TEXTES
1824, Poésies diverses (manuscrit autographe)
1824, L’Enterrement de la Quotidienne (manuscrit autographe)
1824, Poésies et poèmes (manuscrit autographe)
1825, « Pour la biographie des biographes » (manuscrit autographe)
15 février 1826 (BF), Napoléon et la France guerrière, chez Ladvocat
6 mai 1826 (BF), Complainte sur l’immortalité de M. Briffaut, par Cadet Roussel, chez Touquet
6 mai 1826 (BF), Monsieur Dentscourt ou le Cuisinier d’un grand homme, chez Touquet
20 mai 1826 (BF), Les Hauts faits des Jésuites, par Beuglant, chez Touquet
12 août 1826 (BF), Épître à M. de Villèle (Mercure de France du XIXe siècle)
11 novembre 1826 (BF), Napoléon et Talma, chez Touquet
13 et 30 décembre 1826 (BF), L’Académie ou les membres introuvables, par Gérard, chez Touquet
16 mai 1827 (BF), Élégies nationales et Satires politiques, par Gérard, chez Touquet
29 juin 1827, La dernière scène de Faust (Mercure de France au XIXe siècle)
28 novembre 1827 (BF), Faust, tragédie de Goëthe, 1828, chez Dondey-Dupré
15 décembre 1827, A Auguste H…Y (Almanach des muses pour 1828)
1828? Faust (manuscrit autographe)
1828? Le Nouveau genre (manuscrit autographe)
mai 1829, Lénore. Ballade allemande imitée de Bürger (La Psyché)
août 1829, Le Plongeur. Ballade, (La Psyché)
octobre 1829, A Schmied. Ode de Klopstock (La Psyché)
24 octobre 1829, Robert et Clairette. Ballade allemande de Tiedge (Mercure de France au XIXe siècle)
21 novembre 1829, Chant de l’épée. Traduit de Korner (Mercure de France au XIXe siècle)
19 décembre 1829, Lénore. Traduction littérale de Bürger (Mercure de France au XIXe siècle)
janvier 1830, La Lénore de Bürger, nouvelle traduction littérale (La Psyché)
16 janvier 1830, Ma Patrie, de Klopstock (Mercure de France au XIXe siècle)
23 janvier 1830, Légende, par Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)
6 février (BF) Poésies allemandes, Klopstock, Goethe, Schiller, Burger (Bibliothèque choisie)
13 février 1830, Les Papillons (Mercure de France au XIXe siècle)
13 février 1830, Appel, par Koerner (1813) (Mercure de France au XIXe siècle)
13 mars 1830, L’Ombre de Koerner, par Uhland, 1816 (Mercure de France au XIXe siècle)
27 mars 1830, La Nuit du Nouvel an d’un malheureux, de Jean-Paul Richter (La Tribune romantique)
29 avril 1830, La Pipe, chanson traduite de l’allemand, de Pfeffel (La Tribune romantique)
13 mai 1830 Le Cabaret de la mère Saguet (Le Gastronome)
mai 1830, M. Jay et les pointus littéraires (La Tribune romantique)
juillet ? 1830, Récit des journées des 27-29 juillet (manuscrit autographe)
14 août 1830, Le Peuple (Mercure de France au XIXe siècle)
11 décembre 1830, A Victor Hugo. Les Doctrinaires (Almanach des muses pour 1831)
29 décembre 1830, La Malade (Le Cabinet de lecture )
29 janvier 1831, Odelette, Le Vingt-cinq mars (Almanach dédié aux demoiselles)
14 mars 1831, En avant, marche! (Cabinet de lecture)
23 avril 1831, Bardit, traduit du haut-allemand (Mercure de France au XIXe siècle)
7 mai 1831, Profession de foi (Mercure de France au XIXe siècle)
25 juin et 9 juillet 1831, Nicolas Flamel, drame-chronique (Mercure de France au XIXe siècle)
4 décembre 1831, Cour de prison, Le Soleil et la gloire (Le Cabinet de lecture)
17 décembre 1831, Fantaisie, odelette (Annales romantiques pour 1832)
24 septembre 1832, La Main de gloire, histoire macaronique (Le Cabinet de lecture)
14 décembre 1834, Odelettes (Annales romantiques pour 1835)
1835-1838 ? Lettres d’amour (manuscrits autographes)
26 mars et 20 juin 1836, De l’Aristocratie en France (Le Carrousel)
20 et 26 mars 1837, De l’avenir de la tragédie (La Charte de 1830)
12 août 1838, Les Bayadères à Paris (Le Messager)
18 septembre 1838, A M. B*** (Le Messager)
2 octobre 1838, La ville de Strasbourg. A M. B****** (Le Messager)
26 octobre 1838, Lettre de voyage. Bade (Le Messager)
31 octobre 1838, Lettre de voyage. Lichtenthal (Le Messager)
24 novembre 1838, Léo Burckart (manuscrit remis à la censure)
25, 26 et 28 juin 1839, Le Fort de Bitche. Souvenir de la Révolution française (Le Messager)
13 juillet 1839 (BF) Léo Burckart, chez Barba et Desessart
19 juillet 1839, « Le Mort-vivant », drame de M. de Chavagneux (La Presse)
15 et 16-17 août 1839, Les Deux rendez-vous, intermède (La Presse)
17 et 18 septembre 1839, Biographie singulière de Raoul Spifamme, seigneur des Granges (La Presse)
28 janvier 1840, Lettre de voyage I (La Presse)
25 février 1840, Le Magnétiseur
5 mars 1840, Lettre de voyage II (La Presse)
8 mars 1840, Lettre sur Vienne (L’Artiste)
26 mars 1840, Lettre de voyage III (La Presse)
28 juin 1840, Lettre de voyage IV, Un jour à Munich (La Presse)
18 juillet 1840 (BF) Faust de Goëthe suivi du second Faust, chez Gosselin
26 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort I (La Presse)
29 juillet, 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort II (La Presse)
30 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort III (La Presse)
11 février 1841, Une Journée à Liège (La Presse)
18 février 1841, L’Hiver à Bruxelles (La Presse)
1841 ? Première version d’Aurélia (feuillets autographes)
février-mars 1841, Lettre à Muffe, (sonnets, manuscrit autographe)
1841 ? La Tête armée (manuscrit autographe)
mars 1841, Généalogie dite fantastique (manuscrit autographe)
1er mars 1841, Jules Janin, Gérard de Nerval (Journal des Débats)
5 mars 1841, Lettre à Edmond Leclerc
7 mars 1841, Les Amours de Vienne (Revue de Paris)
31 mars 1841, Lettre à Auguste Cavé
11 avril 1841, Mémoires d’un Parisien. Sainte-Pélagie en 1832 (L’Artiste)
9 novembre 1841, Lettre à Ida Ferrier-Dumas
novembre? 1841, Lettre à Victor Loubens
10 juillet 1842, Les Vieilles ballades françaises (La Sylphide)
15 octobre 1842, Rêverie de Charles VI (La Sylphide)
24 décembre 1842, Un Roman à faire (La Sylphide)
19 et 26 mars 1843, Jemmy O’Dougherty (La Sylphide)
11 février 1844, Une Journée en Grèce (L’Artiste)
10 mars 1844, Le Roman tragique (L’Artiste)
17 mars 1844, Le Boulevard du Temple, 1re livraison (L’Artiste)
31 mars 1844, Le Christ aux oliviers (L’Artiste)
5 mai 1844, Le Boulevard du Temple 2e livraison (L’Artiste)
12 mai 1844, Le Boulevard du Temple, 3e livraison (L’Artiste)
2 juin 1844, Paradoxe et Vérité (L’Artiste)
30 juin 1844, Voyage à Cythère (L’Artiste)
28 juillet 1844, Une Lithographie mystique (L’Artiste)
11 août 1844, Voyage à Cythère III et IV (L’Artiste)
15 septembre, Diorama (L’Artiste-Revue de Paris)
29 septembre 1844, Pantaloon Stoomwerktuimaker (L’Artiste)
20 octobre 1844, Les Délices de la Hollande I (La Sylphide)
8 décembre 1844, Les Délices de la Hollande II (La Sylphide)
16 mars 1845, Pensée antique (L’Artiste)
19 avril 1845 (BF), Le Diable amoureux par J. Cazotte, préface de Nerval, chez Ganivet
1er juin 1845, Souvenirs de l’Archipel. Cérigo (L’Artiste-Revue de Paris)
6 juillet 1845, L’Illusion (L’Artiste-Revue de Paris)
5 octobre 1845, Strasbourg (L’Artiste-Revue de Paris)
novembre-décembre 1845, Le Temple d’Isis. Souvenir de Pompéi (La Phalange)
28 décembre 1845, Vers dorés (L’Artiste-Revue de Paris)
1er mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste I (L’Artiste-Revue de Paris)
15 mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste II (L’Artiste-Revue de Paris)
1er mai 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne (Revue des Deux Mondes)
17 mai 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste III (L’Artiste-Revue de Paris)
12 juillet 1846 Sensations d’un voyageur enthousiaste IV (L’Artiste-Revue de Paris)
16 août 1846, Un Tour dans le Nord. Angleterre et Flandre (L’Artiste-Revue de Paris)
30 août 1846, De Ramsgate à Anvers (L’Artiste-Revue de Paris)
20 septembre 1846, Une Nuit à Londres (L’Artiste-Revue de Paris)
1er novembre 1846, Un Tour dans le Nord III (L’Artiste-Revue de Paris)
22 novembre 1846, Un Tour dans le Nord IV (L’Artiste-Revue de Paris)
15 décembre 1846, Scènes de la vie égyptienne moderne. La Cange du Nil (Revue des Deux Mondes)
1847, Scénario des deux premiers actes des Monténégrins
15 février 1847, La Santa-Barbara. Scènes de la vie orientale (Revue des Deux Mondes)
15 mai 1847, Les Maronites. Un Prince du Liban (Revue des Deux Mondes)
15 août 1847, Les Druses (Revue des Deux Mondes)
17 octobre 1847, Les Akkals (Revue des Deux Mondes)
21 novembre 1847, Souvenirs de l’Archipel. Les Moulins de Syra (L’Artiste-Revue de Paris)
15 juillet 1848, Les Poésies de Henri Heine (Revue des Deux Mondes)
15 septembre 1848, Les Poésies de Henri Heine, L’Intermezzo (Revue des Deux Mondes)
1er-27 mars 1849, Le Marquis de Fayolle, 1re partie (Le Temps)
26 avril 16 mai 1849, Le Marquis de Fayolle, 2e partie (Le Temps)
6 octobre 1849, Le Diable rouge (Almanach cabalistique pour 1850)
7 mars-19 avril 1850, Les Nuits du Ramazan (Le National)
15 août 1850, Les Confidences de Nicolas, 1re livraison (Revue des Deux Mondes)
26 août 1850, Le Faust du Gymnase (La Presse)
1er septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 2e livraison (Revue des Deux Mondes)
9 septembre 1850, Excursion rhénane (La Presse)
15 septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 3e livraison (Revue des Deux Mondes)
18 et 19 septembre 1850, Les Fêtes de Weimar (La Presse)
1er octobre 1850, Goethe et Herder (L’Artiste-Revue de Paris)
24 octobre-22 décembre 1850, Les Faux-Saulniers (Le National)
29 décembre 1850, Les Livres d’enfants, La Reine des poissons (Le National)
novembre 1851, Quintus Aucler (Revue de Paris)
24 janvier 1852 (BF), L’Imagier de Harlem, Librairie théâtrale
15 juin 1852, Les Fêtes de mai en Hollande (Revue des Deux Mondes)
1er juillet 1852, La Bohême galante I (L’Artiste)
15 juillet 1852, La Bohême galante II (L’Artiste)
1er août 1852, La Bohême galante III (L’Artiste)
15 août 1852, La Bohême galante IV (L’Artiste)
21 août 1852 (BF), Lorely. Souvenirs d’Allemagne, chez Giraud et Dagneau (Préface à Jules Janin)
1er septembre 1852, La Bohême galante V (L’Artiste)
15 septembre 1852, La Bohême galante VI (L’Artiste)
1er octobre 1852, La Bohême galante VII (L’Artiste)
9 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 1re livraison (L’Illustration)
15 octobre 1852, La Bohême galante VIII (L’Artiste)
23 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 2e livraison (L’Illustration)
30 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 3e livraison (L’Illustration)
1er novembre 1852, La Bohême galante IX (L’Artiste)
6 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 4e livraison (L’Illustration)
13 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 5e livraison (L’Illustration)
15 novembre 1852, La Bohême galante X (L’Artiste)
20 novembre 1852, Les Illuminés, chez Victor Lecou (« La Bibliothèque de mon oncle »)
1er décembre 1852, La Bohême galante XI (L’Artiste)
15 décembre 1852, La Bohême galante XII (L’Artiste)
1er janvier 1853 (BF), Petits Châteaux de Bohême. Prose et Poésie, chez Eugène Didier
15 août 1853, Sylvie. Souvenirs du Valois (Revue des Deux Mondes)
14 novembre 1853, Lettre à Alexandre Dumas
25 novembre 1853-octobre 1854, Lettres à Émile Blanche
10 décembre 1853, Alexandre Dumas, Causerie avec mes lecteurs (Le Mousquetaire)
17 décembre 1853, Octavie (Le Mousquetaire)
1853-1854, Le Comte de Saint-Germain (manuscrit autographe)
28 janvier 1854 (BF) Les Filles du feu, préface, Les Chimères, chez Daniel Giraud
31 octobre 1854, Pandora (Le Mousquetaire)
25 novembre 1854, Pandora, épreuves du Mousquetaire
Pandora, texte reconstitué par Jean Guillaume en 1968
Pandora, texte reconstitué par Jean Senelier en 1975
30 décembre 1854, Promenades et Souvenirs, 1re livraison (L’Illustration)
1854 ? Sydonie (manuscrit autographe)
1854? Emerance (manuscrit autographe)
1854? Promenades et Souvenirs (manuscrit autographe)
janvier 1855, Oeuvres complètes (manuscrit autographe)
1er janvier 1855, Aurélia ou le Rêve et la Vie (Revue de Paris)
6 janvier 1855, Promenades et Souvenirs, 2e livraison (L’Illustration)
3 février 1855, Promenades et Souvenirs, 3e livraison (L’Illustration)
15 février 1855, Aurélia ou Le Rêve et la Vie, seconde partie (Revue de Paris)
15 mars 1855, Desiderata (Revue de Paris)
1866, La Forêt noire, scénario
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BF: annonce dans la Bibliographie de la France
Manuscrit autographe: manuscrit non publié du vivant de Nerval
26 mars 1840 — Lettres de voyage III, dans La Presse, signée Fritz.
Cette troisième « lettre » sur l’itinéraire de Paris à Vienne de l’hiver 1839-1840 sera reprise comme les deux précédentes dans L’Artiste-Revue de Paris le 15 mars 1846 sous le titre générique : Sensations d’un voyageur enthousiaste, avec des titres de chapitres : VI, « Causeries sur le lac », VII, « Je touche au port », signé Gérard de Nerval, puis dans La Silhouette les 14 et 21 janvier 1849 sous le titre générique : Al Kahira, Souvenirs d’Orient, et enfin en 1851, partiellement, au chapitre IV, « Le Lac de Constance » de l’Introduction du Voyage en Orient.
Nerval est décidément déçu par Constance : « à la place de Constance, imaginez Pontoise, et vous voilà davantage dans le vrai ». Comme Baudelaire le dira après lui, mieux vaut garder les illusions de l’imagination que les confronter à la réalité : « Ah que le monde est grand à la clarté des lampes / Aux yeux du souvenir que le monde est petit ».... Le lac de Constance traversé, Nerval aborde en Bavière, à Lindau, le 10 novembre. À Augsbourg, il néglige malencontreusement une représentation de marionnettes du Docteur Faust « occasion de voir le drame naïf et enfantin qui inspira à Goethe son chef-d’œuvre éternel », chef-d’œuvre qu’il s’apprête à publier dans son intégralité sous le titre : Faust de Goethe suivi du second Faust, chez Gosselin.
Voir la notice UN HIVER À VIENNE.
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LETTRES DE VOYAGE.
III.
Vous me demanderez pourquoi je ne m’arrête pas un jour de plus à Constance, afin de voir la cathédrale, la salle du Concile, la place où fut brûlé Jean Hus, et tant d’autres curiosités historiques que notre Anglais de la table d’hôte avait admirées à loisir. C’est qu’en vérité je ne voudrais pas gâter davantage Constance dans mon imagination. Je vous ai dit comment en descendant des gorges de montagnes du canton de Zurich, couvertes d’épaisses forêts, je l’avais aperçue de loin, par un beau coucher de soleil, au milieu de ses vastes campagnes inondées de rayons rougeâtres, bordant son lac et son fleuve comme une Stamboul d’Occident ; je vous ai dit combien en approchant on trouvait ensuite la ville elle-même indigne de sa renommée et de sa situation merveilleuse ; j’ai cherché, je l’avoue, cette cathédrale bleuâtre, ces places aux maisons sculptées, ces rues bizarres et contournées, et tout ce moyen-âge pittoresque dont l’avaient douée poétiquement nos décorateurs d’Opéra ; eh bien, tout cela n’était que rêve et qu’invention ; à la place de Constance, imaginez Pontoise, et vous voilà davantage dans le vrai. Maintenant, j’ai peur que la salle du Concile ne se trouve être une hideuse grange, comme la salle des Empereurs à Francfort ; que la cathédrale ne soit aussi mesquine au-dedans qu’à l’extérieur, et que Jean Hus ait été brûlé sur quelque fourneau de campagne. Hâtons-nous donc de quitter Constance avant qu’il fasse jour, et conservons du moins un doute sur tout cela, avec l’espoir que des voyageurs moins sévères pourront nous dire plus tard : « Mais vous avez passé trop vite ! mais vous n’avez rien vu ! »
Aussi bien, c’est une impression douloureuse, à mesure qu’on va plus loin, de perdre ville à ville, et pays à pays, tout ce bel univers qu’on s’est créé jeune, par les lectures, par les tableaux et par les rêves. Le monde qui se compose ainsi dans la tête des enfans est si riche et si beau, qu’on ne sait s’il est le résultat exagéré d’idées apprises, ou si c’est un ressouvenir d’une existence antérieure et la géographie magique d’une planète inconnue. Si admirables que soient certains aspects et certaines contrées, il n’en est point dont l’imagination s’étonne complètement, et qui lui présentent quelque chose de stupéfiant et d’inouï. Je fais exception à l’égard des touristes anglais, qui semblent n’avoir jamais rien vu, ni rien imaginé.
L’hôte du Brochet a fait consciencieusement éveiller en pleine nuit, tous les voyageurs destinés à s’embarquer sur le lac. La pluie a cessé, mais il fait grand vent, et nous marchons jusqu’au port à la lueur des lanternes. Le bateau commence à fumer ; l’on nous dirige vers les casemates, et nous reprenons sur les banquettes notre sommeil interrompu. Deux heures après, un jour grisâtre pénètre dans la salle ; les eaux du lac sont noires et agitées ; à gauche, l’eau coupe l’horizon ; à droite le rivage n’est qu’une frange. Nous voilà réduits aux plaisirs de la société ; elle est peu nombreuse. Le capitaine du bâtiment, jeune homme agréable, cause galamment avec deux dames allemandes, qui sont venues du même hôtel que moi. Comme il se trouve assis auprès de la plus jeune, je n’ai que la ressource d’entretenir la plus âgée, qui prend le café à ma gauche. Je commence par quelques phrases d’allemand assez bien tournées touchant la rigueur de la température et l’incertitude du temps.
— Parlez-vous français ? me dit la dame allemande.
— Oui, madame, lui dis-je un peu humilié ; certainement, je parle aussi le français. Et nous causons ainsi avec beaucoup plus d’agrément.
Il faut dire que l’accent allemand et la prononciation très différente des différens pays présentent de grandes difficultés aux Français qui n’ont appris la langue que par des livres. En Autriche, cela devient même un tout autre langage, qui diffère autant de l’allemand que le provençal du français. Ce qui contribue ensuite à retarder sur ce point l’éducation du voyageur, c’est que partout on lui parle dans sa langue, et qu’il cède involontairement à cette facilité qui rend sa conversation plus instructive pour les autres que pour lui-même.
La tempête, augmentant beaucoup, le capitaine crut devoir prendre un air soucieux, mais ferme, et s’en alla donner des ordres, afin de rassurer les dames. Cela nous amena naturellement à parler de romans maritimes. La plus jeune dame paraissait très forte sur cette littérature, toute d’importation anglaise ou française, l’Allemagne n’ayant guère de marine. Nous ne tardâmes pas à prendre terre par Scribe et Paul de Kock. Il faut convenir que, grâce au succès européen de ces deux messieurs, les étrangers se font une singulière idée de la société et de la conversation parisienne. La dame âgée parlait fort bien d’ailleurs : elle avait vu les Français dans son temps, comme elle le disait gaîment ; mais la plus jeune avait une prétention au langage à la mode, qui l’entraînait parfois à un singulier emploi des mots nouveaux.
— Monsieur, me disait-elle, imaginez-vous que Passau, où nous habitons, n’est en arrière sur rien ; nous avons la société la plus ficelée de la Bavière. Munich est si crapule à présent que tous les gens de la haute viennent à Passau ; on y donne des soirées d’un chique étonnant !...
O M. Paul de Kock ! voilà donc le français que vous apprenez à nos voisins ! Mais, peut-être ceux de nous qui parlent trop bien l’allemand tombent-ils dans le même idiotisme ! Je n’en suis pas là encore, heureusement.
« Il n’y a si bonne compagnie dont il ne faille se séparer ! disait le roi Dagobert à ses chiens (en les jetant par la fenêtre !). » Puisse cet ancien proverbe, que je cite textuellement, me servir de transition entre le départ de plusieurs de nos dames qui nous quittèrent à Morseburg, et le tableau que je vais essayer de tracer, d’un divertissement auquel se livraient nos marins sur le pont, en attendant que le bateau reprît sa course pour Lindau. L’idée en est triviale, mais assez gaie et digne d’être utilisée dans la littérature maritime. Il y avait trois chiens sur le bateau à vapeur. L’un d’eux, caniche imprévoyant, s’étant trop approché de la cuisine, un mousse s’avisa de tremper dans la sauce sa belle queue en panache. Le chien reprend sa promenade ; l’un des deux autres s’élance à sa poursuite et lui mord la queue ardemment ; voyant ce résultat bouffon, l’on s’empresse d’en faire autant au second, puis au troisième, et voilà les malheureux animaux tournant en cercle, sans quitter prise, chacun avide de mordre et furieux d’être mordu. C’est là une belle histoire de chiens ! comme dirait le sieur de Brantôme ; mais que vous dire de mieux d’une traversée sur le lac de Constance par un mauvais temps ? L’eau est noire comme de l’encre, les rives sont plates partout, et les villages qui passent n’ont de remarquables que leurs clochers en forme d’ognons, garnis d’écailles de ferblanc et portant à leurs pointes des boules de cuivre enfilées. Le plus amusant du voyage, c’est qu’à chaque petit port où l’on s’arrête, on fait connaissance avec une nouvelle nation. Le duché de Bade, le Wurtemberg, la Bavière, la Suisse se posent là, de loin en loin, comme puissances maritimes… d’eau douce. Leurs vaisseaux pavoisés sont tout prêts et tout armés pour la question d’Orient, si l’on peut leur donner un moyen de passer de cette petite Méditerranée dans la grande. En attendant, leur marine donne la chasse aux mauvais journaux français et suisses qui voltigent sur le lac sous pavillon neutre ; il en est un, intitulé justement : les Feuilles du Lac, journal allemand progressif, qui, je crois bien, n’échappe aux diverses censures qu’en s’imprimant sur l’eau et en distribuant ses abonnemens de barque en barque, sans jamais toucher le rivage. — La liberté sur les mers ! comme dit Byron.
En rangeant à gauche les côtes de Vurtemberg, voici que nous apercevons enfin les falaises brumeuses du royaume de Bavière. Une forêt de mâts, entrecoupée de tours pointues et de clochers nous annonce bientôt l’unique port de la Bavière ; c’est Lindau. Nous n’y subissons aucune quarantaine, mais les douanes sévères font transporter nos malles dans un vaste entrepôt. En attendant l’heure de la visite, on nous permet d’aller dîner. Il est midi ; c’est l’heure où l’on dîne encore dans toute l’Allemagne. Je m’achemine donc vers l’auberge la plus apparente, dont l’enseigne d’or éclate au milieu d’un bouquet de branches de sapin fraîchement coupées. Toute la maison est en fête et les nombreux convives ont mis leurs habits de gala. Aux fenêtres ouvertes, j’aperçois de jolies filles à la coiffure étincelante, aux longues tresses blondes, qui en appellent d’autres, accourant de l’église ou des marchés ; les hommes chantent et boivent ; et quelques montagnards entonnent leur tirily plaintif. La musique dominait encore tout ce vacarme, et dans la cour les troupeaux bêlaient. C’est que justement j’arrivais un jour de marché. L’hôte me demande s’il faut me servir dans ma chambre. Pour qui me prenez-vous ? vénérable Bavarois ; et pour qui donc est faite la table d’hôte. Et quelle table ! elle fait le tour de l’immense salle. Ces braves gens fument en mangeant ; les femmes valsent (aussi en mangeant) dans l’intervalle des tables. Bien plus, il y a encore des saltimbanques bohêmes qui font le tour de la salle en exécutant la pyramide humaine, de sorte que l’on risque à tout moment de voir tomber un paillasse dans son assiette.
Voilà du bruit, de l’entrain, de la gaîté populaire ; les filles sont belles, les paysans bien vêtus ; cela ne ressemble en rien aux orgies misérables de nos guinguettes ; le vin et la double bierre se disputent l’honneur d’animer tant de folle joie, et les plats homériques disparaissent en un clin d’œil. J’entre donc en Bavière sous ces auspices rians ; le repas fini, je parcours la ville, dont toutes les rues et les places sont garnies d’étalages et de boutiques foraines, et j’admire partout les jolies filles des pays environnans, vêtues comme des reines avec leurs bonnets de drap d’or et leurs corsages de clinquant. Voilà du moins un pays où les femmes n’ont pas adopté encore les chiffons sans goût de nos grisettes ; ces surprises sont rares en voyage et se reproduiront peu dans le mien.
Il s’agit maintenant de choisir un véhicule pour Augsbourg ; mais je n’ai point à choisir ; la poste royale, et partout la poste ; il n’y a nulle part en Allemagne de diligences particulières ; point de concurrences dont on ait à craindre l’imprudente rivalité ; les chevaux ménagent les routes, les postillons ménagent les chevaux, les conducteurs ménagent les voitures, le tout appartenant à l’état ; nul n’est pressé d’arriver, mais on finit par arriver toujours ; le fleuve de la vie se ralentit dans ces contrées et prend un air majestueux. « Pourquoi faire du bruit ? » comme disait cette vieille femme dans Werther.
Chacun des gouvernemens d’Allemagne a donc le monopole de la circulation ; il en faut excepter les petits pays de la confédération, sillonnés par le réseau des postes féodales du prince de Tour-et-Taxis. Ce prince, dont vous avez dû souvent entendre répéter le nom, est le marquis de Carabas de l’Allemagne. Vous demandez à qui ce château-là ? — Au prince de Tour-et-Taxis. — A qui ces chevaux, ces voitures, ces journaux, etc, même réponse. (Car il possède aussi des journaux dans différens pays, toujours à titre féodal, notamment la Gazette des postes et le Journal de Francfort.) Ses apanages industriels sont innombrables. Ce prince, dont la principauté est imperceptible, a les revenus d’un puissant monarque ; son peuple de postillons, d’écrivains et d’ouvriers, paraît vivre heureux sous ses lois dans une étendue de peut-être deux cents lieues, du nord au midi. Bien plus, il a tant de bonheur, qu’ayant un médecin toujours auprès de sa personne et dont il avait fait un de ses ministres, que croyez-vous qu’il en soit advenu dernièrement ? C’est le médecin qui est mort. Le prince de Tour-et-Taxis le pleure et n’en veut plus avoir d’autre. Cet homme ne mourra jamais ; et pourtant on attend sa fin pour créer une foule de chemins de fer dont ses droits féodaux entravent de tous côtés l’exécution.
Que vous dire du pays que je parcours à l’heure qu’il est ? C’est une route assez monotone ; des plaines, des montagnes ou plutôt des montées, et toujours, toujours des sapins ; la plus grande partie de l’Allemagne est ainsi ; c’est ce qui la rend si verte dans les chants des poètes. Hâtons-nous donc d’arriver à Augsbourg, une belle vieille ville, comme nous en verrons peu de ce côté, et qui m’a rappelé les bonnes cités des bords du Rhin. Celle-là mériterait un fleuve ou un lac pour baigner ses murailles et n’a pas même un ruisseau. La cathédrale est fort belle, les rues sont charmantes avec leurs grandes maisons peintes à fresque du haut en bas. Il y a là des Caravage et des Michel-Ange ignorés, que la pluie dégrade tous les jours ; ce sont des galeries sans fin d’immenses tableaux sacrés ou profanes, trouées par les portes et les fenêtres, et dont la vue réjouit l’œil du passant ; le plus grand nombre de ces peintures appartient au style rococo des deux derniers siècles ; elles sont relevées souvent de sculptures et de dorures fort éclatantes. Dans la plus grande rue qui est presque une longue place, on rencontre l’Hôtel-de-Ville où l’on fait voir aux étrangers la célèbre chambre dorée, toute éclatante d’or et de bois sculpté, et éclairée d’un nombre infini de fenêtres. Une grande fontaine de marbre et de bronze, dans le style de la renaissance, orne la place voisine de ce palais ; c’est une des plus riches et des plus élégantes que j’ai vues, et c’est de quoi faire honte aux groupes de naïades et de tritons en fonte dont on décore économiquement nos places de Paris.
Après avoir admiré toutes ses beautés et rendu visite même aux bureaux de la Gazette d’Augsbourg, le premier des journaux d’Allemagne, je voulus compléter ma soirée par le spectacle. Il y avait deux affiches à tous les coins de rue : l’une annonçant Preciosa, opéra de Weber, et l’autre la représentation du Docteur Faust, au théâtre des Marionnettes. J’eus la malheureuse idée de négliger cette occasion de voir le drame naïf et enfantin qui inspira à Goëthe son chef-d’œuvre éternel, et j’allai prendre une stalle au grand Opéra du lieu. On jouait d’abord un acte traduit d’un vaudeville français. C’est ce qui commence le spectacle dans toute l’Allemagne. Ensuite, une première cantatrice de Vienne devait se faire entendre dans l’entr’acte ; en effet, le vaudeville terminé, voilà que la porte du fond s’ouvre, et il paraît une énorme femme vêtue de noir. Elle chante un couplet avec une voix de basse superbe. Serait-ce un homme déguisé ? Point du tout ; elle entonna le second couplet avec un soprano plus aigu que celui de Mlle Déjazet. Qu’est-ce donc que ce monstre musical ? Au troisième couplet, elle chanta le premier vers avec sa voix de basse, le second avec sa voix de tête, et ainsi de suite. Après ce tour de force inouï, l’enthousiasme du public éclata vivement, la grosse femme fut couverte de fleurs et il en fallut beaucoup. Puis l’on commença Preciosa. Mais je ne tardai pas à m’apercevoir d’une chose, c’est que les acteurs déclamaient purement et simplement les vers du poème, pendant que l’orchestre jouait en sourdine la musique de Weber. Je me hâtai de sortir du théâtre, espérant trouver ouvert encore celui des Marionnettes, mais je n’arrivai que pour entendre la dernière détonation qui engloutissait le docteur Faust dans les enfers.
FRITZ.
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