TEXTES
1824, Poésies diverses (manuscrit autographe)
1824, L’Enterrement de la Quotidienne (manuscrit autographe)
1824, Poésies et poèmes (manuscrit autographe)
1825, « Pour la biographie des biographes » (manuscrit autographe)
15 février 1826 (BF), Napoléon et la France guerrière, chez Ladvocat
6 mai 1826 (BF), Complainte sur l’immortalité de M. Briffaut, par Cadet Roussel, chez Touquet
6 mai 1826 (BF), Monsieur Dentscourt ou le Cuisinier d’un grand homme, chez Touquet
20 mai 1826 (BF), Les Hauts faits des Jésuites, par Beuglant, chez Touquet
12 août 1826 (BF), Épître à M. de Villèle (Mercure de France du XIXe siècle)
11 novembre 1826 (BF), Napoléon et Talma, chez Touquet
13 et 30 décembre 1826 (BF), L’Académie ou les membres introuvables, par Gérard, chez Touquet
16 mai 1827 (BF), Élégies nationales et Satires politiques, par Gérard, chez Touquet
29 juin 1827, La dernière scène de Faust (Mercure de France au XIXe siècle)
28 novembre 1827 (BF), Faust, tragédie de Goëthe, 1828, chez Dondey-Dupré
15 décembre 1827, A Auguste H…Y (Almanach des muses pour 1828)
1828? Faust (manuscrit autographe)
1828? Le Nouveau genre (manuscrit autographe)
mai 1829, Lénore. Ballade allemande imitée de Bürger (La Psyché)
août 1829, Le Plongeur. Ballade, (La Psyché)
octobre 1829, A Schmied. Ode de Klopstock (La Psyché)
24 octobre 1829, Robert et Clairette. Ballade allemande de Tiedge (Mercure de France au XIXe siècle)
21 novembre 1829, Chant de l’épée. Traduit de Korner (Mercure de France au XIXe siècle)
19 décembre 1829, Lénore. Traduction littérale de Bürger (Mercure de France au XIXe siècle)
janvier 1830, La Lénore de Bürger, nouvelle traduction littérale (La Psyché)
16 janvier 1830, Ma Patrie, de Klopstock (Mercure de France au XIXe siècle)
23 janvier 1830, Légende, par Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)
6 février (BF) Poésies allemandes, Klopstock, Goethe, Schiller, Burger (Bibliothèque choisie)
13 février 1830, Les Papillons (Mercure de France au XIXe siècle)
13 février 1830, Appel, par Koerner (1813) (Mercure de France au XIXe siècle)
13 mars 1830, L’Ombre de Koerner, par Uhland, 1816 (Mercure de France au XIXe siècle)
27 mars 1830, La Nuit du Nouvel an d’un malheureux, de Jean-Paul Richter (La Tribune romantique)
29 avril 1830, La Pipe, chanson traduite de l’allemand, de Pfeffel (La Tribune romantique)
13 mai 1830 Le Cabaret de la mère Saguet (Le Gastronome)
mai 1830, M. Jay et les pointus littéraires (La Tribune romantique)
juillet ? 1830, Récit des journées des 27-29 juillet (manuscrit autographe)
14 août 1830, Le Peuple (Mercure de France au XIXe siècle)
11 décembre 1830, A Victor Hugo. Les Doctrinaires (Almanach des muses pour 1831)
29 décembre 1830, La Malade (Le Cabinet de lecture )
29 janvier 1831, Odelette, Le Vingt-cinq mars (Almanach dédié aux demoiselles)
14 mars 1831, En avant, marche! (Cabinet de lecture)
23 avril 1831, Bardit, traduit du haut-allemand (Mercure de France au XIXe siècle)
7 mai 1831, Profession de foi (Mercure de France au XIXe siècle)
25 juin et 9 juillet 1831, Nicolas Flamel, drame-chronique (Mercure de France au XIXe siècle)
4 décembre 1831, Cour de prison, Le Soleil et la gloire (Le Cabinet de lecture)
17 décembre 1831, Fantaisie, odelette (Annales romantiques pour 1832)
24 septembre 1832, La Main de gloire, histoire macaronique (Le Cabinet de lecture)
14 décembre 1834, Odelettes (Annales romantiques pour 1835)
1835-1838 ? Lettres d’amour (manuscrits autographes)
26 mars et 20 juin 1836, De l’Aristocratie en France (Le Carrousel)
20 et 26 mars 1837, De l’avenir de la tragédie (La Charte de 1830)
12 août 1838, Les Bayadères à Paris (Le Messager)
18 septembre 1838, A M. B*** (Le Messager)
2 octobre 1838, La ville de Strasbourg. A M. B****** (Le Messager)
26 octobre 1838, Lettre de voyage. Bade (Le Messager)
31 octobre 1838, Lettre de voyage. Lichtenthal (Le Messager)
24 novembre 1838, Léo Burckart (manuscrit remis à la censure)
25, 26 et 28 juin 1839, Le Fort de Bitche. Souvenir de la Révolution française (Le Messager)
13 juillet 1839 (BF) Léo Burckart, chez Barba et Desessart
19 juillet 1839, « Le Mort-vivant », drame de M. de Chavagneux (La Presse)
15 et 16-17 août 1839, Les Deux rendez-vous, intermède (La Presse)
17 et 18 septembre 1839, Biographie singulière de Raoul Spifamme, seigneur des Granges (La Presse)
28 janvier 1840, Lettre de voyage I (La Presse)
25 février 1840, Le Magnétiseur
5 mars 1840, Lettre de voyage II (La Presse)
8 mars 1840, Lettre sur Vienne (L’Artiste)
26 mars 1840, Lettre de voyage III (La Presse)
28 juin 1840, Lettre de voyage IV, Un jour à Munich (La Presse)
18 juillet 1840 (BF) Faust de Goëthe suivi du second Faust, chez Gosselin
26 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort I (La Presse)
29 juillet, 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort II (La Presse)
30 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort III (La Presse)
11 février 1841, Une Journée à Liège (La Presse)
18 février 1841, L’Hiver à Bruxelles (La Presse)
1841 ? Première version d’Aurélia (feuillets autographes)
février-mars 1841, Lettre à Muffe, (sonnets, manuscrit autographe)
1841 ? La Tête armée (manuscrit autographe)
mars 1841, Généalogie dite fantastique (manuscrit autographe)
1er mars 1841, Jules Janin, Gérard de Nerval (Journal des Débats)
5 mars 1841, Lettre à Edmond Leclerc
7 mars 1841, Les Amours de Vienne (Revue de Paris)
31 mars 1841, Lettre à Auguste Cavé
11 avril 1841, Mémoires d’un Parisien. Sainte-Pélagie en 1832 (L’Artiste)
9 novembre 1841, Lettre à Ida Ferrier-Dumas
novembre? 1841, Lettre à Victor Loubens
10 juillet 1842, Les Vieilles ballades françaises (La Sylphide)
15 octobre 1842, Rêverie de Charles VI (La Sylphide)
24 décembre 1842, Un Roman à faire (La Sylphide)
19 et 26 mars 1843, Jemmy O’Dougherty (La Sylphide)
11 février 1844, Une Journée en Grèce (L’Artiste)
10 mars 1844, Le Roman tragique (L’Artiste)
17 mars 1844, Le Boulevard du Temple, 1re livraison (L’Artiste)
31 mars 1844, Le Christ aux oliviers (L’Artiste)
5 mai 1844, Le Boulevard du Temple 2e livraison (L’Artiste)
12 mai 1844, Le Boulevard du Temple, 3e livraison (L’Artiste)
2 juin 1844, Paradoxe et Vérité (L’Artiste)
30 juin 1844, Voyage à Cythère (L’Artiste)
28 juillet 1844, Une Lithographie mystique (L’Artiste)
11 août 1844, Voyage à Cythère III et IV (L’Artiste)
15 septembre, Diorama (L’Artiste-Revue de Paris)
29 septembre 1844, Pantaloon Stoomwerktuimaker (L’Artiste)
20 octobre 1844, Les Délices de la Hollande I (La Sylphide)
8 décembre 1844, Les Délices de la Hollande II (La Sylphide)
16 mars 1845, Pensée antique (L’Artiste)
19 avril 1845 (BF), Le Diable amoureux par J. Cazotte, préface de Nerval, chez Ganivet
1er juin 1845, Souvenirs de l’Archipel. Cérigo (L’Artiste-Revue de Paris)
6 juillet 1845, L’Illusion (L’Artiste-Revue de Paris)
5 octobre 1845, Strasbourg (L’Artiste-Revue de Paris)
novembre-décembre 1845, Le Temple d’Isis. Souvenir de Pompéi (La Phalange)
28 décembre 1845, Vers dorés (L’Artiste-Revue de Paris)
1er mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste I (L’Artiste-Revue de Paris)
15 mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste II (L’Artiste-Revue de Paris)
1er mai 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne (Revue des Deux Mondes)
17 mai 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste III (L’Artiste-Revue de Paris)
12 juillet 1846 Sensations d’un voyageur enthousiaste IV (L’Artiste-Revue de Paris)
16 août 1846, Un Tour dans le Nord. Angleterre et Flandre (L’Artiste-Revue de Paris)
30 août 1846, De Ramsgate à Anvers (L’Artiste-Revue de Paris)
20 septembre 1846, Une Nuit à Londres (L’Artiste-Revue de Paris)
1er novembre 1846, Un Tour dans le Nord III (L’Artiste-Revue de Paris)
22 novembre 1846, Un Tour dans le Nord IV (L’Artiste-Revue de Paris)
15 décembre 1846, Scènes de la vie égyptienne moderne. La Cange du Nil (Revue des Deux Mondes)
1847, Scénario des deux premiers actes des Monténégrins
15 février 1847, La Santa-Barbara. Scènes de la vie orientale (Revue des Deux Mondes)
15 mai 1847, Les Maronites. Un Prince du Liban (Revue des Deux Mondes)
15 août 1847, Les Druses (Revue des Deux Mondes)
17 octobre 1847, Les Akkals (Revue des Deux Mondes)
21 novembre 1847, Souvenirs de l’Archipel. Les Moulins de Syra (L’Artiste-Revue de Paris)
15 juillet 1848, Les Poésies de Henri Heine (Revue des Deux Mondes)
15 septembre 1848, Les Poésies de Henri Heine, L’Intermezzo (Revue des Deux Mondes)
1er-27 mars 1849, Le Marquis de Fayolle, 1re partie (Le Temps)
26 avril 16 mai 1849, Le Marquis de Fayolle, 2e partie (Le Temps)
6 octobre 1849, Le Diable rouge (Almanach cabalistique pour 1850)
7 mars-19 avril 1850, Les Nuits du Ramazan (Le National)
15 août 1850, Les Confidences de Nicolas, 1re livraison (Revue des Deux Mondes)
26 août 1850, Le Faust du Gymnase (La Presse)
1er septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 2e livraison (Revue des Deux Mondes)
9 septembre 1850, Excursion rhénane (La Presse)
15 septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 3e livraison (Revue des Deux Mondes)
18 et 19 septembre 1850, Les Fêtes de Weimar (La Presse)
1er octobre 1850, Goethe et Herder (L’Artiste-Revue de Paris)
24 octobre-22 décembre 1850, Les Faux-Saulniers (Le National)
29 décembre 1850, Les Livres d’enfants, La Reine des poissons (Le National)
novembre 1851, Quintus Aucler (Revue de Paris)
24 janvier 1852 (BF), L’Imagier de Harlem, Librairie théâtrale
15 juin 1852, Les Fêtes de mai en Hollande (Revue des Deux Mondes)
1er juillet 1852, La Bohême galante I (L’Artiste)
15 juillet 1852, La Bohême galante II (L’Artiste)
1er août 1852, La Bohême galante III (L’Artiste)
15 août 1852, La Bohême galante IV (L’Artiste)
21 août 1852 (BF), Lorely. Souvenirs d’Allemagne, chez Giraud et Dagneau (Préface à Jules Janin)
1er septembre 1852, La Bohême galante V (L’Artiste)
15 septembre 1852, La Bohême galante VI (L’Artiste)
1er octobre 1852, La Bohême galante VII (L’Artiste)
9 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 1re livraison (L’Illustration)
15 octobre 1852, La Bohême galante VIII (L’Artiste)
23 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 2e livraison (L’Illustration)
30 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 3e livraison (L’Illustration)
1er novembre 1852, La Bohême galante IX (L’Artiste)
6 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 4e livraison (L’Illustration)
13 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 5e livraison (L’Illustration)
15 novembre 1852, La Bohême galante X (L’Artiste)
20 novembre 1852, Les Illuminés, chez Victor Lecou (« La Bibliothèque de mon oncle »)
1er décembre 1852, La Bohême galante XI (L’Artiste)
15 décembre 1852, La Bohême galante XII (L’Artiste)
1er janvier 1853 (BF), Petits Châteaux de Bohême. Prose et Poésie, chez Eugène Didier
15 août 1853, Sylvie. Souvenirs du Valois (Revue des Deux Mondes)
14 novembre 1853, Lettre à Alexandre Dumas
25 novembre 1853-octobre 1854, Lettres à Émile Blanche
10 décembre 1853, Alexandre Dumas, Causerie avec mes lecteurs (Le Mousquetaire)
17 décembre 1853, Octavie (Le Mousquetaire)
1853-1854, Le Comte de Saint-Germain (manuscrit autographe)
28 janvier 1854 (BF) Les Filles du feu, préface, Les Chimères, chez Daniel Giraud
31 octobre 1854, Pandora (Le Mousquetaire)
25 novembre 1854, Pandora, épreuves du Mousquetaire
Pandora, texte reconstitué par Jean Guillaume en 1968
Pandora, texte reconstitué par Jean Senelier en 1975
30 décembre 1854, Promenades et Souvenirs, 1re livraison (L’Illustration)
1854 ? Sydonie (manuscrit autographe)
1854? Emerance (manuscrit autographe)
1854? Promenades et Souvenirs (manuscrit autographe)
janvier 1855, Oeuvres complètes (manuscrit autographe)
1er janvier 1855, Aurélia ou le Rêve et la Vie (Revue de Paris)
6 janvier 1855, Promenades et Souvenirs, 2e livraison (L’Illustration)
3 février 1855, Promenades et Souvenirs, 3e livraison (L’Illustration)
15 février 1855, Aurélia ou Le Rêve et la Vie, seconde partie (Revue de Paris)
15 mars 1855, Desiderata (Revue de Paris)
1866, La Forêt noire, scénario
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BF: annonce dans la Bibliographie de la France
Manuscrit autographe: manuscrit non publié du vivant de Nerval
1828 ? — Le Nouveau Genre ou Le Café d’un théâtre, comédie en un acte en vers.
Le manuscrit autographe de Nerval sera achevé et publié en 1860 par Arthus Fleury sous le titre : Le Nouveau genre ou Le Café d’un théâtre / Comédie critique en un acte, en vers / imitée de / Leandro Moratin / commencée par / Gérard de Nerval / et terminée par / Arthus Fleury, Paris, J. Barbée, 12 boulevard Saint-Martin, 1860.
Dans la préface de son édition, Arthus Fleury explique que le manuscrit lui a été donné lors de son passage à Tours par Papion du Château, qui le tenait lui-même de Nerval, et qu’il s’agit d’une traduction libre de la Comedia Nueva o El Cafe, du poète espagnol Moratín. Une lettre de Nerval à Papion du Château, que l’on peut dater d’avril 1832, mois où l’épidémie de choléra à Paris, à laquelle la lettre fait allusion, confirme ce don de deux manuscrits, et, implicitement, son ralliement au romantisme : « Mais je vous irai voir, pour sûr, lundi matin et vous porterai le cahier de l’Erreur. Je viens de le relire et vraiment avec beaucoup de corrections je crois que vous en pourriez faire quelque chose de remarquable. Pour moi, il est impossible qu’il me serve jamais, non que je le croie inférieur à moi ( alors je ne vous l’offrirais pas), mais parce qu’il est d’un genre de poésie, autre que celui que j’ai embrassé et qu’à ce titre il me nuirait s’il paraissait sous mon nom, de la même façon qu’une poésie carliste nuirait à un républicain. J’ai aussi un autre cahier où vous trouveriez peut-être quelque chose d’assez bon. Je vous l’apporterai avec l’autre. » L’un, L’Erreur, explicitement désigné, est sans doute la pièce présentée au théâtre de l’Odéon, dont le procès-verbal de censure est daté de 1829. « L’autre », dont le sous-titre est le même que celui de L’Erreur, est Le Nouveau genre.
Ces deux courtes pièces, que l’on peut dater sans doute de 1828, sont une satire du drame romantique, dans la droite ligne des cahiers de Poésies de 1824. Mais entre temps, Gérard s’est rallié à Victor Hugo, en faisant une adaptation pour le théâtre de Han d’Islande, dont le manuscrit porte la date de 1829, et surtout en participant activement à la bataille d’Hernani en février 1830. Une telle charge contre les adeptes du « nouveau genre », devenus ses amis, aurait été évidemment mal perçue.
Voir la notice LA CAMARADERIE DU PETIT CÉNACLE.
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LE NOUVEAU GENRE OU LE CAFÉ D'UN THÉÂTRE
La scène se passe dans le café d’un théâtre des boulevards, à Paris.
SCÈNE PREMIÈRE
EUGÈNE, M. DUPRÉ, LES CLAQUEURS
Eugène
Allons, Monsieur Dupré, montrez-vous plus traitable…
De tout cela d’ailleurs, nous conviendrons à table.
Surtout, du second acte, il faut soigner la fin,
Quand la mère et l’enfant se plaignent d’avoir faim,
Que le père répond…
M. Dupré
Je connais le passage.
Eugène
Le parterre, je crois, fera là grand tapage.
M. Dupré
Comment ? Donnera-t-on des billets au bureau ?
Eugène
Eh ! sans doute, Monsieur.
M. Dupré
Ah ! voici du nouveau !
Et la première fois… C’est là, sur ma parole,
Pour un homme d’esprit, une fameuse école.
Alors, ce n’est plus çà.
Eugène
D’où vient donc cet effroi ?
Je ne vois point quel mal…
M. Dupré
Eh bien, moi je le vois !
Apprenez donc, Monsieur, ce dont pour vous je tremble,
Que quatre à cinq sifflets, bien accordés ensemble,
Causent plus de scandale et font plus de fracas
Que toute notre claque.
Eugène
Alors, quel embarras ?
Vous mettez poliment la cabale à la porte.
M. Dupré
La cabale, Monsieur, peut être la plus forte ;
D’ailleurs, tout honnête homme aime assez son repos,
Et, pour être Romain, on n’est pas un héros.
Non, un auteur habile, et qui sait son affaire,
D’avance, de gaillards disposés à bien faire,
Remplit les corridors, les loges, le parquet,
Et ferme les bureaux au sixième billet.
D’un pareil procédé si la foule s’irrite,
Gendarmes à cheval interviennent bien vite ;
Le public, avec perte, est bientôt repoussé…
Et voilà le succès déjà fort avancé :
Alors, nous…
Eugène
Excusez mon peu d’expérience ;
Mais de tout réparer, Monsieur, j’ai l’espérance ;
Venez en attendant, et montons au salon.
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SCÈNE SECONDE
LES PRÉCÉDENTS, DORANTE
Eugène
Tiens, te voilà, Dorante ? As-tu déjeuné ?
Dorante
Non.
Eugène
Eh bien, monte avec nous.
Dorante
Mais je voulais t’apprendre…
Eugène
J’aurai, le repas fait, le loisir de t’entendre.
Il monte au premier avec Dupré.
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SCÈNE TROISIÈME
Dorante, seul.
Encore un déjeuner ! Je vois que notre ami
N’entend pas faire ici les choses à demi :
Ce m’est, en tous les cas, une bonne ressource ;
Car, logeant dès longtemps le diable dans ma bourse,
Sans la sienne, peut-être, un destin plus fatal
M’eût dès longtemps aussi conduit à l’hôpital.
Tôt ou tard cependant ce sera mon partage,
Car son avoir s’épuise, et c’est vraiment dommage,
Pour moi comme pour lui : j’ai pourtant quelque espoir`
Sur son drame, qu’ici l’on va jouer ce soir :
C’est bien extravagant, bien niais… mais que dire ?
Pour le siècle où l’on est, il faut savoir écrire.
D’ailleurs, je l’ai prôné, j’ai proclamé partout
L’ouvrage original et du plus nouveau goût ;
À le faire jouer j’ai réussi, de reste,
Et crois avec raison que nul revers funeste
Ne troublera ce soir un succès si flatteur,
Moins pour la gloire encor que pour les droits d’auteur.
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SCÈNE QUATRIÈME
DORANTE, CARLIN
Carlin
On vous demande en haut.
Dorante
Ah ! j’y suis nécessaire ?
J’y cours.
Il sort.
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SCÈNE CINQUIÈME
CARLIN, DERCOURT entrant.
Dercourt, s’asseyant.
Ma demi-tasse, avec le petit verre.
Carlin
Bien.
Il sert et retourne au fond.
Dercourt, entendant du bruit au premier.
Le plafond, je crois, est prêt à s’enfoncer ;
Carlin !
Carlin, revenant.
Monsieur ?
Dercourt
Là-haut, donnez-vous à danser ?
Carlin
Non, Monsieur.
Dercourt
Qui peut donc y faire un tel tapage ?
Carlin
Des auteurs.
Dercourt
Des auteurs ? mais c’est un badinage ;
Ce sont des fous, plutôt.
Carlin
Des auteurs ; et des bons !
Mais pour faire ce bruit ils ont bien leurs raisons :
D’un excellent repas ils ont fait la dépense,
Et lui rendent honneur.
Dercourt
Pourquoi cette bombance ?
Carlin
C’est, je crois pour un drame, à ce qu’on dit, bien noir,
Qui sera, près d’ici, représenté ce soir,
Et que pour un chef-d’œuvre en tous lieux on proclame.
Dercourt
Ah ! les petits coquins… ils ont donc fait un drame ?
Carlin
Oui, Monsieur, le sujet est très original,
Et tout promet d’avance un succès colossal :
Voulez-vous voir l’annonce ?
Dercourt
Eh ! j’en aurais envie.
Carlin, lui présentant un journal.
Cherchez dans le journal.
Dercourt
Oh ! diable ! c’est la vie
D’un fameux criminel en cinq jours : l’intérêt
Me semble bien placé.
Carlin
Cela doit faire effet.
Dercourt, lisant.
On doit, le même soir, y voir représentée
Sa naissance, sa vie et sa mort méritée.
Carlin
Est-ce le même acteur qui jouera tout cela ?
Dercourt
Il paraît. Ah ! Carlin, quelle pièce voilà !
Eh ! mais, sais-tu combien ils étaient pour la faire ?
Carlin
Deux.
Dercourt
Par acte ?
Carlin
Pour tout.
Dercourt
C’est extraordinaire !
Carlin
Encor Monsieur Dorante en fit bien peu, je crois.
Dercourt
Eh quoi ! Dorante en est : Maintenant je conçois.
Carlin
Vous le connaissez donc ?
Dercourt
Est-il dans la nature
Quelque lieu qui n’ait vu sa bizarre figure ?
Qu’il n’ait souvent rempli de son fade jargon,
De ses airs suffisants qu’il prend pour du bon ton ?
Assureur dramatique et prôneur littéraire,
Il dit tout sans rien dire et fait tout sans rien faire ;
Flatte de son appui tous les auteurs nouveaux,
Daigne dans les salons produire leurs travaux,
Les présente au théâtre, en prend le bénéfice,
Et même y met son nom… à titre de service.
Carlin
Comme vous l’habillez ! mais croyez cependant
Qu’il possède en ces lieux un fameux ascendant ;
Il est fort en faveur au boulevard du Crime ;
Le second père noble a pour lui de l’estime ;
Avec notre soubrette il va se promener,
Et parfois le souffleur l’invite à déjeuner.
Vous sentez…
Dercourt
Oh ! je sens que son heureuse adresse
A, la main dans le sac, fait recevoir sa pièce.
Carlin
La pièce, c’est trop dire, et je soupçonnerais
Que l’autre jeune auteur en a seul fait les frais ;
Mais tous deux comptent bien, qu’en cas de réussite,
Une grêle d’écus va leur tomber bien vite ;
De son ami Dorante épouse alors la sœur…
Dercourt
Qui ? lui ! se marier ?
Carlin
La clause est de rigueur.
La noce jusqu’ici ne s’est point encor faite,
Le futur étant gueux ainsi que le poète :
Mais cette affaire-là les remettant à flot,
Les accords projetés sont conclus au plus tôt.
Dercourt
Et si la pièce tombe ?
Carlin
Ah ! ce serait terrible !
Mais quand j’y réfléchis… Oh ! non, c’est impossible :
Monsieur Dorante est sûr qu’elle réussira.
Dercourt
S’il en est sûr… d’accord ; et qui vivra verra.
Carlin
Il ajoute d’ailleurs qu’elle est d’un nouveau style
Qui, depuis quelque temps, fait fureur dans la ville ;
Et, tenez, l’autre jour ils en parlaient ici
Devant plusieurs acteurs qui s’y trouvaient aussi.
C’étaient toujours des mots de routine, d’ornières ;
Qu’il était beau d’apprendre à marcher sans lisières ;
Que, du maillot fatal une fois dépouillés,
Ils allaient conquérir, loin des chemins frayés,
Des lauriers incueillis, des fleurs à peine écloses.
Moi qui n’entendais pas toutes ces belles choses,
J’étais resté de là ; mais deux de mes pays,
Des garçons perruquiers, en étaient ébahis…
Dercourt
C’est une autorité.
Carlin
Des gaillards, je vous jure,
Qui se piquent d’avoir de la littérature ;
Et nos auteurs partis, ils nous dirent tout haut :
« D’honneur, ces messieurs-là raisonnent comme il faut ;
On ne peut point douter que, s’ils font un ouvrage,
Leur innovation n’ait un succès… de rage ;
Tout appartient de droit à qui sait tout oser. »
Dercourt
Oui.
Carlin
« Les Français en vain voudront leur opposer
Des pièces, des acteurs et des auteurs caduques,
Ils vont faire la barbe à toutes leurs perruques ! »
Dercourt
Oh ! diable ! je le crois.
Carlin
Le présage est flatteur :
J’en suis vraiment charmé pour notre jeune auteur ;
Car, si cet essai-là lui réussit, je gage
Qu’il va bien tout le jour détacher de l’ouvrage.
Dercourt
Pour cela, j’en réponds.
Carlin
Et voilà ce qu’il dit :
« Je puis, quand ce succès m’aura mis en crédit,
Pour un bon traitement m’arranger à l’année
Avec le directeur… ou même à la journée,
Voyez-vous ? »
Dercourt
Ah ! sans doute.
Carlin
Alors, il en ferait…
Bah ! deux ou trois par mois, même plus…
Dercourt
C’est un fait.
______
SCÈNE SIXIÈME
LES PRÉCÉDENTS, SAINT-ANGE, d’abord endormi, EUGÈNE, descendant.
Eugène
Garçon !
Carlin
Monsieur ?
Eugène
Un mot !
Il lui parle à l’oreille. Carlin sort.
Dercourt, s’approchant de Saint-Ange, que l’exclamation d’Eugène vient de réveiller.
Il faut vous divertir :
Venez-vous avec moi voir la pièce nouvelle
Ce soir ?
Saint-Ange
Non.
Dercourt
Pourquoi donc ! C’est qu’on la dit fort belle.
Saint-Ange
Non, jamais je n’y vais à la première fois.
Dercourt
Toujours original !
Eugène, s’approchant, à part.
Ah ! l’on parle, je crois,
De ma pièce.
Dercourt
Écoutez : elle est bonne ou mauvaise ;
Dans un cas ou dans l’autre, on en use à son aise.
Est-elle bonne ? – on claque, ou mauvaise ? l’on rit,
On raille un peu l’auteur.
Saint-Ange
Ce qui vous divertit
M’irrite : vous avez le talent nécessaire,
En matière de goût, pour ne vous tromper guère.
Dans le monde pourtant vous vous faites l’appui
De tout mauvais auteur, pour vous moquer de lui ;
Mais le jeu trop souvent passe la raillerie,
Et par ce moyen-là, quoique parfois on rie,
Mon cher, c’est un plaisir triste autant qu’incertain
Que celui qui s’exerce aux dépens du prochain.
Vous vous amusez… soit ; mais…
Dercourt
Certes, je m’amuse,
Et non pas aux dépens de celui que j’abuse.
Si son bonheur consiste en cette illusion,
Je l’augmente en sachant flatter sa passion ;
Le détromper serait une chose cruelle ;
Mais quant à cette pièce…
Eugène, se mettant au milieu d’eux.
Elle est, Messieurs, fort belle.
Fort belle, à ce qu’on dit du moins, et j’ai l’espoir
Qu’elle vous plaira fort, si vous allez la voir :
Son auteur m’est connu.
Dercourt, à part.
C’est sans doute lui-même.
Eugène
Un homme comme il faut, que j’estime et que j’aime,
Mais le pauvre garçon ne fait que commencer,
Et d’un peu d’indulgence il ne peut se passer.
Saint-Ange
S’il débute en effet, le public est trop sage,
Le sachant, toutefois, pour n’en pas faire usage.
Eugène
C’est fort bien pour l’honneur ; mais voyez ce que c’est ;
L’auteur de cet ouvrage, au cas d’un grand succès,
Devra se contenter de cent francs par soirée ;
Voilà tout.
Dercourt
La pilule est assez mal dorée.
Je pensais qu’une pièce avait plus de valeur,
Dans ce genre surtout.
Eugène
Non ; pendant la chaleur
On ne donne pas plus. Malgré ce prix modique,
Si tout seul du théâtre on avait la pratique,
On pourrait s’en tirer, mais on a des rivaux :
Chaque jour voit éclore un tas d’auteurs nouveaux.
Tout cela par faveur s’insinue et s’avance,
Écrit dans les prix doux : contre la concurrence
Comment se maintenir avec quelque succès ?
Surtout dans ce temps-ci qu’on fait tout au rabais.
Et, tenez, l’autre jour, en dépit de Dorante,
Un petit écolier aux acteurs se présente ;
C’est qu’il avait en poche un théâtre complet :
Comédie, opéra, vaudeville, ballet,
Drame, pièce à tableaux… Enfin le bon apôtre
Leur proposait le tout à cent francs l’un dans l’autre.
Vous conviendrez qu’alors on est bien empêché,
Et qu’on ne peut tenir contre un si bon marché.
Dercourt
Ces rabais font grand tort.
Eugène
Monsieur, ils sont terribles.
Dercourt
Oh ! oui.
Eugène
Surtout au prix où sont les comestibles.
Dercourt
En effet.
Eugène
Savez-vous ce que coûte un habit ?
Dercourt
Sans doute ; oh ! les tailleurs ne font plus de crédit.
Eugène
Et les locations à présent sont si chères !
Dercourt
Ce sont des gens cruels que les propriétaires !
Eugène
Et si l’on a de plus des enfants, à coup sûr
Il faudra les nourrir de pain sec.
Dercourt
C’est bien dur.
Eugène
Allez donc avec l’autre établir concurrence !
Qu’il ait vingt sous par jour, c’est toute sa dépense.
Dercourt
Contre cela, Monsieur, je ne vois qu’un moyen,
C’est de faire un travail… qui ne ressemble à rien ;
Du neuf, des grands tableaux, de l’horreur… et sans doute
On pourra mettre encor l’écolier en déroute.
Eugène
C’est ce qu’on tente aussi ; la pièce de ce soir
Devra, j’en suis certain, répondre à votre espoir ;
Car, d’après votre goût, on la croirait formée ;
Mais quoi !… l’auriez-vous lue ?
Saint-Ange
Elle est donc imprimée ?
Eugène
Eh ! sans doute, Monsieur.
Saint-Ange
C’est assez hasardeux :
Le succès n’est pas sûr.
Eugène
Oh ! rien n’est moins douteux.
Saint-Ange
Et peut-on demander combien l’auteur l’estime ?
Eugène
Quatre francs.
Saint-Ange
C’est bien cher.
Eugène
Monsieur, c’est du sublime !
Dercourt
Il faut que je l’achète, il le faut.
Eugène
La voici :
Trop heureux de pouvoir vous l’offrir.
Dercourt
Grand merci.
Il parcourt le titre.
Ah! de mettre son nom l’auteur a la prudence ;
Fort bien !
Eugène
En sa faveur cela prévient d’avance.
Dercourt
De cette attention l’on sera très flatté.
Saint-Ange
C’est sans doute de peur que la postérité
À le chercher un jour ne se creuse la tête.
Dercourt, après avoir feuilleté.
La préface obligée a l’air assez honnête.
Eugène
Il faut quand on innove expliquer ses raisons.
Dercourt, feuilletant.
Ah ! c’est trop juste… Enfin, m’y voici ; commençons :
Premier jour. Il fait nuit, la scène représente…
Eugène
Permettez : cette scène est très intéressante ;
Remarquez bien, Messieurs, que ce grand scélérat
Y commence ses jours… par un assassinat.
Dercourt
Par un assassinat ! comment se peut-il faire ?…
Eugène
C’est qu’il cause en naissant le trépas de sa mère.
Dercourt
Oh ! oh !
Eugène
Dès le début, par ce nouveau moyen,
Le public est instruit de ce qu’il est.
Dercourt
Fort bien !
Saint-Ange
Monsieur…
Eugène
Pardonnez-moi : c’est ainsi qu’il doit naître :
Mais ce commencement ne vous plaît pas peut-être ?…
Eh bien ! donc, écoutez ce morceau que voilà :
Il fait à son épouse une scène… c’est là !
Il indique une scène à Dercourt.
Dercourt
Il s’est donc marié ?
Eugène
Vers sa trentième année :
Mais sa petite femme est bien infortunée,
Et, malgré sa douceur, pour quelques vains soupçons,
Le coquin ose encor lui dire des raisons.
Dercourt
Cet homme est très brutal.
Eugène
Caractère farouche !
Dercourt
Un grand, brun…
Eugène
Oui, Monsieur.
Dercourt
Petits yeux, un peu louche ;
De gros favoris noirs, grêlé ?…
Eugène
Vous y voici.
Dercourt
Pauvre femme ! elle doit avoir bien du souci !
Fi ! l’horrible animal !
Eugène
Oh ! Monsieur, je vous jure
Que c’est comme cela que je me le figure.
Dercourt
Voyons ce qu’il lui dit.
Saint-Ange
Pour Dieu ! ne lisez pas.
Je ne saurais souffrir…
Dercourt
Je me tais, en ce cas ;
Mais vous perdez, mon cher, une belle harangue.
Elle, de son côté, ne se mord pas la langue.
Eugène
Non, non, Monsieur.
Dercourt
Oh ! diable ! et je vois en effet,
Qu’elle sait bien le prendre et lui dire son fait.
Saint-Ange, avec impatience.
Mais, avec tout cela…
Eugène
Cette scène est bien forte.
Saint-Ange
Cela suffit, Monsieur.
Eugène
Pleine de feu.
Saint-Ange
N’importe !
Eugène
Ah ! cet acte au public paraîtrait sans défaut,
Si l’actrice y mettait tout le talent qu’il faut.
Et cet endroit encor…
Il prend la brochure.
Permettez que je lise…
Saint-Ange
Eh ! pour Dieu ! laissez-là toute cette sottise.
Eugène
Sottise ! Ah ! c’est trop fort !… Voilà nos gens de goût,
Nos connaisseurs ; il faut qu’il s’en trouve partout.
Sottise ! Ah ! pour le coup, je m’étonne qu’on ose…
Eh ! sur les boulevards on ne voit autre chose !
Sottise ! le public sait pourtant les priser,
Et chaque soir, ici, les claque à tout briser.
Saint-Ange
Eh ! je ne vous dis pas…
Eugène
Ces gens-là me font rire.
Mais que veulent-ils donc ?… On ne peut rien écrire
Qui ne soit déchiré, censuré !…
______
SCÈNE SEPTIÈME
LES PRÉCÉDENTS, DORANTE, descendant.
Eugène
Te voici ?
Pour entendre du neuf, mon cher, viens donc ici ;
Tu ne le croirais pas !… Ce Monsieur se figure
Que la pièce…
Dorante, le tirant à part.
À propos, j’ai demandé lecture
Pour notre autre, tu sais ?
Eugène
Ah ! bien.
Dorante
Est-ce achevé ?
Eugène
Non, ma foi, le sujet n’est pas encore trouvé.
Dorante
Oh ! diable ! tâche donc : c’est demain.
Eugène
Sois tranquille ;
Comme je te disais, Monsieur est difficile :
La pièce de ce soir ne lui plaît pas.
Dorante
Vraiment !
Eugène
Ce n’est qu’une sottise !
Dorante
Ah ! le mot est charmant.
Il a dû t’effrayer ?
Eugène, se rapprochant des autres.
Messieurs, je vous présente
Un homme de mérite.
Dercourt
Ah ! ah ! Monsieur Dorante.
Eugène
Il pourra décider le cas dont il s’agit.
Tout le monde connaît ses talents, son esprit ;
Il écrit fort souvent dans les feuilles publiques ;
Il tient un certain rang parmi nos bons critiques ;
Il saura donc juger…
Dorante
Ce n’est point de refus ;
Mais d’éloges pareils je suis vraiment confus :
Je les mérite peu, tandis qu’en toi j’honore
Un esprit délicat, un talent jeune encore…
Eugène
Enfin…
Dorante
Mais qui décèle un si grand avenir.
Saint-Ange, à part.
Oh ! les voilà partis ! c’est à n’en plus finir.
Eugène
Laissons cela, mon cher ; permets qu’on t’interroge…
Dorante
Pour tant de qualités, c’est un bien faible éloge.
Eugène
Tu me flattes beaucoup, mais parle franchement :
La pièce de ce soir…
Dorante
Est bonne assurément
Eugène
Ah ! très bien.
Dorante
Et de plus sera, sur ma parole,
Un triomphe complet pour la nouvelle école.
Rien pour cela n’y manque : effets, atrocités,
Contrastes, changements, mépris des unités,
Une exécution, trois ou quatre tempêtes,
Quelques assassinats, des danses et des fêtes.
Dercourt
Ah ! que ceci, Monsieur, est d’un merveilleux goût !
Mais il faut…
Dorante
Des voleurs ? On en a mis partout.
Dercourt
Non, il faut que le style à tout cela réponde.
Dorante
Le style ? Eh ! c’est sur lui que le succès se fonde.
Tour à tour effrayant, sublime ou gracieux,
Il fait que le public, par un contraste heureux,
Au langage élégant de Racine et Molière,
Voit succéder l’argot de l’hôtel d’Angleterre ;
Cette variété…
Saint-Ange, prenant son chapeau.
Messieurs, j’ai bien l’honneur…
Dercourt
Quoi ! vous vous en allez ?
Saint-Ange
Je ne suis point d’humeur
À goûter les beautés d’une semblable pièce,
Et j’en laisse le soin à ceux qu’elle intéresse.
Eugène
Mais monsieur votre ami paraît prendre plaisir
À l’écouter.
Saint-Ange
Monsieur aime à se divertir.
Quant à moi, du malheur bien loin que je me joue,
L’auteur d’un tel début me paraît, je l’avoue,
Moins ridicule encor que digne de pitié.
Si pour lui vous avez, Messieurs, quelque amitié,
De grâce, dites-lui qu’il en est temps encore…
Eugène
Comment !
Saint-Ange
Qu’il abandonne un art qu’il déshonore ;
Art divin, mais qui n’offre à de pareils essais
Qu’une chute cruelle ou un honteux succès.
Dorante
Ah ! nous y voilà donc ! Monsieur fait le classique !
Monsieur est un de ceux qu’un préjugé gothique
A, contre nos succès, dès longtemps révoltés ;
Qui, chaque soir, bercés dans les trois unités,
S’endorment saintement pendant la psalmodie
Des quatre mille vers de quelque tragédie ;
Qui se croiraient perdus si des auteurs nouveaux,
Par la diversité d’agréables tableaux,
Osaient les amuser en dépit d’Aristote ?
Ces gens-là sont bien fous, mais leur triste marotte
S’use de jour en jour ; on sait que dans Paris
Du nom de rococos, nous les avons flétris.
Malgré tous leurs efforts, notre nouvelle école
Frappe à coups redoublés sur leur antique idole ;
Et les Parisiens, à la fuir empressés,
Tremblent au seul aspect de ses temples glacés.
Pour nous…
Saint-Ange
Vous ? Quel public vient à vos saturnales ?
Le public des faubourgs et le public des halles,
Parce que de ses rangs vous tirez vos héros :
Il aime à se revoir sur vos hideux tréteaux,
Et, fier de la hauteur où ce genre l’élève,
Il court au boulevard comme on court à la Grève.
Là, quand il devrait voir des traits d’humanité,
Des tableaux et des mœurs pleins de fidélité,
Comme on innove tout dans le siècle où nous sommes,
Il y voit des brigands transformés en grands hommes.
Peut-on…
Dorante
Tous les sujets sont au théâtre ouverts :
Mandrin n’est-il pas beau lorsqu’il brise ses fers ?
Saint-Ange
Le théâtre doit-il mettre en rapport notre âme
Avec des malheureux que l’échafaud réclame ?…
Non ! Les plates horreurs que l’on nous y fait voir
Peuvent nous effrayer, mais sans nous émouvoir…
Non ! Le goût répudie un genre aussi bizarre,
Qu’on croit original, et qui n’est que barbare,
Et toujours osera préférer, malgré vous,
Le style de Racine à l’argot des filous.
Dorante
Ah ! dans un autre temps c’était fort bon à dire,
Mais nous avons détruit son ennuyeux empire ;
Racine est un vieux saint que l’on ne chôme plus,
Et tous ses sectateurs, avec lui confondus,
Vont bientôt, enterrant leur vieille Melpomène,
À sa jeune rivale abandonner la scène :
Sentez-vous quel honneur ce triomphe nous fait ?
Saint-Ange
Oui, de remplacer l’autre elle est digne en effet :
Elle a des échafauds pour attributs funèbres,
Et puise ses héros dans les Causes célèbres.
Quel est son intérêt ? et quels sont ses ressorts ?…
Des meurtres, des combats, de superbes décors,
Des situations qu’un goût bizarre assemble,
Mais qui hurlent d’effroi de se trouver ensemble.
Quant au style… encor mieux ! du pathos, de grands mots,
Des maximes d’honneur qui font pâmer les sots ;
Plus souvent du comique extrait de quelque bagne,
Que toujours du parterre un gros rire accompagne…
Car ce parterre-là, que connaît bien l’auteur,
En sait apprécier le sel, et la valeur.
Dorante
Laissez donc : nous savons attirer le beau monde ;
Une foule choisie en nos foyers abonde ;
Des carrosses nombreux peuvent en faire foi.
Saint-Ange
Parce que le nouveau fait à Paris la loi.
Mais à l’empressement et des uns et des autres,
La girafe a des droits aussi forts que les vôtres.
Chez nous, l’amour du neuf, qu’il soit mauvais ou bon,
Va jusqu’à la fureur, mais n’a qu’une saison :
Tandis que du vrai beau la durée immortelle
Voit un public léger, mais non pas infidèle,
Sur son égarement bientôt ouvrir les yeux,
Et briser les hochets dont il se fit des Dieux.
Eugène
L’image a de l’effet ; mais vous avez beau dire,
La Melpomène antique a perdu son empire ;
Le grand réussisseur, votre Talma n’est plus !
Saint-Ange
Que de talents la France en ce siècle a perdus !
Mais, toujours généreux, le sol qui les dévore
Demeure assez fécond pour en produire encore :
L’art, qui d’un coup fatal n’est jamais à l’abri,
Peut bien se voir frappé, mais non anéanti :
Il retourne bientôt à sa place éternelle,
Et reçoit de sa chute une force nouvelle…
Mais le genre bâtard, maintenant encensé,
Qui le ranimera, quand il aura passé ?
Eugène, vivement.
Il ne passera pas !… tant que dans cette ville
L’originalité gardera droit d’asile :
Vous savez qu’en tout temps elle est chère aux Français !
Saint-Ange
Ainsi, vous prétendez appuyer vos succès
De ce mérite-là ?…
Eugène
Sans doute ! La routine
A de l’art dramatique avancé la ruine ;
Notre genre nouveau, plus noblement lancé,
Évite donc l’ornière…
Saint-Ange
Et trouve le fossé :
D’un aussi noble essor, voilà le but terrible.
L’originalité m’en paraît moins sensible :
Appelez-vous ainsi l’oubli des unités,
Fondements du bon goût si longtemps respectés ?
Eugène
Oui..
Saint-Ange
L’introduction d’ignobles personnages ?…
D’un sujet dégoûtant les hideuses images ?
C’est l’enfance de l’art ; de toutes ces beautés
Même les étrangers sont déjà dégoûtés ;
Vous pillâtes chez eux toute votre richesse.
Eugène
Le reproche est naïf, mais n’a rien qui nous blesse ;
Si l’imitation fut chez nous un abus,
Vos classiques auteurs lui doivent encor plus.
Saint-Ange
Oh ! les sujets traités par leur muse divine
Étaient une conquête et non une rapine ;
Ils ornaient les trésors par le triomphe acquis,
Et savaient franciser ce qu’ils avaient conquis ;
C’est ainsi qu’en tout temps leur sublime génie
Des biens de ses voisins enrichit la patrie :
Et, pendant des succès, hélas ! trop passagers,
Mais qu’on n’oubliera point, de coursiers étrangers
Si la France para ses monuments de gloire,
C’est en les attelant à des chars de victoire !…
Eugène
Fort bien ! mais…
Saint-Ange
Le poète, ainsi que le guerrier,
Par ce noble moyen peut tout s’approprier.
Eugène
Nous l’employons aussi.
Dorante
Eh ! sur cette matière,
C’est assez discourir ; mais, ce soir, je l’espère,
Monsieur, examinant les pièces du procès,
Approuvera le genre en voyant le succès.
À Eugène
Donne donc un billet.
Eugène
Excusez-moi si j’ose
Vous offrir…
Saint-Ange
Grand merci, Monsieur !
Eugène
Quelle est la cause
Qui vous fait refuser un cadeau si léger ?
Saint-Ange
Au théâtre, Monsieur, j’aime à pouvoir juger :
Et je craindrais de trop grever ma conscience
Pour pouvoir l’acquitter : car, par expérience,
Je sais qu’en claquements, ces sortes de billets
Sont payables à vue avec les intérêts.
Adieu, Monsieur !
Il sort.
______
SCÈNE HUITIÈME
DERCOURT, EUGÈNE, DORANTE
Eugène
Adieu !… L’ennuyeux personnage !
Oh ! de tout critiquer, faut-il avoir la rage !…
Mais nous réussirons, du dépit qu’il en ait.
Dercourt
Qui pourrait en douter ? Donnez-moi ce billet ;
Donnez, je cours après cet homme opiniâtre,
Et de force ou de gré je l’entraîne au théâtre
Pour le punir.
Eugène
Ah ! bien.
Dercourt
Au revoir !
À part : Qu’ils sont fous !…
Il sort.
______
SCÈNE NEUVIÈME
EUGÈNE, DORANTE
Eugène
En honneur, j’ai grand’peine à calmer mon courroux !
Sans en avoir rien lu, venir me dire en face
Que ma pièce est mauvaise ! Ah ! voilà qui me passe !
Dorante
J’ai bien vu dès l’abord qu’il n’y connaissait rien.
Eugène
Une pièce à succès qui fournira fort bien
Ses trois mois accomplis.
Dorante
Mon ami, dans la vie,
Toujours un grand mérite est en butte à l’envie.
Tiens, l’autre jour au tir il m’en advint autant :
Quelqu’un, en plein public, me traita d’ignorant.
Eugène
Oh ! oh !
Dorante
Tu sais assez…
Eugène
Ah ! mon cher, je te jure
Que c’est à mon avis la plus plate imposture :
Et tu sus y répondre ?…
Dorante
Avec beaucoup d’esprit ;
Un ancien philosophe a quelque part écrit :
« Si quelqu’un en public vous dit une sottise… »
Eugène
Diable !… il faut…
Dorante
« Taisez-vous !… et prenez une prise. »
Eugène
La maxime est prudente.
Dorante
Et c’est ce que je fis.
Eugène
Retournons-nous là-haut ?
Dorante
Attends : ce que j’en dis,
C’est pour te rassurer, car ta pièce, je pense…
Comment !… ils n’ont voulu te faire aucune avance ?…
Eugène
Pas seulement un liard.
Montrant une pièce de monnaie :
Voilà tout ce que j’ai
Pour faire le garçon.
Dorante
Moi, j’ai reçu congé
De mon propriétaire.
Eugène
Eh qui ? ce vieux classique ?
Dorante
Il veut que je le paye, ou sinon…
Eugène
C’est unique !
C’est là qu’ils en sont tous : fatal amour de l’or !
Dorante
Pour trois ans de loyer que je redois encor.
Eugène
Quelle misère ! Eh bien, mon sort est encor pire
Que le tien, mon ami..
Dorante
Grand Dieu ! que veux-tu dire ?
Eugène
Que si je suis ici, c’est pour bonne raison,
Car déjà les huissiers occupent ma maison.
Dorante
Ils n’ont rien à saisir.
Eugène
Ta remarque est très bonne ;
Mais, restant, ils pouvaient me saisir en personne :
Je pris donc le parti, moi, de les prévenir.
Dorante
Et ta sœur ?
Eugène
Je n’eus point le temps de l’avertir :
Mais je sus m’esquiver avec beaucoup d’adresse,
Chargé, comme Bias, de toute ma richesse.
Dorante
Les mains dans tes goussets…
Eugène
Qui ne contenaient rien.
Je ne pouvais aller, comme tu penses bien,
En ce jour qui me comble et d’argent et de gloire,
À Sainte-Pélagie attendre ma victoire ;
Je vins donc au théâtre où je fis répéter
La pièce que, ce soir, on doit représenter :
Au foyer je trouvai l’assureur dramatique
Que je fis déjeuner avec toute sa clique
À crédit.
Dorante
C’est bien vu : mais crois-tu bonnement,
Qu’il va se contenter d’un repas pour paîment ?
Eugène
Peut-être !
Dorante
N’y crois pas.
Eugène
C’est plus qu’il ne mérite.
En tout cas, je l’ajourne après la réussite.
Dorante
Je doute qu’il le veuille : au reste, ce succès
Se rattache, mon cher, à bien des intérêts.
Eugène
Tous seront contentés, et nos dettes payées ;
Les sommes de demain y seront employées.
Ceci fait, chaque jour rend un nouveau profit,
Les droits et les billets ; surtout le grand débit
De la pièce imprimée. Oh ! mon cher, je t’assure
Que nous allons après faire bonne figure,
Et je veux que bientôt la noce de ma sœur
Avec toi dans Paris me fasse de l’honneur.
Dorante
Peut-être ta fortune, en espoir si brillante,
Ressemble à ces décors dont la toile mouvante
Par l’aspect d’un palais peut bien nous éblouir,
Mais qu’un coup de sifflet va faire évanouir.
Tiens, j’aperçois ta sœur.
GÉRARD DE NERVAL - SYLVIE LÉCUYER tous droits réservés @
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