24 janvier 1852 (BF) — L’Imagier de Harlem ou La Découverte de l’imprimerie, à la Librairie théâtrale.

L’Imagier de Harlem, très justement sous-titré « drame-légende » est l’aboutissement d’une double interrogation de la part de Nerval, sur le thème du penseur épris d’absolu, d’une part, et sur celui des « souffrances de l’inventeur » d’autre part, tous deux incarnés par le même personnage de Faust, selon des traditions différentes dont le drame de L’Imagier offre la synthèse. Dès sa première approche du Faust de Goethe en 1828, Nerval compose une première ébauche d’un Faust, demeurée à l’état de manuscrit non publié. Il reprend le thème en 1831 dans une ébauche de drame dont le héros n’est plus l’Allemand Faust, mais le Français Nicolas Flamel, alchimiste, inventeur incompris. Le Second Faust de Goethe, dont il publie la traduction partielle et l’analyse en 1840, donne au héros sa dimension métaphysique en en faisant : « le type le plus parfait de l’intelligence et du génie humain, sachant toute science, ayant pensé toute idée, n’ayant plus rien à apprendre ni à voir sur la terre », explorateur intrépide de « cet infini toujours béant, qui confond la plus forte raison humaine ». Restait à en faire l’inventeur incompris de l’imprimerie, c’est chose faite en 1850 à l’occasion d’un article de critique théâtrale publié dans La Presse, intitulé : Le Faust du Gymnase. — La légende de Fust. — Le théâtre de Balzac, dans lequel Nerval développe longuement l’histoire de Fust, ou Faust, co-inventeur avec Laurent Coster de l’imprimerie, en s’inspirant des multiples légendes allemandes et de Friedrich Maximilian Klinger (1752-1831), auteur en 1791 d’une Vie de Faust, que Nerval fut si heureux de retrouver dans la bibliothèque de Charles Monselet : « Fouillant une fois dans mon humble bibliothèque, Gérard poussa un cri de joie. Il venait de s’emparer d’un livre intitulé : Les Aventures du docteur Faust et sa descente aux Enfers, traduction de l’allemand, avec figures. Il y avait plus de trente ans que Gérard de Nerval cherchait ce livre ; c’était pour lui un souvenir et un désir d’enfance. La première fois qu’il l’avait vu, c’était sur les rayons en plein air d’un étalagiste du boulevard Beaumarchais ; les figures l’avaient attiré par leur étrangeté [...] Gérard de Nerval, alors écolier, avait marchandé le livre ; mais le bouquiniste, petit vieillard aussi étrange que son livre, avait demandé un prix exorbitant, quinze ou vingt francs, je crois. Gérard s’étonna et soupira, comprenant qu’il devait y renoncer [...] Il me demanda la permission de l’emporter ; je fis mieux, je le lui donnai, et c’est avec les Aventures du docteur Faust et sa descente aux Enfers qu’il écrivit peu de temps après son drame de l’Imagier de Harlem. »

La pièce en cinq actes, en collaboration avec Méy pour les parties malheureusement versifiées, fut créée au Théâtre de la Porte-Saint-Martin le 27 décembre 1851 et tint l’affiche jusqu’au 28 janvier 1852. Son succès mitigé plongea Nerval dans le désarroi, prélude à de nouvelles crises nerveuses.

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ACTE I

C’est un grand jour pour Laurent Coster, fabricant d’images pieuses à Harlem : pour la première fois va sortir de sa presse une page de texte, imprimée à partir de caractères mobiles. Mais l’invention formidable de l’imprimerie ne rencontre qu’un obscurantisme consternant auprès des échevins de la ville qui, en la personne du bourgmestre font saisir les biens du malheureux inventeur sans le sou. Survient alors le comte de Bloksberg, mystérieux envoyé de l’archiduc d’Autriche, et tout se métamorphose autour de Coster qui accepte la proposition de suivre le prétendu comte à la cour de Frédéric.

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L’IMAGIER DE HARLEM

ou

LA DÉCOUVERTE DE L’IMPRIMERIE

 

DRAME-LÉGENDE A GRAND SPECTACLE

EN CINQ ACTES ET DIX TABLEAUX

En prose et en vers,

 

DE MM. MÉRY, GÉRARD DE NERVAL ET BERNARD LOPEZ.

Représenté pour la première fois à Paris

sur le Théâtre de la Porte-Saint-Martin, le 27 décembre 1851.

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DISTRIBUTION DE LA PIÈCE.

 

Satan MM. Mélingue.
Laurent Coster, l’imagier Bignon.
Louis XI R. Drouville.
L’Archiduc Frédéric III Savigny.
Le Bourg mestre de Harlem Saint-Léon.
Le Corregidor Barqui.
César Borgia H. Luguet.
Guttemberg A. Peupin.
Jacob Faust, orfèvre Mercier.
Schæffer, vigneron Anatole.
Christophe Colomb
Tristan
Alilah Mmes Laurent.
Catherine, femme de Laurent Coster Grave.
Lucie, sa fille Grave.
La Reine Isabelle Jouvante.
Astarté, page, démon de la volupté Debrou.
Minuit Galby.
La Onzième heure Vaudras.

Heures (corps de Ballet). Ballet des Heures et du dieu Pan dans le tableau du Château de Beauté. — Courtisans, Courtisanes, Invités, Pages, Gardes, Alcades, Alguazils, Dieux, Déesses, Faunes, Sylvains, Matelots, Peuple.

L’action se passe à la fin du quinzième siècle.

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ACTE PREMIER.

 

PREMIER TABLEAU.

A Harlem, chez Laurent Coster. — Un intérieur gothique, porte au fond, porte à gauche. — Ameublement flamand pauvre, de la fin du XVe siècle. — A droite, sur le devant, un établi avec les outils d’un graveur sur bois. — A gauche au fond, un buffet et une table. — Sur le devant un petit poêle avec une marmite en fer dessus. — Chaises.

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SCÈNE PREMIÈRE.

LAURENT COSTER, puis GUTTEMBERG.

 

COSTER, seul, gravant une petite planche de bois.

Qu’il est doux à la main le travail qu’on fait avec le cœur !... (Contemplant une gravure.) Aspasie !... (Écoutant.) Et ce bruit que j’entends là sous mes pieds... ce sont mes trois compagnons qui terminent mon œuvre... (Se levant.) Ce bruit me réjouit l’âme. Voyons ! (Ouvrant une trappe au milieu du théâtre.) Guttemberg ?

GUTTEMBERG, montrant sa tête à l’ouverture de la trappe.

Maître ?

COSTER.

Eh bien ?

GUTTEMBERG.

Ce n’est pas prêt !

COSTER.

Ah ! ma femme ! (Il laisse tomber la trappe et retourne à son établi.)

 

SCÈNE II.

CATHERINE, COSTER.

 

CATHERINE, entrant de gauche.

Bonjour, Laurent. (Elle l’embrasse.)

COSTER.

Bonjour, Catherine.

CATHERINE.

Oh ! que fais-tu donc là ? (Elle regarde une gravure.) Dieu ! que cette femme est belle ?

COSTER, avec expression.

N’est-ce pas, Catherine ? Vois-tu, c’est la copie d’une médaille antique que Périclès l’Athénien fit frapper en l’honneur de la plus belle femme de son temps.

CATHERINE.

Et comment l’appelles-tu ?

COSTER.

Aspasie.

CATHERINE.

Aspasie ? Je t’ai entendu dire que c’était une courtisane.

COSTER.

C’est vrai... Pourquoi faut-il que des traits aussi beaux aient servi d’enveloppe à une âme impure ! (Il tombe dans la rêverie.)

CATHERINE, se penchant sur lui.

Coster, à quoi rêves-tu ? Aurais-tu un chagrin, et le cacherais-tu à ta femme, à ta bonne Catherine... ce ne serait pas bien... Est-il possible d’être plus heureux que nous le sommes ?... Nous avons tout ce qui fait le charme de l’existence, une pauvreté honorable que le travail peut enrichir ; quelques amis qui sont notre famille : une petite maison pleine de calme et de sérénité, un jardin délicieux avec beaucoup d’ombre l’été, un peu de soleil l’hiver. Nous faisons envie à quelques-uns et nous n’envions personne. Les riches en nous voyant si contents s’imaginent que nous sommes des leurs et nous demandent avec tristesse le secret de notre bonheur domestique... que nous manque-t-il donc ? Y a-t-il dans Harlem un ménage plus heureux... et le ciel n’a-t-il pas béni notre union par la naissance d’un ange ?

COSTER, se levant.

Catherine !... je ne suis ingrat ni envers le ciel ni envers toi ! Notre fille vient à peine de naître, et je crois déjà voir en elle ta vivante image !

CATHERINE.

Pourquoi donc es-tu toujours si triste, mon ami ? le bonheur doit toujours être gai.

COSTER.

Écoute, chère Catherine, je ne puis avoir aucun secret pour toi !... J’ai une grande raison d’être triste !.. Je ne peux pas payer la patente que j’ai été obligé de faire prendre à Amsterdam et dont j’avais besoin pour mon état.

CATHERINE.

Une patente ! et pourquoi ?

COSTER.

C’était indispensable.

CATHERINE.

Et combien coûte-t-elle, cette patente ?

COSTER.

Deux cents ducats.

CATHERINE.

Miséricorde ! Et où les prendrons-nous ?.. Mais je n’ai jamais entendu dire que pour être imagier, il fallût une patente si forte. Tu me caches quelque chose, Laurent... Vois-tu bien, si tu m’en croyais, tu ne t’intéresserais qu’à ta femme, à ta fille et à ton état, sans t’inquiéter du reste...

COSTER.

Chère femme, ce que tu dis ne manque pas d’un certain sens bourgeois qui me plaît ; mais un homme ne peut pas toujours faire ce qu’il veut, et ce que lui conseille sa femme.

CATHERINE, rangeant et apprêtant la table au fond.

Hein ?... Est-ce parce que vous descendez d’une grande maison, monsieur l’arrière-petit-neveu des anciens comtes de Hollande, que vous méprisez les conseils de votre pauvre Catherine ?

COSTER.

Ah ! tu ne crois pas cela, je pense ?

CATHERINE, riant.

Non, mon brave Laurent ; je sais que ta naissance ne t’a pas empêché d’épouser la fille d’un pauvre imagier dont tu as continué la profession ; je sais que c’est pour moi que tu t’es brouillé avec les tiens et que tu as pris un état manuel.

COSTER.

Un état manuel ! que dis-tu, femme ? Un travail d’artiste ! un travail qui ennoblit la main bien mieux qu’une épée, la famille bien mieux qu’un blason !.. Je suis fier de ce travail ; c’est mon orgueil et ma gloire, et la véritable noblesse des Coster commence aujourd’hui dans cet atelier. (On entend des bruits sourds souterrains.)

CATHERINE, prêtant l’oreille.

Mon ami, je ne sais si mes inquiétudes me rendent toute tremblante au moindre bruit... mais il me semble toujours que j’entends là... sous mes pieds...

COSTER.

Ce n’est rien, Catherine, rien, te dis-je ; rassure-toi ! Voici l’heure du déjeuner ; mets le couvert pour nous et nos trois ouvriers. (Il continue son travail.)

CATHERINE, à part, allant au buffet.

Ce n’est rien ! ce n’est rien ! oh ! c’est sûrement quelque chose, et mon oreille ne me trompe pas. (Elle ouvre le buffet.) Ah ! mon Dieu ! Coster ! on nous a volés !

COSTER.

C’est impossible ! nous n’avions rien !

CATHERINE.

Notre argenterie de table a disparu !

COSTER.

C’est moi qui l’ai prise.

CATHERINE.

Ah !

COSTER.

J’avais besoin d’argent... pour acheter une machine. (Mouvement de Catherine.) Un trésor ! et j’ai vendu mes couverts parce qu’ils étaient d’argent... Il y a des couverts d’étain à la taverne voisine, tu les emprunteras pour le déjeuner. (Il se lève, on entend le bruit souterrain.)

CATHERINE, écoutant.

Coster, tu me trompes parce que tu ne veux pas m’effrayer... nous avons des voleurs dans la maison.

COSTER, l’arrêtant.

Écoute, Catherine, ce bruit que tu entends... c’est le bélier qui va battre en brèche le vieux monde, c’est l’imprimerie qui prend sa source dans ce caveau, comme un fleuve qui fécondera l’univers !... Et de même que tout tremble ici sous nos pieds et autour de nous, tout va frémir, trembler, s’émouvoir sur la terre au bruit de ce merveilleux instrument.

CATHERINE, à part.

Allons ! je suis la femme d’un fou !

COSTER.

Tu ne comprends rien à cela, Catherine ?

CATHERINE.

Rien du tout, grâce à Dieu !

COSTER.

Eh bien ! va mettre le couvert.

CATHERINE.

Voilà ce que je comprends. (Elle sort par le fond, et rentre un instant après avec des couverts d’étain et met le couvert.)

 

SCÈNE III.

LAURENT COSTER, GUTTEMBERG, SCHÆFFER, FAUST, puis CATHERINE.

 

COSTER, ouvrant la trappe.

Maintenant?

GUTTEMBERG, montrant sa tête.

Maintenant, c’est prêt!

COSTER.

Venez donc, compagnons! (Guttemberg arrive par la trappe suivi de Schæffer et de Faust.)

GUTTEMBERG, montrant une feuille imprimée.

Voilà le premier-né !

COSTER, prenant la feuille, au comble de l’enthousiasme.

La première feuille imprimée ! la première goutte de notre Océan ! Félicitons-nous tous les quatre de cette invention car nous y sommes, chacun de nous, pour quelque chose.

LES TROIS COMPAGNONS.

C’est vrai !

COSTER.

A moi appartient la première idée !

LES TROIS COMPAGNONS.

Oui !

GUTTEMBERG.

Tu es le créateur. Moi, j’ai eu la seconde, celle de mobiliser les lettres.

COSTER.

C’est vrai, cher Guttemberg.

FAUST.

Moi, la troisième, en ma qualité d’orfèvre ; les lettres de bois étaient trop vite fatiguées ; j’ai eu recours à la fonte.

COSTER.

Oui, Faust, idée superbe !

SCHÆFFER.

Et moi, pour imprimer, j’ai pensé à employer le pressoir... une idée de vigneron, c’est mon état !

COSTER.

Merci, Schæffer. Serrons-nous tous cordialement la main, comme quatre frères, et soyons fiers chacun de notre part !

CATHERINE, s’avançant.

Le couvert est mis !

COSTER.

A table donc, mes amis ! (Les compagnons apportent la table au milieu du théâtre.) Et buvons au succès de l’œuvre ! (Ils se mettent à table.)

FAUST.

Oui, buvons, et entonnons l’hymne qui a soutenu notre courage !

GUTTEMBERG.

Cher maître... nous ferons chorus !

COSTER, chantant.

AIR composé par M. Adolphe de Groot.

Le travail est le Dieu du monde !
Il ennoblit nos quatre noms ;
Qu’au présent l’avenir réponde,
Travaillez, mes chers compagnons ! (Ter.)
 
Oui, notre œuvre  sera bénie,
Travaillons du matin au soir !
Pour la pensée et le génie,
Vin nouveau qui sort du pressoir.

CHŒUR.

Le travail est le Dieu du monde, etc.

COSTER

DEUXIÈME COUPLET.

Second soleil, œuvre sublime !
Tout l’univers va vous bénir,
Et chaque feuille qu’on imprime
Est un rayon pour l’avenir !

CHŒUR.

Le travail, etc., etc.

COSTER.

TROISIÈME COUPLET.

Aux feux d’une clarté nouvelle
La raison brille et l’erreur fuit.
Voici la première étincelle,
L’univers n’aura plus de nuit.

CHŒUR.

Le travail, etc., etc.

CATHERINE.

Ah ! je ne suis pas curieuse...

COSTER.

Non, Catherine.

CATHERINE.

Mais je voudrais bien savoir quel sujet d’enthousiasme vous a inspiré ce chant.

COSTER.

Qu’à cela ne tienne, ma gentille ménagère...

GUTTEMBERG.

Oui, maître Coster, c’est toute une histoire que la manière dont la première idée vous est venue, et madame Catherine ne la connaît pas.

CATHERINE.

Tu vois donc bien que tu me cachais quelque chose... C’est mal, Laurent, mais je te pardonne à une condition, c’est de tout me dire à présent.

COSTER.

Voici : le prieur d’un couvent franciscain m’avait confié les miniatures d’un missel ; mon travail fait, j’allai voir l’économe pour toucher mon argent ; il y avait sous les arceaux du cloître des moines qui grattaient les lettres d’un vieux manuscrit pour passer le temps entre Matines et Laudes. Je regardai ce manuscrit et tout mon sang se glaça... c’était un manuscrit de l’Iliade d’Homère !

CATHERINE.

Sainte Vierge !

COSTER.

Sais-tu ce que c’est, Catherine ?

CATHERINE.

Non ; mais je pense que c’était un livre comme la Bible.

COSTER.

Tu as raison ; l’économe survint pour me payer les miniatures du missel, et je lui dis : Gardez votre argent et donnez-moi ce vieux manuscrit que vos moines arrangent si bien avec leur grattoir. L’économe, qui n’était pas économe pour rien, consentit et fut très-joyeux. Voyez le petit chemin que prennent les grandes inventions !... En rentrant chez moi je me disais : Ce manuscrit est peut-être le dernier. On a gratté toutes les Iliades pour inscrire sur leur parchemin des oraisons ou des traités de scolastiques. On détruira ainsi tous les vieux chefs-d’œuvre ; il ne restera plus rien des divins poëtes de Rome et d’Athènes. Oh ! il faut trouver un remède à un si grand malheur.

CATHERINE.

Et tu l’as trouvé ?

COSTER.

Attends, Catherine.

CATHERINE.

Oh ! si tu avais commencé par la fin, je le saurais déjà !

COSTER.

Un jour, je terminais cette gravure de la belle Aspasie...

CATHERINE.

Elle est donc mêlée à ta découverte, cette Aspasie ? (Elle regarde l’établi où est la gravure d’Aspasie.)

COSTER.

Oui, la beauté inspire toujours de grandes choses.

CATHERINE.

La beauté ? Et la mienne donc ?

COSTER.

Ne sois pas jalouse, Catherine. Si cette belle Athénienne a plus d’une fois enflammé le génie, toi, ma femme, tu es faite pour éterniser le bonheur. Je terminais donc mon image d’Aspasie, et j’écrivais au bas avec de l’encre la légende habituelle, lorsque je fis une réflexion fort simple : pourquoi, me dis- ne pourrait-on graver les lettres comme on grave l’image ? Pourquoi ne ferait-on pas une planche couverte de lettres et avec laquelle on reproduirait la même chose par milliers comme on fait d’une image ? Aussitôt je me mis à l’œuvre, et je gravai sur une seule surface les dix commandements de Dieu, ce qui me réussit à merveille. Alors, je vous appelai à moi, compagnons, et nous confondîmes nos cœurs, nos veilles, nos travaux, pour arriver au triomphe qui est notre récompense aujourd’hui... regarde ! (Il lui montre la feuille imprimée ; les compagnons remettent la table au fond.)

CATHERINE.

Mais alors, tu as donc inventé quelque chose ?

COSTER.

Mais voilà une heure que je te le dis.

CATHERINE.

Ah ! je comprends tout maintenant, c’est pour cela que tu es obligé de payer une amende..

COSTER.

Non pas une amende... une patente.

CATHERINE.

Amende, patente, comme tu voudras... il faut toujours payer... Vous inventez, vous payez l’amende.

COSTER.

Elle y tient !

CATHERINE.

Tant pis ! pourquoi inventez-vous ? Eh ! mais c’est absolument comme notre voisin monsieur Vangrave. L’autre jour, il a inventé une machine pour labourer sans bœufs... Qu’a fait le bourgmestre ? Il a pris les bœufs pour payer l’amende de la machine, et comme ça n’a pas été suffisant, il se trouve qu’aujourd’hui ce pauvre monsieur Vangrave n’a plus ni bœufs ni machine... Et voilà les inventions ! (On frappe à la porte du fond.)

CATHERINE, écoutant.

Chut, on a frappé.

GUTTEMBERG.

Par le Christ ! si l’on venait pour saisir ici, j’emporterais plutôt la maison sur mes épaules.

COSTER.

Vous, mes amis, ne vous troublez pas... remettez-vous au travail, et faites gémir le pressoir jusqu’à la nuit. (Il ouvre la trappe, les compagnons descendent. A Catherine.) Catherine, ouvre !

CATHERINE, tremblante.

Si c’était le bourgmestre !.. celui de la machine et des bœufs !

COSTER.

Tu me laisserais seul avec lui. J’ai un moyen de tout arranger. (On frappe.)

CATHERINE.

Tu crois ?

COSTER.

Oui, va !.. et ne reviens que quand je t’appellerai ! (Elle va ouvrir, le bourgmestre paraît au fond avec des hommes de justice... Elle salue d’un air embarrassé.)

CATHERINE, bas à Coster.

C’est bien celui de la machine et des bœufs ! (Elle rentre à gauche.)

 

SCÈNE IV.

COSTER, LE BOURGMESTRE, HOMMES DE JUSTICE.

 

LE BOURGMESTRE.

Ah çà, maître Coster, vous ne voulez donc pas payer votre patente ?

COSTER.

Pardon, monsieur le bourgmestre, j’attendais la réponse à une supplique que j’ai adressée au conseil communal afin d’être dispensé de payer cette patente, en raison de l’immense utilité de mon invention.

LE BOURGMESTRE.

Bien, bien, les échevins s’en sont occupés, ils refusent... Allons, il faut payer.

COSTER.

Mais a-t-on bien réfléchi, a-t-on bien compris toute la grandeur de cette idée ?

LE BOURGMESTRE.

On n’y a rien compris du tout ; moi-même qui préside le conseil, je n’y comprends rien... Mais il faut payer la patente, voilà ce que nous avons tous compris à l’unanimité !

COSTER.

Mais encore une fois, monsieur le bourgmestre, ce n’est pas une chose difficile à comprendre !

LE BOURGMESTRE.

Quoi ? ce que vous appelez la... la ?...

COSTER.

L’imprimerie !

LE BOURGMESTRE.

L’imprimerie !.. Eh bien, qu’est-ce que l’imprimerie ? Est-ce que c’est un nouveau genre d’arquebuse ? Puisque vous parlez, dans votre requête, d’utilité publique, et d’une machine qui doit battre en brèche... toutes sortes de choses !.. vous voyez bien que c’est une arquebuse !.. à moins que ce ne soit un canon ?.. Est-ce que c’est un canon ?.. c’est que vraiment ces gens-là ont l’air de nous prendre pour des imbéciles ?...

COSTER, à part.

De la patience !.. (Haut.) Monsieur le bourgmestre !.. Tenez !... je vais vous expliquer mon invention !.. suivez-moi bien !..

LE BOURGMESTRE.

Je suis curieux de voir comment vous vous y prendrez pour me faire comprendre quelque chose !..

COSTER.

Vous allez être étonné de la simplicité de mon œuvre ; supposez des petits morceaux de plomb coulés !...

LE BOURGMESTRE, avec la pantomime d’un homme qui cherche à comprendre.

Bien, bien ! je comprends... du plomb...

COSTER.

Je les mobilise !...

LE BOURGMESTRE, de même.

Bien ! du plomb fondu... coulé, mobile !...

COSTER.

Je les fixe dans une rainure de fer que j’appelle composteur, après quoi !...

LE BOURGMESTRE.

Assez !.. assez !.. je le disais bien, nous ne pouvions pas nous tromperr... c’est une arquebuse.

COSTER, perdant patience.

Mais je vous dis, monsieur le bourgmestre, que c’est une machine à faire des livres, pour remplacer les manuscrits !

LE BOURGMESTRE.

Remplacer les manuscrits ?... Eh bien ! et les copistes ?... L’honorable corporation des copistes ?... Qu’en ferez-vous, s’il vous plaît, monsieur l’imagier ?...

COSTER.

Eh bien,... les copistes feront autre chose !...

LE BOURGMESTRE.

Et que voulez-vous qu’ils fassent, les copistes ?

COSTER.

Ils seront ouvriers imprimeurs !...

LE BOURGMESTRE.

Impossible !...

COSTER.

Pourquoi... impossible ?...

LE BOURGMESTRE.

Parce que vous n’entendez rien aux statuts des corporations ; il y a des corporations de copistes !... il n’y a pas de corporations d’ouvriers !...

COSTER.

Imprimeurs !...

LE BOURGMESTRE.

Imprimeurs !...

COSTER.

On en fera !...

LE BOURGMESTRE.

Diable !... comme vous y allez !... Ah çà, vous voulez donc, maître Coster, bouleverser le pays ?..

COSTER.

Je veux l’éclairer !...

LE BOURGMESTRE.

Vous !... un fabricant d’images ?...

COSTER.

L’inventeur de l’imprimerie !

LE BOURGMESTRE.

Allons donc !... vous êtes fou !...

COSTER.

On a d’abord donné ce nom a tous les inventeurs !...

LE BOURGMESTRE.

Et on a bien fait. — Toute invention est une folie. La Hollande est bien comme elle est, ne la dérangez pas !...

COSTER.

Vous ne voulez donc pas voir par vos propres yeux, ma...

LE BOURGMESTRE.

Je ne veux rien voir !... Ah ! si... je veux voir votre argent !... Puisque vous ruinez les copistes, il est bien juste que vous indemnisiez le conseil municipal !... Une dernière fois, maître Coster... voulez-vous payer la patente ?...

COSTER.

Si je le veux, certes,... oui !... mais je n’ai pas d’argent !...

LE BOURGMESTRE, après avoir regardé autour de lui.

Ils croient avoir tout payé, quand ils ont dit : je n’ai pas d’argent !... Eh bien ! je vais vous en faire, moi !... (Il remonte au fond et crie au dehors.) Entrez !... hommes de justice, et saisissez tout !... (Les huissiers entrent et sortent tous les meubles.)

COSTER.

Saisissez mes meubles, vous ne saisirez pas mon idée !... je vous en défie !...

LE BOURGMESTRE.

Votre idée !... On la trouvera bien votre idée !... (Montrant la trappe.) Ouvrez cette trappe !...

COSTER, se mettant sur la trappe.

Oh ! vous ne descendrez pas ici !...

LE BOURGMESTRE.

La loi descend partout, point de rebellion !...

COSTER.

Vous n’avez que le droit de prendre mes meubles !... prenez-les, vendez-les et payez-vous !...

LE BOURGMESTRE, à un des hommes de justice.

Ouvrez cette cave, vous dis-je... au nom de la loi !...

COSTER.

Vous n’entrerez pas !... (Le Bourgmestre fait signe aux hommes de justice, ils engagent une lutte avec Coster, ils ouvrent la trappe. Un seul descend.)

LE BOURGMESTRE.

Saisissez tout ce que vous trouverez !

COSTER, à part.

Ciel !... ma presse, mes outils !... ils vont tout prendre !... je suis perdu !...

LE BOURGMESTRE, par la trappe.

Eh bien, que trouvez-vous ?...

L’HUISSIER, par la trappe.

Rien !...

LE BOURGMESTRE.

Comment, rien ?...

L’HUISSIER, revenant.

Il n’y a que les quatre murailles !...

COSTER, à part.

Dirait-il vrai ? — Je devine ! — Les compagnons ont tout emporté par le soupirail !... Sois béni, Guttemberg : merci, mes trois compagnons !

LE BOURGMESTRE.

Maître Coster, nous nous reverrons.

COSTER.

Je ne m’en soucie pas !

LE BOURGMESTRE.

Je vais faire mon estimation et mon trapport, maître Coster !... (Il sort avec ses agents.)

 

SCÈNE V.

 

COSTER, seul.

Allons, je commence bien !... me voilà dévalisé ! (Il ramasse la feuille imprimée et la regarde avec attendrissement.) La première feuille imprimée.... serait-elle aussi la dernière ? Impossible !... Le grain est au sillon, la moisson viendra !... Comme ces caractères sont beaux !... comme on lit aisément le texte (Il lit) copié des œuvres de Jérôme !... « Aux premiers jours de la création, l’esprit tentateur s’est révélé à l’homme et a causé sa chute. Le premier homme est tombé sous la première parole du démon. » Et moi, dans le désespoir où je suis, au fond de l’abîme où je viens de tomber, si le vieux démon de l’Enfer me demandait de signer un pacte avec lui !... Oh ! non !... l’homme n’a pas besoin de donner son âme pour vaincre son infortune ; l’homme a trois protecteurs puissants qui habitent avec lui, le Génie, la Patience et le Travail !... Avec ces trois auxiliaires, l’homme ne se brouille pas avec Dieu, et il est plus fort que le Démon ! (Il se retourne et fait un mouvement de surprise en voyant le comte de Bloksberg, qui vient d’entrer, portant un costume allemand, l’air d’un courtisan âgé, mais plein d’élégance et de finesse.)

 

SCÈNE VI.

LE COMTE DE BLOKSBERG, COSTER.

 

DE BLOKSBERG.

Vous êtes, si je ne me trompe, Laurent Coster, l’imagier ?...

COSTER.

Oui !...

DE BLOKSBERG.

Et moi, je suis Caspar, comte de Bloksberg, chambellan de l’archiduc d’Autriche !

COSTER.

La visite d’un si haut personnage m’étonne beaucoup !...

DE BLOKSBERG.

Il ne faut s’étonner de rien ; le monde est pavé de surprises, et rien n’est plus naturel qu’un miracle ! — Ce matin j’ai assisté à une délibération des échevins de l’Hôtel de ville ; il s’agissait de votre invention de l’imprimerie !.. Tous ces bourgeois ont une écorce pour épiderme, ils ne vous ont pas compris !... moi seul j’ai été frappé !...

COSTER.

C’est en vérité bien de l’honneur pour moi, seigneur chambellan !...

DE BLOKSBERG.

Cependant votre invention n’est pas neuve !

COSTER.

Ah !

DE BLOKSBERG.

Il n’y a rien de neuf ; les Chinois, qui ont inventé toutes les inventions futures, ont découvert l’imprimerie onze siècles avant la création du monde, sous la dynastie des Tchat-Kao !... ils y ont même renoncé depuis six mille ans, et sont revenus à l’écriture, ce qui est plus naturel... N’importe, vous êtes excusable, vous ignoriez ce que je vous dis, et je reconnais en vous un homme industrieux qui aurait pu inventer quelque chose, si tout n’était pas inventé depuis longtemps... (à lui-même) excepté le huitième péché capital !... (A Coster.) Vous pourriez m’être utile dans quelque entreprise, et je vous associe à mon ambition !... J’ai une grande fortune, quoique prodigue, une jeune femme, quoique vieux, et l’amitié de l’archiduc, quoique sincère !... Vous voyez que je réussis par les inverses ; ma nature est dans le genre de la vôtre, je suis un chercheur de secrets, je fais de l’or !

COSTER.

Vous faites de l’or ?...

DE BLOKSBERG.

Oh ! rien n’est plus simple !... je fais même des diamants de la plus belle eau !...

COSTER.

Oh ! mon Dieu !

DE BLOKSBERG.

Trêve à ces exclamations puériles qui m’offensent !... Oui, vous le savez, la matière est homogène, il s’agit de changer le rapport des particules au moyen d’un atome dissolvant, universel, que les Grecs appelaient (montrant une petite boîte) demorgon ! j’en ai là, dans cette petite boîte !... une simple poudre blanche. (Il va près du poêle et prend une petite tringle de fer.) Voici un morceau de fer, regardez !...

COSTER.

Oui !...

DE BLOKSBERG, mettant le bout de la tringle dans la petite porte du poêle.

Je le fais rougir au feu de votre poêle (il jette une pincée de poudre sur la tringle de fer et la retire) je projette de la poudre... et voilà de l’or à trente-six carats. (Il jette la tringle à terre.) Le diamant est encore plus facile, c’est du charbon qu’il s’agit de purifier... mot qui vient du grec pur, qui signifie feu... avec des mots grecs on arrive à tout. (Prenant un morceau de charbon allumé.) Avec ce morceau de charbon et une pincée de ma poudre, je pourrais vous donner l’escarboucle de l’empereur Aureng-Zeb !... Eh bien, que dites-vous de cela, maître Coster ?...

COSTER.

Je dis qu’il y a déjà bien assez d’or et de diamants sur la terre, mais que la lumière et l’instruction y manquent, cet or et ce diamant de l’intelligence !... Mon invention n’est rien peut-être à côté de vos découvertes alchimiques ; mais moi, j’ai un but moral... avec la mienne, je veux donner aux hommes la richesse de l’esprit !

DE BLOKSBERG.

Oui, je conviens que les hommes ont besoin de cette richesse, et je ne demande pas mieux que de vous venir en aide pour faire triompher votre idée, maître Coster !

COSTER.

Vous me voyez au désespoir, monsieur le chambellan ; les hommes que je veux éclairer se révoltent contre ma lumière et veulent l’éteindre ! Les savants sont furieux de ne m’avoir pas devancé dans cette découverte, et me traitent de fou !...

DE BLOKSBERG.

Coster, vous ignorez la première lettre de l’alphabet du solliciteur !... Je suis homme de cour, moi, et je vous enseignerai l’art qui fait réussir !... Ouvrez vos salons, donnez une fête, invitez les notables, soyez galant auprès de la femme du bourgmestre, flattez l’orgueil de monsieur Kaussens, l’échevin, l’avarice de monsieur Smett, son collègue, en lui promettant une part de vos bénéfices d’inventeur !... promettez tout !... cela n’engage à rien !... croyez-en un homme de cour !...

COSTER.

Ouvrir mes salons !... donner une fête !... y pensez-vous, monsieur le chambellan ?... regardez autour de vous, et dites-moi si l’intelligence est plus mal logée quelque part ?...

DE BLOKSBERG.

Coster, vous êtes un enfant !... avec l’or on achète tout ce qui manque ; je suis riche, moi, nous sommes associés !

COSTER.

Que mettrai-je dans l’association !

DE BLOKSBERG.

Rien !... je mets tout !... d’ailleurs votre idée ne vaut-elle pas la moitié du capital ?...

COSTER.

C’est juste !...

DE BLOKSBERG.

Commençons par les invitations ; mes pages attendent mes ordres devant votre porte, et les billets sont ici tout prêts... vous voyez que j’avais tout prévu !

COSTER.

Vous êtes un homme merveilleux !...

DE BLOKSBERG.

Non, j’ai étudié les hommes, en général, depuis Adam jusqu’à l’archiduc d’Autriche ; voilà tout mon secret !... (Les Pages entrent du fond, il leur remet des lettres.) Portez ces messages à leurs adresses, (les Pages sortent) et courez comme on vole... Mes lettres sont écrites au nom du comte de Bloksberg et du comte Laurent Coster de Bredenrode !... vous voyez que je connais vos parchemins de noblesse !... Voici les ouvriers qui viennent décorer vos appartements... les ouvriers de la cour !... (Plusieurs ouvriers entrent apportant un riche mobilier.)

COSTER.

Vraiment, seigneur chambellan !... la surprise me rendrait muet, si la reconnaissance ne m’obligeait à parler !...

DE BLOKSBERG.

Ceci est superflu, maître Coster ; en vérité je ne sais quel est celui des deux qui oblige l’autre !... nous ne nous devons rien !... Tenez, puisque nous sommes sur le chapitre infini des découvertes, en voici une que nous devons à Héron de Syracuse, (Il montre le poêle) c’est la découverte de la vapeur, la plus grande force motrice connue ou inconnue, le levier que demandait Archimède pour soulever le globe !... je vais vous démontrer cela !... (Il met son pied sur la marmite.) Je comprime la vapeur de cette marmite !... Eh bien, maintenant, si votre poêle avait des roues, il partirait comme un éclair, et fendrait ce mur comme une feuille de papier !...

COSTER.

C’est diabolique !

DE BLOKSBERG.

Mais comme la vapeur est trop comprimée, vous allez voir éclater cette machine !... (Il ôte son pied. — Le poêle éclate, une fumée blanche se répand dans la chambre, et en s’évaporant elle laisse voir un intérieur très-riche ; à gauche, dans l’angle, le portrait d’Aspasie en pied.)

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DEUXIÈME TABLEAU.

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SCÈNE PREMIÈRE.

DE BLOKSBERG, COSTER.

 

COSTER, avec étonnement.

Ah ! ceci est de la magie !... mais comment tout d’un coup cette chambre s’est-elle transformée ?

DE BLOKSBERG.

Oh ! inventeur naïf !.. Enfant de génie !.. que de choses vous avez à apprendre !... touchez cette toile que mes ouvriers ont tendue !... C’est un trompe-l’œil !... un jeu de perspective tout simplement !.. C’est un mensonge tissu !..

COSTER, apercevant l’image.

Ce portrait !.. mais je l’ai vu déjà ; je le reconnais !...

DE BLOKSBERG.

C’est Aspasie !...

COSTER.

Aspasie !..

DE BLOKSBERG, passant à droite.

D’Athènes !...

COSTER.

Oui, c’est elle !...

DE BLOKSBERG.

Je sais que tu as de la prédilection pour cette beauté fameuse, et j’ai voulu qu’elle présidât cette fête !... une attention d’ami !..

 

SCÈNE II.

COSTER, DE BLOKSBERG, LE BOURGMESTRE et SA FEMME, ÉCHEVINS, NOTABLES HOMMES et FEMMES, UN HUISSIER.

 

L’HUISSIER, annonçant.

Messieurs les notables !

DE BLOKSBERG, allant au devant et saluant.

Et leurs épouses !...

L’HUISSIER.

Messieurs les échevins !.. Monsieur le bourgmestre !..

DE BLOKSBERG, même jeu.

Et madame la bourgmestre !

LE BOURGMESTRE, à Coster en lui faisant force révérences.

Ah !.. maître Coster, j’ai compris votre invention !..

COSTER, saluant d’un air distrait.

Monsieur le bourgmestre !..

LE BOURGMESTRE, saluant encore.

Oui !.. les lettres... le pressoir... mobilisé... c’est très-bien !.. c’est superbe !..

COSTER.

En vérité !..

LE BOURGMESTRE, même jeu.

Et j’ai pu croire qu’il s’agissait d’une arquebuse ?.. Mais je pensais au bien public !.. Ah ! grand homme méconnu !.. je m’incline devant vous !..

COSTER.

Monsieur le bourgmestre !..

LE BOURGMESTRE.

Maître Coster, laissez-moi vous féliciter sur votre admirable idée !.. Si les échevins n’étaient pas des idiots, selon leur habitude, et si la caisse municipale n’était pas à sec, selon son usage, on vous aurait voté une somme énorme pour l’invention de votre arquebuse !.. Permettez que je présente ma femme à un homme de génie comme vous !..

COSTER.

Oh ! Catherine, où es-tu ?

DE BLOKSBERG, offrant un bouquet de pierreries à la femme du Bourgmestre.

Veuillez bien, Madame, accepter cette modeste fleur des champs, imitée avec des pierreries !..

LE BOURGMESTRE, prenant le bouquet.

Voilà un cadeau d’empereur ; j’aime mieux cela qu’une simple fleur des champs !.. (Madame la Bourgmestre le lui prend.) Et ma femme aussi !..

DE BLOKSBERG.

C’est le comte Laurent Coster qui a composé ce bouquet !..

LE BOURGMESTRE.

Comte Laurent Coster, vous êtes la gloire de la Hollande et le flambeau vivant de l’humanité !..

 

SCÈNE III.

LES MÊMES, CATHERINE.

(De Bloksberg offre son bras à la femme du Bourgmestre et se mêle avec le mari aux invités. Coster est seul sur le devant de la scène. Catherine entre ; après avoir regardé d’un air ébahi, elle s’approche de Coster.)

CATHERINE.

Oh !.. Sainte Vierge !... Qu’est-ce que tout cela signifie, mon bon Coster ?... Est-ce un rêve ?

COSTER.

Un rêve ! non !.. je t’expliquerai tout. (Montrant Bloksberg.) Vois-tu cet homme ?.. Tous les arcanes de la science, tous les secrets de la nature !...

CATHERINE.

Mais c’est plus beau ici qu’à la maison des échevins !.. Et notre chambre ?.. Et le poêle ?.. Mais ça m’épouvante, moi !

DE BLOKSBERG, s’approchant.

Revenez de votre effroi, dame Catherine !..

CATHERINE.

Il sait mon nom !

COSTER.

Il sait tout !..

DE BLOKSBERG.

Un peu d’or, beaucoup d’adresse, voilà le secret de tous les prodiges !..

CATHERINE.

Tant de monde !.. Quelle figure vais-je faire, moi, au milieu de ces belles dames avec ma toilette de ménage ?

DE BLOKSBERG.

Voulez-vous un assortiment de pierreries et des couronnes de fleurs, au choix ?

CATHERINE.

Des pierreries à moi ? vous voulez rire, monseigneur. C’est ainsi que Laurent m’a aimée et m’aimera toujours.

COSTER.

Elle a raison.

DE BLOKSBERG.

Gardons nos diamants pour les femmes que leurs maris n’aiment pas. (Des Pages sont entrés portant des plateaux chargés de coupes qu’ils présentent aux invités.)

TOUS, élevant leurs coupes.

A Laurent Coster !

COSTER.

Tu entends, Catherine ! quelle gloire ! quel avenir !

CATHERINE, l’embrassant.

Quel bonheur ! Et que tu as bien fait d’inventer quelque chose !

COSTER, regardant le portrait à part.

Ce portrait !.. cette image !.. immobile sur cette toile !.. inanimée... mais vivante dans mon cœur.

DE BLOKSBERG, bas à Coster.

Je connais à la cour de l’archiduc une femme qui lui ressemble beaucoup... tu la verras.

COSTER.

La cour ! je la verrai !

LE BOURGMESTRE, après s’être concerté avec ses confrères, s’approchant de Coster.

Illustre descendant des comtes de Bredenrode, messieurs les échevins viennent de prendre une nouvelle détermination, instantanément après boire... ce sont les meilleures... ils viennent de voter les fonds pour vous envoyer à la cour de l’archiduc, et le grand carrosse municipal de la ville sera mis à votre disposition...

CATHERINE, avec joie.

J’ai bien entendu !

DE BLOKSBERG, bas à Coster.

Eh bien ! que te disais-je ? notre association commence à prospérer.

COSTER, éperdu.

A la cour !

LE BOURGMESTRE, avec force.

Vive Laurent Coster !

TOUS.

Vive Laurent Coster !

LE BOURGMESTRE.

A la santé de Laurent Coster !

TOUS.

A la santé de Laurent Coster !

CATHERINE.

Je suis donc la femme d’un grand homme ! (Elle se jette dans les bras de Coster qui l’embrasse ; de Bloksberg offre son bras à Coster qui le prend et sort avec lui, suivi de tous les invités. Catherine sur le devant, au comble de la joie, les regarde.)

TOUT LE MONDE.

Vive Laurent Coster ! (Le rideau baisse.)

 

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L'Imagier de Harlem, acte II >>>

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