TEXTES

1824, Poésies diverses (manuscrit autographe)

1824, L’Enterrement de la Quotidienne (manuscrit autographe)

1824, Poésies et poèmes (manuscrit autographe)

1825, « Pour la biographie des biographes » (manuscrit autographe)

15 février 1826 (BF), Napoléon et la France guerrière, chez Ladvocat

19, 22 avril, 14 juin (BF), Complainte sur la mort de haut et puissant seigneur le Droit d’aînesse, chez Touquet

6 mai 1826 (BF), Complainte sur l’immortalité de M. Briffaut, par Cadet Roussel, chez Touquet

6 mai 1826 (BF), Monsieur Dentscourt ou le Cuisinier d’un grand homme, chez Touquet

20 mai 1826 (BF), Les Hauts faits des Jésuites, par Beuglant, chez Touquet

12 août 1826 (BF), Épître à M. de Villèle (Mercure de France du XIXe siècle)

11 novembre 1826 (BF), Napoléon et Talma, chez Touquet

13 et 30 décembre 1826 (BF), L’Académie ou les membres introuvables, par Gérard, chez Touquet

16 mai 1827 (BF), Élégies nationales et Satires politiques, par Gérard, chez Touquet

29 juin 1827, La dernière scène de Faust (Mercure de France au XIXe siècle)

28 novembre 1827 (BF), Faust, tragédie de Goëthe, 1828, chez Dondey-Dupré

15 décembre 1827, A Auguste H…Y (Almanach des muses pour 1828)

1828? Faust (manuscrit autographe)

1828? Le Nouveau genre (manuscrit autographe)

mai 1829, Lénore. Ballade allemande imitée de Bürger (La Psyché)

août 1829, Le Plongeur. Ballade, (La Psyché)

octobre 1829, A Schmied. Ode de Klopstock (La Psyché)

24 octobre 1829, Robert et Clairette. Ballade allemande de Tiedge (Mercure de France au XIXe siècle)

14 novembre 1829, Les Bienfaits de l’enseignement mutuel, Procès verbal de la Loge des Sept-Écossais-réunis, chez Bellemain

21 novembre 1829, Chant de l’épée. Traduit de Korner (Mercure de France au XIXe siècle)

12 décembre 1829, La Mort du Juif errant. Rapsodie lyrique de Schubart (Mercure de France au XIXe siècle)

19 décembre 1829, Lénore. Traduction littérale de Bürger (Mercure de France au XIXe siècle)

2 janvier 1830, La Première nuit du Sabbat. Morceau lyrique de Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)

janvier 1830, La Lénore de Bürger, nouvelle traduction littérale (La Psyché)

16 janvier 1830, Ma Patrie, de Klopstock (Mercure de France au XIXe siècle)

23 janvier 1830, Légende, par Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)

6 février (BF) Poésies allemandes, Klopstock, Goethe, Schiller, Burger (Bibliothèque choisie)

13 février 1830, Les Papillons (Mercure de France au XIXe siècle)

13 février 1830, Appel, par Koerner (1813) (Mercure de France au XIXe siècle)

13 mars 1830, L’Ombre de Koerner, par Uhland, 1816 (Mercure de France au XIXe siècle)

27 mars 1830, La Nuit du Nouvel an d’un malheureux, de Jean-Paul Richter (La Tribune romantique)

10 avril 1830, Le Dieu et la bayadère, nouvelle indienne par Goëthe (Mercure de France au XIXe siècle)

29 avril 1830, La Pipe, chanson traduite de l’allemand, de Pfeffel (La Tribune romantique)

13 mai 1830 Le Cabaret de la mère Saguet (Le Gastronome)

mai 1830, M. Jay et les pointus littéraires (La Tribune romantique)

17 juillet 1830, L’Éclipse de lune. Épisode fantastique par Jean-Paul Richter (Mercure de France au XIXe siècle)

juillet ? 1830, Récit des journées des 27-29 juillet (manuscrit autographe)

14 août 1830, Le Peuple (Mercure de France au XIXe siècle)

30 octobre 1830 (BF), Choix de poésies de Ronsard, Dubellay, Baïf, Belleau, Dubartas, Chassignet, Desportes, Régnier (Bibliothèque choisie)

11 décembre 1830, A Victor Hugo. Les Doctrinaires (Almanach des muses pour 1831)

29 décembre 1830, La Malade (Le Cabinet de lecture )

29 janvier 1831, Odelette, Le Vingt-cinq mars (Almanach dédié aux demoiselles)

14 mars 1831, En avant, marche! (Cabinet de lecture)

23 avril 1831, Bardit, traduit du haut-allemand (Mercure de France au XIXe siècle)

30 avril 1831, Le Bonheur de la maison par Jean-Paul Richter. Maria. Fragment (Mercure de France au XIXe siècle)

7 mai 1831, Profession de foi (Mercure de France au XIXe siècle)

25 juin et 9 juillet 1831, Nicolas Flamel, drame-chronique (Mercure de France au XIXe siècle)

17 et 24 septembre 1831, Les Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre. Conte inédit d’Hoffmann (Mercure de France au XIXe siècle)

4 décembre 1831, Cour de prison, Le Soleil et la gloire (Le Cabinet de lecture)

17 décembre 1831, Odelettes. La Malade, Le Soleil et la Gloire, Le Réveil en voiture, Le Relais, Une Allée du Luxembourg, Notre-Dame-de-Paris (Almanach des muses)

17 décembre 1831, Fantaisie, odelette (Annales romantiques pour 1832)

24 septembre 1832, La Main de gloire, histoire macaronique (Le Cabinet de lecture)

14 décembre 1834, Odelettes (Annales romantiques pour 1835)

1835-1838 ? Lettres d’amour (manuscrits autographes)

26 mars et 20 juin 1836, De l’Aristocratie en France (Le Carrousel)

20 et 26 mars 1837, De l’avenir de la tragédie (La Charte de 1830)

12 août 1838, Les Bayadères à Paris (Le Messager)

18 septembre 1838, A M. B*** (Le Messager)

2 octobre 1838, La ville de Strasbourg. A M. B****** (Le Messager)

26 octobre 1838, Lettre de voyage. Bade (Le Messager)

31 octobre 1838, Lettre de voyage. Lichtenthal (Le Messager)

24 novembre 1838, Léo Burckart (manuscrit remis à la censure)

25, 26 et 28 juin 1839, Le Fort de Bitche. Souvenir de la Révolution française (Le Messager)

13 juillet 1839 (BF) Léo Burckart, chez Barba et Desessart

19 juillet 1839, « Le Mort-vivant », drame de M. de Chavagneux (La Presse)

15 et 16-17 août 1839, Les Deux rendez-vous, intermède (La Presse)

17 et 18 septembre 1839, Biographie singulière de Raoul Spifamme, seigneur des Granges (La Presse)

21 et 28 septembre 1839, Lettre VI, A Madame Martin (Lettres aux belles femmes de Paris et de la province)

28 janvier 1840, Lettre de voyage I (La Presse)

25 février 1840, Le Magnétiseur

5 mars 1840, Lettre de voyage II (La Presse)

8 mars 1840, Lettre sur Vienne (L’Artiste)

26 mars 1840, Lettre de voyage III (La Presse)

28 juin 1840, Lettre de voyage IV, Un jour à Munich (La Presse)

18 juillet 1840 (BF) Faust de Goëthe suivi du second Faust, chez Gosselin

26 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort I (La Presse)

29 juillet, 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort II (La Presse)

30 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort III (La Presse)

11 février 1841, Une Journée à Liège (La Presse)

18 février 1841, L’Hiver à Bruxelles (La Presse)

1841 ? Première version d’Aurélia (feuillets autographes)

février-mars 1841, Lettre à Muffe, (sonnets, manuscrit autographe)

1841 ? La Tête armée (manuscrit autographe)

mars 1841, Généalogie dite fantastique (manuscrit autographe)

1er mars 1841, Jules Janin, Gérard de Nerval (Journal des Débats)

5 mars 1841, Lettre à Edmond Leclerc

7 mars 1841, Les Amours de Vienne (Revue de Paris)

31 mars 1841, Lettre à Auguste Cavé

11 avril 1841, Mémoires d’un Parisien. Sainte-Pélagie en 1832 (L’Artiste)

9 novembre 1841, Lettre à Ida Ferrier-Dumas

novembre? 1841, Lettre à Victor Loubens

10 juillet 1842, Les Vieilles ballades françaises (La Sylphide)

15 octobre 1842, Rêverie de Charles VI (La Sylphide)

24 décembre 1842, Un Roman à faire (La Sylphide)

19 et 26 mars 1843, Jemmy O’Dougherty (La Sylphide)

11 février 1844, Une Journée en Grèce (L’Artiste)

10 mars 1844, Le Roman tragique (L’Artiste)

17 mars 1844, Le Boulevard du Temple, 1re livraison (L’Artiste)

31 mars 1844, Le Christ aux oliviers (L’Artiste)

5 mai 1844, Le Boulevard du Temple 2e livraison (L’Artiste)

12 mai 1844, Le Boulevard du Temple, 3e livraison (L’Artiste)

2 juin 1844, Paradoxe et Vérité (L’Artiste)

30 juin 1844, Voyage à Cythère (L’Artiste)

28 juillet 1844, Une Lithographie mystique (L’Artiste)

11 août 1844, Voyage à Cythère III et IV (L’Artiste)

15 septembre, Diorama (L’Artiste-Revue de Paris)

29 septembre 1844, Pantaloon Stoomwerktuimaker (L’Artiste)

20 octobre 1844, Les Délices de la Hollande I (La Sylphide)

8 décembre 1844, Les Délices de la Hollande II (La Sylphide)

16 mars 1845, Pensée antique (L’Artiste)

19 avril 1845 (BF), Le Diable amoureux par J. Cazotte, préface de Nerval, chez Ganivet

1er juin 1845, Souvenirs de l’Archipel. Cérigo (L’Artiste-Revue de Paris)

6 juillet 1845, L’Illusion (L’Artiste-Revue de Paris)

5 octobre 1845, Strasbourg (L’Artiste-Revue de Paris)

novembre-décembre 1845, Le Temple d’Isis. Souvenir de Pompéi (La Phalange)

28 décembre 1845, Vers dorés (L’Artiste-Revue de Paris)

1er mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste I (L’Artiste-Revue de Paris)

15 mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste II (L’Artiste-Revue de Paris)

1er mai 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne (Revue des Deux Mondes)

17 mai 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste III (L’Artiste-Revue de Paris)

1er juillet 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne. Les Esclaves (Revue des Deux Mondes)

12 juillet 1846 Sensations d’un voyageur enthousiaste IV (L’Artiste-Revue de Paris)

16 août 1846, Un Tour dans le Nord. Angleterre et Flandre (L’Artiste-Revue de Paris)

30 août 1846, De Ramsgate à Anvers (L’Artiste-Revue de Paris)

15 septembre 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne. Le Harem (Revue des Deux Mondes)

20 septembre 1846, Une Nuit à Londres (L’Artiste-Revue de Paris)

1er novembre 1846, Un Tour dans le Nord III (L’Artiste-Revue de Paris)

22 novembre 1846, Un Tour dans le Nord IV (L’Artiste-Revue de Paris)

15 décembre 1846, Scènes de la vie égyptienne moderne. La Cange du Nil (Revue des Deux Mondes)

1847, Scénario des deux premiers actes des Monténégrins

15 février 1847, La Santa-Barbara. Scènes de la vie orientale (Revue des Deux Mondes)

15 mai 1847, Les Maronites. Un Prince du Liban (Revue des Deux Mondes)

15 août 1847, Les Druses (Revue des Deux Mondes)

17 octobre 1847, Les Akkals (Revue des Deux Mondes)

21 novembre 1847, Souvenirs de l’Archipel. Les Moulins de Syra (L’Artiste-Revue de Paris)

15 juillet 1848, Les Poésies de Henri Heine (Revue des Deux Mondes)

15 septembre 1848, Les Poésies de Henri Heine, L’Intermezzo (Revue des Deux Mondes)

7 janvier-24 juin 1849, puis 2 septembre 1849-27 janvier 1850, Al-Kahira. Souvenirs d’Orient (La Silhouette)

1er-27 mars 1849, Le Marquis de Fayolle, 1re partie (Le Temps)

26 avril 16 mai 1849, Le Marquis de Fayolle, 2e partie (Le Temps)

6 octobre 1849, Le Diable rouge (Almanach cabalistique pour 1850)

3 novembre 1849 (BF), Le Diable vert, et Impression de voyage (Almanach satirique, chez Aubert, Martinon et Dumineray)

7 mars-19 avril 1850, Les Nuits du Ramazan (Le National)

15 août 1850, Les Confidences de Nicolas, 1re livraison (Revue des Deux Mondes)

26 août 1850, Le Faust du Gymnase (La Presse)

1er septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 2e livraison (Revue des Deux Mondes)

9 septembre 1850, Excursion rhénane (La Presse)

15 septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 3e livraison (Revue des Deux Mondes)

18 et 19 septembre 1850, Les Fêtes de Weimar (La Presse)

1er octobre 1850, Goethe et Herder (L’Artiste-Revue de Paris)

24 octobre-22 décembre 1850, Les Faux-Saulniers (Le National)

29 décembre 1850, Les Livres d’enfants, La Reine des poissons (Le National)

novembre 1851, Quintus Aucler (Revue de Paris)

24 janvier 1852 (BF), L’Imagier de Harlem, Librairie théâtrale

15 juin 1852, Les Fêtes de mai en Hollande (Revue des Deux Mondes)

1er juillet 1852, La Bohême galante I (L’Artiste)

15 juillet 1852, La Bohême galante II (L’Artiste)

1er août 1852, La Bohême galante III (L’Artiste)

15 août 1852, La Bohême galante IV (L’Artiste)

21 août 1852 (BF), Lorely. Souvenirs d’Allemagne, chez Giraud et Dagneau (Préface à Jules Janin)

1er septembre 1852, La Bohême galante V (L’Artiste)

15 septembre 1852, La Bohême galante VI (L’Artiste)

1er octobre 1852, La Bohême galante VII (L’Artiste)

9 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 1re livraison (L’Illustration)

15 octobre 1852, La Bohême galante VIII (L’Artiste)

23 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 2e livraison (L’Illustration)

30 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 3e livraison (L’Illustration)

1er novembre 1852, La Bohême galante IX (L’Artiste)

6 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 4e livraison (L’Illustration)

13 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 5e livraison (L’Illustration)

15 novembre 1852, La Bohême galante X (L’Artiste)

20 novembre 1852, Les Illuminés, chez Victor Lecou (« La Bibliothèque de mon oncle »)

1er décembre 1852, La Bohême galante XI (L’Artiste)

15 décembre 1852, La Bohême galante XII (L’Artiste)

1er janvier 1853 (BF), Petits Châteaux de Bohême. Prose et Poésie, chez Eugène Didier

15 août 1853, Sylvie. Souvenirs du Valois (Revue des Deux Mondes)

14 novembre 1853, Lettre à Alexandre Dumas

25 novembre 1853-octobre 1854, Lettres à Émile Blanche

10 décembre 1853, Alexandre Dumas, Causerie avec mes lecteurs (Le Mousquetaire)

17 décembre 1853, Octavie (Le Mousquetaire)

1853-1854, Le Comte de Saint-Germain (manuscrit autographe)

28 janvier 1854 (BF) Les Filles du feu, préface, Les Chimères, chez Daniel Giraud

31 octobre 1854, Pandora (Le Mousquetaire)

25 novembre 1854, Pandora, épreuves du Mousquetaire

Pandora, texte reconstitué par Jean Guillaume en 1968

Pandora, texte reconstitué par Jean Senelier en 1975

30 décembre 1854, Promenades et Souvenirs, 1re livraison (L’Illustration)

1854 ? Sydonie (manuscrit autographe)

1854? Emerance (manuscrit autographe)

1854? Promenades et Souvenirs (manuscrit autographe)

janvier 1855, Oeuvres complètes (manuscrit autographe)

1er janvier 1855, Aurélia ou le Rêve et la Vie (Revue de Paris)

6 janvier 1855, Promenades et Souvenirs, 2e livraison (L’Illustration)

3 février 1855, Promenades et Souvenirs, 3e livraison (L’Illustration)

15 février 1855, Aurélia ou Le Rêve et la Vie, seconde partie (Revue de Paris)

15 mars 1855, Desiderata (Revue de Paris)

1866, La Forêt noire, scénario

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BF: annonce dans la Bibliographie de la France

Manuscrit autographe: manuscrit non publié du vivant de Nerval

7 mars-19 mai 1850, Les Nuits du Ramazan, dans Le National, 32 livraisons toutes signées Gérard de Nerval.

Assez tardivement, Nerval entreprend le récit de la dernière étape de son voyage en Orient, Constantinople. Les quatre premiers feuilletons (7 au 10 mars) sont consacrés au souvenir de l'excursion aux pyramides pendant le séjour au Caire. C'est l'occasion pour Nerval de rêver autour des pratiques initiatiques isiaques. Le périple oriental s’achève ensuite à Constantinople, où Nerval arrive fin juillet 1843. Il y restera jusque fin octobre, ce qui lui donne le loisir de visiter les différents quartiers, Péra l’européen, Stamboul le turc, et aussi Scutari et Galata, et d’assister au mois lunaire du Ramadan (Ramazan en Turquie) qui débute le 25 septembre. C’est pendant cette période, dit-il, qu’il écoute, le récit des origines légendaires du compagnonnage maçonnique en la personne d’Adoniram, récit fait par un conteur, et rapporté par Nerval dans le feuilleton du National entre le 23 mars et le 25 avril. « Ce que j’ai écrit, je l’ai vu, je l’ai senti » écrit-il à la fin du Voyage en Orient. Est-ce à dire qu’il a réellement écouté assidument, soir après soir, l’histoire de Balkis, Salomon et Adoniram, ou plutôt, comme il le dit ailleurs, saisi cette circonstance pour mettre en récit la double origine d’Adoniram, comme de tous les descendants de Caïn, à la fois « enfants du limon » façonnés par AdonaÏ/Jéhovah, mais animés de l’étincelle divine des Eloïms préadamites, reconnaissables d’âge en âge à leur nature d’artistes éternels chercheurs d’absolu dont Jéhovah n’aura de cesse de se venger. Le préadamisme qu’incarne Adoniram dans Les Nuits du Ramazan deviendra obsessionnel sous forme visionnaire dans Aurélia.

Voir les notices TROIS MOIS AU CAIRE pour l’excursion aux pyramides, ADONIRAM ET BALKIS et ÉLABORATION LITTÉRAIRE DU VOYAGE EN ORIENT

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7 mars 1850 — Les Nuits du Ramazan, dans Le National, 1re livraison.

Nerval est arrivé à Constantinople fin juillet 1843. Le quartier européanisé de Péra ne l’enthousiasme pas, et il préfèrera s’installer dans le quartier turc de Stamboul. Ayant appris la mort de son ami le Consul Gauttier d’Arc, il repense à la visite aux pyramides qu’il devait faire avec lui pendant son séjour au Caire Mais ce dernier, très malade, l’avait quitté à Roddah en lui confiant la mission de lui rapporter une momie d’ibis. Nerval va donc, si l’on en croit le récit publié tardivement, au début des Nuits du Ramazan, les 7, 8, 9, et 10 mars 1850 dans Le National, faire seul l’excursion et visiter la grande pyramide de Chéops. Hissé degré par degré jusqu’au sommet, il parvient à la plate-forme qui supportait autrefois le pyramidion.

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LES NUITS DU RAMAZAN.

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INTRODUCTION.

A un ami.

Péra.

Du pied de la tour de Galata, ayant devant moi tout le panorama de Constantinople, de son Bosphore et de ses mers, — je tourne encore une fois mes regards vers l’Egypte, depuis longtemps disparue. — Permets-moi de t’en entretenir pendant quelques lignes. Au-delà de l’horizon paisible qui m’entoure, sur cette terre d’Europe, — musulmane il est vrai, — mais rappelant déjà la patrie, je sens toujours l’éblouissement de ce mirage lointain qui flamboie et poudroie dans mon souvenir, — comme l’image du soleil qu’on a regardé fixement poursuit longtemps l’œil fatigué qui s’est replongé dans l’ombre.

Ce qui m’entoure ajoute à cette impression : — un cimetière turc, à l’ombre des murs de Galata la Génoise. Derrière moi, une boutique de barbier arménien qui sert en même temps de café ; d’énormes chiens jaunes et rouges couchés au soleil dans l’herbe, couverts de plaies et de cicatrices résultant de leurs combats nocturnes. — A ma gauche, un vénérable santon, coiffé de son bonnet de feutre, dormant de ce sommeil bienheureux qui est pour lui l’anticipation du paradis. En bas, c’est Tophana avec sa mosquée, sa fontaine et ses batteries de canons commandant l’entrée du détroit. De temps en temps j’entends des psaumes de la liturgie grecque chantés sur un ton nazillard, et je vois passer sur la chaussée qui mène à Péra de longs cortèges funèbres conduits par des popes, qui portent au front des couronnes de forme impériale. Avec leurs longues barbes, leurs robes de soie semées de clinquant et leurs ornemens de fausse orfèvrerie, ils semblent les fantômes des souverains du Bas-Empire.

Tout cela n’a rien de bien gai pour le moment. Rentrons dans le passé. — Ce que je regrette aujourd’hui de l’Egypte, ce ne sont pas les oignons monstrueux dont les Hébreux pleuraient l’absence sur la terre de Chanaan. C’est un ami, c’est une femme, — l’un séparé de moi seulement par la tombe, — l’autre à jamais perdue.

Mais pourquoi réunirais-je ici deux noms qui ne peuvent se rencontrer que dans mon souvenir, et pour des impressions toutes personnelles ! L’ami dont je te parle était un homme connu de toute l’Europe savante, — un diplomate et un érudit, ce qui se voit rarement ensemble. Il avait cru devoir prendre au sérieux un de ces postes consulaires qui généralement n’obligent personne à acquérir des connaissances spéciales. — En effet, selon les lois ordinaires de l’avancement diplomatique, un consul d’Alexandrie se trouve promu d’un jour à l’autre à la position de ministre plénipotentiaire au Brésil ; — un chargé d’affaires de Canton devient consul général à Hambourg. Où est la nécessité d’apprendre la langue, d’étudier les mœurs d’un pays, d’y nouer des relations, de s’informer des débouchés qu’y pourrait trouver notre commerce ? Tout au plus pense-t-on à se préoccuper de la situation, du climat et des agrémens de la résidence qu’on sollicite comme supérieure à celle qu’on occupe déjà.

Le consul dont je te parle, au moment où je l’ai rencontré au Caire, ne songeait qu’à des recherches d’antiquités égyptiennes. Un jour qu’il me parlait d’hypogées et de pyramides, je lui dis : « Il ne faut pas tant s’occuper de tombeaux !... Est-ce que vous sollicitez un consulat dans l’autre monde ? »

Je ne croyais guère, en ce moment-là, dire quelque chose de cruel. « Ne vous apercevez-vous pas, me répondit-il, de l’état où je suis ?... Je respire à peine. Cependant je voudrais bien voir les pyramides. C’est pour cela que je suis venu au Caire. Ma résidence à Alexandrie, au bord de la mer, était moins dangereuse... mais l’air qui nous entoure ici, imprégné de cendre et de poussière, me sera mortel. »

En effet, le Caire, dans ce moment-là, n’offrait pas une atmosphère très saine et me faisait l’effet d’un étouffoir fermé sur des charbons incandescens. Le khamsin soufflait dans les rues toutes les ardeurs de la Nubie. La nuit seule réparait nos forces, et nous permettait de subir encore le lendemain.

Le vent du midi, qui dure environ cinquante jours, a cependant des intervalles de calme. Un soir, après une journée plus belle qu’à l’ordinaire, le consul m’invita à l’accompagner le lendemain aux Pyramides de Gizeh. Nous partîmes au point du jour dans sa voiture, et nous nous arrêtâmes pour déjeuner à l’île de Roddah ; — verte comme une île de la Baltique, cultivée à l’anglaise par les soins d’Ibrahim-Pacha, plantée en partie de peupliers, de saules et d’acacias, — avec des étangs, des rivières factices, peuplés de cygnes et des ponts chinois sur des allées de gazon.

Le déjeuner fut servi dans un kiosque, situé au nord de l’île et construit en rocailles, qui avait été longtemps le harem d’été d’Ibrahim. Ce dernier, séjournant presque toujours à Alexandrie, ne l’occupait plus depuis quelques années. « Le palais où nous sommes, me dit le consul, a été mis à ma disposition par Ibrahim, et je l’habite lorsque le séjour du Caire me devient trop pénible. » Nous allâmes ensuite visiter toutes les parties de l’île, délicieuse retraite où les califes fatimites avaient jadis établi leur palais ; — le consul me fit voir, à l’extrémité du bras du Nil qui correspond au vieux Caire, l’endroit où l’on suppose que Moïse fut recueilli, dans son berceau flottant, par la fille de Pharaon. Ce point est situé près du Mekkias qui, comme on sait, est destiné à constater la hauteur des inondations. Un pilier de marbre, hexagone, consacré autrefois à Sérapis, est placé au milieu d’un puits, et a marqué déjà, durant trente siècles, l’étiage du fleuve sacré.

Le milieu du jour arrivait, et mon pauvre compagnon de route ne parlait pas d’aller plus loin. Je lui rappelai le but de notre promenade : « Je me sens déjà fatigué, dit-il, je préfère rester ici. Prenez la cange que j’ai fait préparer ; je vous suivrai des yeux, et je croirai être avec vous. Je vous prie seulement de compter le nombre exact des marches de la grande pyramide, — sur lequel les savans sont en désaccord, — et si vous allez jusqu’aux autres pyramides de Saccarah, je vous serai obligé de me rapporter une momie d’Ibis... Je voudrais comparer l’ancien Ibis égyptien avec cette race dégénérée des Courlis que l’on rencontre encore sur les rives du Nil. »

Je dus alors m’embarquer seul, à la pointe de l’île de Roddah, pensant avec tristesse à cette confiance des malades qui peuvent rêver à des collections de momies, sur le bord de leur propre tombe.

La branche du Nil entre Roddah et Gizeh a une telle largeur qu’il faut une demi-heure environ pour la passer. — Quand on a traversé Gizeh, sans trop s’occuper de son école de cavalerie et de ses fours à poulets, sans analyser ses décombres, dont les gros murs sont construits par un art particulier avec des vases de terre superposés et pris dans la maçonnerie, — bâtisse plus légère et plus aérée que solide, — on a encore devant soi deux lieues de plaines cultivées à parcourir avant d’atteindre les plateaux stériles où sont posées les grandes pyramides, sur la lisière du désert de Lybie ! Plus on approche, plus les colosses diminuent. C’est un effet de perspective qui tient sans doute à ce que leur largeur égale leur élévation. Pourtant, lorsqu’on arrive au pied, — dans l’ombre même de ces montagnes faite de main d’hommes, on admire et l’on s’épouvante. Ce qu’il faut gravir pour atteindre au faîte de la première pyramide, c’est un escalier dont chaque marche a environ un mètre de haut. En s’élevant, ces marches diminuent un peu, — d’un tiers tout au plus pour les dernières.

Une tribu d’Arabes s’est chargée de protéger les voyageurs et de les guider dans leur ascension sur la principale pyramide. Dès que ces gens aperçoivent un curieux qui s’achemine vers leur domaine, ils accourent à sa rencontre au grand galop de leurs chevaux, faisant une fantasia toute pacifique et tirant en l’air des coups de pistolet pour indiquer qu’ils sont à son service, tout prêts à le défendre contre les attaques de certains Bédouins pillards qui pourraient par hasard se présenter.

Aujourd’hui cette supposition fait sourire les voyageurs, rassurés d’avance à cet égard ; mais, au siècle dernier, ils se trouvaient réellement mis à la contribution par une bande de faux brigands, qui, après les avoir effrayés et dépouillés, rendaient les armes à la tribus protectrice, laquelle touchait ensuite une forte récompense pour les périls et les blessures d’un simulacre de combat.

La police du vice-roi d’Egypte a surveillé ces fourberies. Aujourd’hui, l’on peut se fier complètement aux Arabes gardiens de la seule merveille du monde que le temps nous ait conservée.

On m’a donné quatre hommes pour me guider et me soutenir dans mon ascension. Je ne comprenais pas trop d’abord comment il était possible de gravir des marches dont la première seule m’arrivait à la hauteur de la poitrine. Mais, en un clin d’œil, deux des Arabes s’étaient élancés sur cette assise gigantesque, et m’avaient saisi chacun un bras. les deux autres me poussaient sous les épaules, et tous les quatre, à chaque mouvement de cette manœuvre, chantait à l’unisson le verset arabe terminé par ce refrain antique : Eleyson !

Je comptai ainsi deux cents sept marches, et il ne fallut guère plus d’un quart d’heure pour atteindre la plate-forme. Si l’on s’arrête un instant pour reprendre haleine, on voit venir devant soi des petites filles, à peine couvertes d’une chemise de toile bleue, qui, de la marche supérieure à celle que vous gravissez, tendent, à hauteur de votre bouche, des gargoulettes en terre de Thèbes, dont l’eau glacée vous rafraîchit pour un instant.

Rien n’est plus fantasque que ces jeunes Bédouines grimpant comme des singes avec leurs petits pieds nus, qui connaissent toutes les anfractuosités des énormes pierres superposées. Arrivé à la plate-forme, on leur donne un bakchis, — on les embrasse, puis l’on se sent soulevé par les bras de quatre Arabes qui vous portent en triomphe aux quatre points de l’horizon. La surface de cette pyramide est de 50 pieds carrés environ. Des blocs irréguliers indiquent qu’elle ne s’est formée que par la destruction d’une pointe, semblable sans doute à celle de la seconde pyramide, qui s’est conservée intacte et que l’on admire à peu de distance avec son revêtement de granit. Les trois pyramides, — de Chéops, de Chéphren et de Mycérinus, selon les anciens, — étaient également parées de cette enveloppe rougeâtre, qu’on voyait encore au temps d’Hérodote. Elles en ont été dégarnies peu à peu, lorsqu’on a eu besoin au Caire de construire les palais des califes et des soudans.

La vue est fort belle, comme on peut le penser, du haut de cette plateforme. le Nil s’étend à l’Orient depuis la pointe du Delta jusqu’au-delà de Saccarah, où l’on distingue onze pyramides plus petites que celles de Gizeh. A l’Occident, la chaîne des montagnes lybiques, se développe en marquant les ondulations d’un horizon poudreux. La forêt de palmiers, qui occupe la place de l’ancienne Memphis, s’étend du côté du midi comme une ombre verdâtre. Le Caire, adossé à la chaîne aride du Mokattam, élève ses dômes et ses minarets à l’entrée du désert de Syrie. Tout cela est trop connu pour prêter longtemps à la description. Mais, en faisant trêve à l’admiration et en parcourant des yeux les pierres de la plateforme, on y trouve de quoi compenser les excès de l’enthousiasme. Tous les Anglais qui ont risqué cette ascension ont naturellement gravé leurs noms sur les pierres. Des spéculateurs ont eu l’idée de donner leur adresse au public, et un marchand de cirage de Piccadilly a même fait graver avec soin sur un bloc entier les mérites de sa découverte garantie par l’improved patent de London. Il est inutile de dire qu’on rencontre là le Crédeville voleur, si passé de mode aujourd’hui, la charge de Bouginier, et autres excentricités transplantées par nos artistes voyageurs comme un contraste à la monotonie des grands souvenirs.

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8 mars 1850 — Les Nuits du Ramazan, dans Le National, 2e livraison.

Parvenu au sommet de la pyramide de Chéops, Nerval se trouve nez à nez avec un « officier aux gardes de S. M. le roi de Prusse » venu au Caire rejoindre l’expédition du savant archéologue Lepsius. Tous deux vont pénétrer dans la grande pyramide par l’entrée désormais bien connue de la face Nord, et parcourir l’itinéraire labyrinthique qui conduit jusqu’à la chambre royale.

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LES NUITS DU RAMAZAN.

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INTRODUCTION. (Suite)

Je te demande encore une fois pardon de t’entretenir d’une chose si connue que les Pyramides, — cela m’amènera plus tard à des détails qu’il te sera bon de savoir. Du reste, le peu que je t’en apprends a échappé à l’observation de la plupart des savans illustres qui, depuis Maillet, consul de Louis XIV, ont gravi cette échelle héroïque, — dont le sommet m’a servi un instant de piédestal.

J’ai peur de devoir admettre que Napoléon lui-même n’a vu les Pyramides que d’en bas. — Il n’aurait pas, certes, compromis sa dignité jusqu’à se laisser enlever dans les bras de quatre Arabes, comme un simple ballot qui passe de mains en mains, et il se sera borné à répondre d’en bas, par un salut, aux quarante siècles qui, d’après son calcul, le contemplaient à la tête de notre glorieuse armée.

Après avoir parcouru des yeux tout le panorama environnant, et lu attentivement ces inscriptions modernes qui prépareront des tortures aux savans de l’avenir, — je me préparais à redescendre, lorsqu’un monsieur blond, d’une belle taille, haut en couleur, et parfaitement ganté, franchit, comme je l’avais fait peu de temps avant lui, la dernière marche du quadruple escalier, et m’adressa un salut fort compassé, que je méritais en qualité de premier occupant. Je le pris pour un gentleman anglais. — Quant à lui, il me reconnus pour Français tout de suite.

Je me repentis aussitôt de l’avoir jugé légèrement. Un Anglais ne m’aurait pas salué, attendu qu’il ne se trouvait sur la plate-forme de la pyramide de Chéops personne qui pût nous présenter l’un à l’autre : « Monsieur, me dit l’inconnu avec un accent légèrement germanique, je suis heureux de trouver ici quelqu’un de civilisé. Je suis simplement un officier aux gardes de S. M. le roi de Prusse. J’ai obtenu un congé pour aller rejoindre l’expédition de M. Lepsius, — et comme elle a passé ici depuis quelques semaines, je suis obligé de me mettre au courant... en visitant ce qu’elle a dû voir. » Ayant terminé ce discours, il me remit sa carte, en m’invitant de l’aller voir, — si jamais je passais à Postdam.

— « Mais, ajouta-t-il, voyant que je me préparais à redescendre, vous savez que l’usage est de faire ici une collation. Ces braves gens qui nous entourent s’attendent à partager nos modestes provisions... et, si vous avez appétit, je vous offrirai votre part d’un pâté dont un de mes Arabes s’est chargé. »

En voyage, on fait vite connaissance, et, en Egypte surtout, au sommet de la grande pyramide, — tout Européen devient, pour un autre, un franck, c’est-à-dire un compatriote ; — la carte géographique de notre petite Europe perd, de si loin, ses nuances tranchées ; — je fais toujours une exception pour les Anglais, qui séjournent dans une île à part.

La conversation du Prussien me plut beaucoup pendant le repas. Il avait sur lui des lettres donnant les nouvelles les plus fraîches de l’expédition de M. Lepsius qui, dans ce moment là, explorait les environs du lac Mœris et les cités souterraines de l’ancien labyrinthe. Les savans berlinois avaient découvert des villes entières cachées sous les sables et bâties de briques ; — des Pompeï et des Herculanum souterraines qui n’avaient jamais vu la lumière, — et qui remontaient peut-être à l’époque des Troglodytes. Je ne pus m’empêcher de reconnaître que c’était pour les érudits prussiens une noble ambition que d’avoir voulu marcher sur les traces de notre Institut d’Egypte, dont ils ne pourront, du reste, que compléter les admirables travaux.

Le repas sur la pyramide de Chéops est, en effet, forcé pour les touristes, comme celui qui se fait d’ordinaire sur le chapiteau de la colonne de Pompée à Alexandrie. J’étais heureux de rencontrer un compagnon instruit et aimable qui me l’eût rappelé. Les petites Bédouines avaient conservé assez d’eau, dans leurs cruches de terre poreuse, pour nous permettre de nous rafraîchir, et ensuite de faire des grogs au moyen d’un flacon d’eau-de-vie qu’un des Arabes portait à la suite du Prussien.

Cependant, le soleil était devenu trop ardent pour que nous pussions rester long-temps sur la plateforme. L’air pur et vivifiant que l’on respire à cette hauteur nous avait permis quelque temps de ne point trop nous en apercevoir.

Il s’agissait de quitter la plateforme et de pénétrer dans la pyramide, dont l’entrée se trouve à un tiers environ de sa hauteur. On nous fit descendre 130 marches par un procédé inverse à celui qui nous les avait fait gravir. Deux des quatre Arabes nous suspendaient par les épaules du haut de chaque assise, et nous livraient aux bras étendus de leurs compagnons. Il y a quelque chose d’assez dangereux dans cette descente, et plus d’un voyageur s’y est rompu le crâne ou les membres. Cependant, nous arrivâmes sans accident à l’entrée de la pyramide.

C’est une sorte de grotte aux parois de marbre, à la voûte triangulaire, surmontée d’une large pierre qui constate, au moyen d’une inscription française, la visite rendue à ce monument par nos soldats : — c’est la carte de visite de l’armée d’Egypte, sculptée sur un bloc de marbre de seize pieds de largeur. Pendant que je lisais avec respect, l’officier prussien me fit observer une autre légende, marquée plus bas en hiéroglyphes, et chose étrange, tout fraîchement gravée.

— On a eu tort, lui dis-je, de nettoyer et de rafraîchir cette inscription...

— Mais vous ne comprenez donc pas ! répondit-il.

— J’ai fait vœu de ne pas comprendre les hiéroglyphes... J’en ai lu trop d’explications. J’ai commencé par Sanchoniaton, j’ai continué par l’Œdipus Ægyptiacus du père Kircher, et j’ai fini par la grammaire de Champollion, après avoir lu les observation de Warburton et du baron de Pauw. Ce qui m’a désenchanté de ces opinions, c’est la brochure de l’abbé Affre, — lequel n’était pas encore archevêque de Paris, — et qui a prétendu, après avoir discuté le sens de l’inscription de Rosette, — que les savans de l’Europe s’étaient entendus pour une explication fictive des hiéroglyphes, afin de pouvoir établir dans toute l’Europe des chaires de langue hiéroglyphique rétribuées d’ordinaire par un traitement de 6,000 francs.

— Ou de 1,500 thalers, ajouta judicieusement l’officier prussien... c’est à peu près la somme correspondante chez nous. Mais ne plaisantons pas là-dessus : vous avez la grammaire ; nous avons, nous, l’alphabeth et je vais vous lire cette inscription aussi facilement qu’un écolier lit le grec quand il en connaît les lettres, sauf à hésiter davantage devant le sens des mots.

L’officier se mit à lire, inscrivit à mesure les syllabes sur son carnet, et me dit : « Cela signifie que l’expédition scientifique envoyée par le roi de Prusse et dirigée par Lepsius, a visité les pyramides de Gizeh, et espère résoudre avec le même bonheur les autres difficultés de sa mission. »

Je me repentis aussitôt de mon scepticisme hiéroglyphique, en pensant aux fatigues et aux dangers que bravaient ces savans qui exploraient à ce moment-là même les ruines du Labyrinthe.

Nous avions franchi l’entrée de la grotte : une vingtaine d’Arabes barbus, aux ceintures hérissées de pistolets et de poignards, se dressèrent du sol où ils venaient de faire leur sieste. Un de nos conducteurs, qui semblait diriger les autres, nous dit :

— Voyez comme ils sont terribles... Regardez leurs pistolets et leurs fusils !

— Est-ce qu’ils veulent nous voler ?

— Au contraire ! Ils sont ici pour vous défendre dans le cas où vous seriez attaqué par les hordes du désert.

— On disait qu’il n’en existait plus, depuis l’administration de Mohamed-Ali !

— Oh ! il y a encore bien des méchantes gens là-bas, derrière les montagnes... Cependant, au moyen d’une colonnate, vous obtiendrez des braves que vous voyez là d’être défendus contre toute attaque extérieure.

L’officier prussien fit l’inspection des armes, et ne parut pas édifié touchant leur puissance destructive. Il ne s’agissait au fond, pour moi, que de 5 fr. 50 c., ou d’un thaler et demi pour le Prussien. Nous acceptâmes le marché, en partageant les frais et en faisant observer que nous n’étions pas dupes de la supposition.

— Il arrive souvent, dit le guide, que des tribus ennemies font invasion sur ce point, surtout quand elles y supposent la présence de riches étrangers.

— Allons, lui dis-je, cela est proverbial et accepté par tous ! Je me rappelai alors que Napoléon lui-même visitant l’intérieur des pyramides, en compagnie de la femme d’un de ses colonels, s’était exposé au péril que supposait le guide. Les Bédouins survenus à l’improviste avaient, dit-on, dissipé son escorte et bouché avec de grosses pierres l’entrée de la pyramide, qui n’a guère qu’un mètre en hauteur et largeur. Un escadron de chasseurs survenu par hasard le tira heureusement du danger.

Il est certain que la chose n’est pas impossible et que ce serait une triste situation que de se voir pris et enfermé dans l’intérieur de la grande pyramide. La colonnate (piastre d’Espagne) donnée aux gardiens nous assurait du moins qu’en conscience ils ne pourraient pas nous faire cette trop facile plaisanterie.

Mais quelle apparence que ces braves gens y eussent songé même un instant ! L’activité de leurs préparatifs, — huit torches allumées en un clin d’œil, l’attention charmante de nous faire précéder de nouveau par les petites filles hydrophores dont j’ai parlé, — tout cela, sans doute, était bien rassurant.

Il s’agissait d’abord de courber la tête et le dos, et de poser les pieds adroitement sur deux rainures de marbre qui règnent des deux côtés de cette descente. Entre les deux rainures, il y a une sorte d’abîme aussi large que l’écartement des jambes, où il s’agit de ne point se laisser tomber. On avance donc pas à pas, jetant les pieds de son mieux à droite et à gauche, soutenu un peu, il est vrai, par les mains des porteurs de torches, et l’on descend ainsi toujours courbé en deux pendant environ cent cinquante pas.

A partir de là, le danger de tomber dans l’énorme fissure qu’on se voyait entre les pieds cesse tout à coup et se trouve remplacé par l’inconvénient de passer à plat ventre sous une voûte obstruée en partie par les sables et les cendres. Les Arabes ne nettoient ce passage que moyennant une autre colonnate, — accordée d’ordinaire par les gens riches et corpulens..

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9 mars 1850 — Les Nuits du Ramazan, dans Le National, 3e livraison.

Assez déçus par leur expédition jusqu’à la tombe royale, les deux visiteurs entament une conversation érudite sur la finalité de la pyramide, moins sans doute un tombeau qu’un parcours initiatique du culte d’Isis, explique le Prussien, tandis que Nerval enthousiaste y verrait bien une représentation de La Flûte enchantée de Mozart.

Nerval a-t-il réellement rencontré l’officier prussien à qui il prête cette explication ou n’est-il qu’un prétexte à l’exposé de ses propres interrogations ? Dans l’article intitulé Le Temple d’Isis. Souvenir de Pompéi publié en 1845 dans La Phalange, il a déjà exposé longuement le détail du culte d’Isis. Plus intimement encore, il y reviendra, de façon non plus érudite mais onirique et hallucinée, en vivant lui-même le cheminement d’épreuves initiatiques dans Aurélia ou le Rêve et la vie : « Pendant mon sommeil, j’eus une vision merveilleuse. Il me semblait que la déesse m’apparaissait, me disant : « Je suis la même que Marie, la même que ta mère, la même aussi que sous toutes les formes tu as toujours aimée. A chacune de tes épreuves j’ai quitté l’un des masques dont je voile mes traits, et bientôt tu me verras telle que je suis. »

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LES NUITS DU RAMAZAN.

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INTRODUCTION. (Suite)

Quand on a rampé quelque temps sous cette voûte basse, en s’aidant des mains et des genoux, on se relève, à l’entrée d’une nouvelle galerie, qui n’est guère plus haute que la précédente. Au bout de deux cents pas que l’on fait encore en montant, — on trouve une sorte de carrefour dont le centre est un vaste puits profond et sombre, autour duquel il faut tourner pour gagner l’escalier qui conduit à la chambre du roi.

En arrivant là, les Arabes tirent des coups de pistolet et allument des feux de branchages pour effrayer, à ce qu’ils disent, les chauves-souris et les serpens. — Les serpens se garderaient bien d’habiter des demeures si reculées. Quant aux chauves-souris, elles existent, et se font reconnaître en poussant des cris et en voltigeant autour des feux. La salle où l’on est, voûtée en dos d’âne, a dix-sept pieds de longueur et seize de largeur. Il est difficile de comprendre que ce peu d’espace, destiné, soit à des tombeaux, soit à quelque chapelle ou temple, se trouve être la principale retraite ménagée dans l’immense masse de pierre qui l’entoure.

Deux ou trois autres chambres pareilles ont été découvertes depuis. Leurs murs de granit sont noircis par la fumée des torches. On ne voit dans tout cela aucune trace de tombeau, — sauf une cuve de porphyre de huit pieds de longueur qui pourrait bien avoir servi à enfermer les restes d’un Pharaon. Cependant, la tradition des fouilles les plus anciennes ne signale, dans les Pyramides, que la découverte des ossemens d’un bœuf.

Ce qui étonne le voyageur, au milieu de ces demeures funèbres, c’est que l’on n’y respire qu’un air chaud et imprégné d’odeurs bitumineuses. Du reste, on ne voit rien que des galeries et des murs ; — pas d’hiéroglyphes ni de sculptures ; — des parois enfumées, des voûtes et des décombres.

Nous étions revenus à l’entrée, fort désenchantés de ce voyage pénible, et nous nous demandions ce que pouvait représenter cet immense bâtiment :

— Il est évident, me dit l’officier prussien, que ce ne sont point là des tombeaux. Où était la nécessité de bâtir d’aussi énormes constructions pour préserver peut-être un cercueil de roi. Il est évident qu’une telle masse de pierres, apportées de la Haute-Egypte, n’a pu être réunie et mise en œuvre pendant la vie d’un seul homme. Que signifierait, ensuite, pour un souverain, ce désir d’être mis à part dans un tombeau de 700 pieds de hauteur, — quand nous voyons presque toutes les dynasties des rois égyptiens classées modestement dans des hypogées et dans des temples souterrains.

Il vaut mieux nous en rapporter à l’opinion des anciens Grecs, qui, plus rapprochés que nous des prêtres et des institutions de l’Egypte, n’ont vu dans les pyramides que des monumens religieux consacrés aux initiations.

En revenant de notre exploration, assez peu satisfaisante, nous dûmes nous reposer à l’entrée de la grotte de marbre, — et nous nous demandions ce que pouvait signifier cette galerie bizarre que nous venions de remonter, — avec ses deux rails de marbre séparés par un abîme, — aboutissant plus loin à un carrefour au milieu duquel se trouve le puits mystérieux, dont nous n’avions pu voir le fond.

L’officier prussien, en consultant ses souvenirs, me soumit une explication assez logique de la destination d’un tel monument. Nul n’est plus fort qu’un Allemand sur les mystères de l’Antiquité. Voici, selon sa version, à quoi servait la galerie basse ornée de rails que nous avions descendue et remontée si péniblement. — On asseyait dans un charriot l’homme qui se présentait pour subir les épreuves de l’initiation. Le charriot descendait par la forte inclinaison du chemin, puis remontait ensuite, comme peut faire un siège lancé sur une montagne russe. Arrivé au centre de la pyramide, l’initié était reçu par des prêtres inférieurs qui lui montraient le puits en l’engageant à s’y précipiter.

Ce néophyte hésitait naturellement, ce qui était regardé comme une marque de prudence. Alors on lui apportait une sorte de casque surmonté d’une lampe allumée ; et muni de cet appareil, il devait descendre avec précaution dans le puits où il rencontrait çà et là des branches de fer sur lesquelles il pouvait poser les pieds.

L’initié descendait long-temps, — éclairé quelque peu par la lampe qu’il portait sur la tête ; — puis, à cent pieds environ de profondeur, il rencontrait l’entrée d’une galerie fermée par une grille, qui s’ouvrait aussitôt devant lui. Trois hommes paraissaient aussitôt, portant des masques de bronze à l’imitation de la face d’Anubis, — le dieu chien. Il fallait ne point s’effrayer de leurs menaces et marcher en avant en les jetant à terre. On faisait ensuite une lieue environ, et l’on arrivait dans un espace considérable qui produisait l’effet d’une forêt sombre et touffue.

Dès que l’on mettait le pied dans l’allée principale, — tout s’illuminait à l’instant, et produisait l’effet d’un vaste incendie. Mais ce n’était rien que des pièces d’artifice et des substances bitumineuses entrelacées dans des rameaux de fer. Le néophyte devait traverser la forêt au prix de quelques brûlures, et y parvenait généralement.

Au-delà se trouvait une rivière qu’il fallait traverser à la nage. A peine en avait-il atteint le milieu, qu’une immense agitation des eaux, déterminée par le mouvement de deux roues gigantesques, l’arrêtait et le repoussait. Au moment où ses forces allaient s’épuiser, il voyait paraître devant lui une échelle de fer qui semblait devoir le tirer du danger de périr dans l’eau. Ceci était la troisième épreuve. A mesure que l’initié posait un pied sur chaque échelon, celui qu’il venait de quitter se détachait et tombait dans le fleuve. Cette situation pénible se compliquait d’un vent épouvantable qui faisait trembler l’échelle et le patient à la fois. Au moment où il allait perdre toutes ses forces, il devait avoir la présence d’esprit de saisir deux anneaux d’acier qui descendaient vers lui et auxquels il lui fallait rester suspendu par les bras jusqu’à ce qu’il vît s’ouvrir une porte, à laquelle il arrivait par un effort violent.

C’était la fin des quatre épreuves élémentaires. L’initié arrivait alors dans le temple, tournait autour de la statue d’Isis, et se voyait reçu et félicité par les prêtres.

Voilà avec quels souvenirs nous cherchions à repeupler cette solitude imposante. Entourés des Arabes, qui s’étaient remis à dormir, et attendant, pour quitter la grotte de marbre, que la brise du soir eût rafraîchi l’air, — nous ajoutions les hypothèses les plus diverses aux faits réellement constatés par la tradition antique. Ces bizarres cérémonies des initiations tant de fois décrites par les auteurs grecs, — qui ont pu encore les voir s’accomplir, prenaient pour nous une probabilité d’autant plus grande que nous en trouvions les récits parfaitement en rapport avec la disposition des lieux.

— Qu’il serait beau, dis-je à l’Allemand, d’exécuter et de représenter ici La Flûte enchantée de Mozart. Comment un homme riche n’a-t-il pas la fantaisie de se donner un tel spectacle. Avec fort peu d’argent on arriverait à déblayer tous ces conduits, et il suffirait ensuite d’amener, en costumes exacts toute la troupe italienne du théâtre du Caire. Imaginez-vous la voix tonnante de Zarastro résonnant du fond de la salle des Pharaons, — ou la Reine de la Nuit, apparaissant sur le seuil de la chambre dite de la reine et lançant à la voûte sombre ses trilles éblouissans. Figurez-vous les sons de la flûte magique à travers ces longs corridors, — et les grimaces et l’effroi de Papageno, forcé, sur les pas de l’initié son maître, d’affronter le triple Anubis, — puis la forêt incendiée, puis ce sombre canal agité par des roues de fer ; — puis encore cette échelle étrange dont chaque marche se détache à mesure qu’on monte et fait retentir l’eau d’un clapotis sinistre...

— Il serait difficile, dit l’officier, d’exécuter tout cela dans l’intérieur même des Pyramides... Nous avons dit que l’initié suivait, à partir du puits, une galerie d’environ une lieue. Cette voie souterraine le conduisait jusqu’à un temple situé aux portes de Memphis, dont vous avez vu l’emplacement du haut de la plate-forme. Lorsque, ses épreuves terminées, il revoyait la lumière du jour, la statue d’Isis restait encore voilée pour lui : c’est qu’il lui fallait subir une dernière épreuve toute morale, dont rien ne l’avertissait et dont le but lui restait caché. Les prêtres l’avaient porté en triomphe, comme devenu l’un d’entre eux, les chœurs d’instrumens avaient célébré sa victoire. Il lui fallait encore se purifier par un jeûne de quarante et un jours, — avant de pouvoir contempler la grande Déesse, veuve d’Osiris (1). Ce jeûne cessait chaque jour au coucher du soleil, où on lui permettait de réparer ses forces avec quelques onces de pain et une coupe d’eau du Nil. — Le jeûne du Ramazan semble aujourd’hui la continuation de cette pratique religieuse. — Pendant cette longue pénitence, l’initié pouvait converser, à de certaines heures, avec les prêtres et les prêtresses, dont toute la vie s’écoulait dans les cités souterraines dont les fouilles faites par nos savans ont depuis longtemps consacré l’existence.

— Il avait le droit de questionner chacun et d’observer les mœurs de ce peuple mystique qui avait renoncé au monde extérieur, — et dont le nombre immense épouvanta Sémiramis-la-Victorieuse, lorsqu’en faisant jeter les fondations de la Babylone d’Egypte (le vieux Caire), elle vit s’effondrer les voûtes d’une de ces nécropoles habitées par des vivans.

— Et après les quarante et un jours, que devenait l’initié ?

— Il avait encore à subir dix-huit jours de retraite où il devait garder un silence complet. Il lui était permis seulement de lire et d’écrire. Ensuite on lui faisait subir un examen où toutes les actions de sa vie étaient analysées et critiquées. Cela durait encore douze jours ; puis on le faisait coucher neuf jours encore derrière la statue d’Isis, — après avoir supplié la déesse de lui apparaître dans ses songes et de lui inspirer la sagesse. Enfin, au bout de trois mois environ, les épreuves étaient terminées. L’aspiration du néophyte vers la divinité, aidée des lectures, des instructions et du jeûne, arrivait à un tel degré d’enthousiasme qu’il était digne enfin de voir tomber devant lui les voiles sacrés de la déesse. Là, son étonnement était au comble, — en voyant s’animer cette froide statue dont les traits avaient pris tout à coup la ressemblance de la femme qu’il aimait le plus ou de l’idéal qu’il s’était formé de la beauté la plus parfaite.

(1) Lactance, Meursius, le père Lafitteau, l’abbé Terrasson, etc.

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10 mars 1850 — Les Nuits du Ramazan, dans Le National, 4e livraison.

La conversation se poursuit sur le thème cher à Nerval du syncrétisme religieux. Le lendemain, une visite rapide des autres vestiges de Memphis n’apporte rien de plus aux deux voyageurs, et il ne reste plus à Nerval qu’à remplir la promesse faite à Gauttier d’Arc de lui rapporter une momie d’ibis. Mais le consul, très malade, a déjà quitté Le Caire pour Alexandrie où il va mourir.

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LES NUITS DU RAMAZAN.

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INTRODUCTION.. (Suite et fin)

Au moment où il tendait les bras pour la saisir, elle s’évanouissait dans un nuage de parfums. Les prêtres entraient en grande pompe et l’initié était proclamé pareil aux dieux. Prenant place ensuite au banquet des Sages, il lui était permis de goûter aux mets les plus délicats et de s’enivrer de l’ambroisie terrestre, qui ne manquait pas à ces fêtes. Un seul regret lui était resté, c’était de n’avoir admiré qu’un instant la divine apparition qui avait daigné lui sourire. Ses rêves allaient la lui rendre. Un long sommeil, dû sans doute au suc du lotus exprimé dans sa coupe pendant le festin, permettait aux prêtres de le transporter à quelques lieues de Memphis, — au bord du lac célèbre qui porte encore le nom de Karoun (Caron). Une cange le recevait toujours endormi et le transportait dans cette province du Fayom, — oasis délicieuse, qui, aujourd’hui encore, est le pays des roses. Il existait là une vallée profonde, entourée de montagnes en partie, en partie aussi séparée du reste du pays par des abîmes creusés de main d’homme, — où les prêtres avaient su réunir les richesses dispersées de la nature entière. Les arbres de l’Inde et de l’Yémen y mariaient leurs feuillages touffus et leurs fleurs étranges aux plus riches végétations de la terre d’Egypte.

Des animaux apprivoisés donnaient de la vie à cette merveilleuse décoration, et l’initié, déposé là tout endormi sur le gazon, se trouvait à son réveil dans un monde qui semblait la perfection même de la nature créée. Il se levait, respirant l’air pur du matin, renaissant aux feux du soleil qu’il n’avait pas vu depuis longtemps ; il écoutait le chant cadencé des oiseaux, admirait les fleurs embaumées, la surface calme des eaux bordées de papyrus et constellées de lotus rouges, où le Flamand rose et l’Ibis traçaient leurs courbes gracieuses... Mais quelque chose manquait encore pour animer la solitude. — Une femme, une vierge innocente, si jeune, qu’elle semblait elle-même sortir d’un rêve matinal et pur, — si belle, qu’en la regardant de plus près on pouvait reconnaître en elle les traits admirables d’Isis entrevus à travers un nuage : telle était la créature divine qui devenait la compagne et la récompense de l’initié triomphant.

Ici je crus devoir interrompre le récit imagé du savant Berlinois : — Il me semble, lui dis-je, que vous me racontez là l’histoire d’Adam et d’Eve.

— A peu près, répondit-il.

En effet, la dernière épreuve si charmante, mais si imprévue, de l’initiation égyptienne, était la même que Moïse a racontée dans les premiers chapitres de la Genèse. Dans ce jardin merveilleux, — dont M. Lepsius retrouve sans doute en ce moment les traces, — existait un arbre dont les fruits étaient défendus au néophyte admis dans le Paradis. Il est tellement certain que cette dernière victoire sur soi-même était la clause suprême de l’initiation, qu’on a trouvé dans la Haute-Egypte des bas-reliefs âgés de 3,000 ans représentant un homme et une femme sous un arbre (1), dont cette dernière offre le fruit à son compagnon de solitude. Autour de l’arbre est enlacé un serpent, représentation de Typhon, le dieu du mal. En effet, il arrivait généralement que l’initié qui avait vaincu tous les périls matériels se laissait prendre à cette séduction, dont le dénouement était son exclusion du Paradis terrestre ; sa punition d’errer dans le monde, et de répandre chez les nations étrangères les instructions qu’il avait reçues des prêtres.

S’il résistait, au contraire, ce qui était bien rare, à la dernière tentation, il devenait l’égal d’un roi. On le promenait en triomphe dans les rues de Memphis, et sa personne était sacrée. — C’est pour avoir manqué cette épreuve que Moïse fut privé des honneurs qu’il attendait. Blessé de ce résultat, il se mit en guerre ouverte avec les prêtres égyptiens, lutta contre eux de science et de prodiges, et finit par délivrer son peuple au moyen d’un complot, dont on sait le résultat.

Le Prussien qui me racontait tout cela était évidemment un fils de Voltaire ; cet homme en était encore au scepticisme religieux de Frédéric II. Je ne pus m’empêcher de lui en faire l’observation. — Vous vous trompez, me dit-il : nous autres protestans, nous analysons tout ; mais nous n’en sommes pas moins religieux. S’il paraît démontré que l’idée du Paradis terrestre, de la pomme et du serpent, a été connue des anciens Egyptiens, cela ne prouve nullement que la tradition n’en soit pas divine. Je suis même disposé à croire que cette dernière épreuve des mystères n’était qu’une représentation mystique de la scène qui a dû se passer aux premiers jours du monde. Que Moïse ait appris cela des Egyptiens dépositaires de la sagesse primitive, ou qu’il se soit servi, en écrivant la Genèse, des impressions qu’il avait lui-même connues, — cela n’infirme pas la vérité première. Triptolème, Orphée et Pythagore subirent aussi les mêmes épreuves. L’un a fondé les mystères d’Eleusis, l’autre ceux des Cabires de Samothrace, le troisième les associations mystiques du Liban. Orphée eut encore moins de succès que Moïse ; il manqua la quatrième épreuve, dans laquelle il fallait avoir la présence d’esprit de saisir les anneaux suspendus au-dessus de soi, quand les échelons de fer commençaient à manquer sous les pieds... Il retomba dans le canal, d’où on le tira avec peine, et au lieu de parvenir au temple, il lui fallut retourner en arrière et remonter jusqu’à la sortie des pyramides. Pendant l’épreuve, sa femme lui avait été enlevée par un de ces accidens naturels dont les prêtres créaient aisément l’apparence. Il obtint, grâce à son talent et à sa renommée, de recommencer les épreuves, et les manqua une seconde fois. C’est ainsi qu’Euridice fut perdue à jamais pour lui, et qu’il se vit réduit à la pleurer dans l’exil.

— Avec ce système, dis-je, il est possible d’expliquer matériellement toutes les religions. Mais qu’y gagnerons-nous ?

— Rien. Nous venons seulement de passer deux heures en causant d’origines et d’histoire. Maintenant le soir vient ; — regagnons la plaine et allons visiter le sphinx de Gyzeh.

Le sphinx a été trop souvent décrit pour que je parle ici d’autre chose que de l’admirable conservation de sa figure, — haute de dix-huit pieds. Il est évident que ce rocher de granit fut sculpté dans une époque où l’art était très avancé. Son nez brisé lui donne de loin un air d’Ethiopien ; mais le reste du visage appartient à quelqu’une des races les plus belles de l’Asie. — Nous nous contentâmes d’admirer ensuite les deux autres pyramides qui ont conservé leur revêtement. La seconde a été ouverte, mais on y a trouvé seulement deux ou trois salles pareilles à celles que nous avions visitées dans les premières, — la troisième, la plus petite, que les Arabes appellent la pyramide la Fille, en souvenir sans doute de la courtisane Rhodope, qu’on suppose l’avoir fait bâtir — est vierge de toute exploration. Autour du plateau sablonneux des trois pyramides sont des restes de temples et d’hypogées. Quelques sarcophages brisés gisent çà et là, ainsi qu’une multitude de figurines en pâte verte, parmi lesquelles on en rencontre rarement d’entières. Les Arabes voulaient nous en vendre quelques-unes ; mais il nous parut probable qu’ils ne les avaient pas ramassées sur le lieu même. Il doit en exister des fabriques au Caire, comme pour les vases étrusques que l’on vend à Naples.

Nous passâmes la nuit dans une locanda italienne, située près de là, et, le lendemain on nous conduisit sur l’emplacement de Memphis, situé à près de deux lieues vers le midi. — Les ruines y sont méconnaissables ; et d’ailleurs le tout est recouvert d’une forêt de palmiers, au milieu de laquelle on rencontre l’immense statue de Sésostris, haute de soixante pieds, mais couchée à plat ventre sur le sable. Parlerai-je encore de Saccarah, où l’on arrive ensuite ; de ses pyramides, plus petites que celles de Gizeh, — parmi lesquelles on distingue la grande pyramide de briques construite par les Hébreux ? — Un spectacle plus curieux est l’intérieur des tombeaux d’animaux qui se rencontrent dans la plaine en grand nombre. Il y en a pour les chats, pour les crocodiles et pour les ibis. On y pénètre fort difficilement, en respirant la cendre et la poussière, ou se traînant parfois dans des conduits, où l’on ne peut passer qu’à genoux. Puis, on se trouve au milieu de vastes souterrains où sont entassés par millions et symétriquement rangés tous ces animaux que les bons Egyptiens se donnaient la peine d’embaumer et d’ensevelir ainsi que des hommes. Chaque momie de chat est entortillée de plusieurs aunes de bandelettes, sur lesquelles, d’un bout à l’autre, sont inscrites en hiéroglyphes, probablement la vie et les vertus de l’animal (2). Il en est de même des crocodiles... Quant aux ibis, leurs restes sont enfermés dans des vases en terre de Thèbes, rangés également sur une étendue incalculable, comme des pots de confitures dans un office de campagne.

Je pus remplir facilement la commission que m’avait donnée le consul ; puis, je me séparai de l’officier prussien, qui continuait sa route vers la Haute-Egypte, et je revins au Caire, en descendant le Nil dans une cange.

Je me hâtai d’aller porter au consulat l’ibis obtenu au prix de tant de fatigues ; mais on m’apprit que, pendant les trois jours consacrés à mon exploration, notre pauvre consul (3) avait senti s’aggraver son mal et s’était embarqué pour Alexandrie

Si je parle ici de ces événemens éloignés déjà, c’est que je viens de recevoir à Constantinople la triste nouvelle de sa mort.

Et c’est au milieu du cimetière de Galata, devant l’éblouissant tableau de Constantinople et de Scutari, qui bordent sous mes yeux la côte d’Europe et la côte d’Asie, — que je pense tristement à cette fin si prématurée, à cet homme dont les derniers entretiens m’avaient révélé tant de science modeste, — et tant d’affabilité précieuse au voyageur, sur cette terre arabe où l’on n’a qu’à choisir entre des tombes et des ruines.

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(1) Voir l’Histoire des religions, de l’abbé Banier, et Les Dieux de Moïse, de M. Lacour

(2) Lorsque l’armée d’Egypte visita les sépulcres de Saccarah, elle s’étonna de la quantité de chats que plusieurs d’entre eux contenaient. Quelques soldats eurent l’idée de mettre le feu dans ces souterrains pour en connaître la profondeur. Les momies des chats, imprégnées de bitume, brûlèrent pendant huit jours, puis le feu s’étouffa de lui-même. Lorsqu’on crut la fumée dissipée, on redescendit dans le souterrain. Au delà de l’espace immense que le feu avait découvert, au delà des matières charbonnées qu’il fallut extraire, on trouva encore de nouvelles rangées de chats qui semblaient défier la destruction d’arriver au bout de son œuvre.

(3) Gauthier [sic] d’Arc

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