TEXTES
1824, Poésies diverses (manuscrit autographe)
1824, L’Enterrement de la Quotidienne (manuscrit autographe)
1824, Poésies et poèmes (manuscrit autographe)
1825, « Pour la biographie des biographes » (manuscrit autographe)
15 février 1826 (BF), Napoléon et la France guerrière, chez Ladvocat
6 mai 1826 (BF), Complainte sur l’immortalité de M. Briffaut, par Cadet Roussel, chez Touquet
6 mai 1826 (BF), Monsieur Dentscourt ou le Cuisinier d’un grand homme, chez Touquet
20 mai 1826 (BF), Les Hauts faits des Jésuites, par Beuglant, chez Touquet
12 août 1826 (BF), Épître à M. de Villèle (Mercure de France du XIXe siècle)
11 novembre 1826 (BF), Napoléon et Talma, chez Touquet
13 et 30 décembre 1826 (BF), L’Académie ou les membres introuvables, par Gérard, chez Touquet
16 mai 1827 (BF), Élégies nationales et Satires politiques, par Gérard, chez Touquet
29 juin 1827, La dernière scène de Faust (Mercure de France au XIXe siècle)
28 novembre 1827 (BF), Faust, tragédie de Goëthe, 1828, chez Dondey-Dupré
15 décembre 1827, A Auguste H…Y (Almanach des muses pour 1828)
1828? Faust (manuscrit autographe)
1828? Le Nouveau genre (manuscrit autographe)
mai 1829, Lénore. Ballade allemande imitée de Bürger (La Psyché)
août 1829, Le Plongeur. Ballade, (La Psyché)
octobre 1829, A Schmied. Ode de Klopstock (La Psyché)
24 octobre 1829, Robert et Clairette. Ballade allemande de Tiedge (Mercure de France au XIXe siècle)
21 novembre 1829, Chant de l’épée. Traduit de Korner (Mercure de France au XIXe siècle)
19 décembre 1829, Lénore. Traduction littérale de Bürger (Mercure de France au XIXe siècle)
janvier 1830, La Lénore de Bürger, nouvelle traduction littérale (La Psyché)
16 janvier 1830, Ma Patrie, de Klopstock (Mercure de France au XIXe siècle)
23 janvier 1830, Légende, par Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)
6 février (BF) Poésies allemandes, Klopstock, Goethe, Schiller, Burger (Bibliothèque choisie)
13 février 1830, Les Papillons (Mercure de France au XIXe siècle)
13 février 1830, Appel, par Koerner (1813) (Mercure de France au XIXe siècle)
13 mars 1830, L’Ombre de Koerner, par Uhland, 1816 (Mercure de France au XIXe siècle)
27 mars 1830, La Nuit du Nouvel an d’un malheureux, de Jean-Paul Richter (La Tribune romantique)
29 avril 1830, La Pipe, chanson traduite de l’allemand, de Pfeffel (La Tribune romantique)
13 mai 1830 Le Cabaret de la mère Saguet (Le Gastronome)
mai 1830, M. Jay et les pointus littéraires (La Tribune romantique)
juillet ? 1830, Récit des journées des 27-29 juillet (manuscrit autographe)
14 août 1830, Le Peuple (Mercure de France au XIXe siècle)
11 décembre 1830, A Victor Hugo. Les Doctrinaires (Almanach des muses pour 1831)
29 décembre 1830, La Malade (Le Cabinet de lecture )
29 janvier 1831, Odelette, Le Vingt-cinq mars (Almanach dédié aux demoiselles)
14 mars 1831, En avant, marche! (Cabinet de lecture)
23 avril 1831, Bardit, traduit du haut-allemand (Mercure de France au XIXe siècle)
7 mai 1831, Profession de foi (Mercure de France au XIXe siècle)
25 juin et 9 juillet 1831, Nicolas Flamel, drame-chronique (Mercure de France au XIXe siècle)
4 décembre 1831, Cour de prison, Le Soleil et la gloire (Le Cabinet de lecture)
17 décembre 1831, Fantaisie, odelette (Annales romantiques pour 1832)
24 septembre 1832, La Main de gloire, histoire macaronique (Le Cabinet de lecture)
14 décembre 1834, Odelettes (Annales romantiques pour 1835)
1835-1838 ? Lettres d’amour (manuscrits autographes)
26 mars et 20 juin 1836, De l’Aristocratie en France (Le Carrousel)
20 et 26 mars 1837, De l’avenir de la tragédie (La Charte de 1830)
12 août 1838, Les Bayadères à Paris (Le Messager)
18 septembre 1838, A M. B*** (Le Messager)
2 octobre 1838, La ville de Strasbourg. A M. B****** (Le Messager)
26 octobre 1838, Lettre de voyage. Bade (Le Messager)
31 octobre 1838, Lettre de voyage. Lichtenthal (Le Messager)
24 novembre 1838, Léo Burckart (manuscrit remis à la censure)
25, 26 et 28 juin 1839, Le Fort de Bitche. Souvenir de la Révolution française (Le Messager)
13 juillet 1839 (BF) Léo Burckart, chez Barba et Desessart
19 juillet 1839, « Le Mort-vivant », drame de M. de Chavagneux (La Presse)
15 et 16-17 août 1839, Les Deux rendez-vous, intermède (La Presse)
17 et 18 septembre 1839, Biographie singulière de Raoul Spifamme, seigneur des Granges (La Presse)
28 janvier 1840, Lettre de voyage I (La Presse)
25 février 1840, Le Magnétiseur
5 mars 1840, Lettre de voyage II (La Presse)
8 mars 1840, Lettre sur Vienne (L’Artiste)
26 mars 1840, Lettre de voyage III (La Presse)
28 juin 1840, Lettre de voyage IV, Un jour à Munich (La Presse)
18 juillet 1840 (BF) Faust de Goëthe suivi du second Faust, chez Gosselin
26 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort I (La Presse)
29 juillet, 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort II (La Presse)
30 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort III (La Presse)
11 février 1841, Une Journée à Liège (La Presse)
18 février 1841, L’Hiver à Bruxelles (La Presse)
1841 ? Première version d’Aurélia (feuillets autographes)
février-mars 1841, Lettre à Muffe, (sonnets, manuscrit autographe)
1841 ? La Tête armée (manuscrit autographe)
mars 1841, Généalogie dite fantastique (manuscrit autographe)
1er mars 1841, Jules Janin, Gérard de Nerval (Journal des Débats)
5 mars 1841, Lettre à Edmond Leclerc
7 mars 1841, Les Amours de Vienne (Revue de Paris)
31 mars 1841, Lettre à Auguste Cavé
11 avril 1841, Mémoires d’un Parisien. Sainte-Pélagie en 1832 (L’Artiste)
9 novembre 1841, Lettre à Ida Ferrier-Dumas
novembre? 1841, Lettre à Victor Loubens
10 juillet 1842, Les Vieilles ballades françaises (La Sylphide)
15 octobre 1842, Rêverie de Charles VI (La Sylphide)
24 décembre 1842, Un Roman à faire (La Sylphide)
19 et 26 mars 1843, Jemmy O’Dougherty (La Sylphide)
11 février 1844, Une Journée en Grèce (L’Artiste)
10 mars 1844, Le Roman tragique (L’Artiste)
17 mars 1844, Le Boulevard du Temple, 1re livraison (L’Artiste)
31 mars 1844, Le Christ aux oliviers (L’Artiste)
5 mai 1844, Le Boulevard du Temple 2e livraison (L’Artiste)
12 mai 1844, Le Boulevard du Temple, 3e livraison (L’Artiste)
2 juin 1844, Paradoxe et Vérité (L’Artiste)
30 juin 1844, Voyage à Cythère (L’Artiste)
28 juillet 1844, Une Lithographie mystique (L’Artiste)
11 août 1844, Voyage à Cythère III et IV (L’Artiste)
15 septembre, Diorama (L’Artiste-Revue de Paris)
29 septembre 1844, Pantaloon Stoomwerktuimaker (L’Artiste)
20 octobre 1844, Les Délices de la Hollande I (La Sylphide)
8 décembre 1844, Les Délices de la Hollande II (La Sylphide)
16 mars 1845, Pensée antique (L’Artiste)
19 avril 1845 (BF), Le Diable amoureux par J. Cazotte, préface de Nerval, chez Ganivet
1er juin 1845, Souvenirs de l’Archipel. Cérigo (L’Artiste-Revue de Paris)
6 juillet 1845, L’Illusion (L’Artiste-Revue de Paris)
5 octobre 1845, Strasbourg (L’Artiste-Revue de Paris)
novembre-décembre 1845, Le Temple d’Isis. Souvenir de Pompéi (La Phalange)
28 décembre 1845, Vers dorés (L’Artiste-Revue de Paris)
1er mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste I (L’Artiste-Revue de Paris)
15 mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste II (L’Artiste-Revue de Paris)
1er mai 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne (Revue des Deux Mondes)
17 mai 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste III (L’Artiste-Revue de Paris)
12 juillet 1846 Sensations d’un voyageur enthousiaste IV (L’Artiste-Revue de Paris)
16 août 1846, Un Tour dans le Nord. Angleterre et Flandre (L’Artiste-Revue de Paris)
30 août 1846, De Ramsgate à Anvers (L’Artiste-Revue de Paris)
20 septembre 1846, Une Nuit à Londres (L’Artiste-Revue de Paris)
1er novembre 1846, Un Tour dans le Nord III (L’Artiste-Revue de Paris)
22 novembre 1846, Un Tour dans le Nord IV (L’Artiste-Revue de Paris)
15 décembre 1846, Scènes de la vie égyptienne moderne. La Cange du Nil (Revue des Deux Mondes)
1847, Scénario des deux premiers actes des Monténégrins
15 février 1847, La Santa-Barbara. Scènes de la vie orientale (Revue des Deux Mondes)
15 mai 1847, Les Maronites. Un Prince du Liban (Revue des Deux Mondes)
15 août 1847, Les Druses (Revue des Deux Mondes)
17 octobre 1847, Les Akkals (Revue des Deux Mondes)
21 novembre 1847, Souvenirs de l’Archipel. Les Moulins de Syra (L’Artiste-Revue de Paris)
15 juillet 1848, Les Poésies de Henri Heine (Revue des Deux Mondes)
15 septembre 1848, Les Poésies de Henri Heine, L’Intermezzo (Revue des Deux Mondes)
1er-27 mars 1849, Le Marquis de Fayolle, 1re partie (Le Temps)
26 avril 16 mai 1849, Le Marquis de Fayolle, 2e partie (Le Temps)
6 octobre 1849, Le Diable rouge (Almanach cabalistique pour 1850)
7 mars-19 avril 1850, Les Nuits du Ramazan (Le National)
15 août 1850, Les Confidences de Nicolas, 1re livraison (Revue des Deux Mondes)
26 août 1850, Le Faust du Gymnase (La Presse)
1er septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 2e livraison (Revue des Deux Mondes)
9 septembre 1850, Excursion rhénane (La Presse)
15 septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 3e livraison (Revue des Deux Mondes)
18 et 19 septembre 1850, Les Fêtes de Weimar (La Presse)
1er octobre 1850, Goethe et Herder (L’Artiste-Revue de Paris)
24 octobre-22 décembre 1850, Les Faux-Saulniers (Le National)
29 décembre 1850, Les Livres d’enfants, La Reine des poissons (Le National)
novembre 1851, Quintus Aucler (Revue de Paris)
24 janvier 1852 (BF), L’Imagier de Harlem, Librairie théâtrale
15 juin 1852, Les Fêtes de mai en Hollande (Revue des Deux Mondes)
1er juillet 1852, La Bohême galante I (L’Artiste)
15 juillet 1852, La Bohême galante II (L’Artiste)
1er août 1852, La Bohême galante III (L’Artiste)
15 août 1852, La Bohême galante IV (L’Artiste)
21 août 1852 (BF), Lorely. Souvenirs d’Allemagne, chez Giraud et Dagneau (Préface à Jules Janin)
1er septembre 1852, La Bohême galante V (L’Artiste)
15 septembre 1852, La Bohême galante VI (L’Artiste)
1er octobre 1852, La Bohême galante VII (L’Artiste)
9 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 1re livraison (L’Illustration)
15 octobre 1852, La Bohême galante VIII (L’Artiste)
23 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 2e livraison (L’Illustration)
30 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 3e livraison (L’Illustration)
1er novembre 1852, La Bohême galante IX (L’Artiste)
6 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 4e livraison (L’Illustration)
13 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 5e livraison (L’Illustration)
15 novembre 1852, La Bohême galante X (L’Artiste)
20 novembre 1852, Les Illuminés, chez Victor Lecou (« La Bibliothèque de mon oncle »)
1er décembre 1852, La Bohême galante XI (L’Artiste)
15 décembre 1852, La Bohême galante XII (L’Artiste)
1er janvier 1853 (BF), Petits Châteaux de Bohême. Prose et Poésie, chez Eugène Didier
15 août 1853, Sylvie. Souvenirs du Valois (Revue des Deux Mondes)
14 novembre 1853, Lettre à Alexandre Dumas
25 novembre 1853-octobre 1854, Lettres à Émile Blanche
10 décembre 1853, Alexandre Dumas, Causerie avec mes lecteurs (Le Mousquetaire)
17 décembre 1853, Octavie (Le Mousquetaire)
1853-1854, Le Comte de Saint-Germain (manuscrit autographe)
28 janvier 1854 (BF) Les Filles du feu, préface, Les Chimères, chez Daniel Giraud
31 octobre 1854, Pandora (Le Mousquetaire)
25 novembre 1854, Pandora, épreuves du Mousquetaire
Pandora, texte reconstitué par Jean Guillaume en 1968
Pandora, texte reconstitué par Jean Senelier en 1975
30 décembre 1854, Promenades et Souvenirs, 1re livraison (L’Illustration)
1854 ? Sydonie (manuscrit autographe)
1854? Emerance (manuscrit autographe)
1854? Promenades et Souvenirs (manuscrit autographe)
janvier 1855, Oeuvres complètes (manuscrit autographe)
1er janvier 1855, Aurélia ou le Rêve et la Vie (Revue de Paris)
6 janvier 1855, Promenades et Souvenirs, 2e livraison (L’Illustration)
3 février 1855, Promenades et Souvenirs, 3e livraison (L’Illustration)
15 février 1855, Aurélia ou Le Rêve et la Vie, seconde partie (Revue de Paris)
15 mars 1855, Desiderata (Revue de Paris)
1866, La Forêt noire, scénario
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BF: annonce dans la Bibliographie de la France
Manuscrit autographe: manuscrit non publié du vivant de Nerval
1853 — Le Comte de Saint-Germain, manuscrit autographe inachevé.
Nerval a évoqué à plusieurs reprises l’illustre illuminé des soupers d’Ermenonville. Il a visiblement eu le projet d’en faire le héros d’une nouvelle ou d’un roman, demeuré inachevé. La mention de la pierre de Bologne, présente également dans l’incipit de Pandora et dans les indications figurant sur le manuscrit autographe à l’encre rouge d’Artémis, incite à penser que le manuscrit du Comte de Saint-Germain est contemporain de la genèse de Pandora, en novembre 1853. C’est aussi ce que suggèrent, d’une part l’allusion aux destructions de la place du Carrousel au début du récit, et d’autre part la lettre adressée le 30 novembre 1853 à Abel, prote de l’imprimerie Gratiot qui compose les épreuves des Filles du feu. Nerval s‘excuse en effet de son erreur : « Il y a eu une légère erreur dans mon envoi d’hier. / Il faudrait me garder Le Comte de St Germain s’il n’est pas encore composé. ». Notons que Nerval a fait figurer les « Mémoires du Comte de Saint-Germain » parmi les « Ouvrages commencés ou inédits » de son projet d’Œuvres complètes en 1854.
On ne sait pas grand-chose de cette tentative de nouvelle ou de roman qui aurait eu pour héros l’énigmatique Comte de Saint-Germain, que Nerval classe parmi les Illuminés familiers des soupers de Mortefontaine et d’Ermenonville dans Les Faux Saulniers, et qu’il mentionne dans la biographie qu’il consacre à Cazotte, en préface au Diable amoureux en 1845. Visiblement le thème est la métempsycose, dont la mise en récit semble s’inspirer d’Edgar Poe. À noter que Le Mousquetaire publiera au cours de l’année 1854 plusieurs nouvelles d’Edgar Poe, dont Le Mort vivant en mai.
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LE COMTE DE SAINT-GERMAIN
De omni re scibili et quibusdam aliis
I
Une âme sans corps
Dans une ancienne chambre à coucher du quartier que l’on vient de démolir pour dégager les abords des Tuileries, le marquis de Morangles, homme d’un certain âge, veillait auprès d’un lit dont la forme et la matière remontaient évidemment à l’époque du Directoire. Le chevet et le pied d’acajou massif étaient surmontés de têtes en bronze ornées d’attributs égyptiens.
A demi voilé par des rideaux de serge bleue, le corps allongé d’un cadavre se dessinait sous les plis droits d’un drap rejeté sur sa tête. — L’ameublement de cette pièce appartenait du reste au goût moderne, — et le lit, ainsi qu’une table ronde de marqueterie, soutenue par un trépied à têtes d’aigles, et un petit secrétaire de bois de rose incrusté d’émaux — semblaient être les débris d’un vieux mobilier de famille cher aux souvenirs du défunt.
Tout à coup, ce dernier poussa un soupir prolongé et prit la parole avec effort :
II
L’embaumeur
En ce moment, on frappa rudement à la porte.
— Qui est-ce qui peut venir ? » dit le ressuscité avec quelque frayeur.
— Hé mon Dieu, c’est le...
— Le quoi?
— L’embaumeur... il est sept heures du matin ; le service est pour demain à midi. Mais d’ici là vos parents, vos amis, vos héritiers... Cela va surprendre bien du monde... A moins...
— A moins que ?
— Que je ne sois victime d’une illusion, d’un rêve, et encore... qui sait si vous n’allez pas remourir d’ici là ?
— Marquis ! pas de plaisanterie ! Un moment ! Je tiens la vie et je ne la lâche pas ! Plus un mot, vieillard, et regarde ! Ouf la sciatique ! Diable de défunt, va ! où s’est-il procuré cela ? Un peu d’aide marquis palsembleu !... Allah ! Allah ! Allah Kébir ! Allah Kérim !
— Miséricorde, s’écria le marquis de Morangles, le voilà qui blasphème à présent. Vade retro... Au secours ! à la garde ! au feu !
Et il ouvrit les volets ; le jour pénétra dans la chambre : De l’air ! de l’air ! s’écria l’autre et surmontant la douleur de sa cuisse il s’élança vers la fenêtre qu’il ouvrit : Peikü-Fo-hi ! Bouddah ! Mahdéva ! a-ah ! Saba-Saba-hi ! et fixant les yeux sur le soleil levant, il semblait y puiser avec délices la source d’unevie nouvelle.
— Le marquis de Morangle, sortant de sa stupeur, le vit avec surprise et admiration s’agenouiller les bras tendus vers l’astre du jour : « J’ai vu Le Vampire à la Porte-Saint-Martin, se dit-il, par M. Philippe, un bel acteur... Hé bien ce scélérat en faisant autant quand il voyait la lune. Si celui-ci n’adore que le soleil, c’est plus rassurant.
— Monsieur le... pardon, M. Pérégrinus, M. le comte de Bonneval, M. le Chinois... car enfin il serait bon de choisir un nom où une position quelconque : — Mais qu’est-ce que je dis ? je deviens fou aussi moi ; c’était du délire, voilà tout... Non ! vous n’êtes pas un vampire... tu es bien mon ami d’Almany, n’est-ce pas ?
— Oui, oui, dit avec effusion celui qu’il interrogeait, oui je suis ton ami, brave vieillard demeuré fidèle à celui qui t’a fait du bien ! Au nom de celui qui n’est plus, je t’embrasse de toute mon âme !
Et le ressuscité versait des larmes qui venaient se mêler à celles qui sillonnaient les rides du vieux marquis : Mais qu’est-ce que tu dis encore là d’Almany ! balbutiait-il à travers son émotion : « ne va pas devenir fou... Celui qui n’est plus... mais c’est toi-même... quelle absurdité ! Enfin recouche-toi. Ah ! cette sonnette... Allons il faut renvoyer ces gens-là. Recouche-toi. Il n’y a plus qu’un peu de fièvre, je vais chercher le médecin.
— Ne bougez pas vieillard, c’est à moi de recevoir ceux qui viennent.
Le marquis de Morangles se recula frappé de crainte : les yeux de son ami brillaient d’un éclat inconnu. Sa taille semblait avoir grandi ; s’enveloppant du drap funèbre comme d’un manteau, il en avait d’un geste altier rejeté l’un des bouts sur l’épaule gauche et ses doigts, comme un ressouvenir machinal, imprimaient à la toile les plis gracieux de la toge antique .
« Allons ! dit le marquis de Morangles en secouant la tête, le voilà qui veut jouer la tragédie à présent... Ah ! depuis Talma... et même je pourrais dire depuis Monvel... Enfin, cela vaut toujours mieux que d’être mort !
La sonnette résonnait avec plus de force, — on croyait sans doute le marquis de Morangle endormi à la suite de sa longue veillée. Le ressuscité, quoiqu’en boitant un peu, alla résolument ouvrir la porte.
— Entrez, messieurs, dit-il avec calme et dignité.
Les deux arrivants n’étaient pas gens à s’étonner, de peu de chose, — seulement ils ne comprirent pas pourquoi ce monsieur semblait jouer la tragédie dans un chambre mortuaire.
— N’est-ce pas ici, monsieur, dit le plus apparent, qu’il y a un défunt ?
— C’est moi, messieurs.
— Monsieur, il est inconvenant de se jouer du respect que l’on doit...
Le marquis de Morangles se hâta d’intervenir :
— Mon cher Monsieur Rocias, dit-il, mille pardons de vous avoir dérangé… inutilement , ainsi que monsieur votre élève. Le mort prétend être ressuscité.
Je prétends..., dit ce dernier, je ne prétends pas du tout. Je suis vivant et très vivant... « Je pense, donc je suis », comme disais René Descartes. Qu’avez–vous à répondre, monsieur l’embaumeur ?
Monsieur, dit ce dernier avec un léger accent gascon, je ne dis pas que vous n’existez pas, je dis seulement que l’on est venu me chercher pour embaumer M. le comte d’Almany, dont le décès a été officiellement constaté par le médecin des morts de l’arrondissement... en conséquence...
— En conséquence, vous êtes prêt à m’embaumer.
— Si vous êtes véritablement M. le comte d’Almany je ne puis nier qu’en ce moment toutes les apparences...
— Ne vous y fiez pas ! » s’écria le marquis, passant du côté des embaumeurs : « il y a bien les traits, la voix et même la sciatique de mon ami, mais ma parole d’honneur, je crois bien que c’est un faux vivant ou un faux mort !
— Messieurs ! dit M. Rocias, ne plaisantons pas ici ! Cela dure trop longtemps ! J’ai mes affaires. On m’attend au numéro 13 de cette même rue Saint-Thomas-du-Louvre chez une dame du grand monde... et vous comprenez bien qu’il faut en finir.
— Je comprends, monsieur, que vous êtes un insolent, dit le ressuscité, vous manquez au respect que l’on doit aux défunts... Allons ! fichez-moi le camp !
— Il n’est pas mort ! » dit M. Rocias en se retirant, à l’oreille du marquis de Morangles, mais il n’en vaut guère mieux, il est fou à lier !... Et qu’est-ce qui me paiera ma vacation ?
— Il n’est pas fou ! monsieur », dit le marquis, en levant les bras au ciel, « c’est un philosophe pythagoricien, nommé Pérégrinus, qui s’est brûlé lui-même à Olympie pour narguer Jupiter, deux cents ans après l’ère du Christ !...
M. Rocias et son élève partirent d’un immense éclat de rire.
Toutefois ils se hâtèrent de gagner l’escalier.
III
Éclaircissemens
Le ressuscité sans dire un mot au marquis de Morangles prit un fauteuil et s’assit devant le secrétaire dont il trouva la clé dans sa poche.
En ouvrant le secrétaire, le ressuscité fut frappé de la vue d’un singulier monument. C’était une pierre antique de marbre, de forme cubique sur laquelle on avait gravé en style lapidaire l’inscription suivante :
D. M. ÆLIA LÆLIA CRISPIS
Nec vir, nec mulier nec androgyna — Nec puella, nec juvenis nec anus — nec casta, nec meretrix nec pudica — sed omnia — sublata — neque fame neque ferro neque veneno — sed omnibus — nec coelo nec aquis nec terris — sed ubique jacet
LUCIUS AGATHO PRISCIUS
Nec maritus, nec amator nec necessarius — neque moerens neque gaudens neque flens — hanc — nec molem — nec Pyramiden, nec sepulchrum — sed omnia — scit et nescit cui posuerit — hoc est sepulchrum intus cadaver non habens — hoc est cadaver sepulchrum extra non habens — sed cadaver idem est sepulchrum sibi (1).
— Abadonnah ! s’écria-t-il, Abadonnah !.....
Et il leva vers le ciel un regard irrité.
Puis revenant à lui-même il traça dans l’air avec l’index l’anneau symbolique au- dessous duquel il figura la croix ou [?] et s’écria en baissant la tête et pleurant :
Jéhovah ! Jéhovah ! mon père... ne t’es-tu pas assez vengé ?
Un oiseau noir passa devant la fenêtre, de gauche à droite en poussant un cri plaintif. — Encore toi, s’écria [un espace], toujours toi !... Mais du moins tu n’es plus captive !...
A nous deux le monde à présent !... Oh ! vengeance, vengeance ! O Julia Salviat[i], mon épouse, ma sœur ! appelle nos armées du ciel et de l’enfer, d’Europe et d’Asie...
Et se tournant vers le marquis de Morangles qui frissonnait de tous ses membres : Ne vous ai-je pas dit, vieillard, ajouta-t-il, le nom que je portais quand j’ai quitté l’Europe
(1) Aux Dieux Manes. — Ælia lælia Crispis qui n’est ni homme ni femme ni hermaphrodite ; ni fille ni jeune, ni vieille, ni chaste ni prostituée ni pudique, mais tout cela ensemble, qui n’est ni morte de faim et qui n’a été tuée ni par le fer ni par le poison, mais par ces trois choses, n’est ni au ciel ni dans l’eau, ni dans la terre, mais est partout. Lucius Agathon Priscus, qui n’est ni son mari ni son amant ni son parent, ni triste, ni joyeux, ni pleurant ; sait et ne sait pas pour qui il a posé ceci, qui n’est ni un monument ni une pyramide, ni un tombeau, c’est à dire un tombeau qui ne renferme pas de cadavre, un cadavre qui n’est point enfermé dans un tombeau ; mais un cadavre qui est tout ensemble à soi-même et cadavre et tombeau.
GÉRARD DE NERVAL - SYLVIE LÉCUYER tous droits réservés @
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