TEXTES
1824, Poésies diverses (manuscrit autographe)
1824, L’Enterrement de la Quotidienne (manuscrit autographe)
1824, Poésies et poèmes (manuscrit autographe)
1825, « Pour la biographie des biographes » (manuscrit autographe)
15 février 1826 (BF), Napoléon et la France guerrière, chez Ladvocat
6 mai 1826 (BF), Complainte sur l’immortalité de M. Briffaut, par Cadet Roussel, chez Touquet
6 mai 1826 (BF), Monsieur Dentscourt ou le Cuisinier d’un grand homme, chez Touquet
20 mai 1826 (BF), Les Hauts faits des Jésuites, par Beuglant, chez Touquet
12 août 1826 (BF), Épître à M. de Villèle (Mercure de France du XIXe siècle)
11 novembre 1826 (BF), Napoléon et Talma, chez Touquet
13 et 30 décembre 1826 (BF), L’Académie ou les membres introuvables, par Gérard, chez Touquet
16 mai 1827 (BF), Élégies nationales et Satires politiques, par Gérard, chez Touquet
29 juin 1827, La dernière scène de Faust (Mercure de France au XIXe siècle)
28 novembre 1827 (BF), Faust, tragédie de Goëthe, 1828, chez Dondey-Dupré
15 décembre 1827, A Auguste H…Y (Almanach des muses pour 1828)
1828? Faust (manuscrit autographe)
1828? Le Nouveau genre (manuscrit autographe)
mai 1829, Lénore. Ballade allemande imitée de Bürger (La Psyché)
août 1829, Le Plongeur. Ballade, (La Psyché)
octobre 1829, A Schmied. Ode de Klopstock (La Psyché)
24 octobre 1829, Robert et Clairette. Ballade allemande de Tiedge (Mercure de France au XIXe siècle)
21 novembre 1829, Chant de l’épée. Traduit de Korner (Mercure de France au XIXe siècle)
19 décembre 1829, Lénore. Traduction littérale de Bürger (Mercure de France au XIXe siècle)
janvier 1830, La Lénore de Bürger, nouvelle traduction littérale (La Psyché)
16 janvier 1830, Ma Patrie, de Klopstock (Mercure de France au XIXe siècle)
23 janvier 1830, Légende, par Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)
6 février (BF) Poésies allemandes, Klopstock, Goethe, Schiller, Burger (Bibliothèque choisie)
13 février 1830, Les Papillons (Mercure de France au XIXe siècle)
13 février 1830, Appel, par Koerner (1813) (Mercure de France au XIXe siècle)
13 mars 1830, L’Ombre de Koerner, par Uhland, 1816 (Mercure de France au XIXe siècle)
27 mars 1830, La Nuit du Nouvel an d’un malheureux, de Jean-Paul Richter (La Tribune romantique)
29 avril 1830, La Pipe, chanson traduite de l’allemand, de Pfeffel (La Tribune romantique)
13 mai 1830 Le Cabaret de la mère Saguet (Le Gastronome)
mai 1830, M. Jay et les pointus littéraires (La Tribune romantique)
juillet ? 1830, Récit des journées des 27-29 juillet (manuscrit autographe)
14 août 1830, Le Peuple (Mercure de France au XIXe siècle)
11 décembre 1830, A Victor Hugo. Les Doctrinaires (Almanach des muses pour 1831)
29 décembre 1830, La Malade (Le Cabinet de lecture )
29 janvier 1831, Odelette, Le Vingt-cinq mars (Almanach dédié aux demoiselles)
14 mars 1831, En avant, marche! (Cabinet de lecture)
23 avril 1831, Bardit, traduit du haut-allemand (Mercure de France au XIXe siècle)
7 mai 1831, Profession de foi (Mercure de France au XIXe siècle)
25 juin et 9 juillet 1831, Nicolas Flamel, drame-chronique (Mercure de France au XIXe siècle)
4 décembre 1831, Cour de prison, Le Soleil et la gloire (Le Cabinet de lecture)
17 décembre 1831, Fantaisie, odelette (Annales romantiques pour 1832)
24 septembre 1832, La Main de gloire, histoire macaronique (Le Cabinet de lecture)
14 décembre 1834, Odelettes (Annales romantiques pour 1835)
1835-1838 ? Lettres d’amour (manuscrits autographes)
26 mars et 20 juin 1836, De l’Aristocratie en France (Le Carrousel)
20 et 26 mars 1837, De l’avenir de la tragédie (La Charte de 1830)
12 août 1838, Les Bayadères à Paris (Le Messager)
18 septembre 1838, A M. B*** (Le Messager)
2 octobre 1838, La ville de Strasbourg. A M. B****** (Le Messager)
26 octobre 1838, Lettre de voyage. Bade (Le Messager)
31 octobre 1838, Lettre de voyage. Lichtenthal (Le Messager)
24 novembre 1838, Léo Burckart (manuscrit remis à la censure)
25, 26 et 28 juin 1839, Le Fort de Bitche. Souvenir de la Révolution française (Le Messager)
13 juillet 1839 (BF) Léo Burckart, chez Barba et Desessart
19 juillet 1839, « Le Mort-vivant », drame de M. de Chavagneux (La Presse)
15 et 16-17 août 1839, Les Deux rendez-vous, intermède (La Presse)
17 et 18 septembre 1839, Biographie singulière de Raoul Spifamme, seigneur des Granges (La Presse)
28 janvier 1840, Lettre de voyage I (La Presse)
25 février 1840, Le Magnétiseur
5 mars 1840, Lettre de voyage II (La Presse)
8 mars 1840, Lettre sur Vienne (L’Artiste)
26 mars 1840, Lettre de voyage III (La Presse)
28 juin 1840, Lettre de voyage IV, Un jour à Munich (La Presse)
18 juillet 1840 (BF) Faust de Goëthe suivi du second Faust, chez Gosselin
26 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort I (La Presse)
29 juillet, 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort II (La Presse)
30 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort III (La Presse)
11 février 1841, Une Journée à Liège (La Presse)
18 février 1841, L’Hiver à Bruxelles (La Presse)
1841 ? Première version d’Aurélia (feuillets autographes)
février-mars 1841, Lettre à Muffe, (sonnets, manuscrit autographe)
1841 ? La Tête armée (manuscrit autographe)
mars 1841, Généalogie dite fantastique (manuscrit autographe)
1er mars 1841, Jules Janin, Gérard de Nerval (Journal des Débats)
5 mars 1841, Lettre à Edmond Leclerc
7 mars 1841, Les Amours de Vienne (Revue de Paris)
31 mars 1841, Lettre à Auguste Cavé
11 avril 1841, Mémoires d’un Parisien. Sainte-Pélagie en 1832 (L’Artiste)
9 novembre 1841, Lettre à Ida Ferrier-Dumas
novembre? 1841, Lettre à Victor Loubens
10 juillet 1842, Les Vieilles ballades françaises (La Sylphide)
15 octobre 1842, Rêverie de Charles VI (La Sylphide)
24 décembre 1842, Un Roman à faire (La Sylphide)
19 et 26 mars 1843, Jemmy O’Dougherty (La Sylphide)
11 février 1844, Une Journée en Grèce (L’Artiste)
10 mars 1844, Le Roman tragique (L’Artiste)
17 mars 1844, Le Boulevard du Temple, 1re livraison (L’Artiste)
31 mars 1844, Le Christ aux oliviers (L’Artiste)
5 mai 1844, Le Boulevard du Temple 2e livraison (L’Artiste)
12 mai 1844, Le Boulevard du Temple, 3e livraison (L’Artiste)
2 juin 1844, Paradoxe et Vérité (L’Artiste)
30 juin 1844, Voyage à Cythère (L’Artiste)
28 juillet 1844, Une Lithographie mystique (L’Artiste)
11 août 1844, Voyage à Cythère III et IV (L’Artiste)
15 septembre, Diorama (L’Artiste-Revue de Paris)
29 septembre 1844, Pantaloon Stoomwerktuimaker (L’Artiste)
20 octobre 1844, Les Délices de la Hollande I (La Sylphide)
8 décembre 1844, Les Délices de la Hollande II (La Sylphide)
16 mars 1845, Pensée antique (L’Artiste)
19 avril 1845 (BF), Le Diable amoureux par J. Cazotte, préface de Nerval, chez Ganivet
1er juin 1845, Souvenirs de l’Archipel. Cérigo (L’Artiste-Revue de Paris)
6 juillet 1845, L’Illusion (L’Artiste-Revue de Paris)
5 octobre 1845, Strasbourg (L’Artiste-Revue de Paris)
novembre-décembre 1845, Le Temple d’Isis. Souvenir de Pompéi (La Phalange)
28 décembre 1845, Vers dorés (L’Artiste-Revue de Paris)
1er mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste I (L’Artiste-Revue de Paris)
15 mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste II (L’Artiste-Revue de Paris)
1er mai 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne (Revue des Deux Mondes)
17 mai 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste III (L’Artiste-Revue de Paris)
12 juillet 1846 Sensations d’un voyageur enthousiaste IV (L’Artiste-Revue de Paris)
16 août 1846, Un Tour dans le Nord. Angleterre et Flandre (L’Artiste-Revue de Paris)
30 août 1846, De Ramsgate à Anvers (L’Artiste-Revue de Paris)
20 septembre 1846, Une Nuit à Londres (L’Artiste-Revue de Paris)
1er novembre 1846, Un Tour dans le Nord III (L’Artiste-Revue de Paris)
22 novembre 1846, Un Tour dans le Nord IV (L’Artiste-Revue de Paris)
15 décembre 1846, Scènes de la vie égyptienne moderne. La Cange du Nil (Revue des Deux Mondes)
1847, Scénario des deux premiers actes des Monténégrins
15 février 1847, La Santa-Barbara. Scènes de la vie orientale (Revue des Deux Mondes)
15 mai 1847, Les Maronites. Un Prince du Liban (Revue des Deux Mondes)
15 août 1847, Les Druses (Revue des Deux Mondes)
17 octobre 1847, Les Akkals (Revue des Deux Mondes)
21 novembre 1847, Souvenirs de l’Archipel. Les Moulins de Syra (L’Artiste-Revue de Paris)
15 juillet 1848, Les Poésies de Henri Heine (Revue des Deux Mondes)
15 septembre 1848, Les Poésies de Henri Heine, L’Intermezzo (Revue des Deux Mondes)
1er-27 mars 1849, Le Marquis de Fayolle, 1re partie (Le Temps)
26 avril 16 mai 1849, Le Marquis de Fayolle, 2e partie (Le Temps)
6 octobre 1849, Le Diable rouge (Almanach cabalistique pour 1850)
7 mars-19 avril 1850, Les Nuits du Ramazan (Le National)
15 août 1850, Les Confidences de Nicolas, 1re livraison (Revue des Deux Mondes)
26 août 1850, Le Faust du Gymnase (La Presse)
1er septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 2e livraison (Revue des Deux Mondes)
9 septembre 1850, Excursion rhénane (La Presse)
15 septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 3e livraison (Revue des Deux Mondes)
18 et 19 septembre 1850, Les Fêtes de Weimar (La Presse)
1er octobre 1850, Goethe et Herder (L’Artiste-Revue de Paris)
24 octobre-22 décembre 1850, Les Faux-Saulniers (Le National)
29 décembre 1850, Les Livres d’enfants, La Reine des poissons (Le National)
novembre 1851, Quintus Aucler (Revue de Paris)
24 janvier 1852 (BF), L’Imagier de Harlem, Librairie théâtrale
15 juin 1852, Les Fêtes de mai en Hollande (Revue des Deux Mondes)
1er juillet 1852, La Bohême galante I (L’Artiste)
15 juillet 1852, La Bohême galante II (L’Artiste)
1er août 1852, La Bohême galante III (L’Artiste)
15 août 1852, La Bohême galante IV (L’Artiste)
21 août 1852 (BF), Lorely. Souvenirs d’Allemagne, chez Giraud et Dagneau (Préface à Jules Janin)
1er septembre 1852, La Bohême galante V (L’Artiste)
15 septembre 1852, La Bohême galante VI (L’Artiste)
1er octobre 1852, La Bohême galante VII (L’Artiste)
9 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 1re livraison (L’Illustration)
15 octobre 1852, La Bohême galante VIII (L’Artiste)
23 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 2e livraison (L’Illustration)
30 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 3e livraison (L’Illustration)
1er novembre 1852, La Bohême galante IX (L’Artiste)
6 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 4e livraison (L’Illustration)
13 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 5e livraison (L’Illustration)
15 novembre 1852, La Bohême galante X (L’Artiste)
20 novembre 1852, Les Illuminés, chez Victor Lecou (« La Bibliothèque de mon oncle »)
1er décembre 1852, La Bohême galante XI (L’Artiste)
15 décembre 1852, La Bohême galante XII (L’Artiste)
1er janvier 1853 (BF), Petits Châteaux de Bohême. Prose et Poésie, chez Eugène Didier
15 août 1853, Sylvie. Souvenirs du Valois (Revue des Deux Mondes)
14 novembre 1853, Lettre à Alexandre Dumas
25 novembre 1853-octobre 1854, Lettres à Émile Blanche
10 décembre 1853, Alexandre Dumas, Causerie avec mes lecteurs (Le Mousquetaire)
17 décembre 1853, Octavie (Le Mousquetaire)
1853-1854, Le Comte de Saint-Germain (manuscrit autographe)
28 janvier 1854 (BF) Les Filles du feu, préface, Les Chimères, chez Daniel Giraud
31 octobre 1854, Pandora (Le Mousquetaire)
25 novembre 1854, Pandora, épreuves du Mousquetaire
Pandora, texte reconstitué par Jean Guillaume en 1968
Pandora, texte reconstitué par Jean Senelier en 1975
30 décembre 1854, Promenades et Souvenirs, 1re livraison (L’Illustration)
1854 ? Sydonie (manuscrit autographe)
1854? Emerance (manuscrit autographe)
1854? Promenades et Souvenirs (manuscrit autographe)
janvier 1855, Oeuvres complètes (manuscrit autographe)
1er janvier 1855, Aurélia ou le Rêve et la Vie (Revue de Paris)
6 janvier 1855, Promenades et Souvenirs, 2e livraison (L’Illustration)
3 février 1855, Promenades et Souvenirs, 3e livraison (L’Illustration)
15 février 1855, Aurélia ou Le Rêve et la Vie, seconde partie (Revue de Paris)
15 mars 1855, Desiderata (Revue de Paris)
1866, La Forêt noire, scénario
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BF: annonce dans la Bibliographie de la France
Manuscrit autographe: manuscrit non publié du vivant de Nerval
15 février 1826 (BF) — Napoléon et la France guerrière. Élégies nationales. Par Gérard L……. À Paris, chez Ladvocat, libraire. Palais-Royal, galerie de Bois, et chez les marchands de nouveautés. 1826.
Gérard semble avoir préféré, pour son entrée dans la grande poésie élégiaque, un éditeur moins engagé politiquement que Touquet. Le libraire Ladvocat au Palais Royal est un peu le Dauriat des Illusions perdues. Nerval restera cependant fidèle à Touquet en publiant chez lui une autre édition des Élégies nationales sous le titre : La France guerrière, en janvier 1827.
Il existe un manuscrit autographe intitulé, de la main de Nerval : Élégies nationales / par Mr Labrunie // des PoL // md, ces deux dernières abréviations demeurant mystérieuses. Le manuscrit comprend six élégies : Élégie I, Les Succès, l’Élégie II a été arrachée, Élégie III, Le Retour de l’exilé, Élégie IV, Waterloo, Élégie V, Les Étrangers à Paris, et une sixième élégie, sans numéro, intitulée: La Mort de l’exilé, suivie d’un Épilogue. Nous donnons ici le texte des deux élégies non publiées, Les Succès et Épilogue. Le volume des Élégies nationales et Satires politiques de 1827 annonce : « Pour paraître incessamment : Élégies nationales nouvelles, servant de complément aux premières. « Il s’agit peut-être des brouillons de 1826.
Les cahiers de poésies de 1824 témoignaient déjà de l’attachement de Gérard à la figure mythique de Napoléon. C’est un héros crépusculaire que présentent ici quatre grandes élégies, « La Russie », « Waterloo », « Les Étrangers à Paris », « La Mort de l’exilé ».
Voir la notice LES ANNÉES CHARLEMAGNE.
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NAPOLÉON
et
LA FRANCE GUERRIÈRE.
Un poète de seize ans et demi, entreprenant un sujet aussi grand que celui de la France malheureuse et trahie, peut espérer quelque indulgence ; des incohérences, des pensées fausses et peu d’habitude de faire des vers en feront voir la nécessité ; mais si dans ces essais, on pouvait découvrir quelques-uns de ces traits qui caractérisent les enfans des Muses, il tenterait de se perfectionner dans un art, qui lui donnerait les moyens d’exprimer les sentimens d’une âme pure et patriotique.
LA RUSSIE.
Bruit, chimères, grandeurs, éclat, tout a cessé !...
Porterons-nous encor les yeux vers la victoire ?
Vers ce passé fameux, chargé de tant de gloire ?...
Un revers a tout effacé !
_
Cependant, c’est au bruit de nos mâles courages,
Que s’étaient élancés avec notre laurier,
Ces cris d’étonnement, ces cris d’un âge entier,
Qui retentiront dans les âges (1).
_
Invincible au milieu de ses braves Français,
Et n’étant point encore instruit par les défaites,
Bonaparte, égaré par de trop longs succès,
Avait fixé les yeux sur l’astre des conquêtes :
__
Il crut qu’il le suivrait dans le plus froid climat,
Et son œil aveuglé d’un trop brillant éclat,
Au milieu des brouillards cherchait le météore,
Et dans un ciel désert croyait le voir encore.
_
Mais il ne vit plus rien, que l’horreur et la mort,
Rien, que l’aridité d’une terre glacée,
Il n’entendit plus rien, que le souffle du Nord,
Chassant le dernier son de sa grandeur passée.
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S’il veut autour de lui promener ses regards,
Que voit-il ? Les débris de son immense armée,
Des squelettes hideux, errans de toutes parts,
Naguère les appuis de tant de renommée !
_
Des torrens, des rochers, un ciel toujours couvert,
Qu’un seul reflet du jour dans le lointain colore,
Et les feux de Moscou, qui promènent encore
Leurs funestes clartés sur ce vaste désert.
_
Alors il réfléchit ; sa pensée incertaine
Rappelle du passé le brillant souvenir ;
Et le passé n’est plus qu’une image lointaine
Qui s’abîme dans l’avenir !
_
Souvent son œil voudrait en sonder le mystère,
Il croit voir à sa mort l’avenir trop sévère
Lui désigner un rang
Parmi ces insensés, avides de carnage,
Dont rien dans l’univers ne marque le passage,
Qu’une trace de sang.
_
Qu’il tremble, encor vivant, il est mort pour la gloire ;
C’est en vain qu’il voudra rappeler la victoire,
Son bonheur est passé :
Du ciel qu’elle habita sa grandeur qui s’efface,
Déjà sur l’horizon ne laissant plus de trace,
Semble un astre éclipsé.
_
Des glaces, des déserts, voilà donc le domaine,
L’empire que, parti d’une terre lointaine,
Il venait conquérir,
Partout ces monts glacés repoussent l’espérance ;
Là va bientôt régner un éternel silence,
C’est là qu’il faut mourir !
_
Il croit en ce moment voir la France abattue,
Par ceux qu’elle vainquit en un instant vaincue,
Pleurer son seul appui ;
Encor s’il mourait seul, mais cette armée immense,
Ces nombreux combattans qu’il redoit à la France,
Vont périr avec lui !
_
Quel supplice cruel ! victorieux encore,
Des plus nobles lauriers quand leur front se décore,
Ils mourront sans combats :
Ils cherchent l’ennemi, l’ennemi les évite,
Revient, fuit tour-à-tour, et lance dans sa fuite
Un perfide trépas.
_
Que craint-il cependant ? Dans la neige profonde,
Il voit ces légions, l’épouvante du monde,
S’entasser par monceaux,
Les vivans appuyés sur leurs armes muettes,
Se traîner lentement, comme d’affreux squelettes
Échappés des tombeaux.
_
Naguère on vit marcher cette superbe armée,
Comme un fleuve dévastateur,
Sur le front abaissé de l’Europe alarmée,
Passa son flot dominateur :
Rien encor de son onde avide
N’avait pu réprimer l’effort,
Mais enfin la glace du Nord
Enchaîna ce torrent rapide.
_
Au lieu des légions dont le vaste appareil
D’un peuple de héros annonçait le réveil,
C’est un amas confus qui s’appauvrit sans cesse,
Des bataillons sans chefs, des chefs sans bataillons,
Cachant leur pauvreté sous de riches haillons (2),
Et dont le dénûment accuse la faiblesse.
_
Qui peut donc effrayer leurs farouches rivaux ?
Est-ce le noble éclat de trente ans de victoire,
Qui, même au milieu de leurs maux,
Semble les couronner d’un long rayon de gloire ?
_
Les ennemis, fuyant leurs débiles vainqueurs,
Semblent en redouter la guerrière attitude,
Toujours de la défaite une longue habitude,
Comme un vieux préjugé, règne encor dans leurs cœurs.
_
Cependant, c’est le sort qui livre à leur vengeance
De ces fiers conquérans la farouche arrogance ;
Quelle honte pour eux, s’ils laissent en repos
Ces cadavres hideux sortir de leurs tombeaux !...
_
Ils donnent le signal, et la mort se déploie,
S’arrête sur les monts, prête à saisir sa proie ;
Elle part, renversant des bataillons entiers,
Fait pleuvoir son courroux au milieu des guerriers,
Dont les corps mutilés roulent dans les abîmes,
Et semble s’acharner sur ses tristes victimes.
_
Partout c’est l’ennemi, partout c’est le trépas ;
Comme d’affreux volcans, ces roches menaçantes
Vomissent sur nos preux des flammes dévorantes,
Et se couronnent de soldats :
Mais ce spectacle encor ranime leur vaillance ;
Vers ces rochers en feu leur foule qui s’élance
N’attend point le trépas, mais veut l’aller chercher,
Et bientôt roule terrassée,
Comme la vague au loin vers les cieux élancée,
Qui retombe au pied du rocher.
_
Mais, ô valeur sublime, et qu’on ne pourra croire !
Ces mourans décharnés, sans armes, abattus,
Par le froid, par la faim, tour-à-tour combattus,
Partout sur leurs rivaux remportent la victoire :
Montrant que le Destin, sur de nobles vainqueurs,
Aux lâches quelquefois peut donner l’avantage ;
Mais que souvent, malgré le sort et le malheur,
La force ne peut rien où règne le courage.
_
Cependant, s’arrachant à tant de maux soufferts,
Entraînant les débris de sa débile armée,
Le chef des nations quitte ces froids déserts,
Tel qu’un feu qui s’éteint en traversant les airs,
Et laisse dans sa course un long trait de fumée.
(1) Idée tirée de Napoléon et la grande armée, par M. de Ségur.
(2) Les tapis, les pelisses et les étoffes précieuses de Moscou.
______
WATERLOO.
Pleure, Napoléon, ton pouvoir expirant,
Sous d’indignes revers ta gloire est étouffée ;
Qu’en est-il revenu, de ton pompeux trophée ? —
Le char brisé du conquérant ! (1)
_
L’étranger va fouler ta dépouille mortelle,
Tes amis d’autrefois viennent de te trahir ;
Tu tombes : et déjà sur leurs lèvres cruelles,
Un sourire de sang vient de s’épanouir.
_
C’est en vain qu’au Destin tu résistes encore,
Ta grandeur a passé comme un vain météore,
Comme un son qui dans l’air a long-temps éclaté :
Peut-être que ce bruit d’une puissance humaine
A frappé les échos de la rive lointaine.....
Mais les vents ont tout emporté !
_
Qu’entends-tu dans les camps ? C’est le bronze qui tonne :
Mais ton oreille est faite à ce bruit monotone ;
« Je crains peu, disais-tu, du haut de ton pouvoir,
Ces rois paralysés cherchant à se mouvoir,
Esclaves révoltés, que mon regard farouche,
Qu’un signe de ma main, ou qu’un mot de ma bouche
Fera rentrer dans le devoir. »
_
Quand tu vis ce torrent, grossi par la tempête,
Si long-temps refoulé, refluer sur ta tête,
Le dépit éclata dans ton œil irrité :
Arrête! as-tu crié : Mais toujours il s’avance ;
Hélas ! ange déchu, pour toi plus d’espérance,
Il est vrai que d’un Dieu tu gardes la fierté.....
Mais tu n’en as plus la puissance.
_
Nos guerriers, où sont-ils ? O tableaux déchirans !
Les voilà, renversés sur la terre flétrie,
Sanglans, criblés de coups, abattus, expirans.....
Mais expirant pour la patrie !
_
Adieu notre avenir, nos succès, notre orgueil !
Waterlô, Mont-Saint-Jean, nos légions mourantes
Ont jeté leurs débris dans vos plaines sanglantes ;
Pourtant aucuns tombeaux élevés par le deuil,
N’y protègent leurs os, que le vent des montagnes
Enlève dans sa course, et rejette aux campagnes ;
Ils n’ont pas revêtu le funèbre linceul.
Quoi, ces fiers conquérans, que la mort seule arrête,
Ces preux qui de l’Europe avaient faits la conquête,
N’ont pu conquérir un cercueil !...
_
Un cercueil, des flambeaux, et des chants funéraires,
Gardez cet appareil pour les mortels vulgaires ;
Aux pompes des humains ils ne demandent rien....
Mais la postérité gardera leur mémoire,
Et les échos des temps promèneront leur gloire
Dans les climats les plus lointains.
_
Portons, portons encor les yeux sur cette plaine,
Admirons cette ardeur, ce noble empressement
De courir, de voler vers une mort certaine :
Arrêtez !.... Mais l’honneur à la mort les enchaîne,
Tous, d’un commun accord, ont juré noblement
De vaincre ou de mourir pour la cause commune ;
Ils n’ont pu triompher de l’ingrate fortune,....
Et le trépas acquitte leur serment !
_
Écoutez les foudres brûlantes,
De tant de peuples assemblés ;
Voyez, dans ces plaines sanglantes,
Nos preux, sous le nombre accablés :
Admirez-les ; leur troupe altière
Combat contre l’Europe entière,
Contre les destins irrités :
Gloire au Dieu qui leur donna l’être,
Gloire au pays qui les vit naître,
Gloire aux seins qui les ont portés !
_
Tandis que les races mortelles
S’engloutissant dans l’avenir,
Passent aux ombres éternelles,
Sans laisser même un souvenir ;
Leur gloire, sans cesse croissante,
Luira, toujours plus imposante,
Aux yeux de la postérité.
O fortune digne d’envie !
L’avenir, au prix de leur vie,
Leur donne l’immortalité !
_
On croit entendre encor ce cri mâle et sublime,
Cette voix de leurs cœurs, cet accent unanime,
Que nos preux répétaient en volant au trépas :
Quand, tout couverts de sang, et lassés d’en répandre,
Les ennemis surpris, les pressaient de se rendre :
« La garde, ont-ils crié, meurt et ne se rend pas ! »
_
Ce cri, que répétaient nos guerriers intrépides,
Couvrit d’abord le bruit des foudres homicides,
Mais bientôt il expire en murmure confus ;
C’est le dernier éclat d’un feu qui s’évapore,
Le dernier tintement d’un son sublime encore,
Que bientôt on n’entendra plus !
_
Le son s’éteint et meurt ; mais l’écho s’en empare,
Et le porte aux autres échos ;
Il annonce partout que le destin barbare
Dans la nuit du cercueil a plongé nos héros :
On pleure, on gémit, on soupire,
Le deuil plane sur les Français ;
Et l’étranger lui-même admire,
Et rougit un moment de son lâche succès.
_
Ils sont morts ! Les voilà ! Sur leurs yeux intrépides,
Un tranquille sommeil a semblé s’épancher,
Le calme règne encor sur leurs faces livides :
Qu’avaient-ils à se reprocher ?
Le soin d’une juste défense
Avait pu seul armer leurs bras,
C’est pour leur chef, c’est pour la France,
Qu’ils avaient reçu le trépas ;
Leur gloire n’était point flétrie,
Ils expiraient dans leurs foyers,
Et la terre de la patrie
Ensevelissait ses guerriers.
_
L’esprit qu’effraie un tel carnage,
Se plonge avec horreur dans ce champ de la mort,
Il ne voit que sujets d’admirer leur courage,
Et de gémir des coups du sort.
Chaque sillon qui s’entr’ouvre
Aux regards offre et découvre
Les restes froids des héros :
Un pompeux monument ne charge pas leurs os,
Mais chacun d’eux, mourant sur ce sol funéraire,
D’un amas d’ennemis eut soin de le couvrir :
C’est dans cette couche guerrière
Qu’il rendit le dernier soupir.
(1) Off all the trophies gather’d from the war
What shall return ? The conqueror’s broken car !
Childe Harold, canti III
______
LES ÉTRANGERS À PARIS
Le Soleil qui sur nous dardait ses feux rapides,
A donc été vaincu par des astres perfides,
Et ses feux endormis ont fait place aux éclairs.
Quel charme assez puissant put fasciner la vue
De cet aigle, enfant de la nue,
Dont les regards ardens dévoraient l’univers !
_
Un dieu vient de céder à des forces humaines ;
Quels bras l’ont enchaîné ? Des bras chargés de chaînes.
Avec lui s’est dissoute à nos regards surpris,
Tant de puissance amoncelée,
Il tombe, et la terre ébranlée
A tremblé sous le poids de son vaste débris.
_
Sur un rocher désert, sur la roche obscurcie,
Que le temps, que la flamme ont tour-à-tour noircie,
On le voit s’endormir pour ne s’éveiller plus ;
Autour de sa prison, roule la mer profonde ;
O Français, contemplez cet autre Marius,
Assis sur un débris du Monde !
_
Ah, si dans le combat qui décida son sort,
Il eût pu rencontrer une honorable mort,
De quel divin éclat eût brillé sa mémoire !
Mais, en proie aux chagrins, dans le malheur bercé,
Peut-être il va vieillir, comme un glaive émoussé,
Qui se ronge dans l’ombre, et se rouille sans gloire ! (1)
_
Il est là pour toujours ; plus d’espoir, plus d’appui ;
Il reste en butte à la fureur commune,
Et les lâches flatteurs qui grandirent sous lui,
L’ont renié dans l’infortune.
_
Il eut de grands succès ; mais, hélas ! à quel prix !
Secourable à-la-fois et funeste à la France,
Au plus haut période il porta sa puissance,....
Mais la France, en pleurant, lui demande ses fils !...
_
Tes fils, ne pleure pas,... ils sont morts pour la gloire,
Un laurier toujours vert ornera leur mémoire,
Partout où les guida le destin des combats,
Partout où pénétra leur rapide vaillance,
Leurs compagnons vainqueurs vengèrent leur trépas...
L’ennemi paya cher.... Mais Waterloo.... Silence !...
Ceux-ci n’ont obtenu qu’un trépas sans vengeance !
_
Français, courons sous les drapeaux,
Vengeons leur cendre profanée,
De la gloire d’une journée
Dépouillons nos lâches rivaux.
A la France qui nous appelle
Rendons son antique splendeur,
Et sur sa mourante grandeur,
Entons une grandeur nouvelle !
_
Marchons, et si le sort cesse de protéger
Un peuple généreux secouant ses entraves,
Soyons plutôt de l’étranger
Les victimes que les esclaves ;
Marchons ! En expirant, ils nous léguaient, nos braves,
Ou leur exemple à suivre, ou leur mort à venger.
_
Qu’offrir, en sacrifice, à leur cendre irritée ?
C’est du sang qu’il leur faut, nous n’avons que des pleurs ;
Tu parles de vengeance, ô France ensanglantée,
Qu’as-tu fait de tes défenseurs ?
_
Déjà des ennemis les clairons retentissent ;
Nous n’avons en nos murs qu’un peuple désarmé,
De femmes et d’enfans, un amas alarmé,
Et les lâches qui nous trahissent.
Malheureux ! Nous cédons au destin irrité !
O désespoir ! Une foule ennemie
Au poids de l’or, au poids de l’infamie,
Nous vendra notre liberté !
_
Mais il faut dévorer nos chagrins en silence.
Que de fois les sermens, les droits sont méconnus !
Que de fois l’équité gémit sous la puissance,
Que de fois penche la balance,
Sous le fer d’un nouveau Brennus !
_
Naguère riche et florissante,
Notre patrie, orgueilleuse et puissante,
S’applaudissait de sa fertilité,
Mais l’étranger y pose un pied perfide,...
Et nous cherchons en vain sur ce sol attristé,
Qui ne présente plus qu’une surface aride,
Son antique fécondité.
_
Nous voyons sous les mains de ces nouveaux Vandales,
Disparaître nos monumens,
Et ces antiques ornemens
Qui décoraient jadis nos pompes triomphales ;
Où sont-ils ces débris de cent peuples soumis,
Ces immortels travaux faits d’une main mortelle,
Ces amas d’étendards pris sur les ennemis,
Registres imposans d’une gloire éternelle !
_
L’étranger les enlève, il soustrait à nos yeux
De nos anciens travaux ces témoins glorieux ;
Des produits de nos arts à son tour il s’empare,
Dépouille d’ornemens nos palais violés,
Et promène sa main barbare
Sur nos monumens mutilés.
_
Mais sa fureur en vain sans cesse les menace ;
Et ces lâches en vain tâcheront de ternir
Les exploits étonnans que tenta notre audace ;
En vain ils essaieront d’en effacer la trace...,
En effaceront-ils l’immortel souvenir ?
_
Ce souvenir des temps bravera les injures,
Et perçant au travers des âges entassés,
Ira dire aux races futures
Les exploits des siècles passés.
_
Ainsi le peuple roi devint le peuple esclave,
Le Français s’endormit sous une indigne entrave, (2)
Et ce cri de surprise, au bruit de sa valeur,
Qui réveillait jadis les échos de la France,
Ne fut plus qu’un cri de douleur ;
_
Mais que notre ennemi cesse en son arrogance
D’insulter à notre malheur,
Ou, de nos cœurs brûlans d’une héroïque ardeur,
Partirait un cri de vengeance.
(1) …….Or a sword laid by
Which eats into itself, and rusts ingliorously.
Lord Byron.
(2) Celle des étrangers.
______
LA MORT DE L’EXILÉ.
Toi qui semblas un dieu, quoique fils de la Terre,
Qui pourra de ta vie expliquer le mystère ?
Un matin, tu brillas comme un soleil nouveau,
Mais le soir, las enfin de lasser la victoire,
Trop chargé de grandeurs, de triomphe, de gloire,
Tu roulas contre un roc avec tout ton fardeau.
_
Là tu viens de t’asseoir ; et ta tâche est finie :
Du crêpe de la nuit la terre est rembrunie ;
Au repos bienfaisant tu vas enfin céder,...
Jusqu’à ce que la voix du maître qui t’éveille
A la fin de la nuit vienne te demander
Compte du travail de la veille.
_
Mais avant d’accueillir ce sommeil précieux,
Vers le jour qui n’est plus tu reportes les yeux,
Et ton esprit, plongeant dans ta course passée,
Tantôt veut secouer un triste souvenir,
Tantôt d’un plus brillant aime à s’entretenir,
Et semble en écouter l’enivrante pensée.
_
Ah ! pleure tes grandeurs qui ne reviendront plus,
Ton pouvoir, tes honneurs, sont à jamais perdus,
Et ce charme puissant, insoluble problème,
Ce talisman vainqueur, que seul tu possédais,
Qui triomphait des rois, des peuples, du ciel même,
Dans les mains d’un mortel ne renaîtra jamais.
_
Un athlète fameux voulut briser un chêne ;
Mais il ne pensait pas que le tronc divisé,
Resserrant les éclats qu’il écarte avec peine,
Retiendrait son bras épuisé :
De ses efforts en vain déployant la puissance,
Par les cris de sa rage il trahit sa souffrance,
L’écho seul du désert répondit à sa voix :
Et le soir, s’approchant de l’arbre qui l’enchaîne,
Un animal le vit, et déchira sans peine
Le vainqueur des lions et des monstres des bois.
_
De ton orgueil trompé telle fut l’imprudence,
Attaché comme lui, sans force, sans défense,
Il fallut sous les fers plier ton bras vainqueur ;
Déchiré sans combat par des monstres perfides,
L’athlète de Crotone expira sans honneur :
Et toi, ne sens-tu pas, comme des loups avides,
Toutes les passions qui déchirent ton cœur.
_
A son arbre attaché, quelle fut sa pensée
Quand il se ressouvint de sa vigueur passée,
Dont les premiers essais étonnaient l’univers ?....
Et toi, que pensas-tu, quand battu par l’orage,
Tu te vis, de si loin, jeté sur le rivage,
Comme un débris vomi par l’écume des mers ?
_
Mais pourquoi par le temps laisser ronger tes armes ?
Pourquoi laisser couler ton âme dans les larmes (1)?
Reprends le glaive encor, sors de ton long repos :
N’as-tu donc plus le bras qui lance le tonnerre,
N’as-tu plus le sourcil qui fait trembler la terre,
N’as-tu plus le regard qui produit les héros ?
_
Lève-toi ! c’est assez gémir dans le silence !
De tes lâches gardiens crains-tu la vigilance ?
Ces vaincus d’autrefois ne te connaissent plus :
Mais redeviens toi-même, et reparaîs leur maître !...
Ils gardent sans effroi ce que tu sembles être,
Et s’enfuiront encor devant ce que tu fus !
_
Mais ton âme n’a plus sa brûlante énergie,
Ton talisman sans force a perdu sa magie,
Et les fers ont usé ta vie et ton ardeur :
Ainsi le roi des bois devient doux et docile,
Et se laisse guider par le chasseur habile,
Qui sut enchaîner sa fureur.
_
Tu n’es plus à présent qu’un mortel ordinaire,
Faible dans l’infortune et sensible aux malheurs ;
Plus d’encens ! plus d’autel pour l’enfant de la terre !...
On ne peut désormais t’accorder que des pleurs.
_
Il fallait rester grand en restant à ta place,
Au lieu de te plier, te briser sous le sort,
Tu pouvais en héros défier sa menace :
N’avais-tu pas toujours un asile ?.... la mort !
_
La mort, mais elle est là : c’est Dieu qui te rappelle ;
Il va te délivrer de l’écorce mortelle
Qui cachait ton âme de feu :
Lui seul peut prononcer l’éloge ou l’anathème.
Quand sur les rois détruits tu régnais, dieu toi-même,
Songeais-tu qu’il était un Dieu ?
_
Maintenant tu frémis, et ta vue incertaine
Sonde l’éternité ;
Et ton œil, égaré dans la céleste plaine,
Pénètre avec horreur dans son immensité.
Ne crains rien : notre Dieu, c’est un Dieu qui pardonne,
La clémence qui l’environne,
Et son éternelle bonté,
Sont sa plus brillante couronne,
Le plus bel attribut de sa divinité.
_
Il te pardonnera ; qu’importe que sur terre
Il t’ait vu consumer un temps si précieux,
A ramasser en tas quelque peu de poussière...
Que le souffle du Nord fit voler dans tes yeux.
_
La mort vient : — Et semblable à la mourante flamme,
Dans ton cœur défaillant tu sens trembler ton âme,
Et tes cils, tout chargés du long sommeil des morts,
Vacillent sur tes yeux, s’abaissent ; tu t’endors !
_
Adieu ! — Mais en quittant sa dépouille grossière,
Ton âme arrête encor, et se porte en arrière ;
Tu crains.... Que peux-tu craindre au moment du trépas ?
Non personne jamais n’occupera ta place ;
Eh ! quel fils de la Terre osera sur ta trace,
S’élancer jusqu’aux cieux pour retomber si bas ?
_
O vous qu’il étonna dans sa noble carrière,
Contemplez le héros au moment du sommeil ;
De sa chute on le vit se relever naguère....,
Mais, hélas ! cette fois, c’est sa chute dernière,
Et son repos tardif n’aura plus de réveil.
_
Ah ! contemplez encor au moment qu’il expire,
Cette tête où siégea le destin d’un empire,
Cette bouche où tonna sa formidable voix,
Ce front vaste foyer de ses projets immenses,
Cette main dont l’effort écrasait des puissances,
Élevait des guerriers, ou pesait sur des rois.
_
Mais sa bouche est muette, et sa main impuissante,
Son front n’enferme plus une pensée ardente,
Et puisque le grand homme est au séjour des morts,
Il n’en restera plus bientôt que la mémoire....
Et le ver du cercueil aura rongé son corps,
Quand l’Envie à son tour voudra ronger sa gloire.
_
Dans le triste réduit où le roi prisonnier
Après tant de chagrins exhala l’existence,
Les preux, frappés encore de son accent dernier (2),
Les yeux fixés sur lui, gémissent en silence :
Mais aux portes s’entend un bruit long et confus,
Soudain la Renommée embouche la trompette,
L’écho redit ses sons, et partout il répète
Ces mots : Il n’est plus, il n’est plus !
_
N’est-ce qu’un bruit trompeur et l’accent du mensonge ?..
Sans le croire on l’entend : mais le bruit se prolonge,
Le temps, comme un vain son, ne l’a point dissipé,
Et sur tant de grandeur la mort a donc frappé !
Les uns ont tressailli d’une barbare joie,
D’autres, pleurant sa perte, au chagrin sont en proie,
Quelques-uns même encore ne peuvent consentir
A croire un coup du sort qu’ils étaient loin de craindre :
« Comme si le soleil pouvait jamais s’éteindre,
Et comme si le Dieu pouvait jamais mourir ! »
_
Il n’est plus ; mais la gloire a droit de le défendre
Du blâme qui souvent plane autour des tombeaux,
Le grand homme en mourant a couvert ses défauts
Du rapide laurier qui grandit sur sa cendre.
_
Quoique, ressortant plus sur un front radieux,
Des faiblesses sans doute entachent sa mémoire,
Honte à vous qui voulez rabaisser cette gloire
Dont l’éclat aveugla vos yeux :
Ne portez pas si haut ces yeux faits pour la terre ;
Reptiles impuissans, rampez dans la poussière,....
L’aigle était dans les cieux !
_
Avant sa mort, craignant un revers de fortune,
L’Europe, mesurant le long gouffre des mers
Et la lenteur d’une vie importune,
Frémissait au bruit de ses fers :
Mais le champ désormais étant libre à l’injure,
Ta mémoire est en butte à des flots d’imposture,
Des nocturnes oiseaux les lamentables cris
Viennent insulter l’aigle à son heure dernière,
Comme un vent empesté, planent sur ses débris,
Et croassent long-temps autour de sa poussière.
_
« Il n’est plus, disent-ils, ce tyran des mortels,
Dans un honteux exil à son tour il succombe,
Ce lâche contempteur des ordres éternels,
Qui voulait de la terre obtenir des autels,
Et qui n’en obtint qu’une tombe.
_
Le Hasard, ce seul dieu qu’il voulût adorer,
De la coupe des biens se plut à l’enivrer ;
Mais il la vida tout entière,
Alors sa fortune cessa ;
Puis il l’emplit du sang des peuples de la terre....,
Et la coupe se renversa !
_
Comme un songe d’enfer, il pesait sur le monde,
Balayait en passant son espoir renversé,
Ainsi qu’un vent du nord dans la plaine féconde,
Promenant son souffle glacé :
La palme qu’il portait était toute sanglante,
Ses guirlandes étaient des fers,
Et son sceptre imprimait une tache infâmante
Au front des rois de l’univers ;
Sa gloire qui brûlait la terre palpitante,
Était de sang toute fumante,
Et ses rayons de feu n’étaient que des éclairs.
_
Mais les hivers du Nord arrêtèrent sa rage,
Le tonnerre au néant le força de rentrer,
La mer le revomit dans une île sauvage,
Où le sol le porta,..... mais pour le dévorer.
_
Tigre cruel, l’horreur de toute la nature,
Dans un étroit cachot l’on sut te captiver,
Là tu viens d’expirer faute de nourriture,
Car il t’aurait fallu tout le monde en pâture,
Et tout le sang pour t’abreuver ! »
_
En insultes ainsi déborde l’impudence....
Mais un autre motif le guidait aux combats
Que celui de régner sur de vastes états,
Ce fut par le désir d’une juste défense,
Par celui de venger et d’agrandir la France,
Qu’il remplit vingt pays du flot de ses soldats.
Cependant, si toujours à conquérir la terre,
A rabaisser l’orgueil de ses puissans rivaux,
Il eût borné tous ses travaux,
Sans doute il n’eût été qu’un conquérant vulgaire :
Mais il fut des talens et le guide et l’appui,
Il encourageait le génie,
Ornait de monumens la France rajeunie,
Et les arts régnaient avec lui.
_
Admirez en tous lieux ces superbes portiques,
Ces monumens sacrés, ces palais magnifiques,
Dont il emplissait ses états ;
Il fut grand dans la paix comme dans la victoire ;
O Français, contemplez ces colonnes de gloire,
Dont le bronze orgueilleux retrace vos combats :
Gloire au législateur, il terrasse le crime,
Il montre à l’innocence un sévère vengeur,
Et Thémis, reprenant son pouvoir qu’il ranime,
Entoure le héros d’une sainte splendeur :
Gloire à lui qui fut grand, et de toutes les gloires,
A lui qui nous combla de maux et de bienfaits,
A lui qui fut vainqueur de toutes les victoires,
Mais ne put se vaincre jamais.
_
Extrême en ses grandeurs comme en ses petitesses,
N’allons pas comparer à César, à Sylla,
Dans ses vertus ou ses faiblesses,
Ce qu’il fut.... ou ce qu’il sembla :
N’égalons donc à rien celui que rien n’égale,
Qu’il tombât dans l’abîme, ou volât au soleil,
Sur un rocher désert, dans la pourpre royale,
Ou plus haut, ou plus bas, il était sans pareil !
_
Le superbe tombeau qu’il fit jadis construire,
Ainsi que son immense empire,
Est demeuré vide de lui :
On tailla dans le roc sa demeure dernière,
Et sous une modeste pierre
Sa cendre repose aujourd’hui ;
Mais ses gloires, toujours aux nôtres enchaînées,
Lui promettent un nom qui ne doit pas finir,
Monument éternel, enfant du souvenir,
Qui ne croulera pas sous le poids des années,
Mais grandira dans l’avenir !
(1) … Dem alle Kraft seiner Seele in Thränen ausfliesst.
Zimmermann, La Solitude, chap. III
(2) Les dernières paroles de Napoléon furent : « Mon Dieu et la Nation Française !… Mon fils ! Tête armée ! …. On ne sait ce que signifiaient ces derniers mots. Peu de temps après, on l’entendit s’écrier : France ! France !
______
(Élégie I, et Épilogue du manuscrit autographe)
ÉLÉGIE PREMIÈRE.
LES SUCCÈS.
Quelquefois à l’aspect des illustres débris
Des témoins immortels d’une gloire passée,
Les grands ressouvenirs de nos beaux jours flétris,
Comme un brillant reflet luisent à ma pensée.
_
Alors je veux chanter, mais des sons incertains
Partent seuls de ma voix plaintive et chancelante,
Un grand nom vient mourir sur ma lèvre tremblante,
Et la harpe sonore échappe de mes mains.
_
En ce jour cependant je prends encor la lyre,
Je vais jeter aux vents quelques accords nouveaux,
Ils sont plaintifs, la douleur qui m’inspire
Ne se plaît qu’autour des tombeaux.
_
Des tombeaux, car c’est là, c’est là qu’est la victoire,
Là que sont nos guerriers, là que gît notre gloire,
Là que sont endormis les courageux soldats
Dont l’invincible effort soumit l’Europe entière,
Et le guerrier vaillant mais téméraire,
Qui les conduisait aux combats.
_
Né dans l’obscurité d’une race commune,
Ce guerrier par lui-même avait fait sa fortune,
Le sort à son berceau ne mit pas dans ses mains
Le facile pouvoir d’un sceptre héréditaire,
Mais il mit dans son cœur cette audace guerrière
Qui fait les grands destins.
_
Tout un peuple égaré se déchirant lui-même,
Passant de l’esclavage à la licence extrême,
D’un excès tour à tour dans un autre emporté,
Avait vu dans son sein des tyrans homicides,
Et couvrir leurs forfaits du nom de liberté,
Puis bientôt renversés par un pouvoir semblable,
Teindre aussi de leur sang l’échafaud redoutable,
Que leurs proscriptions avaient alimenté.
_
A peine revenu de ces horreurs profondes,
Le vaisseau de l’état flottait au gré des ondes,
Et privé de pilote, abaissant son orgueil,
Voguait de gouffre en gouffre, et d’écueil en écueil ;
_
Le grand homme paraît, il commande aux orages,
Des passagers surpris ranime les courages,
Et tous ceux qu’il arrache au destin irrité
Pour prix de leur salut cèdent leur liberté.
_
Mais son génie en vain conjura la tempête,
L’orage gros de sang retomba sur sa tête,
Et longtemps sa fureur entoura les Français,
Alors sous le destin s’abattit son courage,…
Mais par combien d’exploits, par combien de succès,
Il avait préparé ce terrible naufrage !
_
Sa terrestre divinité
Avant l’instant fatal de sa chute profonde,
N’avait encor connu de borne que le monde,
Et de loi que sa volonté,
Oui, ce fut un tyran, ce fils de la victoire,
Il n’était point de borne à son autorité,
Mais avec lui régnait la gloire,
La gloire, belle encor comme la liberté.
_____
ÉPILOGUE.
Ceux que j’ai célébrés dorment dans la poussière.
Je n’ai dépeint encor que de sombres tableaux ;
Mes chants semblent veiller sur la cendre guerrière
Comme la lampe funéraire
Dont les mornes clartés brillent sur les tombeaux.
_
Ma muse que la lame n’a pas encor murée
Fait de ses premiers chants hommage à la patrie,
Beaucoup d’autres que moi rediront ses combats
Et de ses défenseurs exaltant le courage
Raconteront un jour aux mortels d’un autre âge
Des exploits qu’ils ne croiront pas.
_
Ah ! combien je voudrais dire ce que je pense
Et pouvoir inspirer aux enfants de la France
Par l’éclat de mes chants, par le feu de mes vers
La fierté qui m’anime en songeant à ses gloires,
Le plaisir que je sens en chantant ses victoires,
La douleur que j’éprouve en pleurant ses revers.
_
Si mes accents plus fiers secondaient ma pensée,
Dis-je, et sortaient à flots de ma gorge oppressée
A de nobles succès je pourrais aspirer…
Je dirais de nos preux les faits inimitables
Et mes chants inspirés seraient incomparables
Car, quels faits aussi beaux peut-on les comparer ?
_
Mais des pas ennemis leur poussière est foulée,
Leurs travaux, leurs succès furent donc superflus…
Et la France les pleure, et reste inconsolée
Parce qu’ils ne sont plus.
_
Mais ses fils généreux pourront encor renaître !
Ce courage français, qui n’est point affaibli,
Et que depuis longtemps le monde a dû connaître
Dans la tombe avec eux n’est point enseveli.
_
Il est héréditaire, et rien ne peut l’abattre !
Un chef, des ennemis, et nous allons combattre !
Il nous inspirera des efforts généreux ;
Car il est dans nos cœurs comme un son magnanime
Qui, lorsque d’un guerrier le souffle impétueux
Dans le sein du clairon le réveille et l’anime
Fend les airs, vole, et tonne en éclats belliqueux.
_
Honte à vous dont la voix trop fière
Osa sur la lyre guerrière
D’un seul jour chanter le succès !…
Vos chants furent exclus du temple de mémoire,
Ils durèrent un jour, comme votre victoire,
Et sont seuls à présent aisi que vos hauts faits !
_
Mais Arcole, Aboukir, Austerlitz, noms sublimes !
Toujours du souvenir de ces jours magnanimes
Le Français sentira son cœur électrisé :
De les avoir produits la France sera fière,
Et sa gloire toujours versera sa lumière,
Sur ces éclats d’un fer brisé.
_
Cependant, ô Français, de vos rivaux parjures
Vous avez trop longtemps supporté les injures,
Tous ces vaincus d’hier semblent vous mépriser…
Pour rendre leur éclat et leurs splendeurs sacrées,
A vos palmes décolorées
C’est du sang ennemi qu’il faut les arroser.
_
Je vois dans l’avenir des cohortes nouvelles
Porter de nouveaux fers aux nations rebelles,
D’autres chefs les guider vers leurs pays glacés
Et poursuivant bien loin leurs bandes alarmées
Cacher sous les débris de leurs vastes armées
Les os de nos guerriers dans leurs champs entassés.
_
France, voilà mes vœux, mes regrets, mes alarmes.
Puissé-je sur ton sort ne plus verser de larmes,
Puissé-je désormais flétrissant tes rivaux
Au lieu de tes malheurs célébrer tes victoires ;
Heureux si j’obtenais pour prix de mes travaux
Quelque rayon parti du foyer de tes gloires.
_
Ah ! je n’espère point de si noble succès :
Mais lorsque dormira ma dépouille flétrie,
Si près de mon cercueil il passe un bon Français,
Qu’il porte encor vers moi sa pensée attendrie,
Et dise en soupirant : « Il aima sa patrie. »
______
GÉRARD DE NERVAL - SYLVIE LÉCUYER tous droits réservés @
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