15 octobre 1852 — La Bohême galante VIII, dans L’Artiste, Ve série, t. IX, p. 84-86.

Cette huitième livraison de La Bohême galante poursuit le rappel de vieilles chansons françaises qui ne figurent pas en novembre 1850 dans Les Faux Saulniers, 10e livraison, mais seront reprises, avec quelques variantes dans Chansons et légendes du Valois qui fait suite à Sylvie dans Les Filles du feu en 1854. À noter que la chanson : « La fleur de l’olivier » figure dès 1841 au verso de la lettre autographe de Nerval à Joseph Lingay.

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LA BOHÊME GALANTE

VIII

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XI

VIEILLES LÉGENDES FRANÇAISES. — SUITE.

Je crains encore que le travail qui se prépare ne soit fait purement au point de vue historique et scientifique. Nous aurons des ballades franques, normandes, des chants de guerre, des lais et des virelais, des guerz bretons, des noëls bourguignons et picards...Mais songera-t-on à recueillir ces chants de la vieille France dont je cite ici des fragments épars et qui n’ont jamais été complétés et réunis ?

Les savants ne veulent pas admettre dans les livres des vers composés sans souci de la rime, de la prosodie et de la syntaxe.

La langue du berger, du marinier, du charretier qui passe, est bien la nôtre, à quelques élisions près, avec des tournures douteuses, des mots hasardés, des terminaisons et des liaisons de fantaisie, mais elle porte un cachet d’ignorance qui révolte l’homme du monde, bien plus que ne le fait le patois. Pourtant ce langage a ses règles, ou du moins ses habitudes régulières, et il est fâcheux que des couplets tels que ceux de la célèbre romance : Si j’étais hirondelle, soient abandonnés, pour deux ou trois consonnes singulièrement placées, au répertoire chantant des concierges et des cuisinières.

Quoi de plus gracieux et de plus poétique pourtant :

Si j’étais hirondelle ! — Que je puisse voler, — Sur votre sein, ma belle, — J’irais me reposer !

Il faut continuer, il est vrai, par : J’ai z’un coquin de frère… ou risquer un hiatus terrible ; mais pourquoi aussi la langue a-t-elle repoussé de z si commode, si liant, si séduisant, qui faisait tout le charme du langage de l’ancien Arlequin, et que la jeunesse dorée du Directoire a tenté en vain de faire passer dans le langage des salons ?

Ce ne serait rien encore, et de légères corrections rendraient à notre poésie légère, si pauvre et si peu inspirée, ces charmantes et naïves productions des poëtes modestes ; mais la rime, cette sévère rime française, comment s’arrangerait-elle encore du couplet suivant :

La fleur de l’olivier — Que vous avez aimé, — Charmante beauté, — Et vos beaux yeux charmants, — Que mon cœur aime tant, — Les faudra-t-il quitter !

Observez que la musique se prête admirablement à ces hardiesses ingénues, et trouve dans les assonances, ménagées suffisamment d’ailleurs, toutes les ressources que la poésie doit lui offrir. Voilà deux charmantes chansons, qui ont comme un parfum de la Bible, et dont la plupart des couplets sont perdus, parce que personne n’a jamais osé les écrire ou les imprimer. J’en dirai autant de celle où se trouve la strophe suivante :

Enfin vous voilà donc, — Ma belle mariée, — Enfin vous voilà donc — A votre époux liée, — Avec un long fil d’or — Qui ne rompt qu’à la mort.

Quoi de plus pur, d’ailleurs, comme langue et comme pensée ? Mais l’auteur ne savait pas écrire, et l’imprimerie nous conserve les gravelures de Collet, de Piis et de Panard !

Les étrangers reprochent à notre peuple de n’avoir aucun sentiment de la poésie et de la couleur ; mais où trouver une composition et une imagination plus orientales que dans cette chanson de nos mariniers :

Ce sont les filles de La Rochelle — Qui ont armé un bâtiment — Pour aller faire la course — Dedans les mers du Levant.
La coque est en bois rouge — Travaillé fort proprement ; — La mâture est en ivoire, — Les poulies en diamant.
La grand’voile est en dentelle — La misaine en satin blanc ; — Les cordages du navire — Sont de fils d’or et d’argent.
L’équipage du navire, — C’est tout filles de quinze ans ; — Les gabiers de la grande hune — N’ont pas plus de dix-huit ans ! etc.

Les richesses poétiques n’ont jamais manqué au marin, ni au soldat français, qui ne rêvent dans leurs chants que filles de roi, sultanes, et même présidentes, comme dans la ballade trop connue :

C’est dans la ville de Bordeaux
Qu’il est arrivé trois vaisseaux, etc.

Mais le tambour des gardes françaises, où s’arrêtera-t-il, celui-là ?

Un joli tambour s’en allait à la guerre, etc.

La fille du roi est à sa fenêtre, le tambour la demande en mariage : — Joli tambour, dit le roi, tu n’es pas assez riche ! — Moi ? dit le tambour sans se déconcerter,

J’ai trois vaisseaux sur la mer gentille,
L’un chargé d’or, l’autre de perles fines,
Et le troisième pour promener ma mie. 

— Touche là, tambour, lui dit le roi, tu n’auras pas ma fille ! — Tant pis, dit le tambour, j’en trouverai de plus gentilles !... Etonnez-vous, après ce tambour-là, de nos soldats devenus rois ! Voyons maintenant ce que va faire un capitaine :

A Tours en Touraine — Cherchant ses amours ; — Il les a cherchées, — Il les a trouvées — En haut d’une tour.

Le père n’est pas un roi, mais un simple châtelain qui répond à la demande en mariage :

Mon beau capitaine, — Ne te mets pas en peine, — Tu ne l’auras pas.

La réplique du capitaine est superbe :

Je j’aurai par terre, — Je l’aurai par mer — Ou par trahison.

Il fait si bien, en effet, qu’il enlève la jeune fille sur son cheval ; et l’on va voir comme elle est bien traitée une fois en sa possession :

A la première ville, — Son amant l’habille — Tout en satin blanc ! — A la seconde ville, — Son amant l’habille — Tout d’or et d’argent.
A la troisième ville — Son amant l’habille — Tout en diamants ! — Elle était si belle, — Qu’elle passait pour reine — Dans le régiment !

Après tant de richesses dévolues à la verve un peu gasconne du militaire ou du marin, envierons-nous le sort du simple berger ? Le berger qui chante et qui rêve :

Au jardin de mon père, — Vole, mon cœur, vole ! — Il y a z’un pommier doux, — Tout doux !
Trois belles princesses, — Vole, mon cœur, vole ! — Trois belles princesses — Sont couchées dessous, etc.

Est-ce donc la vraie poésie, est-ce la soif mélancolique de l’idéal qui manque à ce peuple pour comprendre et produire des chants dignes d’être comparés à ceux de l’Allemagne et de l’Angleterre ? Non, certes ; mais il est arrivé qu’en France la littérature n’est jamais descendue au niveau de la grande foule ; les poëtes académiques du dix-septième et du dix-huitième siècle n’auraient pas plus compris de telles inspirations que les paysans n’eussent admiré leurs odes, leurs épîtres et leurs poésies fugitives, si incolores, si gourmées. Pourtant comparons encore la chanson que je vais citer à tous ces bouquets à Chloris qui faisaient vers ce temps l’admiration des belles compagnies.

Quand Jean Renaud de la guerre revint, — Il en revint triste et chagrin : — « Bonjour, ma mère — Bonjour mon fils ! — Ta femme est accouchée d’un petit. »
« Allez ma mère, allez devant ; — Faites-moi dresser un beau lit blanc ; — Mais faites-le dresser si bas, — Que ma femme ne l’entende pas ! »
Et quand ce fut vers le minuit, — Jean Renaud a rendu l’esprit.

Ici la scène de la ballade change et se transporte dans la chambre de l’accouchée :

« Ah ! dites, ma mère, ma mie, — Ce que j’entends pleurer ici ? — Ma fille, ce sont les enfants — Qui se plaignent du mal de dents ! »
« Ah ! dites, ma mère, ma mie, — Ce que j’entends clouer ici. — Ma fille, c’est le charpentier, — Qui raccommode le plancher ! »
« Ah ! dites, ma mère, ma mie, – Ce que j’entends chanter ici ? – Ma fille, c’est la procession, - Qui fait le tour de la maison ! »
« Ah ! dites, ma mère, ma mie, — Pourquoi donc pleurez-vous ainsi ? — Hélas ! je ne puis le cacher ; — C’est Jean Renaud qui est décédé ! »
« Ma mère ! dites au fossoyeux — Qu’il fasse la fosse pour deux, — Et que l’espace y soit si grand, — Qu’on y renferme aussi l’enfant ! »

Ceci ne le cède en rien aux plus touchantes ballades allemandes, il n’y manque qu’une certaine exécution de détail qui manquait aussi à la légende primitive de Lénore et à celle du roi des Aulnes, avant Goëthe et Bürger. Mais quel parti encore un poëte eût tiré de la complainte de Saint-Nicolas, que nous allons citer en partie :

Il était trois petits enfants — Qui s’en allaient glaner aux champs,
S’en vont au soir chez un boucher. — « Boucher, voudrais-tu nous loger ? — Entrez, entrez, petits enfants, — Il y a de la place assurément. »
Ils n’étaient pas sitôt entrés, — Que le boucher les a tués, — Les a coupés en petits morceaux, — Mis au saloir comme pourceaux.
Saint Nicolas, au bout d’sept an, — Saint Nicolas vint dans ce champ. — Il s’en alla chez le boucher : — « Boucher, voudrais-tu me loger ? »
« Entrez, entrez, saint Nicolas, — Il y a d’la place, il n’en manque pas. » — Il n’était pas sitôt entré, — Qu’il a demandé à souper.
« Voulez-vous un morceau d’jambon ? — Je n’en veux pas, il n’est pas bon. — Voulez-vous un morceau de veau ? — Je n’en veux pas, il n’est pas beau !
« Du p’tit salé je veux avoir : — Qu’il y a sept ans qu’est dans l’saloir ! » — Quand le boucher entendit cela, — Hors de sa porte il s’enfuya.
« Boucher, boucher, ne t’enfuis pas. — Repens-toi, Dieu te pardonn’ra. » — Saint Nicolas posa trois doigts — Dessus le bord de ce saloir :
Le premier dit : « J’ai bien dormi ! — Le second dit : Et moi aussi ! » — Et le troisième répondit : « Je croyais être en paradis ! »

N’est-ce pas là une ballade d’Uhland, moins les beaux vers ? Mais il ne faut pas croire que l’exécution manque toujours à ces naïves inspirations populaires.

La vertu des filles du peuple attaquée par des seigneurs félons a fourni encore de nombreux sujets de romances. Il y a, par exemple, la fille d’un pâtissier, que son père envoie porter des gâteaux chez le seigneur de Dammartin. Celui-ci la retient jusqu’à la nuit close et ne veut plus la laisser partir. Pressée de son déshonneur, elle feint de céder, et demande au comte son poignard pour couper une agrafe de son corset. Elle se perce le cœur, et les pâtissiers instituent une fête pour cette martyre boutiquière.

Il y a des chansons de causes célèbres qui offrent un intérêt moins romanesque, mais souvent plein de terreur et d’énergie. Imaginez un homme qui revient de la chasse et qui répond à un autre qui l’interroge :

« J’ai tant tué de petits lapins blancs — Que mes souliers sont pleins de sang. — T’en as menti, faux, traître ! — Je te ferai connaître. — Je vois, je vois à tes pâles couleurs – Que tu viens de tuer ma sœur ! »

Quelle poésie sombre en ces lignes qui sont à peine des vers ! Dans une autre, un déserteur rencontre la maréchaussée, cette terrible Némésis au chapeau bordé d’argent :

On lui a demandé : — Où est votre congé ?  — « Le congé que j’ai pris, — Il est sous mes souliers. »

Il y a toujours une amante éplorée mêlée à ces tristes récits :

La belle s’en va trouver son capitaine, — Son colonel et aussi son sergent...

Le refrain est cette phrase latine : « Spiritus sanctus, quoniam bonus ! » chantée sur un air de plain-chant et qui prédit assez le sort du malheureux soldat.

GÉRARD DE NERVAL.

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La Bohême galante IX >>>

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