TEXTES
1824, Poésies diverses (manuscrit autographe)
1824, L’Enterrement de la Quotidienne (manuscrit autographe)
1824, Poésies et poèmes (manuscrit autographe)
1825, « Pour la biographie des biographes » (manuscrit autographe)
15 février 1826 (BF), Napoléon et la France guerrière, chez Ladvocat
6 mai 1826 (BF), Complainte sur l’immortalité de M. Briffaut, par Cadet Roussel, chez Touquet
6 mai 1826 (BF), Monsieur Dentscourt ou le Cuisinier d’un grand homme, chez Touquet
20 mai 1826 (BF), Les Hauts faits des Jésuites, par Beuglant, chez Touquet
12 août 1826 (BF), Épître à M. de Villèle (Mercure de France du XIXe siècle)
11 novembre 1826 (BF), Napoléon et Talma, chez Touquet
13 et 30 décembre 1826 (BF), L’Académie ou les membres introuvables, par Gérard, chez Touquet
16 mai 1827 (BF), Élégies nationales et Satires politiques, par Gérard, chez Touquet
29 juin 1827, La dernière scène de Faust (Mercure de France au XIXe siècle)
28 novembre 1827 (BF), Faust, tragédie de Goëthe, 1828, chez Dondey-Dupré
15 décembre 1827, A Auguste H…Y (Almanach des muses pour 1828)
1828? Faust (manuscrit autographe)
1828? Le Nouveau genre (manuscrit autographe)
mai 1829, Lénore. Ballade allemande imitée de Bürger (La Psyché)
août 1829, Le Plongeur. Ballade, (La Psyché)
octobre 1829, A Schmied. Ode de Klopstock (La Psyché)
24 octobre 1829, Robert et Clairette. Ballade allemande de Tiedge (Mercure de France au XIXe siècle)
21 novembre 1829, Chant de l’épée. Traduit de Korner (Mercure de France au XIXe siècle)
19 décembre 1829, Lénore. Traduction littérale de Bürger (Mercure de France au XIXe siècle)
janvier 1830, La Lénore de Bürger, nouvelle traduction littérale (La Psyché)
16 janvier 1830, Ma Patrie, de Klopstock (Mercure de France au XIXe siècle)
23 janvier 1830, Légende, par Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)
6 février (BF) Poésies allemandes, Klopstock, Goethe, Schiller, Burger (Bibliothèque choisie)
13 février 1830, Les Papillons (Mercure de France au XIXe siècle)
13 février 1830, Appel, par Koerner (1813) (Mercure de France au XIXe siècle)
13 mars 1830, L’Ombre de Koerner, par Uhland, 1816 (Mercure de France au XIXe siècle)
27 mars 1830, La Nuit du Nouvel an d’un malheureux, de Jean-Paul Richter (La Tribune romantique)
29 avril 1830, La Pipe, chanson traduite de l’allemand, de Pfeffel (La Tribune romantique)
13 mai 1830 Le Cabaret de la mère Saguet (Le Gastronome)
mai 1830, M. Jay et les pointus littéraires (La Tribune romantique)
juillet ? 1830, Récit des journées des 27-29 juillet (manuscrit autographe)
14 août 1830, Le Peuple (Mercure de France au XIXe siècle)
11 décembre 1830, A Victor Hugo. Les Doctrinaires (Almanach des muses pour 1831)
29 décembre 1830, La Malade (Le Cabinet de lecture )
29 janvier 1831, Odelette, Le Vingt-cinq mars (Almanach dédié aux demoiselles)
14 mars 1831, En avant, marche! (Cabinet de lecture)
23 avril 1831, Bardit, traduit du haut-allemand (Mercure de France au XIXe siècle)
7 mai 1831, Profession de foi (Mercure de France au XIXe siècle)
25 juin et 9 juillet 1831, Nicolas Flamel, drame-chronique (Mercure de France au XIXe siècle)
4 décembre 1831, Cour de prison, Le Soleil et la gloire (Le Cabinet de lecture)
17 décembre 1831, Fantaisie, odelette (Annales romantiques pour 1832)
24 septembre 1832, La Main de gloire, histoire macaronique (Le Cabinet de lecture)
14 décembre 1834, Odelettes (Annales romantiques pour 1835)
1835-1838 ? Lettres d’amour (manuscrits autographes)
26 mars et 20 juin 1836, De l’Aristocratie en France (Le Carrousel)
20 et 26 mars 1837, De l’avenir de la tragédie (La Charte de 1830)
12 août 1838, Les Bayadères à Paris (Le Messager)
18 septembre 1838, A M. B*** (Le Messager)
2 octobre 1838, La ville de Strasbourg. A M. B****** (Le Messager)
26 octobre 1838, Lettre de voyage. Bade (Le Messager)
31 octobre 1838, Lettre de voyage. Lichtenthal (Le Messager)
24 novembre 1838, Léo Burckart (manuscrit remis à la censure)
25, 26 et 28 juin 1839, Le Fort de Bitche. Souvenir de la Révolution française (Le Messager)
13 juillet 1839 (BF) Léo Burckart, chez Barba et Desessart
19 juillet 1839, « Le Mort-vivant », drame de M. de Chavagneux (La Presse)
15 et 16-17 août 1839, Les Deux rendez-vous, intermède (La Presse)
17 et 18 septembre 1839, Biographie singulière de Raoul Spifamme, seigneur des Granges (La Presse)
28 janvier 1840, Lettre de voyage I (La Presse)
25 février 1840, Le Magnétiseur
5 mars 1840, Lettre de voyage II (La Presse)
8 mars 1840, Lettre sur Vienne (L’Artiste)
26 mars 1840, Lettre de voyage III (La Presse)
28 juin 1840, Lettre de voyage IV, Un jour à Munich (La Presse)
18 juillet 1840 (BF) Faust de Goëthe suivi du second Faust, chez Gosselin
26 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort I (La Presse)
29 juillet, 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort II (La Presse)
30 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort III (La Presse)
11 février 1841, Une Journée à Liège (La Presse)
18 février 1841, L’Hiver à Bruxelles (La Presse)
1841 ? Première version d’Aurélia (feuillets autographes)
février-mars 1841, Lettre à Muffe, (sonnets, manuscrit autographe)
1841 ? La Tête armée (manuscrit autographe)
mars 1841, Généalogie dite fantastique (manuscrit autographe)
1er mars 1841, Jules Janin, Gérard de Nerval (Journal des Débats)
5 mars 1841, Lettre à Edmond Leclerc
7 mars 1841, Les Amours de Vienne (Revue de Paris)
31 mars 1841, Lettre à Auguste Cavé
11 avril 1841, Mémoires d’un Parisien. Sainte-Pélagie en 1832 (L’Artiste)
9 novembre 1841, Lettre à Ida Ferrier-Dumas
novembre? 1841, Lettre à Victor Loubens
10 juillet 1842, Les Vieilles ballades françaises (La Sylphide)
15 octobre 1842, Rêverie de Charles VI (La Sylphide)
24 décembre 1842, Un Roman à faire (La Sylphide)
19 et 26 mars 1843, Jemmy O’Dougherty (La Sylphide)
11 février 1844, Une Journée en Grèce (L’Artiste)
10 mars 1844, Le Roman tragique (L’Artiste)
17 mars 1844, Le Boulevard du Temple, 1re livraison (L’Artiste)
31 mars 1844, Le Christ aux oliviers (L’Artiste)
5 mai 1844, Le Boulevard du Temple 2e livraison (L’Artiste)
12 mai 1844, Le Boulevard du Temple, 3e livraison (L’Artiste)
2 juin 1844, Paradoxe et Vérité (L’Artiste)
30 juin 1844, Voyage à Cythère (L’Artiste)
28 juillet 1844, Une Lithographie mystique (L’Artiste)
11 août 1844, Voyage à Cythère III et IV (L’Artiste)
15 septembre, Diorama (L’Artiste-Revue de Paris)
29 septembre 1844, Pantaloon Stoomwerktuimaker (L’Artiste)
20 octobre 1844, Les Délices de la Hollande I (La Sylphide)
8 décembre 1844, Les Délices de la Hollande II (La Sylphide)
16 mars 1845, Pensée antique (L’Artiste)
19 avril 1845 (BF), Le Diable amoureux par J. Cazotte, préface de Nerval, chez Ganivet
1er juin 1845, Souvenirs de l’Archipel. Cérigo (L’Artiste-Revue de Paris)
6 juillet 1845, L’Illusion (L’Artiste-Revue de Paris)
5 octobre 1845, Strasbourg (L’Artiste-Revue de Paris)
novembre-décembre 1845, Le Temple d’Isis. Souvenir de Pompéi (La Phalange)
28 décembre 1845, Vers dorés (L’Artiste-Revue de Paris)
1er mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste I (L’Artiste-Revue de Paris)
15 mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste II (L’Artiste-Revue de Paris)
1er mai 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne (Revue des Deux Mondes)
17 mai 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste III (L’Artiste-Revue de Paris)
12 juillet 1846 Sensations d’un voyageur enthousiaste IV (L’Artiste-Revue de Paris)
16 août 1846, Un Tour dans le Nord. Angleterre et Flandre (L’Artiste-Revue de Paris)
30 août 1846, De Ramsgate à Anvers (L’Artiste-Revue de Paris)
20 septembre 1846, Une Nuit à Londres (L’Artiste-Revue de Paris)
1er novembre 1846, Un Tour dans le Nord III (L’Artiste-Revue de Paris)
22 novembre 1846, Un Tour dans le Nord IV (L’Artiste-Revue de Paris)
15 décembre 1846, Scènes de la vie égyptienne moderne. La Cange du Nil (Revue des Deux Mondes)
1847, Scénario des deux premiers actes des Monténégrins
15 février 1847, La Santa-Barbara. Scènes de la vie orientale (Revue des Deux Mondes)
15 mai 1847, Les Maronites. Un Prince du Liban (Revue des Deux Mondes)
15 août 1847, Les Druses (Revue des Deux Mondes)
17 octobre 1847, Les Akkals (Revue des Deux Mondes)
21 novembre 1847, Souvenirs de l’Archipel. Les Moulins de Syra (L’Artiste-Revue de Paris)
15 juillet 1848, Les Poésies de Henri Heine (Revue des Deux Mondes)
15 septembre 1848, Les Poésies de Henri Heine, L’Intermezzo (Revue des Deux Mondes)
1er-27 mars 1849, Le Marquis de Fayolle, 1re partie (Le Temps)
26 avril 16 mai 1849, Le Marquis de Fayolle, 2e partie (Le Temps)
6 octobre 1849, Le Diable rouge (Almanach cabalistique pour 1850)
7 mars-19 avril 1850, Les Nuits du Ramazan (Le National)
15 août 1850, Les Confidences de Nicolas, 1re livraison (Revue des Deux Mondes)
26 août 1850, Le Faust du Gymnase (La Presse)
1er septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 2e livraison (Revue des Deux Mondes)
9 septembre 1850, Excursion rhénane (La Presse)
15 septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 3e livraison (Revue des Deux Mondes)
18 et 19 septembre 1850, Les Fêtes de Weimar (La Presse)
1er octobre 1850, Goethe et Herder (L’Artiste-Revue de Paris)
24 octobre-22 décembre 1850, Les Faux-Saulniers (Le National)
29 décembre 1850, Les Livres d’enfants, La Reine des poissons (Le National)
novembre 1851, Quintus Aucler (Revue de Paris)
24 janvier 1852 (BF), L’Imagier de Harlem, Librairie théâtrale
15 juin 1852, Les Fêtes de mai en Hollande (Revue des Deux Mondes)
1er juillet 1852, La Bohême galante I (L’Artiste)
15 juillet 1852, La Bohême galante II (L’Artiste)
1er août 1852, La Bohême galante III (L’Artiste)
15 août 1852, La Bohême galante IV (L’Artiste)
21 août 1852 (BF), Lorely. Souvenirs d’Allemagne, chez Giraud et Dagneau (Préface à Jules Janin)
1er septembre 1852, La Bohême galante V (L’Artiste)
15 septembre 1852, La Bohême galante VI (L’Artiste)
1er octobre 1852, La Bohême galante VII (L’Artiste)
9 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 1re livraison (L’Illustration)
15 octobre 1852, La Bohême galante VIII (L’Artiste)
23 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 2e livraison (L’Illustration)
30 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 3e livraison (L’Illustration)
1er novembre 1852, La Bohême galante IX (L’Artiste)
6 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 4e livraison (L’Illustration)
13 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 5e livraison (L’Illustration)
15 novembre 1852, La Bohême galante X (L’Artiste)
20 novembre 1852, Les Illuminés, chez Victor Lecou (« La Bibliothèque de mon oncle »)
1er décembre 1852, La Bohême galante XI (L’Artiste)
15 décembre 1852, La Bohême galante XII (L’Artiste)
1er janvier 1853 (BF), Petits Châteaux de Bohême. Prose et Poésie, chez Eugène Didier
15 août 1853, Sylvie. Souvenirs du Valois (Revue des Deux Mondes)
14 novembre 1853, Lettre à Alexandre Dumas
25 novembre 1853-octobre 1854, Lettres à Émile Blanche
10 décembre 1853, Alexandre Dumas, Causerie avec mes lecteurs (Le Mousquetaire)
17 décembre 1853, Octavie (Le Mousquetaire)
1853-1854, Le Comte de Saint-Germain (manuscrit autographe)
28 janvier 1854 (BF) Les Filles du feu, préface, Les Chimères, chez Daniel Giraud
31 octobre 1854, Pandora (Le Mousquetaire)
25 novembre 1854, Pandora, épreuves du Mousquetaire
Pandora, texte reconstitué par Jean Guillaume en 1968
Pandora, texte reconstitué par Jean Senelier en 1975
30 décembre 1854, Promenades et Souvenirs, 1re livraison (L’Illustration)
1854 ? Sydonie (manuscrit autographe)
1854? Emerance (manuscrit autographe)
1854? Promenades et Souvenirs (manuscrit autographe)
janvier 1855, Oeuvres complètes (manuscrit autographe)
1er janvier 1855, Aurélia ou le Rêve et la Vie (Revue de Paris)
6 janvier 1855, Promenades et Souvenirs, 2e livraison (L’Illustration)
3 février 1855, Promenades et Souvenirs, 3e livraison (L’Illustration)
15 février 1855, Aurélia ou Le Rêve et la Vie, seconde partie (Revue de Paris)
15 mars 1855, Desiderata (Revue de Paris)
1866, La Forêt noire, scénario
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BF: annonce dans la Bibliographie de la France
Manuscrit autographe: manuscrit non publié du vivant de Nerval
1975 — Reconstitution de Pandora par Jean Senelier, Gérard de Nerval. Pandora, Les Amours de Vienne, édition critique nouvelle, Klincksieck, 1975.
L’édition de Pandora qu’avait donnée Jean Guillaume en 1968 avait l’avantage de donner cohérence au texte, et donc de mettre un terme à l’idée que Nerval n’avait pu rédiger les fragments qui le composent que dans un accès de démence. Bien plus, elle montrait la continuité, dans l’esprit de Nerval, du désir de faire place au récit de rêve, ébauché en 1852 dans Les Nuits d’octobre, et qui trouvera son plein développement dans Aurélia.
Cependant, c’était ne pas tenir compte du tout de la lettre de Nerval du 25 novembre, qui avait donné lieu au jeu d’épreuves effarant du Mousquetaire. Jean Senelier a donc proposé une nouvelle reconstitution, qui intègre le « Prière d’insérer », la fin du texte des Amours de Vienne de 1841, tels que les donne Nerval dans la lettre, et la partie du texte qui figure sur la moitié supérieure d’un feuillet, portant un titre biffé : « Maria hilf », commençant par : « Voilà ce que j’écrivais il y a treize ans » et se terminant par : « paladium sacré, reste à jamais inscrit sur la tombe d’Arthémis. », suivi d’une phrase de lecture douteuse, prise dans la déchirure du feuillet, dont la moitié inférieure enchaîne avec : « O Vienne la bien gardée ! »
Voir MANUSCRITS AUTOGRAPHES, UN FRAGMENT AUTOGRAPHE DE PANDORA
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PANDORA, LES AMOURS DE VIENNE
Deux âmes hélas se partageaient mon sein et chacune d'elles veut se séparer de l'autre : l'une, ardente d'amour, s'attache au monde par le moyen des organes du corps ; un mouvement surnaturel entraîne l'autre loin des ténèbres, vers les hautes de demeures nos aïeux.
FAUST.
Vous l’avez tous connue, ô mes amis ! — la belle Pandora du théâtre de Vienne. — Elle vous a laissé sans doute ainsi qu’à moi-même de cruels et doux souvenirs ! C’était bien à elle, peut-être, — à elle en vérité, — que pouvait s’appliquer l’indéchiffrable énigme gravée sur la pierre de Bologne : ÆLIA LÆLIA. — Nec vir, nec mulier, nec androgyna, etc. « Ni homme, ni femme, ni androgyne ; ni fille, ni jeune, ni vieille ; ni chaste, ni folle, ni pudique, mais tout cela ensemble... » Enfin La Pandora, c’est tout dire, — car je ne veux pas dire tout.
Je suis obligé d’expliquer que Pandora fait suite aux aventures que j’ai publiées autrefois dans la Revue de Paris et réimprimées dans l’introduction de mon Voyage en Orient sous ce titre : Les Amours de Vienne. Des raisons de convenance qui n’existent plus j’espère m’avaient forcé de supprimer ce chapitre. S’il faut encore un peu de clarté, permettez-moi de vous faire réimprimer les lignes qui précédaient jadis ce passage de mes Mémoires. J’écris les miens sous plusieurs formes, puisque c’est la mode aujourd’hui. Ceci est un fragment d’une lettre confidentielle adressée à Théophile Gautier, qui n’a vu le jour que par suite d’une indiscrétion de la police de Vienne — à qui je la pardonne, et il serait trop long, dangereux peut-être d’appuyer sur ce point.
Voici le passage, que les curieux ont le droit de reporter en tête du premier article de Pandora :
« Représente-toi une grande cheminée de marbre sculpté. Les cheminées sont rares à Vienne, et n’existent guère que dans les palais. Les fauteuils et les sophas ont des pieds dorés. Autour de la salle il y a des consoles dorées ; et les lambris... ma foi, il y a aussi des lambris dorés. La chose est complète, comme tu vois !
Devant cette cheminée, trois dames charmantes sont assises. L’une est de Vienne ; les deux autres sont, l’une Italienne, l’autre Anglaise. L’une des trois est la maîtresse de la maison. Des hommes qui sont là, deux sont comtes, un autre est un prince hongrois, un autre est ministre, et les autres sont des jeunes gens pleins d’avenir. Les dames ont parmi eux des maris et des amants avoués, connus ; mais tu sais que les amants passent en général à l’état de maris, c’est-à-dire ne comptent plus comme individualité masculine. Cette remarque est profonde, songes-y bien.
Ton ami se trouve donc seul d’homme dans cette société à bien juger sa position ; la maîtresse de la maison mise à part (cela doit être), ton ami a donc des chances de fixer l’attention des deux dames qui restent, et même il a peu de mérite à cela par les raisons que je viens d’exposer.
Ton ami a dîné confortablement ; il a bu des vins de France et de Hongrie, pris du café et de la liqueur ; il est bien mis, son linge est d’une finesse exquise, ses cheveux sont soyeux et frisés très légèrement ; ton ami fait du paradoxe, ce qui est usé depuis cinq ans chez nous, et ce qui est ici tout neuf. Les seigneurs étrangers ne sont pas de force à lutter sur ce bon terrain que nous avons tant remué. Ton ami flamboie et pétille ; on le touche, il en sort du feu.
Voilà une jeune homme bien posé ; il plaît prodigieusement aux dames ; les messieurs sont très charmés aussi. Les gens de ce pays sont si bons ! Ton ami passe donc pour un causeur agréable. On se plaint qu’il parle peu ; mais quand il s’échauffe, il est très beau.
Je te dirai que des deux dames il en est une qui me plaît beaucoup et l’autre beaucoup aussi. Toutefois l’Anglaise a un petit parler si doux, elle est si bien assise dans son fauteuil ; de beaux cheveux blonds à reflets rouges, la peau si blanche ; de la soie, de la ouate et des tulles, des perles et des opales : on ne sait pas trop ce qu’il y a au milieu de tout cela, mais c’est si bien arrangé.
C’est là un genre de beauté et de charme que je commence à présent à comprendre ; je vieillis. Si bien que me voilà à m’occuper toute la soirée de cette jolie femme dans son fauteuil. L’autre paraissait s’amuser beaucoup dans la conversation d’un monsieur d’un certain âge qui semble fort épris d’elle et dans les conditions d’un patito tudesque, ce qui n’est pas réjouissant.
Je causais avec la petite dame bleue, je lui témoignais avec feu mon admiration pour les cheveux et le teint des blondes... Voici l’autre, qui nous écoutait d’une oreille, qui quitte brusquement la conversation de son soupirant et se mêle à la nôtre. Je veux tourner la question. Elle avait tout entendu. Je me hâte d’établir une distinction (tu sais) pour les brunes qui ont la peau blanche ; elle me répond que la sienne est noire... de sorte que voilà ton ami réduit aux exceptions, aux conventions, aux protestations. Alors je pensais avoir beaucoup déplu à la dame brune. J’en étais fâché, parce qu’après tout elle est fort belle et fort majestueuse dans sa robe blanche, et ressemble à la Malibran dans le premier acte de Don Juan. Ce souvenir m’avait servi du reste à rajuster un peu les choses. Deux jours après, je me rencontre au Casino avec l’un des comtes qui étaient là ; nous allons par occasion dîner ensemble, puis au spectacle. Nous nous lions comme cela. La conversation tombe sur les deux dames dont j’ai parlé plus haut ; il me propose de me présenter à l’une d’elles : la noire. J’objecte ma maladresse précédente. Il me dit qu’au contraire cela avait fait très bien. Cet homme est profond.
***
O Vienne, la bien gardée ! Rocher d’amour des paladins ! — comme disait le vieux Menzel — tu ne possèdes pas la coupe bénie du Saint-Graal mystique, mais le Stock-im-eisen des braves compagnons. Ta montagne d’aimant attire invinciblement les pointes des épées, — et le Magyar jaloux, le Bohême intrépide, le Lombard généreux mourraient pour te défendre aux pieds divins de Maria-hilf.
Je n’ai pu moi-même planter le clou symbolique dans le tronc chargé de fer (Stock-im-eisen) posé à l’entrée du Graben, à la porte d’un bijoutier — mais j’ai versé les plus douces larmes et les plus pures effusions de mon cœur le long des places et des rues, sur les bastions, dans les allées de l’Augarten et sous les bosquets du Prater. J’ai attendri de mes chants d’amour les biches timides et les faisans privés ; j’ai promené mes rêveries sur les rampes gazonnées de Schœnbrunn. J’adorais les pâles statues de ces jardins que couronne la gloriette de Marie-Thérèse — et les chimères du vieux palais m’ont ravi mon cœur pendant que j’admirais leurs yeux divins et que j’espérais m’allaiter à leurs seins de marbre éclatant.
Pardonne-moi d’avoir surpris un regard de tes beaux yeux, auguste archiduchesse, dont j’aimais tant l’image, peinte sur une enseigne de magasin. Tu me rappelais l’autre..., rêve de mes jeunes amours, pour qui j’ai si souvent franchi l’espace qui séparait mon toit natal de la ville des Stuarts ! J’allais à pied, traversant plaines et bois, rêvant à la Diane valoise qui protège les Médicis, — et quand au-dessus des maisons du Pecq et du pavillon d’Henri IV, j’apercevais les tours de briques cordonnées d’ardoises, alors je traversais la Seine, qui languit et se replie autour de ses îles et je m’engageais dans les ruines solennelles du vieux château de Saint-Germain. L’aspect ténébreux des hauts portiques, où plane la souris chauve, où fuit le lézard, où bondit le chevreau qui broute les vertes acanthes, me remplissait de joie et d’amour. Puis, quand j’avais gagné le plateau de la montagne, fût-ce à travers le vent et l’orage, quel bonheur encore d’apercevoir au-delà des maisons, la côte bleuâtre de Mareil, avec son église où reposent les cendres du vieux seigneur de Monteynard.
Le souvenir de mes belles cousines, ces intrépides chasseresses que je promenais autrefois dans les bois, belles toutes deux comme les filles de Léda, m’éblouit encore et m’enivre.
Pourtant je n’aimais qu’elle alors!...
Voilà ce que j’écrivais il y a treize ans. Remontons cette voie de douleurs et de félicités trompeuses.
J’ai vu dans mon enfance un spectacle singulier. Un homme se présenta sur un théâtre et dit au public : voici douze fusils. Je prie douze dames de la société de vouloir bien les charger à poudre et d’ajouter à la charge leurs alliances d’or, que je recueillerai toutes les douze sur la pointe de mon épée. Cela se fit ainsi : douze dames tirèrent au cœur de cet homme, et les bagues s’enfilèrent sur la pointe de son épée noire.
A ce spectacle se succédèrent des apparitions fantastiques, images des dieux souterrains. La salle était tendue de rouge et des rosaces de diamants noirs éclataient aux lueurs des ombres.
Un nouvel amour se dessine déjà sur la trame variée des deux autres. Adieu, forêt de Saint-Germain, bois de Marly, chères solitudes ! Adieu aussi, ville enfumée qui t’appelais Lutèce, et que le doux nom d’Aurélia remplit ancore de ses clartés — Amor y Roma ! paladium sacré, reste à jamais inscrit sur la tombe d’Arthémis.
Je suis du sang d’Hector et j’échappe encore un fois. Æneadum genetrix hominum.
Il faisait très froid à Vienne le jour de la Saint-Sylvestre et je me plaisais beaucoup dans le boudoir de la Pandora. Une lettre qu’elle faisait semblant d’écrire n’avançait guère, et les délicieuses pattes de mouche de son écriture s’entremêlaient follement avec je ne sais quels arpèges mystérieux qu’elle tirait par instant des cordes de sa harpe, dont la crosse disparaissait sous les enlacements d’une syrène dorée. Tout à coup, elle se jeta à mon cou et m’embrassa, en disant avec un fou rire : « Tiens, c’est un petit prêtre ! Il est bien plus amusant que mon baron. »
J’allai me rajuster à la glace, car mes cheveux châtains se trouvaient tout défrisés, et je rougis d’humiliation en sentant que je n’étais aimé qu’à cause d’un certain petit air ecclésiastique que me donnaient ma contenance timide et mon habit noir. « Pandora, lui dis-je, ne plaisantons pas avec l’amour ni avec la religion, car c’est la même chose, en vérité.
— Mais j’adore les prêtres, dit-elle ; laissez-moi mon illusion.
— Pandora, dis-je avec amertume, je ne remettrai plus cet habit noir, et, quand je reviendrai chez vous, je porterai mon habit bleu à boutons dorés, qui me donne l’air cavalier.
— Je ne vous recevrai qu’en habit noir », dit-elle et elle appela sa suivante : « Röschen !... si monsieur que voilà se présente en habit bleu, vous le mettrez dehors, et vous le consignerez à la porte de l’hôtel. — J’en ai bien assez, ajouta-t-elle avec colère des attachés d’ambassade en bleu avec leurs boutons à couronne, et des officiers de Sa Majesté impériale, et des Magyars avec leurs habits de velours et leurs toques à aigrette ! Ce petit-là me servira d’abbé. Adieu, l’abbé, c’est convenu, vous viendrez me chercher demain en voiture, et nous irons en partie fine au Prater… mais vous serez en habit noir ! »
Chacun de ces mots m’entrait au cœur comme une épine. Un rendez-vous, un rendez-vous positif pour le lendemain, premier jour de l’année, et en habit noir encore. Et ce n’était pas tant l’habit noir qui me désespérait, mais ma bourse était vide. — Quelle honte ! vide, hélas ! le propre jour de la Saint-Sylvestre !... Poussé par un fol espoir, je me hâtai de courir à la poste, pour voir si mon oncle ne m’avait pas adressé une lettre chargée. O bonheur ! on me demande deux florins, et l’on me remet une épître qui porte le timbre de France. Un rayon de soleil tombait d’aplomb sur cette lettre insidieuse ; les lignes s’y suivaient impitoyablement, sans le moindre croisement de mandat sur la poste ou d’effet de commerce. Elle ne contenait de toute évidence que des maximes de morale et des conseils d’économie.
Je la rendis en feignant prudemment une erreur de gilet, et je frappai avec une surprise affectée des poches qui ne rendaient aucun son métallique ; puis je me précipitai dans les rues populeuses qui entourent Saint-Étienne.
Heureusement j’avais à Vienne un ami. C’était un garçon fort aimable, un peu fou, comme tous les Allemands, docteur en philosophie, et qui cultivait avec agrément quelques dispositions vagues à l’emploi de ténor léger.
Je savais bien où le trouver, c’est-à-dire chez sa maîtresse, une nommée Rosa, figurante au théâtre de Leopoldstadt ; il lui rendait visite tous les jours de deux à cinq heures. Je traversai rapidement la Rothenthor, je montai le faubourg, et, dès le bas de l’escalier, je distinguai la voix de mon compagnon, qui chantait d’un ton langoureux :
« Einen Kuss von rosiger Lippe,
Und ich fürchte nicht Sturm und nicht Klippe ! »
Le malheureux s’accompagnait d’une guitare, ce qui n’est pas encore ridicule à Vienne, et se donnait des poses de ménestrel. Je le pris à part en lui confiant ma situation. « Mais tu ne sais pas, me dit-il, que c’est aujourd’hui la Saint-Sylvestre...
— Oh ! c’est juste, m’écriai-je en apercevant sur la cheminée de Rosa une magnifique garniture de vases remplis de fleurs. Alors, je n’ai plus qu’à me percer le cœur, ou à m’en aller faire un tour vers l’île Lobau, là où se trouve la plus forte branche du Danube...
— Attends encore », dit-il en me saisissant le bras.
Nous sortîmes. Il me dit :
« J’ai sauvé ceci des mains de Dalilah... Tiens, voilà deux écus d’Autriche ; ménage-les bien, et tâche de les garder intacts jusqu’à demain, car c’est le grand jour. »
Je traversai les glacis couverts de neige, et je rentrai à Leopoldstadt, où je demeurais chez des blanchisseuses. J’y trouvai une lettre qui me rappelait que je devais participer à une brillante représentation où assisterait une partie de la cour et de la diplomatie. Il s’agissait de jouer des charades. Je pris mon rôle avec humeur, car je ne l’avais guère étudié. La Kathi vint me voir, souriante et parée, bionda e grassota, comme toujours, et me dit des choses charmantes dans son patois mélangé de morave et de vénitien. Je ne sais trop quelle fleur elle portait à son corsage, et je voulus l’obtenir de son amitié. Elle me dit d’un ton que je ne lui avais pas connu encore :
— Jamais pour moins de zehn gulden Conventionsgulden mit [Jahreszahl] ! (de dix florins en monnaie de convention) ».
Je fis semblant de ne pas comprendre. Elle s’en alla furieuse, et me dit qu’elle irait trouver son vieux baron, qui lui donnerait de plus riches étrennes.
Me voilà libre. Je descends le faubourg en étudiant mon rôle, que je tenais à la main. Je rencontrai Wahby la Bohême, qui m’adressa un regard languissant et plein de reproches. Je sentis le besoin d’aller dîner à la Porte-Rouge, et je m’inondai l’estomac d’un tokkaï rouge à trois kreutzers le verre, dont j’arrosai des côtelettes grillées, du wurschell et un entremets d’escargots.
Les boutiques illuminées regorgeaient de visiteuses, et mille fanfreluches, bamboches et poupées de Nuremberg grimaçaient aux étalages, accompagnées d’un concert enfantin de tambours de basque et de trompettes de fer-blanc.
— Diable de conseiller intime de sucre candi ! » m’écriai-je en souvenir d’Hoffmann, et je descendis rapidement les degrés usés de la taverne des Chasseurs. On chantait la Revue nocturne du poète Zedlitz. La grande ombre de l’Empereur planait sur l’assemblée joyeuse, et je fredonnais en moi-même : « O Richard !... »
Une fille charmante m’apporta un verre de baierisch-bier, et je n’osai l’embrasser parce que je songeais au rendez-vous du lendemain.
Je ne pouvais tenir en place. J’échappai à la joie tumultueuse de la taverne, et j’allai prendre mon café au Graben. En traversant la place Saint-Étienne, je fus reconnu par une bonne vieille décrotteuse, qui me cria, selon son habitude : « S..... n.. de D... ! » seul mot français qu’elle eût retenu de l’invasion impériale.
Cela me fit songer à la représentation du soir ; car autrement, je serais allé m’incruster dans quelque stalle du théâtre de la Porte-de-Carinthie, où j’avais l’usage d’admirer beaucoup Mlle Lutzer. Je me fis cirer, car la neige avait fort détérioré ma chaussure.
Une bonne tasse de café me remit en état de me présenter au palais. Les rues étaient pleines de Lombards, de Bohêmes et de Hongrois en costumes. Les diamants, les rubis et les opales étincelaient sur leur poitrine, et la plupart se dirigeaient vers la Burg, pour aller offrir leurs hommages à la famille impériale.
Je n’osai me mêler à cette foule éclatante ; mais le souvenir chéri de l’autre*** me protégea encore contre les charmes de l’artificieuse Pandora.
On me fit remarquer au palais de France que j’étais fort en retard. La Pandora dépitée s’amusait à faire faire l’exercice à un vieux baron et à un jeune prince grotesquement vêtu en étudiant de carnaval. Ce jeune renard avait dérobé à l’office une chandelle des six dont il s’était fait un poignard. Il en menaçait les tyrans en déclamant des vers de tragédie et en invoquant l’ombre de Schiller.
Pour tuer le temps, on avait imaginé de jouer une charade à l’impromptu. — Le mot de la première était Maréchal. Mon premier c’est Marée. — Vatel, sous les traits d’un jeune attaché d’ambassade, prononçait un soliloque avant de se plonger dans le cœur la pointe de son épée de gala. Ensuite, un aimable diplomate rendait visite à la dame de ses pensées ; il avait un quatrain à la main et laissait percer la frange d’un schall dans la poche de son habit. « Assez, suspends ! » (sur ce pan) disait la maligne Pandora en tirant à elle le cachemire vrai-Biétry, qui se prétendait tissu de Golconde.
Elle dansa ensuite le pas du schall avec une négligence adorable. Puis la troisième scène commença et l’on vit apparaître un illustre Maréchal coiffé du chapeau historique.
On continua par une autre charade dont le mot était Mandarin. — Cela commençait par un mandat, qu’on me fit signer, et où j’inscrivis le nom glorieux de Macaire (Robert), baron des Adrets, époux en secondes noces de la trop sensible Éloa. Je fus très applaudi dans cette bouffonnerie. Le second terme de la charade était Rhin. On chanta les vers d’Alfred de Musset. Le tout amena naturellement l’apparition d’un véritable Mandarin drapé d’un cachemire, qui, les jambes croisées, fumait paresseusement son houka.
Il fallut encore que la séduisante Pandora nous jouât un tour de sa façon. Elle apparut en costume des plus légers, avec un caraco blanc brodé de grenats et une robe volante d’étoffe écossaise. Ses cheveux nattés en forme de lyre se dressaient sur sa tête brune ainsi que deux cornes majestueuses. Elle chanta comme un ange la romance de Déjazet : « Je suis Tchin Ka !... »
On frappa enfin les trois coups pour le proverbe intitulé Madame Sorbet. Je parus en comédien de province, comme le Destin dans le Roman comique. Ma froide Étoile s’aperçut que je ne savais pas un mot de mon rôle et prit plaisir à m’embrouiller. Le sourire glacé des spectatrices accueillit mes débuts et me remplit d’épouvante. En vain le vicomte s’exténuait à me souffler les belles phrases perlées de M. Théodore Leclercq, je fis manquer la représentation.
De colère, je renversai le paravent, qui figurait un salon de campagne. — Quel scandale ! — Je m’enfuis du salon à toutes jambes, bousculant, le long des escaliers, des foules d’huissiers à chaînes d’argent et d’heiduques galonnés, et, m’attachant des pattes de cerf, j’allai me réfugier honteusement dans la taverne des Chasseurs.
Là, je demandai un pot de vin nouveau, que je mélangeai d’un pot de vin vieux, et j’écrivis à la déesse une lettre de quatre pages, d’un style abracadabrant. Je lui rappelais les souffrances de Prométhée, quand il mit au jour une créature aussi dépravée qu’elle. Je critiquai sa boîte à malice et son ajustement de bayadère. J’osai même m’attaquer à ses pieds serpentins, que je voyais passer insidieusement sous sa robe. — Puis j’allai porter la lettre à l’hôtel où elle demeurait
Sur quoi je retournai à mon petit logement de Leopoldstadt, où je ne pus dormir de la nuit. Je la voyais dansant toujours avec deux cornes d’argent ciselé, agitant sa tête empanachée, et faisant onduler son col de dentelles gaufrées sur les plis de sa robe de brocart.
Qu’elle était belle en ses ajustemens de soie et de pourpre levantine, faisant luire insolemment ses blanches épaules, huilées de la sueur du monde. Je la domptai en m’attachant désespérément à ses cornes et je crus reconnaître en elle l’altière Catherine, impératrice de toutes les Russies. J’étais, moi, le prince de Ligne, — et elle ne fit pas de difficultés de m’accorder la Crimée, ainsi que l’emplacement de l’ancien temple de Thoas. — Je me trouvai tout à coup moelleusement assis sur le trône de Stamboul.
— Malheureuse ! lui dis-je, nous sommes perdus par ta faute, et le monde va finir ! Ne sens-tu pas qu’on ne peut plus respirer ici ? L’air est infecté de tes poisons, et la dernière bougie qui nous éclaire encore tremble et pâlit déjà au souffle impur de nos haleines... De l’air ! de l’air !... Nous périssons !
— Mon seigneur, cria-t-elle nous n’avons à vivre que sept mille ans. Cela fait encore mille cent quarante...
— Septante-sept mille ! lui dis-je, et des millions d’années en plus : tes nécromans se sont trompés !...
Alors elle s’élança, rajeunie, des oripeaux qui la couvraient, et son vol se perdit dans le ciel pourpré du lit à colonnes. Mon esprit flottant voulut en vain la suivre : elle avait disparu pour l’éternité. J’étais en train d’avaler quelques pépins de grenade. Une sensation douloureuse succéda dans ma gorge à cette distraction. Je me trouvais étranglé. On me trancha la tête, qui fut exposée à la porte du sérail et j’étais mort tout de bon, si un perroquet passant à tire d’aile, n’eût avalé quelques-uns des pépins de grenade que j’avais rejetés.
Il me transporta à Rome sous les berceaux fleuris de la treille du Vatican , où la belle Impéria trônait à la table sacrée, entourée d’un conclave de cardinaux. A l’aspect des plats d’or, je me sentis revivre, et je lui dis : « Je te reconnais bien, Jésabel ! »
Puis un craquement se fit dans la salle. C’était l’annonce du Déluge, opéra en 3 actes. Il me sembla alors que mon esprit perçait la terre, et, traversant à la nage les bancs de corail de l’Océanie et la mer pourprée des tropiques, je me trouvai jeté sur la rive ombragée de l’île des Amours. C’était la plage de Taïti. Trois jeunes filles m’entouraient et me faisaient peu à peu revenir. Je leur adressai la parole. Elles avaient oublié la langue des hommes : « Salut mes sœurs du Ciel », leur dis-je en souriant.
Je me jetai hors du lit comme un fou, – il faisait grand jour ; il fallait attendre jusqu’à midi pour aller savoir l’effet de ma lettre. La Pandora dormait encore quand j’arrivai chez elle. Elle bondit de joie et me dit : « Allons au Prater, je vais m’habiller. » Pendant que je l’attendais dans son salon, le prince *** frappa à la porte, et me dit qu’il revenait du château. Je l’avais cru dans ses terres. — Il me parla longtemps de sa force à l’épée, et de certaines rapières dont les étudiants du Nord se servent dans leurs duels. Nous nous escrimions dans l’air, quand notre double étoile apparut. Ce fut alors à qui ne sortirait pas du salon. Ils se mirent à causer dans une langue que j’ignorais ; mais je ne lâchai pas un pouce de terrain. Nous descendîmes l’escalier tous trois ensemble, et le prince nous accompagna jusqu’à l’entrée du Kohlmarkt.
« Vous avez fait de belles choses, me dit-elle, voilà l’Allemagne en feu pour un siècle. »
Je l’accompagnai chez son marchand de musique, et, pendant qu’elle feuilletait des albums, je vis accourir le vieux marquis en uniforme de magyar, mais sans bonnet, qui s’écriait : « Quelle imprudence ! les deux étourdis vont se tuer pour l’amour de vous ! » Je brisai cette conversation ridicule en faisant avancer un fiacre. La Pandora donna l’ordre de toucher Dorothée-gasse, chez sa modiste. Elle y resta enfermée une heure, puis elle dit en sortant : « Je ne suis entourée que de maladroits. — Et moi ? observai-je humblement. — Oh vous ! vous avez le numéro un. — Merci ! répliquai-je. »
Je parlais confusément du Prater ; mais le vent avait changé. Il fallut la ramener honteusement à son hôtel, et mes deux écus d’Autriche furent à peine suffisants pour payer le fiacre.
De rage, j’allai me renfermer chez moi, où j’eus la fièvre. Le lendemain matin, je reçus un billet de répétition qui m’enjoignait d’apprendre le rôle de la Vieille, pour jouer la pièce intitulée : Deux mots dans la forêt. — Je me gardai bien de me soumettre à une nouvelle humiliation, et je repartis pour Salzbourg, où j’allai réfléchir amèrement dans l’ancienne maison de Mozart, habitée aujourd’hui par un chocolatier.
Je n’ai revu la Pandora que l’année suivante, dans une froide capitale du Nord. Sa voiture s’arrêta tout à coup au milieu de la grande place, et un sourire divin me cloua sans force sur le sol. « Te voilà encore, enchanteresse, m’écriais-je, et la boîte fatale, qu’en as-tu fait ?
— Je l’ai remplie pour toi, dit-elle, des plus beaux joujoux de Nuremberg. Ne viendras-tu pas les admirer ?
Mais je me pris à fuir à toutes jambes vers la place de la Monnaie. — O fils des dieux, père des hommes ! criait-elle, arrête un peu. C’est aujourd’hui la Saint-Sylvestre comme l’an passé... Où as-tu caché le feu du ciel que tu dérobas à Jupiter ? »
Je ne voulus pas répondre : le nom de Prométhée me déplaît toujours singulièrement, car je sens encore à mon flanc le bec éternel du vautour dont Alcide m’a délivré.
O Jupiter ! quand finira mon supplice ?
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