la suivez ; alors elle fait les coudes et les zig-zags les plus incroyables de rues en rues. Puis, choisissez un endroit un peu désert pour l’aborder, et jamais elle ne refusera de répondre. Cela est connu de tous. Une Viennoise n’éconduit personne. Si elle appartient à quelqu’un (je ne parle pas de son mari, qui ne compte jamais) ; si, enfin, elle est trop affairée de divers côtés, elle vous le dit et vous conseille de ne lui demander un rendez-vous que la semaine suivante, ou de prendre patience sans fixer le jour. Cela n’est jamais bien long ; les amans qui vous ont précédé deviennent vos meilleurs amis.

Je venais donc de suivre une beauté que j’avais remarquée au Prater, où la foule s’empresse pour voir les traîneaux, et j’étais allé jusqu’à sa porte sans lui parler, parce que c’était en plein jour. Ces sortes d’aventures m’amusent infiniment. Fort heureusement, il y avait un gastoffe presque en face de la maison. Je reviens donc, à la brune, m’établir près de la fenêtre. Comme je l’avais prévu, la belle personne en question ne tarde pas à sortir. Je la suis, je lui parle, et elle me dit avec simplicité de lui donner le bras afin que les passans ne nous remarquent pas. Alors elle me conduit dans toutes sortes de quartiers ; d’abord chez un marchand du Kohlmarck, où elle achète des mitaines ; puis chez un pâtissier, où elle me donne la moitié d’un gâteau ; enfin, elle me ramène dans la maison d’où elle était sortie, reste une heure à causer avec moi sous la porte, et me dit de revenir le lendemain au soir. Le lendemain, je reviens fidèlement, je frappe à la porte, et tout à coup je me trouve au milieu de deux autres jeunes filles et de trois hommes vêtus de peaux de mouton et coiffés de bonnets plus ou moins valaques. Comme la société m’accueillait cordialement, je me préparais à m’asseoir : mais point du tout. On éteint les chandelles, et l’on se met en route pour des endroits éloignés dans le faubourg. Personne ne me dispute la conquête de la veille, quoique l’un des individus soit sans femme, et enfin nous arrivons dans une espèce de gastoffe fort enfumé. Là, les sept ou huit nations qui se partagent la bonne ville de Vienne semblaient s’être réunies pour un plaisir quelconque. Ce qu’il y avait de plus évident, c’est qu’on y buvait beaucoup de vin doux rouge, mêlé de vin blanc plus ancien. Nous prîmes quelques carafes de ce mélange. Cela n’était point mauvais. Au fond de la salle, il y avait une sorte d’estrade où l’on chantait des complaintes dans un langage indéfini, ce qui paraissait amuser beaucoup ceux qui comprenaient. Le jeune homme qui n’avait pas de femme s’assit près de moi, et comme il parlait très-bon allemand, chose rare dans ce pays, je fus content de sa conversation. Quant à la femme avec qui j’étais venu, elle était absorbée dans le spectacle qu’on voyait en face de nous. Le fait est que l’on jouait derrière ce comptoir de véritables comédies. Ils étaient quatre à cinq chanteurs, qui montaient, jouaient une scène, et reparaissaient avec de nouveaux costumes. C’étaient des pièces complètes, mêlées de chœurs et de couplets. Pendant les intervalles, les Moldaves, Valaques et autres mangeaient beaucoup de lièvre et de veau. La beauté que j’avais avec moi s’animait peu à peu, grâce au vin rouge et grâce au vin blanc. Elle était charmante ainsi, car naturellement elle est un peu pâle. C’est une vraie beauté slave ; de grands traits solides indiquent la race qui ne s’est point mélangée.

Il faut encore remarquer qu’il n’y a de belles que les femmes du peuple et celles de la haute noblesse. — Je t’écris d’un gastoffe, où j’attends l’heure du spectacle ; mais décidément l’encre est trop mauvaise, et j’ajourne la suite de mes observations.

VIII.

31 décembre, jour de la saint Sylvestre. — Diable de conseiller intime de sucre candi ! comme disait Hoffmann, ce jour-là même. Tu vas comprendre à quel propos cette interjection.

Je t’écris, non pas de ce cabaret enfumé et du fond de cette cave fantastique dont les marches étaient si usées, qu’à peine avait-on le pied sur la première, qu’on se sentait sans le vouloir tout porté en bas, puis assis à une table, entre un pot de vin vieux et un pot de vin nouveau, et à l’autre bout l’homme qui a perdu son reflet et l’homme qui a perdu son ombre discutant fort gravement. Je vais te parler d’un cabaret non moins enfumé, mais beaucoup plus brillant que le Ratskeller de Brême ou l’Auersbach de Leipzick ; d’une certaine cave que j’ai découverte près de la Porte-Rouge, et dont il est bon de te faire la description, car c’est celui-là même dont j’ai déjà dit quelques mots dans ma lettre précédente. C’est là que s’ébauchait la préface de mes amours.

C’est bien une cave, en effet, vaste et profondément creusée : à droite de la porte est le comptoir de l’hôte, entouré d’une haute balustrade toute chargée de pots d’étain ; c’est de là que coulent à flots la bière impériale, celle de Bavière et de Bohême, ainsi que les vins blancs et rouges de la Hongrie, distingués par des noms bizarres. A gauche de l’entrée est un vaste buffet chargé de viandes, de pâtisseries et de sucreries, et où fument continuellement les würschell, ce mets favori du Viennois. D’alertes servantes distribuent les plats de table en table, pendant que les garçons font le service plus fatiguant de la bière et du vin. Chacun soupe ainsi, se servant pour pain de gâteaux anisés ou glacés de sel, qui excitent beaucoup à boire. Maintenant, ne nous arrêtons pas dans cette première salle, qui sert à la fois d’office à l’hôtelier et de coulisse aux acteurs. On y rencontre seulement des danseuses qui se chaussent, des jeunes premières qui mettent leur rouge, des soldats qui s’habillent en figurans ; là est le vestiaire des valseurs, le refuge des chiens ennemis de la musique et de la danse, et le lieu de repos des marchands juifs, qui s’en vont, dans l’intervalle des pièces, des valses ou des chants, offrir leurs parfumeries, leurs fruits d’Orient, ou les innombrables billets de la grande loterie de Miedling.

Il faut monter plusieurs marches et percer la foule pour pénétrer enfin dans la pièce principale : c’est d’ordinaire une galerie régulièrement voûtée et close partout ; les tables serrées règnent le long des murs, mais le centre est libre pour la danse. La décoration est une peinture en rocaille ; et au fond, derrière les musiciens et les acteurs, une sorte de berceau de pampres et de treillages. Quant à la société, elle est fort mélangée, comme nous dirions : rien d’ignoble pourtant, car les costumes sont plutôt sauvages que pauvres. Les Hongrois portent la plupart leur habit semi-militaire, avec ses galons de soie éclatante et ses gros boutons d’argent ; les paysans bohêmes ont de longs manteaux blancs et de petits chapeaux ronds qui semblent couronnés de fleurs . Les Styriens sont remarquables par leurs chapeaux verts ornés de plumes et leurs costumes de chasseurs du Tyrol ; les Serbes et les Turcs se mêlent plus rares à cette assemblée bizarre de tant de nations qui composent l’Autriche, et parmi lesquelles la vraie population autrichienne est peut-être la moins nombreuse.

Quant aux femmes, à part quelques Hongroises, dont le costume est à moitié grec, elles sont mises en général fort simplement ; belles presque toutes, souples et bien faites, blondes la plupart, et d’un teint magnifique, elles s’abandonnent à la valse avec une ardeur singulière. A peine l’orchestre a-t-il préludé qu’elles s’élancent des tables, quittant leur verre à moitié vide et leur souper interrompu, et alors commence, dans le bruit et dans l’épaisse fumée du tabac, un tourbillon de valses et de galops dont vous n’avez point d’idée.

La valse finie, on se remet à manger et à boire, et voici que des chanteurs ou des saltimbanques paraissent au fond de la salle, derrière une sorte de comptoir garni d’une nappe, et illuminé de chandelles : ou bien, plus souvent encore, c’est une représentation de drame ou de comédie, qui se donne sans plus d’apprêts. Cela tient à la fois du théâtre et de la parade ; mais les pièces sont presque toujours très amusantes, et jouées avec beaucoup de verve et de naturel. Quelquefois on entend de petits opéras-bouffes à l’italienne, con Pantalone e Pulcinella. L’étroite scène ne suffit pas toujours au développement de l’action, alors les acteurs se répondent de plusieurs points ; des combats se livrent même au milieu de la salle, entre les figurans en costume ; le comptoir devient la ville assiégée, ou le vaisseau qu’attaquent les corsaires. À part ces costumes et cette mise en scène, il n’y a pas plus de décorations qu’aux théâtres de Londres du temps de Shakspeare, pas même l’écriteau qui annonçait alors que là était la ville et là une forêt.

Quand la pièce est terminée, comédie ou farce, chacun chante les couplets au public sur un air populaire, toujours le même, qui paraît charmer beaucoup les Viennois ; puis les artistes se répandent dans la salle et s’en vont de table en table recueillir les félicitations et les kreutzers. Les actrices ou chanteuses sont toutes très jolies, elles viennent sans façon s’asseoir aux tables, et il n’est pas un des ouvriers, étudians ou soldats, qui ne les invite à boire dans leurs verres ; ces pauvres filles ne font guère qu’y tremper leurs lèvres, mais c’est une politesse qu’elles ne peuvent refuser.

Tels sont, mon ami, les plaisirs intelligens de ce peuple. Il ne s’engourdit point, comme on le croit, avec le tabac et la bière, il est spirituel, poétique, et curieux comme l’Italien, avec une teinte plus marquée de bonhomie et de gravité ; il faut remarquer ce besoin qu’il semble avoir d’occuper à la fois tous ses sens, et de réunir constamment la table, la musique, le tabac, la danse, le théâtre.

En sortant de ces tavernes, on s’étonne de trouver toujours au-dessus de la porte un grand crucifix, et souvent aussi dans un coin une image de sainte en cire et vêtue de clinquant. C’est qu’ici comme en Italie, la religion n’a rien d’hostile à la joie et au plaisir. La taverne a quelque chose de grave, comme l’église éveille souvent des idées de fête et d’amour. Dans la nuit de Noël, il y a huit jours, j’ai pu me rendre compte de cette alliance étrange pour nous. La population en fête passait de l’église au bal sans avoir presque besoin de changer de disposition, et d’ailleurs les rues étaient remplies d’enfans qui portaient les sapins bénis, ornés, dans leur feuillage, de bougies, de gâteaux et de sucreries. C’étaient les arbres de Noël, offrant par leur multitude l’image de cette forêt mobile qui marchait au-devant Macbeth. L’intérieur des églises, de Saint-Étienne surtout, était magnifique et radieux. Ce n’étaient pas seulement l’immense foule en habits de fêtes, l’autel d’argent étincelant au milieu du chœur, des centaines de musiciens suspendus, pour ainsi dire, aux grêles balustrades qui règnent le long des piliers, c’était la foi sincère et franche qui unissait toutes les voix dans un hymne prodigieux. L’effet de ces chœurs aux milliers de voix est vraiment surprenant pour nous autres Français, accoutumés à l’uniforme basse-taille des chantres ou à l’aigre fausset des dévotes. Ensuite, les violons et les trompettes de l’orchestre, les voix de cantatrices s’élançant des tribunes, la pompe théâtrale de l’office : tout cela, certes, paraîtrait fort peu religieux à nos populations sceptiques. Mais ce n’est que chez nous qu’on a l’idée d’un catholicisme si sérieux, si jaloux, si rempli d’idées de mort et de privation, que peu de gens se sentent dignes de le pratiquer et de le croire. En Autriche, comme en Italie, comme en Espagne, la religion conserve son empire, parce qu’elle est aimable et facile, et demande plus de foi que de sacrifices.

Ainsi toute cette troupe bruyante, qui était venue, comme les premiers fidèles, se réjouir aux pieds de Dieu de l’heureuse naissance, allait finir sa nuit de fête dans les banquets et dans les danses, aux accords des mêmes instrumens. Je m’applaudissais d’assister une fois encore à ces belles solennités que notre église a proscrites, et qui véritablement ont besoin d’être célébrées dans les pays où la croyance est prise au sérieux par tous.

Je sens bien que tu voudrais savoir la fin de ma dernière aventure. Peut-être ai-je eu tort de t’écrire tout ce qui précède. Je dois te faire l’effet d’un malheureux, d’un cuistre, d’un commis voyageur qui ne représente son pays que dans les tavernes et qu’un goût immodéré de bière et de vin de Hongrie entraîne à de trop faciles amours. Aussi vais-je bientôt passer à des aventures plus graves... et quant à celle dont je te parlais plus haut, je regrette bien de ne pas t’en avoir écrit les détails à mesure ; mais il est trop tard. Je suis trop en arrière de mon journal, et tous ces petits faits que je t’aurais détaillés complaisamment alors, je ne pourrais plus même les ressaisir aujourd’hui. Contente-toi d’appendre que comme je reconduisais la dame assez tard, il s’est mêlé dans nos amours un chien noir qui courait comme le barbet de Faust et qui avait l’air fou. J’ai vu tout de suite que c’était de mauvais augure. La belle s’est mise à caresser le chien, qui était tout mouillé, puis elle m’a dit qu’il avait sans doute perdu ses maîtres, et qu’elle voulait le recueillir chez elle. J’ai demandé à y entrer aussi, mais elle m’a répondu : nicht ! ou, si tu veux nix ! avec un accent résolu qui m’a rappelé l’invasion de 1815. Je me suis dit : C’est ce gredin de chien noir qui me porte malheur. Il est évident que, sans lui, j’aurais été reçu.

Eh bien ! ni le chien ni moi ne sommes entrés. Au moment où la porte s’ouvrait, il s’est enfui comme un être fantastique qu’il était, et la beauté m’a donné rendez-vous pour le lendemain.

Le lendemain, j’étais furieux, agacé ; il faisait très-froid ; j’avais affaire. Je ne vins pas à l’heure, mais plus tard dans la journée. Je trouve un individu mâle qui m’ouvre et me demande, ainsi que la tête de chameau de Cazotte : Che vuoi ? Comme il était moins effrayant, j’étais prêt à répondre : Je demande Mlle.... Mais, ô malheur ! je me suis aperçu que j’ignorais totalement le nom de ma maîtresse. — Cependant, comme je te l’ai dit, je la connaissais depuis trois jours. — Je balbutie, le monsieur me regarde comme un intrigant ; je m’en vais. Très bien.

Le soir, je rôde autour de la maison ; je la vois qui rentre ; je m’excuse et je lui dis fort tendrement : Mademoiselle, serait-il indiscret de vous demander votre nom ? — Vhahby. — Plaît-il ? — Vhahby. — Oh ! oh ! celui-là, je demande à l’écrire. Ah çà ! vous êtes donc Bohême ou Hongroise ? Elle est d’Olmutz, cette chère enfant. — Vhahby, c’est un nom bien bohême, en effet, et cependant la fille est douce et blonde, et dit son nom si doucement, qu’elle a l’air d’un agneau s’exprimant dans sa langue maternelle.

Et puis voilà que cela traîne en longueur ; je comprends que c’est une cour à faire. Un matin je viens la voir, elle me dit avec une grande émotion : Oh ! mon Dieu ! il est malade. — Qui, lui ? Alors elle prononce un nom aussi bohême que le sien ; elle me dit : Entrez donc. J’entre dans une seconde chambre, et je vois, couché dans un lit, un grand flandrin qui était venu avec nous, le soir du spectacle, dans le gastoffe, et qui était vêtu en chasseur d’opéra-comique. Ce garçon m’accueille avec des démonstrations de joie ; il avait un grand chien lévrier couché près du lit. Ne sachant que dire, je dis : Voilà un beau chien ; je caresse l’animal, je lui parle, cela dure très-longtemps. On remarquait au-dessus du lit le fusil du monsieur, ce qui, du reste, vu sa cordialité, n’avait rien de désagréable. Il me dit qu’il avait la fièvre, ce qui le contrariait beaucoup, car la chasse était bonne. Je lui demande naïvement s’il chassait le chamois ; il me montre alors des perdrix mortes avec lesquelles des enfans s’amusaient dans un coin. — Ah ! c’est très bien, monsieur. — Alors, pour soutenir la conversation, comme la beauté ne revenait pas, je dis bourgeoisement : Eh bien ! ces enfans sont-ils bien savants ? D’où vient qu’ils ne sont pas à l’école ? Le chasseur me réplique : Ils sont trop petits. Je réponds que, dans mon pays, on les met aux écoles mutuelles dès le berceau. Je continue par une série d’observations sur ce mode d’enseignement. Pendant ce temps-là, Vhahby rentra une tasse à la main ; je dis au chasseur : Est-ce que c’est du quinquina (vu sa fièvre) ? Il me dit : Oui ; — il paraît qu’il n’avait pas compris, car je le vois un instant après qui coupe du pain dans la tasse ; je n’avais jamais ouï dire qu’on se trempât une soupe de quinquina, et, en effet, c’était du bouillon. Le spectacle de ce garçon mangeant sa soupe était aussi peu récréatif que le récit que je t’en fais... Voilà un joli rendez-vous qu’on m’a donné là. Je salue le chasseur en lui souhaitant une meilleure santé, et je repasse dans l’autre pièce. Ah ! çà ! dis-je à la jeune Bohême, ce monsieur malade est-il votre mari ? — Non. — Votre frère ? — Non. — Votre amoureux ? — Non. — Qu’est-ce qu’il est donc ? — Il est chasseur. Voilà tout. Il faut observer, pour l’intelligence de mes questions, qu’il y avait dans la seconde chambre trois lits, et qu’elle m’avait appris que l’un était le sien, et que c’était cela qui l’empêchait de me recevoir. Enfin, je n’ai jamais pu comprendre la fonction de ce personnage. Elle m’a dit toutefois de revenir le lendemain ; mais j’ai pensé que, si c’était pour jouir de la conversation du chasseur, il valait mieux attendre qu’il fût rétabli. Je n’ai revu Vhahby que huit jours après ; elle n’a pas été plus étonnée de me voir revenir que de ce que j’avais été si longtemps sans la voir. Le chasseur était rétabli et sorti... Je ne savais à quoi tenait sa sauvagerie ; elle m’a dit que les enfans étaient dans l’autre pièce. Est-ce à vous, ces enfans ? — Oui. — Diable ! Il y en a trois, blonds comme des épis, blonds comme elle. J’ai trouvé cela si respectable, que je ne suis pas revenu encore dans la maison ; j’y reviendrai quand je voudrai. Les trois enfans, le chasseur et la fille n’auront pas bougé ; — j’y reviendrai quand j’aurai le temps.

 

GÉRARD DE NERVAL.

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Al-Kahira. Souvenirs d'Orient, 6e livraison >>>

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