ARTÉMIS
Odilon Redon, « Profil de lumière », également appelé « La Fée », fusain et craie blanche, vers 1881.
Manuscrit de El Desdichado et Le Ballet des Heures.
"Les poètes et les reines", dessin de Nerval
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Sixième sonnet des Chimères, Artémis est la plus énigmatique condensation des composantes du mythe personnel de Nerval.
Le sonnet fut conçu semble-t-il, en même temps que le projet d'Aurélia, dont le titre apparaît sous l'intitulé Artémis ou le Rêve et la Vie dans le projet d'Oeuvres complètes élaboré par Nerval dans les derniers jours de sa vie. L'un des premiers rêves d'Aurélia offre en effet la lumineuse apparition féminine à la rose trémière: « La dame que je suivais, développant sa taille élancée dans un mouvement qui faisait miroiter les plis de sa robe en taffetas changeant, entoura gracieusement de son bras nu une longue tige de rose trémière, puis elle se mit à grandir sous un clair rayon de lumière... »
Artémis renvoie aussi au Comte de Saint-Germain et à Pandora par la notation au bas du feuillet manuscrit (ci-contre) adressé à Dumas, le 14 novembre 1853: « Vous ne comprenez pas? Lisez ceci: D.M. LUCIUS.AGATHO.PRISCIUS. nec maritus », lui suggérant par là une piste de décryptage inspirée à la fois des stèles funéraires antiques (Dis Manibus, Aux dieux mânes, suivi du nom du défunt) et de la pierre de Bologne.
Dans Le Comte de Saint-Germain, récit demeuré finalement inachevé après avoir dû figurer dans Les Illuminés, c'est cette même pierre de Bologne, que le héros, ressuscité dans un de ses multiples avatars, déchiffre: une « pierre antique de marbre, de forme cubique sur laquelle on avait gravé en style lapidaire l'inscription suivante: D.M. AELIA LAELIA CRISPIS nec vir, nec mulier nec androgyna... LUCIUS AGATHO PRISCIUS nec maritus, nec amator nec necessarius – neque moerens neque gaudens neque flens – hanc – nec molem – nec Pyramiden, nec sepulchrum – sed omnia – scit et nescit cui posuerit – hoc est sepulchrum intus cadaver non habens – hoc est cadaver sepulchrum non habens – sed cadaver idem est sepulchrum sibi ». Inscription que Nerval annote et traduit: « Aux Dieux Mânes, Aelia Laelia Crispis qui n'est ni homme ni femme ni hermaphrodite... Lucius Agathon Priscius qui n'est ni son mari ni son amant ni son parent, ni triste, ni joyeux, ni pleurant; sait et ne sait pas pour qui il a posé ceci, qui n'est ni un monument ni une Pyramide, ni un tombeau, c'est-à-dire un tombeau qui ne renferme pas de cadavre, un cadavre qui n'est point renfermé dans un tombeau; mais un cadavre qui est tout ensemble à soi-même et cadavre et tombeau ». Artémis est bien en effet un Tombeau, au sens littéraire du terme, à la mémoire du couple impossible des Poètes et des Reines (dessin ci-contre de la main de Nerval), où Nerval s'incarne sous son nom mystique de Lucius Agatho (Lucius héros de l'Âne d'Or d'Apulée, Agatho le pur, le vierge), selon la tradition isiaque pythagoricienne.
Aelia Laelia quant à elle reparaît dans Pandora pour qualifier la sulfureuse Marie Pleyel, dont Nerval avait fait la connaissance en 1839, pendant son séjour à Vienne, et qu’il évoque au début de Pandora : « Vous l’avez tous connue, ô mes amis, la belle Pandora du théâtre de Vienne… C’était bien à elle, peut-être, – à elle en vérité, – que pouvait s’appliquer l’indéchiffrable énigme gravée sur la pierre de Bologne : AELIA LAELIA. – Nec vir, nec mulier, nec androgyna etc... »
Sur le manuscrit (dit « manuscrit Lombard ») dont nous venons de lire les dernières lignes, le sonnet ne porte pas le titre d'Artémis, mais celui de Ballet des Heures. Dans cette perspective, Nerval a annoté ainsi un autre manuscrit (dit « manuscrit Éluard ») au vers 1: « la XIIIe Heure (pivotale) ». La Mort est l'arcane Treize du Tarot. Le même manuscrit porte au vers 8: « Philomène » et au vers 14: « Rosalie », deux saintes italiennes, figures de la dévotion chrétienne, impuissantes ici à rivaliser avec les cultes antiques pour lesquels Nerval n'a jamais caché son attirance
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