TEXTES
1824, Poésies diverses (manuscrit autographe)
1824, L’Enterrement de la Quotidienne (manuscrit autographe)
1824, Poésies et poèmes (manuscrit autographe)
1825, « Pour la biographie des biographes » (manuscrit autographe)
15 février 1826 (BF), Napoléon et la France guerrière, chez Ladvocat
6 mai 1826 (BF), Complainte sur l’immortalité de M. Briffaut, par Cadet Roussel, chez Touquet
6 mai 1826 (BF), Monsieur Dentscourt ou le Cuisinier d’un grand homme, chez Touquet
20 mai 1826 (BF), Les Hauts faits des Jésuites, par Beuglant, chez Touquet
12 août 1826 (BF), Épître à M. de Villèle (Mercure de France du XIXe siècle)
11 novembre 1826 (BF), Napoléon et Talma, chez Touquet
13 et 30 décembre 1826 (BF), L’Académie ou les membres introuvables, par Gérard, chez Touquet
16 mai 1827 (BF), Élégies nationales et Satires politiques, par Gérard, chez Touquet
29 juin 1827, La dernière scène de Faust (Mercure de France au XIXe siècle)
28 novembre 1827 (BF), Faust, tragédie de Goëthe, 1828, chez Dondey-Dupré
15 décembre 1827, A Auguste H…Y (Almanach des muses pour 1828)
1828? Faust (manuscrit autographe)
1828? Le Nouveau genre (manuscrit autographe)
mai 1829, Lénore. Ballade allemande imitée de Bürger (La Psyché)
août 1829, Le Plongeur. Ballade, (La Psyché)
octobre 1829, A Schmied. Ode de Klopstock (La Psyché)
24 octobre 1829, Robert et Clairette. Ballade allemande de Tiedge (Mercure de France au XIXe siècle)
21 novembre 1829, Chant de l’épée. Traduit de Korner (Mercure de France au XIXe siècle)
19 décembre 1829, Lénore. Traduction littérale de Bürger (Mercure de France au XIXe siècle)
janvier 1830, La Lénore de Bürger, nouvelle traduction littérale (La Psyché)
16 janvier 1830, Ma Patrie, de Klopstock (Mercure de France au XIXe siècle)
23 janvier 1830, Légende, par Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)
6 février (BF) Poésies allemandes, Klopstock, Goethe, Schiller, Burger (Bibliothèque choisie)
13 février 1830, Les Papillons (Mercure de France au XIXe siècle)
13 février 1830, Appel, par Koerner (1813) (Mercure de France au XIXe siècle)
13 mars 1830, L’Ombre de Koerner, par Uhland, 1816 (Mercure de France au XIXe siècle)
27 mars 1830, La Nuit du Nouvel an d’un malheureux, de Jean-Paul Richter (La Tribune romantique)
29 avril 1830, La Pipe, chanson traduite de l’allemand, de Pfeffel (La Tribune romantique)
13 mai 1830 Le Cabaret de la mère Saguet (Le Gastronome)
mai 1830, M. Jay et les pointus littéraires (La Tribune romantique)
juillet ? 1830, Récit des journées des 27-29 juillet (manuscrit autographe)
14 août 1830, Le Peuple (Mercure de France au XIXe siècle)
11 décembre 1830, A Victor Hugo. Les Doctrinaires (Almanach des muses pour 1831)
29 décembre 1830, La Malade (Le Cabinet de lecture )
29 janvier 1831, Odelette, Le Vingt-cinq mars (Almanach dédié aux demoiselles)
14 mars 1831, En avant, marche! (Cabinet de lecture)
23 avril 1831, Bardit, traduit du haut-allemand (Mercure de France au XIXe siècle)
7 mai 1831, Profession de foi (Mercure de France au XIXe siècle)
25 juin et 9 juillet 1831, Nicolas Flamel, drame-chronique (Mercure de France au XIXe siècle)
4 décembre 1831, Cour de prison, Le Soleil et la gloire (Le Cabinet de lecture)
17 décembre 1831, Fantaisie, odelette (Annales romantiques pour 1832)
24 septembre 1832, La Main de gloire, histoire macaronique (Le Cabinet de lecture)
14 décembre 1834, Odelettes (Annales romantiques pour 1835)
1835-1838 ? Lettres d’amour (manuscrits autographes)
26 mars et 20 juin 1836, De l’Aristocratie en France (Le Carrousel)
20 et 26 mars 1837, De l’avenir de la tragédie (La Charte de 1830)
12 août 1838, Les Bayadères à Paris (Le Messager)
18 septembre 1838, A M. B*** (Le Messager)
2 octobre 1838, La ville de Strasbourg. A M. B****** (Le Messager)
26 octobre 1838, Lettre de voyage. Bade (Le Messager)
31 octobre 1838, Lettre de voyage. Lichtenthal (Le Messager)
24 novembre 1838, Léo Burckart (manuscrit remis à la censure)
25, 26 et 28 juin 1839, Le Fort de Bitche. Souvenir de la Révolution française (Le Messager)
13 juillet 1839 (BF) Léo Burckart, chez Barba et Desessart
19 juillet 1839, « Le Mort-vivant », drame de M. de Chavagneux (La Presse)
15 et 16-17 août 1839, Les Deux rendez-vous, intermède (La Presse)
17 et 18 septembre 1839, Biographie singulière de Raoul Spifamme, seigneur des Granges (La Presse)
28 janvier 1840, Lettre de voyage I (La Presse)
25 février 1840, Le Magnétiseur
5 mars 1840, Lettre de voyage II (La Presse)
8 mars 1840, Lettre sur Vienne (L’Artiste)
26 mars 1840, Lettre de voyage III (La Presse)
28 juin 1840, Lettre de voyage IV, Un jour à Munich (La Presse)
18 juillet 1840 (BF) Faust de Goëthe suivi du second Faust, chez Gosselin
26 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort I (La Presse)
29 juillet, 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort II (La Presse)
30 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort III (La Presse)
11 février 1841, Une Journée à Liège (La Presse)
18 février 1841, L’Hiver à Bruxelles (La Presse)
1841 ? Première version d’Aurélia (feuillets autographes)
février-mars 1841, Lettre à Muffe, (sonnets, manuscrit autographe)
1841 ? La Tête armée (manuscrit autographe)
mars 1841, Généalogie dite fantastique (manuscrit autographe)
1er mars 1841, Jules Janin, Gérard de Nerval (Journal des Débats)
5 mars 1841, Lettre à Edmond Leclerc
7 mars 1841, Les Amours de Vienne (Revue de Paris)
31 mars 1841, Lettre à Auguste Cavé
11 avril 1841, Mémoires d’un Parisien. Sainte-Pélagie en 1832 (L’Artiste)
9 novembre 1841, Lettre à Ida Ferrier-Dumas
novembre? 1841, Lettre à Victor Loubens
10 juillet 1842, Les Vieilles ballades françaises (La Sylphide)
15 octobre 1842, Rêverie de Charles VI (La Sylphide)
24 décembre 1842, Un Roman à faire (La Sylphide)
19 et 26 mars 1843, Jemmy O’Dougherty (La Sylphide)
11 février 1844, Une Journée en Grèce (L’Artiste)
10 mars 1844, Le Roman tragique (L’Artiste)
17 mars 1844, Le Boulevard du Temple, 1re livraison (L’Artiste)
31 mars 1844, Le Christ aux oliviers (L’Artiste)
5 mai 1844, Le Boulevard du Temple 2e livraison (L’Artiste)
12 mai 1844, Le Boulevard du Temple, 3e livraison (L’Artiste)
2 juin 1844, Paradoxe et Vérité (L’Artiste)
30 juin 1844, Voyage à Cythère (L’Artiste)
28 juillet 1844, Une Lithographie mystique (L’Artiste)
11 août 1844, Voyage à Cythère III et IV (L’Artiste)
15 septembre, Diorama (L’Artiste-Revue de Paris)
29 septembre 1844, Pantaloon Stoomwerktuimaker (L’Artiste)
20 octobre 1844, Les Délices de la Hollande I (La Sylphide)
8 décembre 1844, Les Délices de la Hollande II (La Sylphide)
16 mars 1845, Pensée antique (L’Artiste)
19 avril 1845 (BF), Le Diable amoureux par J. Cazotte, préface de Nerval, chez Ganivet
1er juin 1845, Souvenirs de l’Archipel. Cérigo (L’Artiste-Revue de Paris)
6 juillet 1845, L’Illusion (L’Artiste-Revue de Paris)
5 octobre 1845, Strasbourg (L’Artiste-Revue de Paris)
novembre-décembre 1845, Le Temple d’Isis. Souvenir de Pompéi (La Phalange)
28 décembre 1845, Vers dorés (L’Artiste-Revue de Paris)
1er mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste I (L’Artiste-Revue de Paris)
15 mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste II (L’Artiste-Revue de Paris)
1er mai 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne (Revue des Deux Mondes)
17 mai 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste III (L’Artiste-Revue de Paris)
12 juillet 1846 Sensations d’un voyageur enthousiaste IV (L’Artiste-Revue de Paris)
16 août 1846, Un Tour dans le Nord. Angleterre et Flandre (L’Artiste-Revue de Paris)
30 août 1846, De Ramsgate à Anvers (L’Artiste-Revue de Paris)
20 septembre 1846, Une Nuit à Londres (L’Artiste-Revue de Paris)
1er novembre 1846, Un Tour dans le Nord III (L’Artiste-Revue de Paris)
22 novembre 1846, Un Tour dans le Nord IV (L’Artiste-Revue de Paris)
15 décembre 1846, Scènes de la vie égyptienne moderne. La Cange du Nil (Revue des Deux Mondes)
1847, Scénario des deux premiers actes des Monténégrins
15 février 1847, La Santa-Barbara. Scènes de la vie orientale (Revue des Deux Mondes)
15 mai 1847, Les Maronites. Un Prince du Liban (Revue des Deux Mondes)
15 août 1847, Les Druses (Revue des Deux Mondes)
17 octobre 1847, Les Akkals (Revue des Deux Mondes)
21 novembre 1847, Souvenirs de l’Archipel. Les Moulins de Syra (L’Artiste-Revue de Paris)
15 juillet 1848, Les Poésies de Henri Heine (Revue des Deux Mondes)
15 septembre 1848, Les Poésies de Henri Heine, L’Intermezzo (Revue des Deux Mondes)
1er-27 mars 1849, Le Marquis de Fayolle, 1re partie (Le Temps)
26 avril 16 mai 1849, Le Marquis de Fayolle, 2e partie (Le Temps)
6 octobre 1849, Le Diable rouge (Almanach cabalistique pour 1850)
7 mars-19 avril 1850, Les Nuits du Ramazan (Le National)
15 août 1850, Les Confidences de Nicolas, 1re livraison (Revue des Deux Mondes)
26 août 1850, Le Faust du Gymnase (La Presse)
1er septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 2e livraison (Revue des Deux Mondes)
9 septembre 1850, Excursion rhénane (La Presse)
15 septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 3e livraison (Revue des Deux Mondes)
18 et 19 septembre 1850, Les Fêtes de Weimar (La Presse)
1er octobre 1850, Goethe et Herder (L’Artiste-Revue de Paris)
24 octobre-22 décembre 1850, Les Faux-Saulniers (Le National)
29 décembre 1850, Les Livres d’enfants, La Reine des poissons (Le National)
novembre 1851, Quintus Aucler (Revue de Paris)
24 janvier 1852 (BF), L’Imagier de Harlem, Librairie théâtrale
15 juin 1852, Les Fêtes de mai en Hollande (Revue des Deux Mondes)
1er juillet 1852, La Bohême galante I (L’Artiste)
15 juillet 1852, La Bohême galante II (L’Artiste)
1er août 1852, La Bohême galante III (L’Artiste)
15 août 1852, La Bohême galante IV (L’Artiste)
21 août 1852 (BF), Lorely. Souvenirs d’Allemagne, chez Giraud et Dagneau (Préface à Jules Janin)
1er septembre 1852, La Bohême galante V (L’Artiste)
15 septembre 1852, La Bohême galante VI (L’Artiste)
1er octobre 1852, La Bohême galante VII (L’Artiste)
9 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 1re livraison (L’Illustration)
15 octobre 1852, La Bohême galante VIII (L’Artiste)
23 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 2e livraison (L’Illustration)
30 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 3e livraison (L’Illustration)
1er novembre 1852, La Bohême galante IX (L’Artiste)
6 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 4e livraison (L’Illustration)
13 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 5e livraison (L’Illustration)
15 novembre 1852, La Bohême galante X (L’Artiste)
20 novembre 1852, Les Illuminés, chez Victor Lecou (« La Bibliothèque de mon oncle »)
1er décembre 1852, La Bohême galante XI (L’Artiste)
15 décembre 1852, La Bohême galante XII (L’Artiste)
1er janvier 1853 (BF), Petits Châteaux de Bohême. Prose et Poésie, chez Eugène Didier
15 août 1853, Sylvie. Souvenirs du Valois (Revue des Deux Mondes)
14 novembre 1853, Lettre à Alexandre Dumas
25 novembre 1853-octobre 1854, Lettres à Émile Blanche
10 décembre 1853, Alexandre Dumas, Causerie avec mes lecteurs (Le Mousquetaire)
17 décembre 1853, Octavie (Le Mousquetaire)
1853-1854, Le Comte de Saint-Germain (manuscrit autographe)
28 janvier 1854 (BF) Les Filles du feu, préface, Les Chimères, chez Daniel Giraud
31 octobre 1854, Pandora (Le Mousquetaire)
25 novembre 1854, Pandora, épreuves du Mousquetaire
Pandora, texte reconstitué par Jean Guillaume en 1968
Pandora, texte reconstitué par Jean Senelier en 1975
30 décembre 1854, Promenades et Souvenirs, 1re livraison (L’Illustration)
1854 ? Sydonie (manuscrit autographe)
1854? Emerance (manuscrit autographe)
1854? Promenades et Souvenirs (manuscrit autographe)
janvier 1855, Oeuvres complètes (manuscrit autographe)
1er janvier 1855, Aurélia ou le Rêve et la Vie (Revue de Paris)
6 janvier 1855, Promenades et Souvenirs, 2e livraison (L’Illustration)
3 février 1855, Promenades et Souvenirs, 3e livraison (L’Illustration)
15 février 1855, Aurélia ou Le Rêve et la Vie, seconde partie (Revue de Paris)
15 mars 1855, Desiderata (Revue de Paris)
1866, La Forêt noire, scénario
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BF: annonce dans la Bibliographie de la France
Manuscrit autographe: manuscrit non publié du vivant de Nerval
6 mai 1826 – la Bibliographie de la France, enregistre la publication de Monsieur Dentscourt, ou le cuisinier d’un grand homme, Tableau politique à propos de lentilles, par Beuglant, poète et ami de Cadet-Roussel, auteur de la fameuse « Complainte sur la Mort du Droit d’aînesse », Paris, Touquet, galerie Vivienne, 1826.
Première des trois petites pièces satiriques contre le parti ultra, Monsieur Dentscourt met en scène (et en alexandrins) M. Dentscourt, chef cuisinier d'un politicien véreux (entendez Villèle). Malgré les mises en garde de son frère cadet, d'opinion libérale, M. Dentscourt, nouvel Esaü qui perdit ainsi son droit d'aînesse, doit obéir aux ordres de son maître en servant à dîner aux députés qui vont voter la loi rétablissant le fameux droit, un plat de lentilles. Le résultat ne se fait pas attendre : les députés humiliés passent à l'opposition, et la loi ne sera pas votée.
Voir la notice LES ANNÉES CHARLEMAGNE
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MONSIEUR DENTSCOURT, OU LE CUISINIER D'UN GRAND HOMME
Avis de l'éditeur
Cette œuvre poétique, purgée par un malin de toutes les incongruités grammaticales contre la grammaire, se vend cinq sous pour les amateurs, et pour le public vingt-cinq centimes seulement.
PERSONNAGES
M. Dentscourt aîné, cuisinier.
Son frère cadet.
Un gros monsieur.
Le sous-chef de cuisine.
Troupe de cuisiniers et fournisseurs.
Le théâtre représente une grande cuisine : au-dessus de la porte est inscrit : « Bureaux culinaires, Ire division ». La scène est remplie de cuisiniers, marmitons, etc. M. Dentscourt est assis, le noble bonnet de coton en tête, deux fourneaux brûlent auprès de lui en guise de cassolettes. Les fournisseurs, chargés de vivres, défilent devant lui. ⎼ Magnifique exposition dans le genre de celle du premier acte de Léonidas.
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SCÈNE PREMIÈRE
M. DENTSCOURT, SON FRÈRE CADET, LE SOUS-CHEF, CUISINIERS,
FOURNISSEURS, MARMITONS, &C.
Le Sous-chef.
Puisque l'astre éclatant qui nous donne le jour,
D'un repas solennel annonce le retour,
Chef, nous venons en toi présenter notre hommage
Au ministre puissant dont ta gloire est l'image.
M. Dentscourt.
Cuisiniers, fournisseurs, je suis content de vous :
Nos affaires vont bien, en dépit des jaloux ;
Et d'excellens dîners, remèdes efficaces,
De nos derniers échecs ont effacé la trace ;
Quelques mauvais esprits ont en vain prétendu
Que nous dévorons tout, que l'Etat est perdu,
Que notre pot-au-feu cuit aux dépens des autres,
Et bientôt cuira seul ; qu'hormis nous et les nôtres,
Tous les Français rentiers perdant leurs capitaux,
Iront, vides de sang, garnir les hôpitaux.
Quelle horreur !… Cependant, qu'ont les Français à craindre ?
De mauvais procédés ils n'ont point à se plaindre (A) :
De tous leurs envoyés nous nous sommes chargés ;
Ne sont-ils pas nourris, et quelquefois logés ?
Et n'avons-nous pas même, en mainte circonstance,
Offert de les blanchir, s'ils ne l'étaient d'avance ?
Qui, comme nous encor, avec un tel succès,
A su faire fleurir le commerce français ?
Les vins que la province en nos celliers envoie,
Ces produits de Strasbourg, de Bayonne et de Troie,
De toute autre cuisine orgueilleux ornemens,
Ne sont de nos valets que les vils alimens.
Des mets plus délicats à nos palais conviennent ;
Du Périgord jaloux les fruits nous appartiennent.
Ces fruits, que le gourmet sait priser aujourd'hui,
L'étranger voudrait bien les emporter chez lui :
Mais il ne l'aura point, cette plante chérie,
Ce précieux produit du sol de la patrie !
Français ! gardons nos droits, frustrons-en nos voisins ;
C'est assez qu'on leur donne et nos blés et nos vins.
Non, ces mets délicats que nous offre la terre,
N'iront point engraisser les porcs de l'Angleterre :
Les nôtres désormais en auront le régal ;
Montrons que nous avons l'esprit national !
Ces bienfaits éclatans qu'à peine on apprécie,
Contre notre puissance ont éveillé l'envie ;
De nos bruyant amis l'héroïque valeur,
Contre tant d'ennemis, sent glacer son ardeur :
Monseigneur au lever m'a fait avec prudence,
Dans son appartement, admettre en sa présence ;
Et maîtrisant à peine un trop juste courroux :
« Il est temps, m'a-t-il dit, de frapper les grands coups,
De plus puissans efforts sont enfin nécessaires ;
Assemble, ce matin, mes bureaux culinaires,
Je veux, désappointant mes nombreux ennemis,
D'un splendide repas réveiller mes amis.
Tu sais, ainsi que moi, que ces messieurs du centre
Sont des gens de tout cœur, mais ont le cœur au ventre.
Trop long-temps par un mets à grands frais acheté,
Nous avons cru flatter leur sensualité :
Leurs palais sont usés ; leur goût blasé sommeille ;
Il nous faut inventer un mets qui le réveille.
Il m'est venu, Dentscourt, un singulier projet :
Je ne redoute point d'en gonfler mon budget ;
Je m'appauvrirais peu par de telles vétilles :
Le mets qu'il faut offrir, c'est… - Eh quoi ? ⎼ Des lentilles.
⎼ Des lentilles ! grand Dieu ! repris-je, tout surpris.
⎼ Oui, Dentscourt ; tous diront que le mets est exquis.
Mais les montrer à nu serait une imprudence :
Il faut adroitement en sauver l'apparence.
⎼ Je comprends, Monseigneur, ai-je alors répondu ;
Je vais me signaler, et tout n'est pas perdu.
On verra si mon art brave les destinées,
Ou si, dans les fourneaux, j'ai perdu trente années ! »
Cuisiniers, fournisseurs, l'honneur en est à nous :
Votre zèle m'annonce un triomphe bien doux.
Trop long-temps dans nos murs a régné l'anarchie,
Ces temps-là reviendraient ; sauvons la monarchie !
Et que notre bourgeois, grandi par nos succès,
Soit le restaurateur du royaume français.
De nos amis, qu'arrête une indigne épouvante,
Gorgeons la conscience affamée et béante ;
Et comme au triple chien qui garde les damnés,
Jetons-lui la pâtée et les gâteaux sacrés !
Ils sortent.
______
SCÈNE II
M. DENTSCOURT, SON FRÈRE CADET
Le Cadet.
Mon frère, embrassez-moi ; pour mon cœur quelle fête
De vous revoir ici, quand si long-temps…
M. Dentscourt.
Arrête !
Chapeau bas, mon cadet, devant ton frère aîné !
Tu vois de quels honneurs je marche environné.
Le Cadet.
Il est vrai : quel éclat ! quelle magnificence !
Jusqu'où d'un cuisinier peut aller la puissance !
Mon frère, est-ce bien vous que je vis autrefois,
Maigre subordonné d'un cuisinier bourgeois,
Récurer les chaudrons et laver les assiettes ?
Les temps sont bien changés !
M. Dentscourt.
Ignorant que vous êtes !
Dans l'état où jadis le sort m'avait jeté,
Un cuistre comme vous serait toujours resté :
Moi, j'en ai su bientôt laver l'ignominie,
Il n'est point d'état vil pour l'homme de génie ;
Afin de s'élever, il faut ramper, dit-on :
On devient cuisinier, mais on naît marmiton.
Long-temps je végétai dans cette classe obscure,
Où, comme en un creuset, me jeta la nature ;
Mais un feu, plus ardent que celui des fourneaux,
Vint épurer en moi des sentimens nouveaux.
Nous étions dans un temps où de nobles cuisines
Effrayèrent les yeux de leurs vastes ruines.
Voyant de possesseurs tant de tables changer,
Le peuple qui jeûnait crut avoir à manger :
Mais les nouvelles dents n'étaient pas moins actives :
Ces grandes tables-là sont pour peu de convives ;
L'un tient la poêle à frire, et puis le peuple cuit.
Alors on nous disait que les hommes sont frères,
Que les distinctions ne sont qu'imaginaires,
Et que, si le destin l'environne d'éclat,
L'homme le doit à soi, mais non à son état (B)
Et je me dis : « Il faut que je sois quelque chose » ;
Et de peur qu'à ma gloire un obstacle s'oppose,
Je transporte en un lieu plus propre à mon emploi,
Les dieux de mon foyer, mon art sublime et moi.
Je pars de la Gascogne, et… Mais ma vie entière
Serait à te conter une trop longue affaire.
Qu'il me suffise donc de te dire qu'enfin,
Quelquefois malheureux, mais bravant le destin
Et sans être jamais du parti qu'on opprime,
Je changeai de ragoût ainsi que de régime.
Mais après la journée où certain grand brouillon,
Pour l'avoir trop chauffé, but un mauvais bouillon,
Un noble personnage, où j'étais fort à l'aise,
Se sentant prêt à cuire, et les pieds sur la braise,
Sans rien dire à ses gens, s'enfuit à l'étranger,
Me laissant lourd de graisse, et d'argent fort léger.
Alors je m'accostai d'un homme à maigre trogne,
Tout récemment encor arrivé de Gascogne,
Audacieux, fluet, médiocre et rampant,
Toujours grand ennemi du premier occupant,
Très vide de vertu, mais gonflé d'espérance,
Qui sur sa route avait laissé sa conscience,
Comme un poids incommode à qui fait son chemin.
Le poids n'était pas lourd, il est vrai ; mais enfin,
A ravoir le paquet, comme il pouvait prétendre,
Bientôt, grâce à mes soins, il en eut à revendre.
Je ne te dirai pas nos immenses succès,
Si de notre destin nous sommes satisfaits,
Si nous savons flatter les appétis des hommes :
Lève les yeux, cadet, et vois ce que nous sommes !
Jusqu'au faîte élevé, par mes nobles travaux,
Monseigneur a dompté ses plus fameux rivaux.
L'un d'eux, plus rodomont, voulait faire le crâne ;
Mais nous avons prouvé que ce n'était qu'un âne :
Et, comme il refusait d'aller à sa façon,
Monseigneur l'a chassé comme un petit garçon.
Puis, étouffant enfin d'audacieux murmures,
Nous avons en tous lieux semé nos créatures :
Comme les spectateurs ne battaient pas des mains,
Nous avons au parterre envoyé des romains.
En vain quelques railleurs attaquaient notre empire,
Nous les avons, sous main, muselés sans rien dire.
Rien ne peut maintenant borner notre crédit ;
Sur le ventre fondé, nourri par l'appétit,
L'appétit, roi du monde, et d'autant plus terrible
Qu'il cache au fond des cœurs sa puissance invisible.
Le Cadet.
Je conviens qu'un tel sort peut avoir des appas ;
Mais un abîme s'ouvre, et bâille sous vos pas :
La France trop long-temps a tremblé sous un homme,
Son pouvoir abattu…
M. Dentscourt.
Mais il faudra voir comme.
Le Cadet.
Eh bien, nous le verrons ; il n'est pas très aimé ;
Le peuple, contre lui, dès long-temps animé,
Portant au pied du trône une plainte importune…
M. Dentscourt.
Et comptes-tu pour rien César et sa fortune ?
Me comptes-tu pour rien moi-même ? et nos amis
A nos moindres désirs ne sont-ils pas soumis ?
Le Cadet.
Ne comptez pas sur eux, si le sort vous traverse.
Amis du pot-au-feu, tous fuiront, s'il renverse.
Tremblez qu'un grand échec n'abaisse votre ton
Car… Plus d'un grand ministre est mort à Montfaucon.
M. Dentscourt.
Il faut faire une fin ; et pour nous quelle gloire,
Quand la postérité lira dans notre histoire :
« Ces deux héros sont morts ; la France les pleura,
L'un fut grand diplomate (C), et l'autre… »
Le Cadet.
Et coetera.
L'histoire sur son compte en aurait trop à dire :
Pensons-le seulement, gardons-nous de l'écrire.
M. Dentscourt.
Qu'entendez-vous par là ? Pas tant de libertés,
Cadet : on n'aime point toutes les vérités ;
Mais on doit avouer que sa digne excellence
Sait fort bien travailler un royaume en finance :
On se plaint qu'en ses mains, sans s'en apercevoir,
Le monarque trompé laisse trop de pouvoir :
Mais on sait que jadis, sur un autre rivage,
De l'art d'administrer il fit l'apprentissage ;
Ainsi…
Le Cadet.
Je sais fort bien que ton maître autrefois
Fit la traite des noirs, et leur donna des lois :
Belle preuve !
M. Dentscourt.
Oh ! très belle : il est homme de tête ;
Mais en ce moment-ci, ce sont les blancs qu'il traite :
Et l'on peut demander à tous nos invités
Si je ne suis qu'un cuistre, et s'ils sont bien traités.
Le Cadet.
Mais le peuple l'est mal ; et bientôt sa misère
Demandera du pain aux gens du ministère ;
Ou dans son désespoir, pour recouvrer son bien,
Il les menacera…
M. Dentscourt.
Nous ne redoutons rien.
Par nos soins rétabli, Montrouge nous protège ;
Montrouge protégé par le Sacré Collège,
Montrouge triomphant, et qui, malgré vos cris,
Envahit pied à pied le pavé de Paris ;
Ce grand ordre, qu'à peine on a senti renaître,
Dans nos murs étonnés s'élève et rentre en maître ;
Et bientôt ses enfans, armés de nouveaux fers,
Vont dévorer Paris, la France et l'univers !
Ignobile vulgus, tremblez !
Le Cadet.
Tremblez vous-même !
On a long-temps souffert votre insolence extrême ;
Mais on vous montrera, de la bonne façon,
Que la majorité n'a pas toujours raison ;
Et les Français, bravant vos pouvoirs arbitraires,
Se plaindront… Le monarque entendra leurs prières.
M. Dentscourt.
Ceci ne se peut faire au temps où nous voilà :
Si vous voulez crier, les gendarmes sont là !
Des mouchards décorés, ou portant des soutanes,
Empoignent, dans leur vol, les paroles profanes.
Nous irons droit au but que nous nous proposons :
D'ailleurs, nous vous donnons les meilleures raisons ;
Dans notre coffre-fort, si nous serrons vos pièces,
C'est pour vous enseigner le mépris des richesses,
Car le bon temps revient, les bons pères aussi.
Gare à vos esprits forts ! ils sentent le roussi.
A tout cela d'ailleurs l'esprit public se prête.
La canaille, il est vrai, comme dit la Gazette,
Fait quelquefois du bruit, et veut montrer les dents :
Mais nous avons pour nous tous les honnêtes gens.
Une dame a marché pieds nus ; une seconde
A voulu l'imiter… Hein ! voilà du grand monde !
Nous avons vu passer un illustre baron,
De la nef d'une église en celle de Caron ;
Et dans chaque soirée, il est de bienséance
D'entendre, avant le bal, sermon et conférence (D).
Ecrivez, maintenant, messieurs les beaux esprits :
Il est certain endroit, dans un coin de Paris,
Où par arrêt de cour, quand ils ont beau ramage
Nous savons faire entrer les oiseaux dans la cage.
Le Cadet.
Ne vous en vantez point : la cour n'est pas pour vous ;
L'équité la conduit, et non votre courroux ;
Déjà, plus d'une fois, sa justice prudente
A détruit les projets que l'artifice enfante ;
Le Tartufe puissant compte sur son appui,
Mais les efforts du vice ont tourné contre lui :
Et vous avez appris que, bravant vos caprices,
La cour rend des arrêts, mais non pas des services.
M. Dentscourt.
Je n'ai rien à répondre à cette raison-là,
Mais nous…
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SCÈNE III
M. DENTSCOURT, SON FRÈRE, LE SOUS-CHEF
Le Sous-chef.
Monsieur le chef, nos invités sont là !
M. Dentscourt.
Déjà ? La cinquième heure à peine au château sonne ;
A cette heure jamais nous n'attendons personne.
Le Sous-chef.
C'est vrai, monsieur le chef ; mais nos nobles amis
Attendaient ce repas, depuis long-temps promis ;
Et même tel d'entr'eux que l'appétit réveille,
Pour y mieux faire honneur, n'avait rien pris la veille.
Vous jugez qu'un discours sur l'impôt des cotons
N'avait nul intérêt pour des gens si profonds :
Non plus qu'un autre encore sur les toiles écrues.
Ensuite un monnayeur a parlé de sangsues ;
« Lesquelles ? » a-t-on dit. - Là-dessus, grands éclats ! -
Tous ont dit : « La clôture ! à demain les débats ! »
Ces débats cependant promettaient des merveilles ;
Mais un ventre affamé, dit-on, n'a point d'oreilles,
Tous ont fui jusqu'ici.
M. Dentscourt.
Eh bien, tout est prévu ;
On ne nous prendra pas, du moins, au dépourvu…
Les lentilles ?…
Le Sous-chef.
C'est prêt : on a mis en purée
Celles que ce matin vous aviez préparées.
M. Dentscourt.
On n'attend plus personne ? Ils sont tous arrivés ?
Le potage est sur table ?
Le Sous-chef.
Oui, tout est prêt.
M. Dentscourt, à la cantonnade.
Servez !
Le Sous-chef sort.
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SCÈNE IV
M. DENTSCOURT, SON FRÈRE
M. Dentscourt.
Mon triomphe s'apprête, et ma gloire s'achève :
On verra si nos plans ne sont point un vain rêve.
Le projet cependant était audacieux,
Le sort en a trahi de moins ambitieux ;
La roche Tarpéienne…
Le Cadet.
Est près du Capitole.
M. Dentscourt.
Mais, si l'on tombe aussi,… c'est du ciel !
Le Cadet.
Ça console.
M. Dentscourt.
Ah bah ! ne craignons rien, nous sommes dans le port.
Il rêve un moment.
Écoute, mon cadet ; je veux te faire un sort ;
Car, quoique parvenu, je suis encor bon frère ;
Je te reçois ici… comme surnuméraire.
Le Cadet.
Où cela conduit-il ?
M. Dentscourt.
A de bons résultats :
C'est comme qui dirait cadet dans les soldats.
Le Cadet.
Il n'en existe plus.
M. Dentscourt.
Nous en verrons encore.
Les aînés n'étaient plus : Monseigneur les restaure.
Ah ! messieurs les cadets, tremblez, vous n'aurez rien.
Mais plutôt, soyez gais, car c'est pour votre bien :
Le monde a, voyez-vous, un attrait bien perfide
Mais la religion vous prend sous son égide.
Vous avez faim ? L'église engraisse ses enfans.
Vous n'avez point d'asile ? Allez dans les couvens :
C'est là que vous pourrez mener vie agréable,
Prier le ciel pour nous qui nous donnons au diable.
Le Cadet.
Comment, mon frère aîné ? voici bien du nouveau !
M. Dentscourt.
Oui, pourquoi t'étonner d'un projet aussi beau ?
Il prendra : tu verras si ma nouvelle est fausse ;
Monseigneur l'a fait cuire, et j'en ai fait la sauce ;
Le dîner, qu'aux ventrus nous offrons aujourd'hui,
A notre noble cause assure leur appui :
Oh ! nous avons compris les besoins de l'époque !
Le Cadet.
On rira, c'est absurde.
M. Dentscourt.
Oh parbleu ! qu'on s'en moque,
Que nous importe à nous ? Les rieurs pleureront :
Comme a dit Mazarin : Ils chantent, ils payeront !
Le Cadet.
Oui, mais nos Pairs sont là (E) ; cette assemblée auguste
Refusera ses voix à ce projet injuste ;
Et les nobles fauteurs et leurs subordonnés,
Resteront à la porte avec un pied de nez.
Va, tôt ou tard le temps confondra l'artifice ;
Nous vivons sous un prince ami de la justice :
Il a déjà montré, par d'équitables lois,
Qu'il soutiendrait la Charte et maintiendrait nos droits ;
Le colosse puissant qui pèse sur la France,
S'écroulera : tous ceux qu'opprime sa puissance,
Contemplant de leur roi la pure majesté,
Se promettront la gloire et la félicité.
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SCÈNE V
M. DENTSCOURT, SON FRÈRE, LE SOUS-CHEF
M. Dentscourt.
Ciel ! qu'as-tu donc, sous-chef ? quel trouble !
Le Sous-chef.
O destinée !
O trop malencontreuse et fatale journée !
M. Dentscourt.
Assieds-toi, conte-nous…
Le Sous-chef, d'un ton tragique.
Infandum !… sed… quanquam…
Meminisse horret, luctu… ⎼ Incipiam !
La soupe n'était plus… et les bouches bourrées
Avaient, sans dire un mot, envahi les entrées ;
Tout à coup, Monseigneur se lève avec éclat,
Et, d'un bras intrépide… il découvre le plat ;
On sert. ⎼ Qu'est-ce ? ⎼ On l'ignore⎼ - Et chacun d'un air louche,
Porte, en la flairant bien, la cuiller à la bouche.
Des lentilles ! ⎼ Grand Dieu ! ⎼ Tout ce monde à ce mot
Frémit. « Nous offre-t-on la fortune du pot,
Se sont-ils écriés ? Quelle horrible imposture !
Nous ont-ils invités pour nous faire une injure ? »
Monseigneur est confus ; ses illustres amis
Regardent l'assemblée avec des yeux surpris ;
L'un oppose à ce bruit, que chaque instant redouble,
Un air indifférent qu'a démenti son trouble ;
Un marin, l'œil fixé sur les deux précédens,
Reste, la bouche ouverte, et la cuiller aux dents ;
Pendant qu'un autre encor, sentant la conséquence,
S'appuyait sur son Turc, et fumait d'importance ;
Enfin, c'est un tumulte !… on se lève en jurant…
Presque tous sont partis… Monsieur l'Indifférent
Fait pour les retenir un effort inutile ;
Et lui-même, en pleurant, suit la foule indocile.
L'après-dînée en vain promettait à la fois
Lecture édifiante et le prince Iroquois ;
Tout s'enfuit… Resté seul, Monseigneur est perplexe,
Et veut…
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SCÈNE VI
LES PRÉCÉDENTS, UN GROS MONSIEUR
Le Monsieur.
Hé, cuisinier, suis-je un homme qu'on vexe !
Croit-on qu'un orateur, qu'on place entre deux feux,
Quand il a bien parlé, n'ait pas le ventre creux ?
Lorsque j'ai mal dîné, ma voix en est aigrie ;
Comme mon estomac, ma conscience crie :
Qui pourra l'apaiser ?… Est-ce pour de tels mets,
Que j'ai de tout Paris bravé les quolibets ;
Que, séduit par l'espoir d'un repas aussi mince,
J'ai trompé tous les vœux que formait ma province !
Et sur tant de sujets, pour calmer mon effroi,
Corbleu ! monsieur le chef, des lentilles à moi !
On ne m'aurait pas fait une pareille injure
Dans les obscurs dîners d'une sous-préfecture.
Quand, nourrissant l'espoir d'un dîner bien complet,
J'avais, avant d'entrer, desserré mon gilet ;
A de pareils affronts aurais-je dû m'attendre ?
A M. Dentscourt qui veut sortir.
Restez, monsieur le chef, restez ! Il faut m'entendre !
Quoique mauvais chrétien, par l'odeur excité,
J'avais dit hautement mon bénédicité !
Tout essoufflé.
Et ces dîners encor, qu'aidé de ses complices,
Monseigneur, l'autre jour, rogna de deux services !…
N'est-ce pas conspirer contre notre estomac ?
Nous avons trop long-temps supporté ce micmac :
De sorte que, pour prix d'un généreux courage,
Nous nous voyons réduits à trois pour tout potage.
Les choses désormais n'en iront point ainsi ;
Et, pour n'y plus rentrer, je m'arrache d'ici.
Il est encor des gens, non séduits par le ventre,
Peu nombreux, il est vrai, mais placés loin du centre…
Je m'en vais, dans un coin, prendre place avec eux,
On y dîne un peu moins, mais on y parle mieux !
Il sort.
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SCÈNE VII ET DERNIÈRE
M. DENTSCOURT, SON FRÈRE, LE SOUS-CHEF
Le Cadet.
Eh bien ! tout est flambé ; qu'en dis-tu, mon cher frère ?
M. Dentscourt.
Quel déchet !
Le Sous-chef.
Monseigneur est en grande colère ;
De son mauvais succès c'est à vous qu'il se prend.
M. Dentscourt.
Et voilà ce que c'est que de servir un grand !
Qu'une vaste entreprise échoue ou réussisse,
Nous en avons les coups, ou lui le bénéfice.
Le Sous-chef.
Redoutez les effets de son premier courroux,
Il sera moins terrible en pesant sur nous tous.
M. Dentscourt.
Oui, vous le dompterez toujours par la famine.
Le Sous-chef.
Très bien !… mais s'il allait supprimer la cuisine ?
M. Dentscourt.
Non, non.
Le Sous-chef.
Je l'aperçois… où fuir ? où vous cacher ?
M. Dentscourt, d'un ton tragique.
Dans les bureaux… Crois-tu qu'il m'y vienne chercher ?
FIN
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(A) C'est vrai, qu'est-ce qu'ils ont donc à rognonner, comme disait un bon père qui n'était pas jésuite ? « Quel f… tintamarre faites-vous donc partout ? à qui diable en voulez-vous donc ? quel démon vous agite, au moment qu'on s'occupe d'améliorer votre sort ! quand on vous f…ait des coups de bâton, vous étiez plus tranquilles, vous receviez la schlague comme des j… f… et maintenant que d'honnêtes gens travaillent à votre bonheur, vous faites un boucan infernal ! » (Sermon VII, du père André, t. II, p. 319, édition de Paris, 1721)
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(B) Homme, ta grandeur sur la terre
N'appartient point à ton état,
Elle est toute à ton caractère.
Tarare, Prologue.
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(C) On dira qu'il est un peu hasardé d'appeler un cuisinier « grand diplomate » : mais je m'appuie de l'exemple de la Nouvelle biographie de la Chambre des députés, par M. Lagarde :
Le cuisinier est tout. En maître de la terre,
Il tient dans ses poêlons et la paix et la guerre,
Fricasse des faveurs, assaisonne un emploi ;
Aux postes imposans ses ragoûts font élire ;
Et c'est lui qui peut vraiment dire :
Place, messieurs, l'Etat, c'est moi !
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(D) Dans les grandes maisons, au lieu de mettre dans une invitation : Il y aura violon, phrase banale, le bon ton est d'écrire : Il y aura conférence, ou bien : Il y aura sermon. Avant le bal, le prédicateur leste et pimpant, prêche en minaudant un sermon sur les vanités du monde, ou autre sujet analogue à la circonstance. Les auditeurs gardent, en entrant, leurs manteaux ; les dames, leurs pelisses ou leurs châles, qui cachent les habits de bal. Le sermon fait, le théâtre change : et les pompes de Satan remplacent les paroles de Dieu.
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(E) Les Pairs ont refusé, à une forte majorité, une loi si injuste, qui cependant leur était favorable et n'était guère faite que pour eux. Les jeunes étudians des écoles de médecine et de droit se sont assemblés pour les remercier ; une telle action devait offenser : et une charge de cavalerie a démontré clairement que c'étaient des séditieux. Bons gendarmes :
Ah ! il n'est plus de fête,
Quand vous n'en êtes pas.
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GÉRARD DE NERVAL - SYLVIE LÉCUYER tous droits réservés @
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