TEXTES
1824, Poésies diverses (manuscrit autographe)
1824, L’Enterrement de la Quotidienne (manuscrit autographe)
1824, Poésies et poèmes (manuscrit autographe)
1825, « Pour la biographie des biographes » (manuscrit autographe)
15 février 1826 (BF), Napoléon et la France guerrière, chez Ladvocat
6 mai 1826 (BF), Complainte sur l’immortalité de M. Briffaut, par Cadet Roussel, chez Touquet
6 mai 1826 (BF), Monsieur Dentscourt ou le Cuisinier d’un grand homme, chez Touquet
20 mai 1826 (BF), Les Hauts faits des Jésuites, par Beuglant, chez Touquet
12 août 1826 (BF), Épître à M. de Villèle (Mercure de France du XIXe siècle)
11 novembre 1826 (BF), Napoléon et Talma, chez Touquet
13 et 30 décembre 1826 (BF), L’Académie ou les membres introuvables, par Gérard, chez Touquet
16 mai 1827 (BF), Élégies nationales et Satires politiques, par Gérard, chez Touquet
29 juin 1827, La dernière scène de Faust (Mercure de France au XIXe siècle)
28 novembre 1827 (BF), Faust, tragédie de Goëthe, 1828, chez Dondey-Dupré
15 décembre 1827, A Auguste H…Y (Almanach des muses pour 1828)
1828? Faust (manuscrit autographe)
1828? Le Nouveau genre (manuscrit autographe)
mai 1829, Lénore. Ballade allemande imitée de Bürger (La Psyché)
août 1829, Le Plongeur. Ballade, (La Psyché)
octobre 1829, A Schmied. Ode de Klopstock (La Psyché)
24 octobre 1829, Robert et Clairette. Ballade allemande de Tiedge (Mercure de France au XIXe siècle)
21 novembre 1829, Chant de l’épée. Traduit de Korner (Mercure de France au XIXe siècle)
19 décembre 1829, Lénore. Traduction littérale de Bürger (Mercure de France au XIXe siècle)
janvier 1830, La Lénore de Bürger, nouvelle traduction littérale (La Psyché)
16 janvier 1830, Ma Patrie, de Klopstock (Mercure de France au XIXe siècle)
23 janvier 1830, Légende, par Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)
6 février (BF) Poésies allemandes, Klopstock, Goethe, Schiller, Burger (Bibliothèque choisie)
13 février 1830, Les Papillons (Mercure de France au XIXe siècle)
13 février 1830, Appel, par Koerner (1813) (Mercure de France au XIXe siècle)
13 mars 1830, L’Ombre de Koerner, par Uhland, 1816 (Mercure de France au XIXe siècle)
27 mars 1830, La Nuit du Nouvel an d’un malheureux, de Jean-Paul Richter (La Tribune romantique)
29 avril 1830, La Pipe, chanson traduite de l’allemand, de Pfeffel (La Tribune romantique)
13 mai 1830 Le Cabaret de la mère Saguet (Le Gastronome)
mai 1830, M. Jay et les pointus littéraires (La Tribune romantique)
juillet ? 1830, Récit des journées des 27-29 juillet (manuscrit autographe)
14 août 1830, Le Peuple (Mercure de France au XIXe siècle)
11 décembre 1830, A Victor Hugo. Les Doctrinaires (Almanach des muses pour 1831)
29 décembre 1830, La Malade (Le Cabinet de lecture )
29 janvier 1831, Odelette, Le Vingt-cinq mars (Almanach dédié aux demoiselles)
14 mars 1831, En avant, marche! (Cabinet de lecture)
23 avril 1831, Bardit, traduit du haut-allemand (Mercure de France au XIXe siècle)
7 mai 1831, Profession de foi (Mercure de France au XIXe siècle)
25 juin et 9 juillet 1831, Nicolas Flamel, drame-chronique (Mercure de France au XIXe siècle)
4 décembre 1831, Cour de prison, Le Soleil et la gloire (Le Cabinet de lecture)
17 décembre 1831, Fantaisie, odelette (Annales romantiques pour 1832)
24 septembre 1832, La Main de gloire, histoire macaronique (Le Cabinet de lecture)
14 décembre 1834, Odelettes (Annales romantiques pour 1835)
1835-1838 ? Lettres d’amour (manuscrits autographes)
26 mars et 20 juin 1836, De l’Aristocratie en France (Le Carrousel)
20 et 26 mars 1837, De l’avenir de la tragédie (La Charte de 1830)
12 août 1838, Les Bayadères à Paris (Le Messager)
18 septembre 1838, A M. B*** (Le Messager)
2 octobre 1838, La ville de Strasbourg. A M. B****** (Le Messager)
26 octobre 1838, Lettre de voyage. Bade (Le Messager)
31 octobre 1838, Lettre de voyage. Lichtenthal (Le Messager)
24 novembre 1838, Léo Burckart (manuscrit remis à la censure)
25, 26 et 28 juin 1839, Le Fort de Bitche. Souvenir de la Révolution française (Le Messager)
13 juillet 1839 (BF) Léo Burckart, chez Barba et Desessart
19 juillet 1839, « Le Mort-vivant », drame de M. de Chavagneux (La Presse)
15 et 16-17 août 1839, Les Deux rendez-vous, intermède (La Presse)
17 et 18 septembre 1839, Biographie singulière de Raoul Spifamme, seigneur des Granges (La Presse)
28 janvier 1840, Lettre de voyage I (La Presse)
25 février 1840, Le Magnétiseur
5 mars 1840, Lettre de voyage II (La Presse)
8 mars 1840, Lettre sur Vienne (L’Artiste)
26 mars 1840, Lettre de voyage III (La Presse)
28 juin 1840, Lettre de voyage IV, Un jour à Munich (La Presse)
18 juillet 1840 (BF) Faust de Goëthe suivi du second Faust, chez Gosselin
26 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort I (La Presse)
29 juillet, 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort II (La Presse)
30 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort III (La Presse)
11 février 1841, Une Journée à Liège (La Presse)
18 février 1841, L’Hiver à Bruxelles (La Presse)
1841 ? Première version d’Aurélia (feuillets autographes)
février-mars 1841, Lettre à Muffe, (sonnets, manuscrit autographe)
1841 ? La Tête armée (manuscrit autographe)
mars 1841, Généalogie dite fantastique (manuscrit autographe)
1er mars 1841, Jules Janin, Gérard de Nerval (Journal des Débats)
5 mars 1841, Lettre à Edmond Leclerc
7 mars 1841, Les Amours de Vienne (Revue de Paris)
31 mars 1841, Lettre à Auguste Cavé
11 avril 1841, Mémoires d’un Parisien. Sainte-Pélagie en 1832 (L’Artiste)
9 novembre 1841, Lettre à Ida Ferrier-Dumas
novembre? 1841, Lettre à Victor Loubens
10 juillet 1842, Les Vieilles ballades françaises (La Sylphide)
15 octobre 1842, Rêverie de Charles VI (La Sylphide)
24 décembre 1842, Un Roman à faire (La Sylphide)
19 et 26 mars 1843, Jemmy O’Dougherty (La Sylphide)
11 février 1844, Une Journée en Grèce (L’Artiste)
10 mars 1844, Le Roman tragique (L’Artiste)
17 mars 1844, Le Boulevard du Temple, 1re livraison (L’Artiste)
31 mars 1844, Le Christ aux oliviers (L’Artiste)
5 mai 1844, Le Boulevard du Temple 2e livraison (L’Artiste)
12 mai 1844, Le Boulevard du Temple, 3e livraison (L’Artiste)
2 juin 1844, Paradoxe et Vérité (L’Artiste)
30 juin 1844, Voyage à Cythère (L’Artiste)
28 juillet 1844, Une Lithographie mystique (L’Artiste)
11 août 1844, Voyage à Cythère III et IV (L’Artiste)
15 septembre, Diorama (L’Artiste-Revue de Paris)
29 septembre 1844, Pantaloon Stoomwerktuimaker (L’Artiste)
20 octobre 1844, Les Délices de la Hollande I (La Sylphide)
8 décembre 1844, Les Délices de la Hollande II (La Sylphide)
16 mars 1845, Pensée antique (L’Artiste)
19 avril 1845 (BF), Le Diable amoureux par J. Cazotte, préface de Nerval, chez Ganivet
1er juin 1845, Souvenirs de l’Archipel. Cérigo (L’Artiste-Revue de Paris)
6 juillet 1845, L’Illusion (L’Artiste-Revue de Paris)
5 octobre 1845, Strasbourg (L’Artiste-Revue de Paris)
novembre-décembre 1845, Le Temple d’Isis. Souvenir de Pompéi (La Phalange)
28 décembre 1845, Vers dorés (L’Artiste-Revue de Paris)
1er mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste I (L’Artiste-Revue de Paris)
15 mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste II (L’Artiste-Revue de Paris)
1er mai 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne (Revue des Deux Mondes)
17 mai 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste III (L’Artiste-Revue de Paris)
12 juillet 1846 Sensations d’un voyageur enthousiaste IV (L’Artiste-Revue de Paris)
16 août 1846, Un Tour dans le Nord. Angleterre et Flandre (L’Artiste-Revue de Paris)
30 août 1846, De Ramsgate à Anvers (L’Artiste-Revue de Paris)
20 septembre 1846, Une Nuit à Londres (L’Artiste-Revue de Paris)
1er novembre 1846, Un Tour dans le Nord III (L’Artiste-Revue de Paris)
22 novembre 1846, Un Tour dans le Nord IV (L’Artiste-Revue de Paris)
15 décembre 1846, Scènes de la vie égyptienne moderne. La Cange du Nil (Revue des Deux Mondes)
1847, Scénario des deux premiers actes des Monténégrins
15 février 1847, La Santa-Barbara. Scènes de la vie orientale (Revue des Deux Mondes)
15 mai 1847, Les Maronites. Un Prince du Liban (Revue des Deux Mondes)
15 août 1847, Les Druses (Revue des Deux Mondes)
17 octobre 1847, Les Akkals (Revue des Deux Mondes)
21 novembre 1847, Souvenirs de l’Archipel. Les Moulins de Syra (L’Artiste-Revue de Paris)
15 juillet 1848, Les Poésies de Henri Heine (Revue des Deux Mondes)
15 septembre 1848, Les Poésies de Henri Heine, L’Intermezzo (Revue des Deux Mondes)
1er-27 mars 1849, Le Marquis de Fayolle, 1re partie (Le Temps)
26 avril 16 mai 1849, Le Marquis de Fayolle, 2e partie (Le Temps)
6 octobre 1849, Le Diable rouge (Almanach cabalistique pour 1850)
7 mars-19 avril 1850, Les Nuits du Ramazan (Le National)
15 août 1850, Les Confidences de Nicolas, 1re livraison (Revue des Deux Mondes)
26 août 1850, Le Faust du Gymnase (La Presse)
1er septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 2e livraison (Revue des Deux Mondes)
9 septembre 1850, Excursion rhénane (La Presse)
15 septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 3e livraison (Revue des Deux Mondes)
18 et 19 septembre 1850, Les Fêtes de Weimar (La Presse)
1er octobre 1850, Goethe et Herder (L’Artiste-Revue de Paris)
24 octobre-22 décembre 1850, Les Faux-Saulniers (Le National)
29 décembre 1850, Les Livres d’enfants, La Reine des poissons (Le National)
novembre 1851, Quintus Aucler (Revue de Paris)
24 janvier 1852 (BF), L’Imagier de Harlem, Librairie théâtrale
15 juin 1852, Les Fêtes de mai en Hollande (Revue des Deux Mondes)
1er juillet 1852, La Bohême galante I (L’Artiste)
15 juillet 1852, La Bohême galante II (L’Artiste)
1er août 1852, La Bohême galante III (L’Artiste)
15 août 1852, La Bohême galante IV (L’Artiste)
21 août 1852 (BF), Lorely. Souvenirs d’Allemagne, chez Giraud et Dagneau (Préface à Jules Janin)
1er septembre 1852, La Bohême galante V (L’Artiste)
15 septembre 1852, La Bohême galante VI (L’Artiste)
1er octobre 1852, La Bohême galante VII (L’Artiste)
9 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 1re livraison (L’Illustration)
15 octobre 1852, La Bohême galante VIII (L’Artiste)
23 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 2e livraison (L’Illustration)
30 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 3e livraison (L’Illustration)
1er novembre 1852, La Bohême galante IX (L’Artiste)
6 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 4e livraison (L’Illustration)
13 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 5e livraison (L’Illustration)
15 novembre 1852, La Bohême galante X (L’Artiste)
20 novembre 1852, Les Illuminés, chez Victor Lecou (« La Bibliothèque de mon oncle »)
1er décembre 1852, La Bohême galante XI (L’Artiste)
15 décembre 1852, La Bohême galante XII (L’Artiste)
1er janvier 1853 (BF), Petits Châteaux de Bohême. Prose et Poésie, chez Eugène Didier
15 août 1853, Sylvie. Souvenirs du Valois (Revue des Deux Mondes)
14 novembre 1853, Lettre à Alexandre Dumas
25 novembre 1853-octobre 1854, Lettres à Émile Blanche
10 décembre 1853, Alexandre Dumas, Causerie avec mes lecteurs (Le Mousquetaire)
17 décembre 1853, Octavie (Le Mousquetaire)
1853-1854, Le Comte de Saint-Germain (manuscrit autographe)
28 janvier 1854 (BF) Les Filles du feu, préface, Les Chimères, chez Daniel Giraud
31 octobre 1854, Pandora (Le Mousquetaire)
25 novembre 1854, Pandora, épreuves du Mousquetaire
Pandora, texte reconstitué par Jean Guillaume en 1968
Pandora, texte reconstitué par Jean Senelier en 1975
30 décembre 1854, Promenades et Souvenirs, 1re livraison (L’Illustration)
1854 ? Sydonie (manuscrit autographe)
1854? Emerance (manuscrit autographe)
1854? Promenades et Souvenirs (manuscrit autographe)
janvier 1855, Oeuvres complètes (manuscrit autographe)
1er janvier 1855, Aurélia ou le Rêve et la Vie (Revue de Paris)
6 janvier 1855, Promenades et Souvenirs, 2e livraison (L’Illustration)
3 février 1855, Promenades et Souvenirs, 3e livraison (L’Illustration)
15 février 1855, Aurélia ou Le Rêve et la Vie, seconde partie (Revue de Paris)
15 mars 1855, Desiderata (Revue de Paris)
1866, La Forêt noire, scénario
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BF: annonce dans la Bibliographie de la France
Manuscrit autographe: manuscrit non publié du vivant de Nerval
17 septembre 1831 — Les Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre, Conte inédit d’Hoffman, dans Le Mercure de France au XIXe siècle, 1re livraison, t. XXXIV, p. 546-553, non signé.
Le récit est annoncé comme un inédit. En fait, il figurait déjà au t. VI des Œuvres complètes d’Hoffmann, traduites par Théodore Toussenel, parues en 1830. Nerval n’en a traduit, ou au moins publié, que les chapitres I et II.
Invité un soir de Saint-Sylvestre chez le conseiller de justice, le narrateur y retrouve sa bien-aimée. Mais des événements étranges vont le contraindre à quitter précipitamment le salon. Errant dans les rues, il se réfugie finalement dans une taverne où il se trouve nez à nez avec l’homme qui a perdu son reflet, et Pierre Schlemihl, l’homme qui a perdu son ombre. Ce canevas narratif hoffmannien inspirera en 1853 le récit onirique de la réception du narrateur à l’ambassade de France à Vienne, un soir de Saint-Sylvestre, dans Les Amours de Vienne. Pandora.
Voir la notice LA CAMARADERIE DU PETIT CÉNACLE
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LES AVENTURES DE LA NUIT DE SAINT-SYLVESTRE.
CONTE INÉDIT D’HOFFMANN.
AVANT-PROPOS.
Le voyageur enthousiaste, dont l’album nous fournit cette fantaisie à la manière de Callot, sépare visiblement si peu sa vie intérieure de sa vie extérieure, qu’on aurait peine à indiquer d’une manière distincte les limites de chacune ; mais comme il est vrai que toi-même, bienveillant lecteur, tu n’as point de ces limites une idée bien précise, notre visionnaire te les fera peut-être franchir à ton insu, et ainsi tu te trouveras lancé tout à coup dans une région étrange et merveilleuse, dont les mystérieux habitans s’introduiront peu à peu dans ta vie extérieure et positive ; de sorte que vous serez bientôt ensemble à tu et à toi, comme de vieux compagnons.
Accepte-les pour tels, et accommode-toi à leurs singulières allures, de manière à supporter sans peine les légers saisissemens que leur commerce immédiat pourra quelquefois te causer : je t’en prie de toutes mes forces, bienveillant lecteur. Que puis-je faire de plus pour le voyageur enthousiaste, à qui sont arrivés déjà, en divers lieux, et particulièrement à Berlin, dans la soirée de saint Sylvestre, tant de singulières et folles aventures ?
I.
LA BIEN-AIMÉE.
J’avais la mort dans l’âme, la froide mort, et je croyais sentir comme des glaçons aigus s’élancer de mon cœur dans mes veines ardentes. Égaré, je me précipitai, sans manteau, sans chapeau, au sein de la nuit épaisse, orageuse. Les girouettes grinçaient, il semblait que l’on entendît se mouvoir les rouages éternels et formidables du temps, comme si la vieille année allait, telle qu’un poids énorme, se détacher et rouler sourdement dans l’abîme. Tu sais bien que cette époque, Noël et le nouvel an, que vous accueillez, vous, avec une satisfaction calme et pure, vient toujours me précipiter, hors de ma paisible demeure, dans les flots d’une mer écumante et furieuse.
Noël !... ce sont des jours de fête dont l’éclat aimable me séduit long-temps d’avance ; à peine puis-je les attendre. Je suis meilleur, plus enfant que tout le reste de l’année ; mon cœur, ouvert à toutes les joies du ciel ne peut nourrir aucune pensée noire ou haineuse ; je redeviens un jeune garçon, avec sa joie vive et bruyante. Parmi les étalages bigarrés, éclatans, des boutiques de Noël, je vois des figures d’anges me sourire, et, à travers le tumulte des rues, les soupirs de l’orgue saint m’arrivent comme de bien loin ; car un enfant nous est né ! Mais, la fête achevée, tout ce bruit s’abat, tout cet éclat se perd dans une sourde obscurité. A chaque année, toujours des fleurs qui se flétrissent, et dont le germe se dessèche, sans espoir qu’un soleil de printemps ranime jamais leurs rameaux ! Certes, je sais fort bien cela ; mais une puissance ennemie, chaque fois que l’an touche à sa fin, ne manque jamais de me le rappeler avec une satisfaction cruelle : « Vois, murmure-t-elle à mon oreille, vois combien de plaisirs, cette année, t’ont abandonné pour toujours ! Mais aussi tu es devenu plus sage, tu n’attaches plus désormais aucun prix à ces divertissemens frivoles ; te voilà de plus en plus un homme grave, un homme sans plaisirs. »
Le diable me réserve toujours pour le soir de saint Sylvestre un singulier régal de fête : il prend bien son temps, puis s’en vient, avec un rire odieux, déchirer mon sein de ses griffes aiguës et se repaître du plus pur sang de mon cœur. Il se sert à cet effet, de tout ce qui se présente, témoin hier encore le conseiller de justice, qui se trouva être l’instrument qu’il lui fallait. Il y a toujours chez lui (chez le conseiller) grande réunion le soir de saint Sylvestre ; il a la fureur alors de vouloir ménager à chacun une surprise agréable pour la nouvelle année, et s’y prend d’une manière si gauche et si stupide, que tous les plaisirs qu’il avait imaginés à grand’peine aboutissent d’ordinaire à un désappointement ridicule et pénible. Dès que j’entrai dans l’antichambre, le conseiller de justice se hâta de venir à ma rencontre, m’arrêtant à la porte du sanctuaire, d’où partaient les vapeurs du thé accompagnées de parfums exquis ; il sourit d’une façon singulière et me dit, avec tout l’air de finesse bienveillante qu’il put se donner : « Mon bon ami, mon bon ami, quelque chose de délicieux vous attend au salon.... une surprise admirable ! digne de la belle soirée de saint Sylvestre. N’allez pas vous effrayer ! »
Ces mots me tombèrent lourdement sur le cœur ; de sombres pressentimens s’en élevèrent, et je me sentis cruellement oppressé. Les portes s’ouvrirent, je me précipitai rapidement dans le salon, et sur le sopha, au milieu des dames, son image radieuse s’offrit à moi. C’était elle.... elle-même, que je n’avais point vue depuis tant d’années ! Tous les heureux momens de ma vie repassèrent soudain dans mon âme comme un éclair rapide et puissant. Plus d’éloignement funeste ! bien loin même l’idée d’une séparation nouvelle !
Par quel hasard merveilleux se trouvait-elle de retour ? quel rapport existait-il entre elle et la société du conseiller, qui ne m’avait jamais appris qu’il la connût ? Je ne m’arrêtai point un instant à ces pensers... je la retrouvais enfin ! Immobile, tel qu’un homme frappé de la foudre, voilà comme j’étais sans doute ; le conseiller me poussa doucement : « Allons, mon ami, mon ami ! » Machinalement, je m’avançai ; mais je ne voyais qu’elle, et de mon sein oppressé ces mots purent s’échapper à peine : « Mon Dieu ! mon Dieu ! Julie ici ! » J’étais auprès de la table à thé ; ce fut alors seulement que Julie m’aperçut. Elle se leva et me dit, du ton qu’on parlerait à un étranger : « Je me réjouis beaucoup de vous rencontrer ici. Votre santé paraît bonne ! » Puis elle se rassit, et, s’adressant à une dame auprès d’elle : « Aurons-nous au théâtre quelque chose d’intéressant la semaine qui vient ? »
Tu t’approches d’une fleur charmante qui éclatait à tes yeux au milieu de parfums suaves et voluptueux, mais, au moment où tu te penches pour en admirer les vives couleurs, voilà qu’un froid et venimeux basilic s’élance de sa corolle enflammée pour te lancer la mort avec ses yeux perfides.... c’est ce qui venait de m’arriver. Je saluai gauchement les dames, et, pour ajouter encore le ridicule à ma profonde douleur, je coudoyai, en me retournant rapidement, le conseiller de justice, qui se trouvait derrière moi, et lui jetai hors des mains une tasse de thé fumant sur son jabot admirablement bien plissé ; on rit de l’infortune du conseiller et plus encore de ma maladresse. Ainsi tout, ce soir-là, tendait à me rendre excessivement bouffon, et je me résignai, en homme, à ma destinée. Julie n’avait point ri ; mes regards égarés rencontrèrent les siens, et ce fut comme si un rayon du bonheur d’autrefois, de cette vie toute d’amour et de poésie, revenait me sourire encore.
Quelqu’un qui commença à improviser sur le piano, dans la chambre voisine, mit alors en mouvement toute la société. C’était, disait-on, un virtuose étranger, nommé Berger, qui jouait divinement, et à qui l’on devait toute son attention. « Ne fais donc pas sonner ainsi ta cuiller à thé, Mimi ! » s’écria le conseiller ; et, inclinant légèrement la main du côté de la porte, il invita les dames avec un agréable « eh bien ? » à s’approcher du virtuose. Julie aussi s’était levée et se dirigeait lentement vers la salle voisine. Tout en elle avait pris je ne sais quel caractère étrange ; il me sembla qu’elle était plus grande qu’autrefois et que ses formes étaient développées de manière à ajouter merveilleusement à sa beauté. La coupe singulière de sa robe blanche et surchargée de plis, qui ne couvrait qu’à moitié sa gorge, son dos et ses épaules ; ses vastes manches, qui se rétrécissaient aux coudes, sa chevelure séparée sur le front et répandue derrière sa tête en tresses multipliées, lui donnaient quelque chose d’antique ; elle rappelait les Vierges des peintures de Miéris ;... et pourtant il me semblait avoir vu quelque part, de mes yeux bien ouverts, cet être en qui Julie s’était transformée. Elle avait ôté ses gants, et rien ne lui manquait, pas même les bracelets d’un merveilleux travail, attachés au-dessus de la main, pour ressembler complètement à cette image d’autrefois, qui m’assaillait toujours plus vivante et plus colorée.
Julie se tourna vers moi avant d’entrer dans le salon voisin, et je crus m’apercevoir que cette figure angélique, jeune et pleine de grâce, se contractait dans une amère ironie : quelque chose d’horrible, de délirant, s’empara de moi et fit frémir convulsivement tous mes nerfs. « Oh ! il joue divinement bien ! » murmura une demoiselle, animée par une tasse de thé bien sucré ; et je ne sais comment il se fit que son bras se trouva passé dans le mien et je la conduisis, ou plutôt elle m’entraîna dans la salle voisine. Berger faisait alors mugir le plus furieux ouragan ; ses accords puissans s’élançaient et retombaient comme les vagues d’une mer en furie : cela me fit du bien. Julie se trouvait à mon côté et me disait de sa voix d’autrefois, la plus douce et la plus tendre : « Je voudrais te voir au piano, chantant l’espérance et le bonheur qui sont passés ! » L’ennemi s’était retiré de moi, et dans ce seul mot : Julie ! j’aurais voulu exprimer toute la félicité du ciel qui me revenait. D’autres personnes, en passant entre nous, m’éloignèrent d’elle. Il était clair qu’elle m’évitait maintenant ; mais je parvins, tantôt à respirer sa douce haleine, tantôt à effleurer son vêtement, et l’aimable printemps, que j’avais cru à jamais passé, ressuscitait paré de couleurs éclatantes. Berger avait laissé s’abattre la tempête ; le ciel s’était éclairci, et, semblables aux petits nuages dorés du matin, de vaporeuses mélodies nageaient mollement dans le pianissimo. Le virtuose reçut, en terminant, des applaudissemens unanimes et bien mérités ; puis l’assemblée se mêla confusément, de sorte que je me retrouvai auprès de Julie. J’avais l’esprit animé, je voulais la saisir, l’embrasser, dans le transport de ma douloureuse passion ; mais la maudite figure d’un valet importun surgit tout à coup entre nous deux. « Peut-on vous offrir ?... » nous dit-il d’une voix désagréable, en présentant un vaste plateau. Au milieu des verres, remplis d’un punch fumant, s’élevait une coupe artistement ciselée, remplie de la même liqueur à ce qu’il paraissait. Comment cette coupe se trouva parmi ces verres, c’est ce que sait mieux que moi celui que j’apprends de plus en plus à connaître ; celui qui, en marchant, décrit toujours avec son pied, comme Clément dans Octavien, des crochets fort bizarres, et qui aime par dessus tout les manteaux rouges et les plumes rouges. Julie prit cette coupe ciselée, qui brillait d’un éclat singulier, et me l’offrit en disant : « Recevras-tu encore ce breuvage de ma main aussi volontiers qu’autrefois ? — Julie ! oh ! Julie ! m’écriai-je en soupirant. En saisissant la coupe, j’effleurais ses doigts délicats, des étincelles électriques pétillèrent en parcourant mes artères et mes veines. Je buvais et je buvais toujours : il me semblait que de petites langues de feu bleuâtres voltigeaient à la surface du verre et autour de mes lèvres. La coupe était vidée, et j’ignore moi-même comment il se fit que je me trouvai dans un cabinet éclairé par une lampe d’albâtre, assis sur une ottomane, et Julie ! Julie à mes côtés, qui me souriait avec son regard d’enfant... comme autrefois !...
Berger s’était remis au piano : il jouait l’andante de la sublime symphonie en mi-bémol de Mozart, et, enlevée sur les ailes puissantes de l’harmonie, mon âme retrouvait ses plus beaux jours d’amour et de bonheur. Oui, c’était Julie ! Julie elle-même, belle et douce comme les anges ! Notre entretien, complainte d’amour passionné, avait plus de regards que de parole ; sa main était dans la mienne : « Désormais je ne te quitte plus ; ton amour est l’étincelle qui va rallumer en moi une vie plus élevée dans l’art et dans la poésie : sans toi, sans ton amour, tout est froid, tout est mort ! Mais n’es-tu donc pas revenue afin de m’appartenir pour toujours ?... »
En ce moment, il entra, en se dandinant lourdement, une longue figure, aux jambes d’araignée, avec des yeux sortant de la tête comme ceux des grenouilles, qui, souriant d’un air coquet, criait de sa petite voix aigre : « Mais où diantre est donc restée ma femme ? » Julie se leva et me dit, d’un ton de voix qui n’était plus la sienne : « Retournons vers la compagnie ; mon mari me cherche. Vous avez été encore fort amusant, mon cher ami : c’est toujours la même humeur fantasque et capricieuse qu’autrefois ; seulement, ménagez-vous sous le rapport de la boisson. » Et le petit-maître aux jambes d’araignée lui prit la main ; elle le suivit, en riant, dans le salon.
« Perdue à jamais ! » m’écriai-je.
« Eh ! sans doute, Codille, mon cher ! » observa une bête qui jouait à l’hombre.
Je me précipitai dehors.... dehors, dans la nuit orageuse ....
(La Suite à la prochaine livraison.)
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24 septembre 1831 — Les Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre, Conte inédit d’Hoffman, dans Le Mercure de France au XIXe siècle, t. XXXIV, p. 597-604, signé Gérard.
"Je me figurai que si je n’avais pas vu souvent l’étranger, je l’avais du moins souvent rêvé " observe ici le narrateur. Nerval retiendra la leçon d'Hoffmann
Ce chapitre II est très proche de l’épisode de la taverne de la rue des Chasseurs dans Les Amours de Vienne-Pandora.
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LES AVENTURES DE LA NUIT DE SAINT-SYLVESTRE.
CONTE INÉDIT D’HOFFMANN.
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SUITE.
II.
LA SOCIÉTÉ DANS LE CABARET.
Il peut être fort agréable de se promener de long en large sous les tilleuls, mais non pas dans la nuit de saint Sylvestre, par un froid suffisant et une neige battante. C’est une réflexion que je fis étant nu-tête et sans manteau, quand je sentis un vent glacé envelopper mon corps tout brûlant de fièvre. Je traversai dans cet état le pont de l’Opéra, et passant devant le château, je me détournai et je pris par le pont des Écluses en laissant la Monnaie derrière moi. — J’arrivai dans la rue des Chasseurs, près du magasin de Thiermann : les appartemens étaient fort bien éclairés ; j’allais entrer, car j’étais transi de froid, et je sentais le besoin de m’abreuver à longs traits de quelque liqueur forte. En ce moment, une société, toute animée d’une joie bruyante, se précipita hors de la maison : ils parlaient d’huîtres superbes et de l’excellent vin de la comète de 1811. « Il avait bien raison, s’écria l’un d’eux, que je reconnus pour un officier supérieur des hulans, celui qui l’an passé, à Mayence, pestait contre ces faquins d’aubergistes qui n’avaient pas voulu absolument, en 1794, lui servir de leur vin de 1811. » — Tous riaient à gorge déployée. J’étais allé involontairement quelques pas plus loin, et je me trouvais devant un cabaret éclairé d’une seule lumière. Le Henri V de Shakespear ne se vit-il pas un jour réduit à un tel degré de lassitude et d’humilité, que la pauvre créature nommée Petite-Bière lui vint dans l’esprit ? Dans le fait, pareille chose m’arriva : j’avais soif d’une bouteille de bonne bière anglaise, et je descendis rapidement dans le cabaret.
« Que désirez-vous ? » dit l’aubergiste s’avançant d’un air agréable et la main à son bonnet : je demandai une bouteille de bonne bière anglaise, avec une pipe d’excellent tabac, et je me trouvai bientôt dans une quiétude si sublime, que force fut au diable lui-même de me respecter et de me laisser quelque repos. — Oh ! conseiller de justice ! si tu m’avais vu, au sortir de ton brillant salon, dans un obscur cabaret, buvant, au lieu de thé, de la petite bière, tu te serais détourné de moi avec un orgueilleux dédain : « Est-il donc étonnant, aurais-tu murmuré, qu’un pareil homme soit dans le cas de ruiner les jabots les plus délicieux ? »
Sans chapeau, sans manteau, je devais être pour ces gens un sujet d’étonnement. L’hôte avait une question sur les lèvres, quand on frappa à la fenêtre ; une voix cria d’en haut : « Ouvrez ! ouvrez, me voici ! » L’hôte se hâta de monter et rentra bientôt, élevant dans ses mains deux flambeaux ; un homme fort grand et fort maigre descendit après lui. En passant sous la porte fort basse, il oublia de se baisser et se heurta assez rudement ; mais un bonnet noir en forme de barrette, qu’il portait, le préserva de tout accident. Il eut soin de passer le plus près possible de la muraille et s’assit en face de moi, pendant que l’on plaçait les lumières sur la table. On pouvait bien dire de lui qu’il avait un air distingué et mécontent : il demanda, d’un ton de mauvaise humeur, une pipe et de la bière, et à peine avait-il rendu quelques bouffées de tabac qu’un nuage épais de fumée nous enveloppa : sa figure avait au reste quelque chose de si caractéristique et de si attrayant, que j’en fus charmé tout d’abord, malgré sa mine sombre. Sa chevelure noire et épaisse, séparée sur son front, se répandait des deux côtés en une profusion de petites boucles, ce qui lui donnait quelque ressemblance avec les portraits de Rubens. Quand il se fut débarrassé de son vaste manteau, je m’aperçus qu’il était vêtu d’un kurtka noir avec des tresses nombreuses ; mais ce qui me surprit davantage, c’est qu’il portait, par dessus ses bottes, de fort belles pantoufles. Je remarquai cela pendant qu’il secouait sa pipe, fumée en cinq minutes. Notre conversation avait peine à se lier ; l’étranger semblait très-occupé d’un grand nombre de plantes singulières qu’il avait tirées d’un étui, et qu’il examinait avec soin. Je lui témoignai mon étonnement de voir d’aussi belles plantes, et lui demandai, comme elle paraissaient toutes fraîches, s’il les avait recueillies au jardin botanique ou chez Boucher. Il sourit d’une manière assez étrange et répondit : « Vous ne me paraissez pas fort sur la botanique ; autrement, vous ne m’auriez point aussi.... » Il hésita ; j’ajoutai à demi-voix : « Sottement... questionné », termina-t-il d’un ton de franchise bienveillante : « Vous auriez, poursuivit-il, reconnu, du premier coup d’œil, que ce sont là des plantes alpestres qui ne croissent que sur le Chimborasso. »
L’étranger prononça ces mots presque à voix basse, et tu peux penser qu’ils me causèrent une singulière émotion. Les questions expiraient sur mes lèvres, mais une sorte de pressentiment s’élevait en moi, et je me figurai que si je n’avais pas vu souvent l’étranger, je l’avais du moins souvent rêvé.
On frappa de nouveau à la fenêtre ; l’hôte ouvrit, et une voix cria : « Ayez la bonté de couvrir votre miroir ! — Ah ! ah ! dit l’hôte, c’est le général Suwarovw qui vient bien tard ! »
L’hôte couvrit son miroir, et aussitôt sauta, avec une rapidité assez maladroite, ou mieux, avec une légèreté assez pesante, un petit homme grêle, enveloppé d’un manteau d’une couleur brune singulière, qui formait mille plis et un grand nombre d’autres plus petits encore, et flottant autour de sa taille d’une manière si étrange, qu’à la lueur du flambeau, on eût cru voir plusieurs formes se déployer et se replier sur elles-mêmes comme dans les fantasmagories d’Ensler. Il se mit à frotter ses mains, cachées dans ses longues manches, et s’écria : « Froid ! froid ! oh ! qu’il fait froid !... en Italie c’est bien différent, bien différent !... » Il finit par prendre place entre moi et mon grand voisin, disant : « Cette fumée est insupportable !... Tabac contre tabac !... si j’avais une prise seulement !... La tabatière de métal poli dont tu m’as fait cadeau se trouvait dans ma poche ; je la tirai afin d’offrir du tabac au petit étranger. A peine l’apperçut-il, qu’il la repoussa violemment des deux mains, en s’écriant : « Loin ! bien loin cet odieux miroir !... »
Sa voix avait quelque chose d’effrayant, et, quand je le regardai, tout étonné, il était entièrement différent de ce qu’il avait paru d’abord. Il avait sauté dans la salle avec une physionomie agréable et toute jeune, mais il présentait maintenant le visage ridé, pâle comme la mort, d’un vieillard aux yeux caves. Saisi d’effroi, je m’élançai vers le plus grand des deux étrangers : « Au nom du ciel, regardez donc ! » allais-je m’écrier ; mais lui, absorbé dans l’examen de ses plantes, n’avait rien vu de ce qui venait de se passer, et, dans le même instant, le petit cria : « Vin de Nord ! » avec son ton un peu précieux. Bientôt l’entretien commença entre nous ; le petit me déplaisait assez, mais le grand savait parler sur les choses les moins importantes en apparence avec beaucoup de profondeur et d’agrément, quoiqu’il eût à lutter sans cesse contre une langue qui n’était pas la sienne, et qu’il se servît souvent de mots impropres, ce qui, du reste, donnait à son langage une originalité piquante ; de sorte que, tout en m’inspirant pour lui-même un sentiment d’estime et d’amitié, il affaiblissait aussi l’impression désagréable que le petit homme m’avait fait éprouver.
Ce dernier semblait supporté par des ressorts, car il s’agitait çà et là sur sa chaise, gesticulant beaucoup ses mains ; — mais une sueur glacée découla de mes cheveux sur mon dos, quand je m’aperçus clairement qu’il me regardait avec deux visages différens ; et surtout il considérait souvent, avec son vieux visage, quoique moins horriblement qu’il ne m’avait fixé d’abord, l’autre étranger, dont l’air paisible contrastait avec sa perpétuelle mobilité.
Dans cette mascarade de notre vie d’ici-bas, souvent l’esprit regarde avec des yeux pénétrans au-travers des masques et reconnaît ceux qui sont de sa famille ; c’est de cette manière que, si différens du reste des hommes, nous nous regardâmes et nous reconnûmes tous trois dans ce cabaret. Dès-lors, notre entretien prit ce caractère sombre qui ne convient qu’aux âmes blessées à mort pour jamais : « C’est encore un clou, dans cette vie, dit le grand. — Ah Dieu ! repris-je, le diable n’en a-t-il pas enfoncé partout à notre intention ? Dans les murs de nos demeures, dans les bosquets, dans les buissons de roses... où pouvons-nous passer sans y laisser accroché quelque lambeau de nous-mêmes ? Il semble, mes dignes compagnons, que nous ayons tous perdu quelque chose de cette manière : moi, par exemple, il me manque cette nuit mon chapeau et mon manteau ; tous deux sont pendus à un clou, dans l’antichambre du conseiller de justice, comme vous le savez bien. »
Le petit homme et le grand tressaillirent à la fois, comme frappés du même coup à l’imprévu : le petit me regarda en grimaçant avec sa plus laide figure ; puis sautant rapidement sur une chaise, il alla raffermir la toile qui couvrait le miroir, pendant que l’autre mouchait la chandelle avec soin.
Notre entretien eut peine à se renouer ; nous en vînmes cependant à parler d’un jeune peintre fort distingué, nommé Philippe, et du portrait d’une princesse qu’il avait exécuté admirablement, inspiré dans son œuvre par le génie de l’amour et par cet ineffable désir des choses d’en haut qu’il avait puisé dans l’âme profondément religieuse de celle qu’il aimait : « Il est tellement ressemblant, dit le plus grand étranger, que c’est moins son portrait que le reflet de son image. — C’est vrai ! m’écriai-je, on le dirait volé dans un miroir ! »
Le petit homme se leva tout d’un coup, me regarda furieusement avec son vieux visage, dont les yeux lançaient du feu : « Cela est absurde ! s’écria-t-il, cela est insensé ! Qui pourrait dérober une image dans un miroir ? — Qui le pourrait ? le diable peut-être, à votre avis ? — Ho ! ho ! frère, celui-là brise la glace avec ses lourdes griffes, et les mains blanches et frêles d’une image de femme se couvrent de blessures et de sang. Ha ! ha ! montre-moi l’image — l’image volée dans un miroir, et je fais devant toi le saut de carpe de mille toises de haut. Entends-tu, misérable drôle ? »
Le grand se leva à son tour, s’avança vers le petit, et lui dit : « Ne faites donc pas tant d’embarras, mon ami, ou vous vous ferez jeter du bas de l’escalier en haut. Je crois, du reste, que votre reflet, à vous, est dans un misérable état. — Ha ! ha ! ha ! s’écria le petit en riant dédaigneusement et avec une sorte de frénésie ; ha ! ha ! crois-tu ?... crois-tu ?... J’ai du moins encore ma belle ombre ! pitoyable faquin, j’ai encore mon ombre ! »
A ces mots, il sauta hors du cabaret, et nous l’entendîmes encore qui éclatait de rire et criait dans la rue : « J’ai encore mon ombre — mon ombre ! » Le grand était retombé, anéanti et tout blême, sur sa chaise, la tête dans ses deux mains, et sa poitrine oppressée exhalait à grande peine un profond soupir : « Qu’avez-vous ? lui demandai-je avec intérêt. — Oh ! monsieur, ce vilain homme qui a si mal agi avec nous, qui m’a relancé jusque dans ce cabaret, ma retraite ordinaire, où j’aime à rester seul, à peine visité de temps à autre par quelque gnome qui vient s’accroupir sous la table et grignotter quelques miettes de pain : ce méchant homme m’a replongé dans ma plus cruelle infortune... Hélas ! j’ai perdu, — à jamais perdu mon... Adieu ! » Il se leva et traversa le caveau pour sortir : tout restait éclairé autour de lui, — il ne projetait aucune ombre. Je m’élance à sa poursuite avec transport : « Pierre Schemihl ! (1) — Pierre Schemihl ! » m’écriai-je tout joyeux ; mais il avait jeté ses pantoufles ; je le vis enjamber par-dessus la caserne des gendarmes, et disparaître dans l’obscurité.
Lorsque je voulus rentrer dans le caveau, l’hôte me jeta la porte au nez en s’écriant : « Le bon Dieu me garde de pareils hôtes ! »
(1) Tout le monde connaît le roman de intitulé Pierre Schlemihl, dont M. Trufigny à publié il y a qualques années. Pierre Schlemihl est le ; son histoire appartient, ainsi que cette sorte de fantastique, dont le procédé consiste à placer un homme dans une situation surnaturelle ou bizarre, et à analyser ensuite ses sentimens et ses actions. Il a été publié l’année dernière, dans le Mercure, un conte fort remarquable intitulé la Métempsychose. L’auteur y supposait un homme qui se trouve forcé de changer de corps avec un de ses amis, ce qui amène des aventures extrêmement singulières.
GÉRARD.
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