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LA BIBLIOTHÈQUE DE MON ONCLE
[...] J’ai été élevé en province, chez un vieil oncle qui possédait une bibliothèque formée en partie à l’époque de l’ancienne révolution. Il avait relégué depuis dans son grenier une foule d’ouvrages, – publiés la plupart sans noms d’auteur sous la Monarchie ; ou qui, à l’époque révolutionnaire, n’ont pas été déposés dans les bibliothèques publiques. – Une certaine tendance au mysticisme, à un moment où la religion officielle n’existait plus, avait sans doute guidé mon parent dans le choix de ces sortes d’écrits : il paraissait depuis avoir changé d’idées, et se contentait, pour sa conscience, d’un déisme mitigé.
Ayant fureté dans sa maison jusqu’à découvrir la masse énorme de livres entassés oubliés au grenier, – la plupart attaqués par les rats, pourris ou mouillés par les eaux pluviales passant dans les intervalles des tuiles, – j’ai tout jeune absorbé beaucoup de cette nourriture indigeste ou malsaine pour l’âme ; et plus tard même, mon jugement a eu à se défendre contre ces impressions primitives...
Préface aux Illuminés
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« La Bibliothèque de mon oncle » sert de préface aux Illuminés, recueil paru en 1852, dans lequel Nerval a réuni les études qu’il avait publiées sur six illuminés excentriques, Raoul Spifame, le « roi de Bicêtre », l’abbé de Bucquoy, l’anarchiste rebelle, Restif de la Bretonne, le promeneur nocturne, Cagliostro, le cabaliste d’Ermenonville, Cazotte le voyant, Quintus Aucler l’hiérophante, tous ses initiateurs en supernaturalisme « nécessaire aux imaginations rêveuses et délicates ».
Cette initiation, dit ici Nerval, se fit dès l’enfance, dans le cadre mystérieux et enchanté du grenier de son vieil oncle maternel Antoine Boucher, qui recueillit et éleva Gérard de 1810 à 1815 à Mortefontaine, et chez qui il revenait pour les vacances jusqu’en 1820, date de la mort d’Antoine Boucher, et même jusqu’en 1835, date à laquelle la maison fut vendue à la baronne de Feuchères et définitivement intégrée au domaine de Mortefontaine. Antoine Boucher, qui apprenait à Nerval enfant, en se promenant avec lui dans le parc d'Ermenonville, que « Dieu, c'est le soleil », a vécu durant sa jeunesse dans la proximité des philosophes illuminés qu'accueillaient Louis Le Peletier à Mortefontaine et le marquis de Girardin à Ermenonville. Cultivé, curieux des idées nouvelles, il fut le premier maire de Mortefontaine en 1793. Nerval a composé deux portraits de son grand-oncle. L’un, publié dans Aurélia ou Le Rêve et la Vie, concerne le scepticisme religieux d’Antoine Boucher. Au moment d’évoquer sa propre réticence à l’égard de la religion chrétienne, il est amené à expliquer son penchant pour le panthéisme antique par la toute première éducation qu’il a reçue, avant son retour à Paris chez son père, et c’est bien sûr à la figure tutélaire d’Antoine Boucher qu’il songe, dans une évocation en étroite parenté avec celle de la préface des Illuminés (voir aussi la page, Mortefontaine, le temps vécu de la petite enfance)
« Le pays où je fus élevé était plein de légendes étranges et de superstitions bizarres. Un de mes oncles, qui eut la plus grande influence sur ma première éducation s’occupait, pour se distraire, d’antiquités romaines et celtiques. Il trouvait parfois dans son champ ou aux environs des images de dieux et d’empereurs que son admiration de savant me faisait vénérer, et dont ses livres m’apprenaient l’histoire. Un certain Mars en bronze doré, une Pallas ou Vénus armée, un Neptune et une Amphitrite sculptés au-dessus de la fontaine du hameau, et surtout la bonne grosse figure barbue d’un dieu Pan souriant à l’entrée d’une grotte, parmi les festons de l’aristoloche et du lierre, étaient les dieux domestiques et protecteurs de cette retraite. J’avoue qu’ils m’inspiraient alors plus de vénération que les pauvres images chrétiennes de l’église et les deux saints informes du portail, que certains savants du pays prétendaient être l’Esus et le Cernunnos des Gaulois. Embarrassé au milieu de ces divers symboles, je demandai un jour à mon oncle ce que c’était que Dieu. “Dieu, c’est le soleil, me dit-il.” C’était la pensée intime d’un honnête homme qui avait vécu en chrétien toute sa vie, mais qui avait traversé la révolution, et qui était d’une contrée où plusieurs avaient la même idée de la Divinité. Cela n’empêchait pas que les femmes et les enfants n’allassent à l’église, et je dus à une de mes tantes quelques instructions qui me firent comprendre les beautés et les grandeurs du christianisme. »
L’autre témoignage de Nerval sur son oncle est une série de notes personnelles écrites au crayon sur un feuillet plié en quatre, ce qui n’en rend pas la lecture facile. Dans l’intention, semble-t-il, de faire de son oncle un « portrait », Nerval a griffonné là à la hâte quelques souvenirs très précis de Mortefontaine, mais, comme tout ce qui est trop intime, il les a gardés pour lui.
Voir la transcription de ce feuillet Lovenjoul D 741, fol 121
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"La bibliothèque de mon oncle"
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