TEXTES

1824, Poésies diverses (manuscrit autographe)

1824, L’Enterrement de la Quotidienne (manuscrit autographe)

1824, Poésies et poèmes (manuscrit autographe)

1825, « Pour la biographie des biographes » (manuscrit autographe)

15 février 1826 (BF), Napoléon et la France guerrière, chez Ladvocat

19, 22 avril, 14 juin (BF), Complainte sur la mort de haut et puissant seigneur le Droit d’aînesse, chez Touquet

6 mai 1826 (BF), Complainte sur l’immortalité de M. Briffaut, par Cadet Roussel, chez Touquet

6 mai 1826 (BF), Monsieur Dentscourt ou le Cuisinier d’un grand homme, chez Touquet

20 mai 1826 (BF), Les Hauts faits des Jésuites, par Beuglant, chez Touquet

12 août 1826 (BF), Épître à M. de Villèle (Mercure de France du XIXe siècle)

11 novembre 1826 (BF), Napoléon et Talma, chez Touquet

13 et 30 décembre 1826 (BF), L’Académie ou les membres introuvables, par Gérard, chez Touquet

16 mai 1827 (BF), Élégies nationales et Satires politiques, par Gérard, chez Touquet

29 juin 1827, La dernière scène de Faust (Mercure de France au XIXe siècle)

28 novembre 1827 (BF), Faust, tragédie de Goëthe, 1828, chez Dondey-Dupré

15 décembre 1827, A Auguste H…Y (Almanach des muses pour 1828)

1828? Faust (manuscrit autographe)

1828? Le Nouveau genre (manuscrit autographe)

mai 1829, Lénore. Ballade allemande imitée de Bürger (La Psyché)

août 1829, Le Plongeur. Ballade, (La Psyché)

octobre 1829, A Schmied. Ode de Klopstock (La Psyché)

24 octobre 1829, Robert et Clairette. Ballade allemande de Tiedge (Mercure de France au XIXe siècle)

14 novembre 1829, Les Bienfaits de l’enseignement mutuel, Procès verbal de la Loge des Sept-Écossais-réunis, chez Bellemain

21 novembre 1829, Chant de l’épée. Traduit de Korner (Mercure de France au XIXe siècle)

12 décembre 1829, La Mort du Juif errant. Rapsodie lyrique de Schubart (Mercure de France au XIXe siècle)

19 décembre 1829, Lénore. Traduction littérale de Bürger (Mercure de France au XIXe siècle)

2 janvier 1830, La Première nuit du Sabbat. Morceau lyrique de Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)

janvier 1830, La Lénore de Bürger, nouvelle traduction littérale (La Psyché)

16 janvier 1830, Ma Patrie, de Klopstock (Mercure de France au XIXe siècle)

23 janvier 1830, Légende, par Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)

6 février (BF) Poésies allemandes, Klopstock, Goethe, Schiller, Burger (Bibliothèque choisie)

13 février 1830, Les Papillons (Mercure de France au XIXe siècle)

13 février 1830, Appel, par Koerner (1813) (Mercure de France au XIXe siècle)

13 mars 1830, L’Ombre de Koerner, par Uhland, 1816 (Mercure de France au XIXe siècle)

27 mars 1830, La Nuit du Nouvel an d’un malheureux, de Jean-Paul Richter (La Tribune romantique)

10 avril 1830, Le Dieu et la bayadère, nouvelle indienne par Goëthe (Mercure de France au XIXe siècle)

29 avril 1830, La Pipe, chanson traduite de l’allemand, de Pfeffel (La Tribune romantique)

13 mai 1830 Le Cabaret de la mère Saguet (Le Gastronome)

mai 1830, M. Jay et les pointus littéraires (La Tribune romantique)

17 juillet 1830, L’Éclipse de lune. Épisode fantastique par Jean-Paul Richter (Mercure de France au XIXe siècle)

juillet ? 1830, Récit des journées des 27-29 juillet (manuscrit autographe)

14 août 1830, Le Peuple (Mercure de France au XIXe siècle)

30 octobre 1830 (BF), Choix de poésies de Ronsard, Dubellay, Baïf, Belleau, Dubartas, Chassignet, Desportes, Régnier (Bibliothèque choisie)

11 décembre 1830, A Victor Hugo. Les Doctrinaires (Almanach des muses pour 1831)

29 décembre 1830, La Malade (Le Cabinet de lecture )

29 janvier 1831, Odelette, Le Vingt-cinq mars (Almanach dédié aux demoiselles)

14 mars 1831, En avant, marche! (Cabinet de lecture)

23 avril 1831, Bardit, traduit du haut-allemand (Mercure de France au XIXe siècle)

30 avril 1831, Le Bonheur de la maison par Jean-Paul Richter. Maria. Fragment (Mercure de France au XIXe siècle)

7 mai 1831, Profession de foi (Mercure de France au XIXe siècle)

25 juin et 9 juillet 1831, Nicolas Flamel, drame-chronique (Mercure de France au XIXe siècle)

17 et 24 septembre 1831, Les Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre. Conte inédit d’Hoffmann (Mercure de France au XIXe siècle)

4 décembre 1831, Cour de prison, Le Soleil et la gloire (Le Cabinet de lecture)

17 décembre 1831, Odelettes. La Malade, Le Soleil et la Gloire, Le Réveil en voiture, Le Relais, Une Allée du Luxembourg, Notre-Dame-de-Paris (Almanach des muses)

17 décembre 1831, Fantaisie, odelette (Annales romantiques pour 1832)

24 septembre 1832, La Main de gloire, histoire macaronique (Le Cabinet de lecture)

14 décembre 1834, Odelettes (Annales romantiques pour 1835)

1835-1838 ? Lettres d’amour (manuscrits autographes)

26 mars et 20 juin 1836, De l’Aristocratie en France (Le Carrousel)

20 et 26 mars 1837, De l’avenir de la tragédie (La Charte de 1830)

12 août 1838, Les Bayadères à Paris (Le Messager)

18 septembre 1838, A M. B*** (Le Messager)

2 octobre 1838, La ville de Strasbourg. A M. B****** (Le Messager)

26 octobre 1838, Lettre de voyage. Bade (Le Messager)

31 octobre 1838, Lettre de voyage. Lichtenthal (Le Messager)

24 novembre 1838, Léo Burckart (manuscrit remis à la censure)

25, 26 et 28 juin 1839, Le Fort de Bitche. Souvenir de la Révolution française (Le Messager)

13 juillet 1839 (BF) Léo Burckart, chez Barba et Desessart

19 juillet 1839, « Le Mort-vivant », drame de M. de Chavagneux (La Presse)

15 et 16-17 août 1839, Les Deux rendez-vous, intermède (La Presse)

17 et 18 septembre 1839, Biographie singulière de Raoul Spifamme, seigneur des Granges (La Presse)

21 et 28 septembre 1839, Lettre VI, A Madame Martin (Lettres aux belles femmes de Paris et de la province)

28 janvier 1840, Lettre de voyage I (La Presse)

25 février 1840, Le Magnétiseur

5 mars 1840, Lettre de voyage II (La Presse)

8 mars 1840, Lettre sur Vienne (L’Artiste)

26 mars 1840, Lettre de voyage III (La Presse)

28 juin 1840, Lettre de voyage IV, Un jour à Munich (La Presse)

18 juillet 1840 (BF) Faust de Goëthe suivi du second Faust, chez Gosselin

26 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort I (La Presse)

29 juillet, 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort II (La Presse)

30 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort III (La Presse)

11 février 1841, Une Journée à Liège (La Presse)

18 février 1841, L’Hiver à Bruxelles (La Presse)

1841 ? Première version d’Aurélia (feuillets autographes)

février-mars 1841, Lettre à Muffe, (sonnets, manuscrit autographe)

1841 ? La Tête armée (manuscrit autographe)

mars 1841, Généalogie dite fantastique (manuscrit autographe)

1er mars 1841, Jules Janin, Gérard de Nerval (Journal des Débats)

5 mars 1841, Lettre à Edmond Leclerc

7 mars 1841, Les Amours de Vienne (Revue de Paris)

31 mars 1841, Lettre à Auguste Cavé

11 avril 1841, Mémoires d’un Parisien. Sainte-Pélagie en 1832 (L’Artiste)

9 novembre 1841, Lettre à Ida Ferrier-Dumas

novembre? 1841, Lettre à Victor Loubens

10 juillet 1842, Les Vieilles ballades françaises (La Sylphide)

15 octobre 1842, Rêverie de Charles VI (La Sylphide)

24 décembre 1842, Un Roman à faire (La Sylphide)

19 et 26 mars 1843, Jemmy O’Dougherty (La Sylphide)

11 février 1844, Une Journée en Grèce (L’Artiste)

10 mars 1844, Le Roman tragique (L’Artiste)

17 mars 1844, Le Boulevard du Temple, 1re livraison (L’Artiste)

31 mars 1844, Le Christ aux oliviers (L’Artiste)

5 mai 1844, Le Boulevard du Temple 2e livraison (L’Artiste)

12 mai 1844, Le Boulevard du Temple, 3e livraison (L’Artiste)

2 juin 1844, Paradoxe et Vérité (L’Artiste)

30 juin 1844, Voyage à Cythère (L’Artiste)

28 juillet 1844, Une Lithographie mystique (L’Artiste)

11 août 1844, Voyage à Cythère III et IV (L’Artiste)

15 septembre, Diorama (L’Artiste-Revue de Paris)

29 septembre 1844, Pantaloon Stoomwerktuimaker (L’Artiste)

20 octobre 1844, Les Délices de la Hollande I (La Sylphide)

8 décembre 1844, Les Délices de la Hollande II (La Sylphide)

16 mars 1845, Pensée antique (L’Artiste)

19 avril 1845 (BF), Le Diable amoureux par J. Cazotte, préface de Nerval, chez Ganivet

1er juin 1845, Souvenirs de l’Archipel. Cérigo (L’Artiste-Revue de Paris)

6 juillet 1845, L’Illusion (L’Artiste-Revue de Paris)

5 octobre 1845, Strasbourg (L’Artiste-Revue de Paris)

novembre-décembre 1845, Le Temple d’Isis. Souvenir de Pompéi (La Phalange)

28 décembre 1845, Vers dorés (L’Artiste-Revue de Paris)

1er mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste I (L’Artiste-Revue de Paris)

15 mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste II (L’Artiste-Revue de Paris)

1er mai 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne (Revue des Deux Mondes)

17 mai 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste III (L’Artiste-Revue de Paris)

1er juillet 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne. Les Esclaves (Revue des Deux Mondes)

12 juillet 1846 Sensations d’un voyageur enthousiaste IV (L’Artiste-Revue de Paris)

16 août 1846, Un Tour dans le Nord. Angleterre et Flandre (L’Artiste-Revue de Paris)

30 août 1846, De Ramsgate à Anvers (L’Artiste-Revue de Paris)

15 septembre 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne. Le Harem (Revue des Deux Mondes)

20 septembre 1846, Une Nuit à Londres (L’Artiste-Revue de Paris)

1er novembre 1846, Un Tour dans le Nord III (L’Artiste-Revue de Paris)

22 novembre 1846, Un Tour dans le Nord IV (L’Artiste-Revue de Paris)

15 décembre 1846, Scènes de la vie égyptienne moderne. La Cange du Nil (Revue des Deux Mondes)

1847, Scénario des deux premiers actes des Monténégrins

15 février 1847, La Santa-Barbara. Scènes de la vie orientale (Revue des Deux Mondes)

15 mai 1847, Les Maronites. Un Prince du Liban (Revue des Deux Mondes)

15 août 1847, Les Druses (Revue des Deux Mondes)

17 octobre 1847, Les Akkals (Revue des Deux Mondes)

21 novembre 1847, Souvenirs de l’Archipel. Les Moulins de Syra (L’Artiste-Revue de Paris)

15 juillet 1848, Les Poésies de Henri Heine (Revue des Deux Mondes)

15 septembre 1848, Les Poésies de Henri Heine, L’Intermezzo (Revue des Deux Mondes)

7 janvier-24 juin 1849, puis 2 septembre 1849-27 janvier 1850, Al-Kahira. Souvenirs d’Orient (La Silhouette)

1er-27 mars 1849, Le Marquis de Fayolle, 1re partie (Le Temps)

26 avril 16 mai 1849, Le Marquis de Fayolle, 2e partie (Le Temps)

6 octobre 1849, Le Diable rouge (Almanach cabalistique pour 1850)

3 novembre 1849 (BF), Le Diable vert, et Impression de voyage (Almanach satirique, chez Aubert, Martinon et Dumineray)

7 mars-19 avril 1850, Les Nuits du Ramazan (Le National)

15 août 1850, Les Confidences de Nicolas, 1re livraison (Revue des Deux Mondes)

26 août 1850, Le Faust du Gymnase (La Presse)

1er septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 2e livraison (Revue des Deux Mondes)

9 septembre 1850, Excursion rhénane (La Presse)

15 septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 3e livraison (Revue des Deux Mondes)

18 et 19 septembre 1850, Les Fêtes de Weimar (La Presse)

1er octobre 1850, Goethe et Herder (L’Artiste-Revue de Paris)

24 octobre-22 décembre 1850, Les Faux-Saulniers (Le National)

29 décembre 1850, Les Livres d’enfants, La Reine des poissons (Le National)

novembre 1851, Quintus Aucler (Revue de Paris)

24 janvier 1852 (BF), L’Imagier de Harlem, Librairie théâtrale

15 juin 1852, Les Fêtes de mai en Hollande (Revue des Deux Mondes)

1er juillet 1852, La Bohême galante I (L’Artiste)

15 juillet 1852, La Bohême galante II (L’Artiste)

1er août 1852, La Bohême galante III (L’Artiste)

15 août 1852, La Bohême galante IV (L’Artiste)

21 août 1852 (BF), Lorely. Souvenirs d’Allemagne, chez Giraud et Dagneau (Préface à Jules Janin)

1er septembre 1852, La Bohême galante V (L’Artiste)

15 septembre 1852, La Bohême galante VI (L’Artiste)

1er octobre 1852, La Bohême galante VII (L’Artiste)

9 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 1re livraison (L’Illustration)

15 octobre 1852, La Bohême galante VIII (L’Artiste)

23 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 2e livraison (L’Illustration)

30 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 3e livraison (L’Illustration)

1er novembre 1852, La Bohême galante IX (L’Artiste)

6 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 4e livraison (L’Illustration)

13 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 5e livraison (L’Illustration)

15 novembre 1852, La Bohême galante X (L’Artiste)

20 novembre 1852, Les Illuminés, chez Victor Lecou (« La Bibliothèque de mon oncle »)

1er décembre 1852, La Bohême galante XI (L’Artiste)

15 décembre 1852, La Bohême galante XII (L’Artiste)

1er janvier 1853 (BF), Petits Châteaux de Bohême. Prose et Poésie, chez Eugène Didier

15 août 1853, Sylvie. Souvenirs du Valois (Revue des Deux Mondes)

14 novembre 1853, Lettre à Alexandre Dumas

25 novembre 1853-octobre 1854, Lettres à Émile Blanche

10 décembre 1853, Alexandre Dumas, Causerie avec mes lecteurs (Le Mousquetaire)

17 décembre 1853, Octavie (Le Mousquetaire)

1853-1854, Le Comte de Saint-Germain (manuscrit autographe)

28 janvier 1854 (BF) Les Filles du feu, préface, Les Chimères, chez Daniel Giraud

31 octobre 1854, Pandora (Le Mousquetaire)

25 novembre 1854, Pandora, épreuves du Mousquetaire

Pandora, texte reconstitué par Jean Guillaume en 1968

Pandora, texte reconstitué par Jean Senelier en 1975

30 décembre 1854, Promenades et Souvenirs, 1re livraison (L’Illustration)

1854 ? Sydonie (manuscrit autographe)

1854? Emerance (manuscrit autographe)

1854? Promenades et Souvenirs (manuscrit autographe)

janvier 1855, Oeuvres complètes (manuscrit autographe)

1er janvier 1855, Aurélia ou le Rêve et la Vie (Revue de Paris)

6 janvier 1855, Promenades et Souvenirs, 2e livraison (L’Illustration)

3 février 1855, Promenades et Souvenirs, 3e livraison (L’Illustration)

15 février 1855, Aurélia ou Le Rêve et la Vie, seconde partie (Revue de Paris)

15 mars 1855, Desiderata (Revue de Paris)

1866, La Forêt noire, scénario

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BF: annonce dans la Bibliographie de la France

Manuscrit autographe: manuscrit non publié du vivant de Nerval

26 avril 1849 — Le Marquis de Fayolle, dans Le Temps, 2e partie, 21e livraison. Pas de publication du feuilleton entre le 27 mars et le 26 avril.

Au château de La Rouërie, la noblesse bretonne, cautionnée par les princes émigrés à Coblenz, proclame sa fidélité à la monarchie et sa volonté de prendre les armes contre la République. À ce moment, Martinet est amené devant La Rouërie. À jouer double jeu, il est bien près de perdre la vie.

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LE MARQUIS DE FAYOLLE.

SECONDE PARTIE

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CHAPITRE Ier.

LE JOUR DES ROIS.

Le 6 janvier à huit heures du soir, tous les principaux chefs de la conspiration arrivèrent de tous côtés au château de la Rouërie .

Une table immense et richement servie occupait dans toute sa longueur la grande salle du château. A l’une des extrémités en face de la porte d’entrée, on avait placé sur une colonne entourée de guirlandes, le buste de Louis XVI, pavoisé de drapeaux blancs fleurdelisés.

En face, au milieu de deux bannières en velours grenat à crépines d’or, était un grand crucifix sauvé du pillage de quelque église.

Autour de la table vinrent s’asseoir MM. du Boisguy, de Roudeville, Labourdonnaye, Caradeuc, Boishardy, Lamotte, Dampherné, le marquis de Fayolle, qui avait à sa droite le prince de Talmont ; Desilles, Picot-Liacoëlan, Tinteniac ; puis encore l’abbé Péchard et une vingtaine de prêtres non conformistes. La Rouërie se plaça au-dessous du buste de Louis XVI.

La table était servie avec une profusion campagnarde, les vins les plus variés circulaient en abondance ; les têtes s’échauffaient, chacun annonçait hautement et fièrement ses projets, ses espérances, ses prétentions.

Au dessert, La Rouërie se leva et demanda à expliquer à l’assemblée ses projets et les moyens qu’il comptait employer.

Tous applaudirent avec enthousiasme.

— Messieurs, — dit La Rouërie , je dois avant tout vous donner communication de mes pouvoirs. Je prie mon ami Loysel de vouloir bien en faire la lecture.

Loysel déroula un parchemin scellé aux armes de France, et lut :

Commission donnée au marquis de La Rouëriepar les princes frères de Louis XVI.

« Les princes frères du roi considérant que le bien de la province de Bretagne et le service de sa majesté, exigent que le chef de l’association bretonne ait, en même temps, le pouvoir nécessaire pour diriger les troupes de ligne, des maréchaussées et autres militaires et gens armés dans cette province, leurs altesses royales ont conféré et confèrent au marquis de la Rouërie, colonel au service de France depuis le 10 mars 1777, et ancien officier général au service des Etats-Unis d’Amérique, la commission et le pouvoir de donner en leurs noms, les ordres que les circonstances lui paraîtront exiger, tant aux maréchaussées qu’aux troupes de ligne quelconques et gens armés de cette province ; ordonnons à tous les fidèles sujets qui y sont demeurés, de quelque état et condition qu’ils puissent être, de le reconnaître comme muni desdits pouvoirs et d’obéir aux ordres qu’il leur donnera en cette qualité, soit avant, soit pendant le cours de la contre-révolution. Le tout, sous le bon plaisir du roi et jusqu’à ce que les princes, frères de sa majesté, jugent à propos de révoquer et d’annuler la présente commission.

Leurs altesses royales, persuadées de la nécessité de ramener au même but, et de faire concourir avec un effort salutaire les efforts de tous ceux qui seront employés pour la bonne cause, voulant d’ailleurs écarter et détruire les soupçons que l’arrivée des troupes étrangères en Bretagne paraît y inspirer, désirent et jugent à propos que, dans le cas de l’arrivée de ces troupes ou de toutes autres, leurs chefs entrent en relations avec celui de l’association bretonne, pour que ces chefs se conduisent en tous points de concert avec lui, relativement au bien des affaires du roi, au rétablissement du pouvoir légitime et à la conservation de ses propriétés, etc.

A Coblentz.

Signé : LOUIS-STANISLAS-XAVIER ; CHARLES-PHILIPPE.

Contresigné : COURVOISIER. »

— Voici en outre, Messieurs, plusieurs brevets en blanc, contresignés de leurs altesses royales, qui autorisent M. le marquis de la Rouërie à nommer à tous les grades, et à conférer toutes les dignités dans les armées catholiques.

La Rouërie se leva, et, désignant de la main le buste de Louis XVI :

« Messieurs,

Le projet pour lequel je demande l’appui de votre courage et de votre intelligence, est le rétablissement de notre malheureux roi sur le trône de ses ancêtres... La conquête de tous nos droits et de nos prérogatives, et la défense de notre sainte religion. »

L’assemblée accueillit cet exorde par des acclamations frénétiques.

— Que la France, poursuivit-il, courbe son front sous le joug d’athées, d’impies, de brigands, d’assassins qui se disent patriotes, c’est une honte ineffaçable. Mais la Bretagne tout entière se soulèvera contre une pareille lâcheté, et chassera les misérables qui la déchirent et s’engraissent sur ses dépouilles.

— Bravo ! bravo ! Mort aux patauds !... Vive le roi !...

— Oui, malheur à vous ! reprit Tuffin, électrisé par les applaudissemens. Malheur à vous, scélérats, qui trahissez notre pays, renversez les autels, pillez les temples et les châteaux, volez les biens de la noblesse et du clergé !... Malheur à vous qui bannissez, persécutez, égorgez les vertueux ministres d’une sainte religion ; à vous qui osez porter une main sacrilège sur la plus ancienne monarchie de l’univers, insultez, outragez, calomniez le plus juste des rois, le plus ami de son peuple, le plus honnête homme de son royaume !... Malheur à vous qui brisez tout, et dont l’aveugle rage se noie dans le sang des plus honnêtes citoyens, à qui vous faites horreur !...

Les bravos les plus enthousiastes accueillirent cette peinture peu flattée de la révolution.

— C’est à vous, Messieurs, qu’est réservé l’honneur de mettre fin à un pareil brigandage. Voici le plan que j’ai tracé, et que leurs altesses ont approuvé.

Tous les regards se portèrent sur lui.

— Jeter un pont sur la Loire, réunir nos efforts à ceux des Vendéens, associer toutes les haines que la révolution a suscitées... des sables d’Olonne aux rochers du Calvados, réunir dans un même effort tous les efforts des cœurs généreux, fondre dans une même volonté, et diriger vers un même but tout l’Occident de la France, la population la plus riche et la plus guerrière... la Normandie et la Bretagne... Pousser jusqu’à Paris le flot de ses populations irritées, pendant que les armées de l’Europe coalisées entoureront nos frontières !

Certes, Messieurs, si Dieu protège une noble entreprise, nous devons compter sur le succès, nous qui défendons ce qu’il y a de plus sacré au monde, — le trône et l’autel. Les circonstances politiques sont on ne peut plus favorables à l’accomplissement de nos projets. Le roi a juré la Constitution, mais des lettres confidentielles aux cabinets de Vienne, de Berlin et de Coblentz, ont rassuré les puissances sur ses véritables intentions... Le traité de Pavie a réglé les bases de la coalition contre la France ; le 25 août dernier, l’empereur Léopold, le roi de Prusse et l’électeur de Saxe ont eu à Pilnitz une entrevue à laquelle le comte d’Artois a assisté.

L’Angleterre, notre fidèle alliée, nous ouvre les bras, et met à notre disposition ses trésors, ses arsenaux, son armée et sa marine. L’Europe est pour nous, mais c’est du centre, Messieurs, que doivent partir tous nos efforts, c’est au cœur qu’il faut frapper l’hydre révolutionnaire.

Comme les nobles de la Bretagne, les gentilshommes de l’Anjou et du Poitou, tous alliés, tous parens, se tiennent enfermés dans leurs châteaux, et forment un faisceau contre lequel viendra se briser la rage démocratique.

Voici mon but, Messieurs, voilà le moyen que je compte employer, si vous approuvez le choix des princes, si vous me croyez digne de vous commander : jurez avec moi :

« Fidélité au roi ! »

Toutes les mains droites se levèrent et toutes les bouches jurèrent : Fidélité au roi !... Haine aux démocrates !... Soumission aux ordres des princes, et dévoûment à l’association bretonne !...

En ce moment on heurta fortement à la porte.

Tous les conjurés restèrent la main levée, l’œil rond de surprise et la bouche béante.

La Rouërie alla ouvrir, passa la tête par la porte entrebâillée, et échangea quelques mots avec un paysan couvert d’une peau de chèvre.

— Messieurs, dit-il en rentrant, on m’amène un espion envoyé par la municipalité de Rennes.

— Un espion !... où est-il ?

— Ici... C’est Jean le Chouan qui l’a conduit. Il demande à me voir. N’êtes-vous pas d’avis de l’entendre avant de le faire pendre, Messieurs ?

— Oui... faites entrer l’espion.

La Rouërie retourna à la porte.

— Jean !... cria-t-il au chouan, faites entrer.

Martinet parut ; tous les yeux se fixèrent sur lui. Sans se déconcerter, il promena sur l’assemblée un regard calme et tranquille.

— Que demandez-vous, Monsieur ? dit La Rouërie.

— Je désirerais parler à M. le marquis de La Rouërie, répondit Martinet.

— C’est moi.

Martinet adressa au marquis des signes d’intelligence.

— Que veulent dire ces signes, Monsieur ? demanda La Rouërie d’un ton dédaigneux.

Martinet eut l’air étonné de n’être pas compris.

— Vous pouvez parler hardiment : ces Messieurs que vous voyez sont tous de mes amis, et je n’ai de secret pour aucun d’eux. Qui êtes-vous ?

— Je suis le comte de Martigues, Monsieur : proscrit et fugitif comme toute la noblesse du Midi, je viens vous demander l’hospitalité et les moyens de rejoindre mes frères en Angleterre, si vous ne jugez pas à propos que je reste en Bretagne pour vous seconder de tous mes efforts.

— Pour accomplir notre œuvre, — répondit la Rouërie, lentement et le foudroyant du regard, il nous faut des gens de cœur, et non des misérables et des espions.

Martinet tressaillit sans que sa figure trahît la plus légère émotion.

— Vous prenez le nom de comte de Martigues... Vous vous appelez Martinet !

Martinet tressaillit.

— Et vous êtes envoyé en Bretagne par la Convention...

— C’est possible, Monsieur.

— Et vous osez l’avouer devant moi ! s’écria La Rouërie avec un geste de mépris.

— Monsieur a sans doute oublié que je venais pour une confidence importante, et non pour parler devant une assemblée.

— Vous pouvez parler, je n’ai rien de commun avec un homme de votre espèce.

— Eh bien ! Monsieur, reprit Martinet en faisant un effort, — je vais tout dire : c’est vrai, je m’appelle Martinet...

Puis, après un instant de silence :

— Votre conspiration est découverte !...

Tous les yeux se clouèrent sur les siens, toutes les oreilles burent ses paroles.

Martinet continua sans paraître le remarquer :

— Comment cela s’est-il fait ?... Je ne sais, mais le comité de sûreté générale tient tous les fils de votre association bretonne. Quand votre ami Latouche voulut négocier les derniers bons de caisse de Calonne, que vous lui aviez adressés par votre neveu Tuffin, — Danton l’avertit de ne point s’immiscer dans cette affaire, sous peine d’être regardé comme suspect et arrêté comme tel. Le ministre de la Justice me fit proposer de me rendre en Bretagne pour déjouer votre conspiration. Je refusai pour des raisons à moi connues et qui vous sont étrangères. Alors Latouche accourut chez moi les larmes aux yeux, me pria et me supplia d’accepter cette mission.

« La Rouërie est mon ami d’enfance, me disait-il ; comme c’est peut-être par mon imprudence que ses projets sont découverts, il m’accusera de l’avoir dénoncé, me méprisera, et je me reprocherai toujours d’avoir causé sa perte. Courez le prévenir, il est grand temps. Sauvez sa vie et celle de ses amis. »

Malgré cela, je refusais, Monsieur, quand il ajouta :

« Mais vous seul pouvez le sauver ; si vous refusez, la mission va être immédiatement confiée à un autre, et alors il est perdu !... »

Voilà, M. le marquis, pourquoi j’ai accepté cette mission en Bretagne, ce que j’allais avoir l’honneur de vous dire en entrant si je vous avais trouvé seul, et ce que je ne pouvais vous dire sans divulguer un secret qui n’est pas le mien.

— Grand merci de l’instruction, Monsieur, — dit La Rouërie avec un sourire ironique, si ces messieurs le permettent, je vais vous en témoigner ma reconnaissance bien sincère... un des droits de la guerre, c’est de faire pendre réciproquement les espions... Que voulez-vous qu’on fasse de ce drôle, Messieurs... ?

— Ce qu’il vous plaira, marquis...

— Qu’on le pende.

— Haut et court...

— A mort le pataud !...

Toutes ces opinions émises à la fois ne peuvent arracher Martinet au sang-froid qui ne l’avait pas abandonné un instant.

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27 avril 1849 — Le Marquis de Fayolle, 2e partie, dans Le Temps, 22e livraison.

Martinet tente par tous les moyens, mais en vain, de capter la confiance de La Rouërie.

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LE MARQUIS DE FAYOLLE.

SECONDE PARTIE.

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CHAPITRE II.

LA SURPRISE.

Pourtant, malgré son impassibilité apparente, Martinet sentit son cœur remuer légèrement dans sa poitrine, — un nuage passa sur ses yeux et il sentit une sueur froide sur son front.

Qui donc avait pu, au fond de cette campagne, informer La Rouërie d’un secret qu’il croyait ignoré de tous ?

La position était inquiétante ; s’il était repoussé par les chouans comme entaché de républicanisme, que diraient les républicains s’ils apprenaient que plusieurs fois déjà il les avait trahis.

Aucun bruit ne venait du dehors : le détachement des gardes nationaux qu’il avait laissé au moment où il partait de Rennes pouvait tarder quelques heures encore ; et d’ici là... La mort de son ami Nouaïl et la conversation de Jean le Chouan, son camarade de lit, ne lui permettaient pas d’espérer de bien vifs témoignages de sympathie de ce côté. Evidemment, La Rouërie le sacrifiait à la crainte de paraître aux yeux de ses amis, avoir des intelligences parmi les républicains.

Toutes ces idées passèrent dans le cerveau de Martinet au milieu des cris de l’assemblée, rapides et lumineuses comme l’éclair au milieu du bruit de la foudre.

La foule s’était éloignée de lui comme d’un pestiféré.

Il étendit la main pour faire voir qu’il désirait parler.

L’assemblée entière se tut, on ne pouvait refuser quelques minutes d’attention à ce malheureux qui allait mourir.

— Plusieurs fois déjà, dit Martinet, les municipalités des communes environnantes, Bazouges, Dol, Pontorson, Fougères et Vitré, ont voulu vous faire arrêter dans votre château ?

— Vous devez le savoir mieux que personne, répondit La Rouërie.

— Et chaque fois, reprit Martinet, n’avez-vous pas reçu par un mendiant une lettre dans une canne creusée ?

— D’où savez-vous...

— Ces lettres, d’une écriture qui vous était inconnue n’étaient-elles pas toutes signées, — un ami ?...

— D’où tenez-vous ces détails, Monsieur ? demanda La Rouërie.

— A qui les avez-vous confiés, monsieur le marquis ?

— A personne, je le jure !...

— Il est probable que de son côté cet ami avait un égal intérêt à garder ce secret.

— Vous le connaissez ?...

— Intimement... cet ami, — c’est moi !...

Tous les yeux passèrent de la figure de Martinet sur celle de La Rouërie pour voir quelle impression produirait cette révélation imprévue.

— Cela prouve une chose, dit La Rouërie, c’est que la police de la Convention est un peu moins mal faite que je ne l’avais cru. Combien vous ont coûté ces renseignemens ?

— Ce que vous avez donné hier soir à l’homme qui vous a remis une lettre de moi.

— Hier soir ?...

— Hier soir.

— Cette fois, cher monsieur, vos sbires sont en défaut... je n’ai rien reçu...

— Rien reçu ?... s’écria Martinet...

A cette brusque révélation, ses traits se décomposèrent, son regard devint vitreux et ses lèvres blanchirent... il voulut parler, sa langue se refusait à articuler ses paroles... Il ne put que bégayer quelques mots sans suite, interrompus par les éclats de rire de la noble assemblée.

La Rouërie fit un signe : le cercle s’élargit autour de Martinet. Chaudeboire parut...

Martinet frissonna de tous ses membres.

Il n’y avait plus d’espoir : c’était la mort, — et la mort au bout d’une corde à moins qu’il ne fût saigné comme son ami Nouaïl.

Cette brusque et terrible apparition le galvanisa, pour ainsi dire, et, par un effort de volonté suprême, il rappela à lui toute son énergie, toute son intelligence :

— Monsieur le marquis, dit-il d’une voix légèrement émue, je vous demanderai la permission d’ajouter quelques mots...

— Parlez ! dit La Rouërie en lui tournant le dos.

— Permettez-moi de vous dire, Monsieur le marquis, que vous n’êtes pas à la hauteur de votre rôle. Un chef de parti ne s’amuse pas à des bagatelles. Qu’est-ce, après tout, que la mort d’un homme quand il s’agit du succès d’une entreprise ? Après moi, la Convention va dépêcher un autre agent que vous ne connaîtrez pas... Maintenant que vous savez qui je suis, que je vous ai fait connaître le but de ma mission, vous n’avez plus rien à craindre de ma part, et je ne pourrais vous nuire quand même j’en aurais l’intention. Enfermez-moi... faites-moi épier, et au premier soupçon, tuez-moi : vous aurez toujours le temps... Mais d’ici là, certain de n’être pas surveillé, vous pourrez pousser plus vigoureusement vos projets.

— Nous ne revenons jamais sur une parole donnée, Monsieur, dit La Rouërie en se tournant à demi et laissant tomber un regard de mépris par-dessus son épaule. — On a dit que vous seriez pendu, vous serez pendu.

— Comme vous voudrez, Monsieur, — dit Martinet avec une apparente résignation ; — je suis en votre pouvoir et vous êtes maître de ma vie ; mais vous perdez une occasion que vous regretterez toujours. Veuillez prendre la peine de m’écouter... En vertu des pouvoirs qui m’ont été confiés, je puis requérir à volonté la force armée et les autorités civiles et judiciaires. Comprenez-vous... Voulez-vous tenter un coup de main ou opérer un débarquement sur un point désigné ?... Je laisse se morfondre les autorités, et je dirige sur un point diamétralement opposé les troupes que l’on me confie.

— Ainsi donc vous trahiriez la Convention qui vous paie ?

— Qu’importe ? si je vous sers.

La Rouërie tira le cordon d’une sonnette.

Un laquais entra :

— Fais entrer Jean le Chouan et deux de ses amis, dit La Rouërie.

Jean le Chouan entra, suivi de Chaudeboire et du Grand-Fumeur.

— Emmenez-moi ce coquin, et qu’on n’en entende plus parler, dit La Rouërie, en montrant Martinet.

Les Chouans le prirent au collet et l’entraînèrent hors de la salle.

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28 avril 1849 — Le Marquis de Fayolle, 2e partie, dans Le Temps, 23e livraison.

Malgré ses dénégations, Martinet est pendu par les chouans, et n’est sauvé in extremis que par l’arrivée des gardes nationaux conduits par Georges, venus arrêter La Rouërie et ses complices. Mais ces derniers ont mystérieusement disparu.

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LE MARQUIS DE FAYOLLE.

SECONDE PARTIE.

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CHAPITRE II.

LA SURPRISE. — (Suite.)

— Songez bien, M. le marquis... dit Martinet en essayant de se retourner...

La porte violemment poussée interrompit ses observations.

Martinet se rappela la manière prompte et expéditive dont les chouans se faisaient justice, et toute la confiance qu’il avait montrée dans le salon l’abandonna quand il se vit aux mains de bêtes brutes qui ne savaient qu’exécuter sans comprendre les ordres qu’on leur donnait... Il devint livide de peur et sentit ses jambes se dérober sous lui.

Jean le Chouan prit une corde, y fit un nœud coulant, la jeta au cou de Martinet, et l’attirant fortement à lui :

— Allons, mon bon ami, il faut nous suivre, s’il vous plaît.

— Mes amis, dit Martinet, je suis un chrétien comme vous et je demande à me confesser.

— Sa raison paraît juste, — dit le Grand-Fumeur qui eut l’air de réfléchir.

— Bah ! dit le Chouan, quand le pataud ferait quelques années de purgatoire, il les mérite bien.

Vère, m’est avis ! dit Chaudeboire.

— Mais je suis en état de péché mortel, mes bons amis, c’est l’enfer qui m’attend... Je vous demande en grâce de me donner un confesseur.

— Te repens-tu de tes péchés ?

— Oh ! oui ! soupira Martinet.

— En ce cas, fais ton acte de contrition, tu as le temps d’ici jusqu’au jardin.

Martinet les suivait le plus lentement possible ; ses yeux fouillaient les ténèbres et interrogeaient tous les sons pour y chercher un reste d’espérance... Rien !... Alors, il se mit à crier, et s’élança sur Jean le Chouan et l’étreignit de toutes ses forces... Un des Chouans tira par un bout la corde qu’il portait au cou et le força à lâcher prise.

— Le cher ami s’ennuie, dit le Chouan, — mes gars, dépêchez-vous !...

Le Grand-Fumeur grimpa en haut d’un jeune chêne flexible et élancé comme un jonc, et, se suspendant à la cime par les deux mains, lui fit décrire un quart de cercle.

Jean le Chouan saisit une des branches, et leurs poids réunis firent fléchir l’arbre à une hauteur convenable.

Martinet les regardait faire d’un œil consterné.

Chaudeboire noua sa corde à l’une des branches les plus élevées.

Les Chouans se jetèrent de côté.

L’arbre reprit sa position verticale, emportant Martinet, dont les deux mains crispées s’attachaient à la corde et l’y tenaient suspendu par un effort désespéré.

— Au revoir ! — cria Chaudeboire.

Jean le Chouan et le Grand-Fumeur s’éloignèrent en riant.

En ce moment, le cri de la chouette partit de la cour du château, et un paysan accourut en criant :

— Sauvez-le !... sauvez-le !...

Le mendiant venait de remettre à La Rouërie la lettre adressée la veille par Martinet. Ce retard, qui avait failli être si fatal à ce dernier, s’expliquait par le mauvais état des chemins, et par la rencontre de nombreuses patrouilles qu’il avait dû éviter.

Martinet pirouettait au bout de sa corde...

Le Grand-Fumeur et Jean le Chouan se pendirent à l’arbre pour dénouer la corde sans la couper.

Tout à coup des coups de fusil partent du jardin, de l’avenue, des champs voisins, les balles sifflent dans les branches... Les paysans se sauvent en laissant l’infortuné Martinet dans son horrible position. C’étaient les gardes nationaux, partis de Rennes, qui arrivaient enfin après s’être fait si longtemps attendre.

Martinet se cramponna à la corde qui l’étranglait, et s’y tint suspendu à la force de ses poignets. Il poussait des hurlemens inarticulés.

En levant la tête, les gardes nationaux virent une masse noire se balancer au haut d’un arbre.

Ils ne s’arrêtèrent pas pour si peu.

Mais quelqu’un eut plus de pitié et resta obstinément au pied de l’arbre...

Un seul être dans la nature réclamait contre le jugement des hommes en faveur de l’infortuné Martinet.

Et il en appelait à la justice... de qui ?... nous n’oserions dire — de Dieu.

Cependant cette humble créature regardait par instant la lune.

O mystère ! l’animal, comme le sauvage, voit peut-être un Dieu dans tout ce qui brille...

Cet être aboyait et hurlait alternativement, — seul moyen qu’il eût de gémir.

C’était Sans-Gêne, — un simple chien — le chien de Martinet, le seul être que ce dernier aimât au monde. Aussi, avant de partir pour une expédition qu’il jugeait dangereuse, avait-il enfermé Sans-Gêne dans la chambre qu’il occupait momentanément à Rennes... Mais le chien s’était échappé et, soit intelligence, soit hasard, il avait suivi les gardes nationaux dans leur expédition au château de La Rouërie.

A force de l’entendre hurler, quelques hommes revinrent sur leurs pas.

L’un d’entre eux grimpa sur l’arbre et coupa la corde avec son sabre.

Martinet tomba au milieu d’un fourré qui amortit sa chute.

— Il était temps ! dit-il en arrachant de son coup la fatale cravate de chanvre.

Puis reconnaissant Georges à ses épaulettes de capitaine :

— Cernez le château... ils sont tous là !... nous les tenons !...

— C’est fait ! dit Georges, tout le monde entoure le château, il est impossible qu’il en échappe un seul...

—Ha, ha !... à mon tour ! dit Martinet en se frottant joyeusement les mains.

Les gardes nationaux se répandirent en foule dans le château, fouillèrent tous les appartemens depuis les caves jusqu’aux combles, sondèrent les murailles, les jointures des dalles, sans rien découvrir.

— C’est incroyable ! dit Martinet en portant la main à son cou, pour s’assurer qu’il n’était pas le jouet d’une affreuse fantasmagorie. Je suis pourtant bien sûr de n’avoir pas rêvé...

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29 avril 1849 — Le Marquis de Fayolle, 2e partie, dans Le Temps, 24e livraison.

Les conjurés se sont échappés par les souterrains du château. La Rouërie et le marquis de Fayolle, demeurés dans une cache secrète, sont bientôt découverts, mais Fayolle, découvrant Georges, son fils, en face de lui, se rend sans défense, au grand dam de La Rouërie qui croit à une trahison. Le lendemain, la messe doit être célébrée au village par l’abbé Huguet, qui a prêté serment à la Constitution. Péchard ameute les paysans contre lui : « Péchard courait les campagnes, excitait les haines de ses anciens paroissiens, les menaçait de l’enfer s’ils souffraient plus longtemps parmi eux un intrus, un apostat. »

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LE MARQUIS DE FAYOLLE.

SECONDE PARTIE.

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CHAPITRE II.

LA SURPRISE. — (Suite.)

Nous croyons devoir expliquer en quelques mots la disparition de la Rouërie et de ses compagnons.

A peine Jean le Chouan et Chaudeboire étaient-ils sortis avec Martinet, qu’un chouan, placé en sentinelle, vint avertir qu’un détachement de bleus et de gardes nationaux marchaient sur le château.

Aussitôt, vous eussiez vu tous ces preux, ces tranche-montagnes qui, tout-à-l’heure, devaient bouleverser la France et, d’un coup d’épaule, renverser la Constitution... décrocher leurs épées et s’envelopper de leurs manteaux.

— Ouvrez les portes !... cria La Rouërie indigné, ceux qui veulent partir sont libres... ; mais je jure Dieu que les brigands qui viennent ici piller et incendier, vont trouver à qui répondre.

Honteux d’un premier mouvement de surprise, les conjurés demandèrent des armes.

On monta des fusils cachés dans les souterrains, on distribua des sabres, des cartouches, des charrettes renversées devant les écuries servirent à improviser une barricade ; derrière les arbres, dans les fossés qui entourent les jardins, se cachèrent des chouans armés et dans chaque embrasure des fenêtres deux conjurés se tenaient prêts à faire feu.

Cependant, deux hommes, envoyés en reconnaissance, vinrent dire qu’il ne s’agissait plus de repousser une poignée de gens mal armés et sans discipline ; que les gardes nationaux étaient au moins cinq cents, ils avaient reconnu un fort détachement de dragons suivi de quatre pièces de canon.

Résister, c’était se perdre infailliblement, donner l’éveil aux autorités, exciter leurs soupçons et activer leur surveillance. On fit immédiatement disparaître du château tout ce qui s’y trouvait de compromettant, et les conjurés s’esquivèrent par les souterrains qui avaient une issue loin dans la campagne. Les gardes nationaux ne pouvaient revenir de leur surprise.

— C’est une mystification ? s’écria l’un d’eux. Depuis huit jours, ils font bombance dans ce château ; toutes les provisions, tout le gibier, toute la volaille des marchés est accaparée pour le château de la Rouërie...

— Ils y sont encore !... dit un autre.

— S’ils étaient sortis, on les aurait vus !...

— Il y a des trappes et des cachettes...

— Brûlons-les comme des rats...

— Enfermons-les comme des renards dans leurs terriers...

— Du feu ! crièrent les plus exaltés.

On apporta de la paille et des genêts secs au milieu de la grande salle du château.

Martinet prit une chandelle sur la cheminée, la flamme aussitôt monta jusqu’au plafond et noircissait déjà les arabesques dorées.

— Citoyens ! s’écria Georges en écartant le cercle des gardes nationaux ; — vous trahissez la révolution... Tous les nobles vont crier au brigandage : les paysans vont se soulever, se joindre aux chouans — et brûler à leur tour les propriétés des patriotes !...

L’argumentation était irrésistible — l’élément propriétaire dominait parmi ces braves défenseurs de la Constitution. On éteignit le feu ; Georges, avec une douzaine de gardes nationaux, sortit du château pour continuer ses recherches, et entra dans l’écurie.

Deux beaux chevaux anglais étaient restés attachés au râtelier. — En soulevant des bottes de paille, ils trouvèrent les selles et les brides qu’on y avait cachées.

Evidemment, La Rouërie ne pouvait être loin. — Au fond, cachée dans l’obscurité et habilement dissimulée dans l’épaisseur de la muraille, — Georges aperçut une petite porte basse et étroite. — Il essaya de l’ouvrir. — La porte résista...

— Ils sont là !... dit Georges à voix basse. — Veillez en dehors !

Quelques gardes nationaux se détachèrent du groupe et sortirent.

En effet, surpris au moment où ils allaient monter à cheval, La Rouërie et le marquis de Fayolle n’avaient eu que le temps de se jeter précipitamment dans cette pièce qui servait à serrer les selles et les harnais.

— Nous sommes pris ! dit la Rouërie.

— Pas encore ! — dit Fayolle. — Ils ne nous auront que morts...

Fayolle et La Rouërie échangèrent une dernière et silencieuse poignée de main. — Ils s’étaient compris.

En ce moment, on frappait violemment de l’extérieur à la petite fenêtre.

— Le premier qui entrera... — dit La Rouërie...

— Je m’en charge... répondit Fayolle.

La porte fut enfoncée à coups de crosse de fusil ; Georges passa son bras et arracha violemment les planches crevassées.

Au lieu de le frapper, Fayolle abaissa son épée...

— Lâche ! s’écria La Rouërie, en se jetant tête baissée au milieu des assaillans.

Il fut aussitôt couché à terre et désarmé.

Georges s’élança dans la cachette...

— Voilà mon épée, Monsieur, — dit Fayolle avec émotion.

Au moment de frapper, il avait reconnu Georges, et il savait alors que Georges était son fils...

— Trahi !... s’écria La Rouërie en se débattant avec la rage du désespoir entre les mains des gardes nationaux qui le tenaient cloué à terre.

Au bruit de la lutte, les gardes nationaux qui gardaient le château étaient accourus... Tous poussèrent des cris de triomphe, en reconnaissant la capture importante qu’ils venaient de faire.

— Chacun son tour... monsieur le marquis, — dit Martinet en ricanant à la face de La Rouërie.

—Votre bras, Monsieur, — dit affectueusement Fayolle en glissant son bras sous celui de Georges.

CHAPITRE III.

L’INTRUS.

Le lendemain, la grand’messe sonnait à l’église de Vieux-Viel, quand Jean le Chouan et le Grand-Fumeur, échappés la nuit précédente du château de La Rouërie, y arrivèrent après une longue marche. Ce jour-là, le bourg offrait un coup d’œil étrangement animé : les maisons étaient pleines et, par toutes les portes, sortaient des paysans endimanchés, avec des branches de laurier à leurs larges chapeaux enjolivés de chenilles de toutes couleurs.

Hommes et femmes allaient, venaient, se croisaient, se heurtaient, s’abordaient d’un air à la fois niais et mystérieux. La plupart étaient armés de fourches et de bâtons ; les uns chargeaient leurs fusils rouillés, d’autres portaient des faux emmanchées à rebours.

Les cabarets étaient trop petits pour contenir les buveurs ; on s’attablait sous les hangards, dans les celliers, dans les granges, en dépit des glaçons qui pendaient aux toits de chaume, en dépit des manteaux de neige que la nuit venait d’étendre.

Un grand événement devait, ce jour-là, se passer dans le bourg de Vieux-Viel.

Huguet, curé constitutionnel de Vitré, avait été envoyé par M. le Coz, évêque de Rennes, en remplacement de Péchard, qui avait refusé le serment exigé par la constitution.

Plusieurs fois déjà, la messe avait été interrompue par des cris et par des injures. Tout le monde quittait l’église quand Huguet montait en chaire : puis, voyant qu’ils demeuraient impunis, les paysans s’enhardirent peu à peu : on complota d’arracher l’intrus au moment où il irait de l’autel à sa chaire.

Suivant les plans de La Rouërie, Péchard courait les campagnes, excitait les haines de ses anciens paroissiens, les menaçait de l’enfer s’ils souffraient plus longtemps parmi eux un intrus, un apostat. Pour achever de les décider, il promit de dire la messe ce jour-là... non plus la nuit, en cachette, sur un mauvais autel fait de planches jetées sur deux barriques, modestement recouvertes d’un drap de lit, à la lueur de deux maigres chandelles et avec de la résine pour encens... mais une belle grand’messe, avec l’étole et la chasuble dorée des grandes fêtes, — sur le bel autel peinturé, devant saint Joseph et sainte Anne, qui ressemblaient si bien à des personnes naturelles !

Il voulait se faire ramener à la barbe de Huguet, chanter un Te Deum à la fin de sa messe, et enfin l’écraser par une bénédiction.

Huguet dit sa messe, que l’on n’osa interrompre ; seulement, on affectait de rire et de tenir contre l’intrus des propos grossiers et injurieux.

Il descendit le l’autel, l’air doux, le front calme, et monta en chaire.

Alors les curieux qui, par scrupule, s’étaient tenus dans le cimetière pour ne pas écouter la messe, tous les gars des paroisses voisines qui s’étaient donné rendez-vous à Vieux-Viel, entrèrent en foule dans l’église, qui se trouva bientôt pleine.

Huguet se leva dans sa chaire.

Sa noble figure pâle, ses longs cheveux blancs, cet air calme et tranquille de l’homme qui a passé la plus grande partie de sa vie à penser et à prier pour ses semblables, rappelait ces belles têtes pleines de dignité que les peintres prêtent aux apôtres du Christ.

« — Mes frères, dit-il d’une voix calme et pleine d’onction, je ne suis point venu au milieu de vous prêcher la haine et la guerre ; je vous apporte, au contraire, les paroles de paix et de consolation que notre Sauveur répétait sans cesse à ses disciples : — Aimez-vous les uns les autres ! La religion, mes frères, bénit et pardonne ; — le fanatisme jure, maudit et cherche à armer le frère contre son frère. Quand la piété craintive, quand les âmes faibles et abusées, quand les ambitieux vous disent que la foi est menacée, ne les croyez pas, mes frères ; ce n’est pas à la crainte qui exagère, à la faiblesse qui s’abandonne aux opinions d’autrui, ni aux passions irritées, qu’il faut vous en rapporter.

« Vous avez entre les mains les divines Ecritures, les symboles que l’Eglise a rédigés pour servir de règles de croyance à tous les chrétiens... Et quand vous verrez, mes frères, qu’il n’y a pas un mot, une syllabe, un iota de retranché dans toute l’Ecriture sainte ; quand vous verrez vos modestes pasteurs vous prêcher les mêmes mystères, la même morale, vous administrer les mêmes sacremens, direz-vous encore, et croirez-vous de bonne foi, que la religion de nos pères est changée ?

En ce moment, Péchard parut à la porte de l’église : tous les paysans s’écartèrent humblement pour le laisser passer. Alors, montant sur une chaise et désignant du doigt le prédicateur, qui s’arrêta interdit :

« — Mes frères, cria-t-il d’une voix pleine de violence et de passion, méfiez-vous de ces loups qui viennent à vous couverts de la peau des brebis ! N’écoutez pas ces faux prophètes qui ont toujours le miel à la bouche et le fiel dans le cœur !... N’écoutez pas ces ambitieux qui, parés de nos dépouilles, viennent vous prêcher la douceur et la charité !... Tu parles de douceur, prêtre apostat, quand le crime triomphe, quand l’impiété est honorée !...

« Malheur à toi !... prêtre imposteur, qui viens insulter le Seigneur jusque dans son temple !... Malheur à toi !... mauvais pasteur, qui veux livrer au loup le troupeau qui t’est confié !...

« Damnation sur ceux qui prêchent miséricorde et compassion envers les impies ! C’est par le fer et le feu qu’il faut combattre le monstre de l’idolâtrie... Damnation sur toi ! misérable intrus, qui viens prêcher le mensonge jusque dans la chaire de vérité. »

Huguet voulut répondre.

— Qu’on l’arrache du temple qu’il souille par sa présence !... s’écria Péchard, pâle de colère et d’indignation... Qu’il soit dépouillé de ses habits sacerdotaux qu’il est indigne de porter, et que son corps maudit soit dévoré par les chiens !...

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Le Marquis de Fayolle, suite >>>

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