TEXTES

1824, Poésies diverses (manuscrit autographe)

1824, L’Enterrement de la Quotidienne (manuscrit autographe)

1824, Poésies et poèmes (manuscrit autographe)

1825, « Pour la biographie des biographes » (manuscrit autographe)

15 février 1826 (BF), Napoléon et la France guerrière, chez Ladvocat

19, 22 avril, 14 juin (BF), Complainte sur la mort de haut et puissant seigneur le Droit d’aînesse, chez Touquet

6 mai 1826 (BF), Complainte sur l’immortalité de M. Briffaut, par Cadet Roussel, chez Touquet

6 mai 1826 (BF), Monsieur Dentscourt ou le Cuisinier d’un grand homme, chez Touquet

20 mai 1826 (BF), Les Hauts faits des Jésuites, par Beuglant, chez Touquet

12 août 1826 (BF), Épître à M. de Villèle (Mercure de France du XIXe siècle)

11 novembre 1826 (BF), Napoléon et Talma, chez Touquet

13 et 30 décembre 1826 (BF), L’Académie ou les membres introuvables, par Gérard, chez Touquet

16 mai 1827 (BF), Élégies nationales et Satires politiques, par Gérard, chez Touquet

29 juin 1827, La dernière scène de Faust (Mercure de France au XIXe siècle)

28 novembre 1827 (BF), Faust, tragédie de Goëthe, 1828, chez Dondey-Dupré

15 décembre 1827, A Auguste H…Y (Almanach des muses pour 1828)

1828? Faust (manuscrit autographe)

1828? Le Nouveau genre (manuscrit autographe)

mai 1829, Lénore. Ballade allemande imitée de Bürger (La Psyché)

août 1829, Le Plongeur. Ballade, (La Psyché)

octobre 1829, A Schmied. Ode de Klopstock (La Psyché)

24 octobre 1829, Robert et Clairette. Ballade allemande de Tiedge (Mercure de France au XIXe siècle)

14 novembre 1829, Les Bienfaits de l’enseignement mutuel, Procès verbal de la Loge des Sept-Écossais-réunis, chez Bellemain

21 novembre 1829, Chant de l’épée. Traduit de Korner (Mercure de France au XIXe siècle)

12 décembre 1829, La Mort du Juif errant. Rapsodie lyrique de Schubart (Mercure de France au XIXe siècle)

19 décembre 1829, Lénore. Traduction littérale de Bürger (Mercure de France au XIXe siècle)

2 janvier 1830, La Première nuit du Sabbat. Morceau lyrique de Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)

janvier 1830, La Lénore de Bürger, nouvelle traduction littérale (La Psyché)

16 janvier 1830, Ma Patrie, de Klopstock (Mercure de France au XIXe siècle)

23 janvier 1830, Légende, par Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)

6 février (BF) Poésies allemandes, Klopstock, Goethe, Schiller, Burger (Bibliothèque choisie)

13 février 1830, Les Papillons (Mercure de France au XIXe siècle)

13 février 1830, Appel, par Koerner (1813) (Mercure de France au XIXe siècle)

13 mars 1830, L’Ombre de Koerner, par Uhland, 1816 (Mercure de France au XIXe siècle)

27 mars 1830, La Nuit du Nouvel an d’un malheureux, de Jean-Paul Richter (La Tribune romantique)

10 avril 1830, Le Dieu et la bayadère, nouvelle indienne par Goëthe (Mercure de France au XIXe siècle)

29 avril 1830, La Pipe, chanson traduite de l’allemand, de Pfeffel (La Tribune romantique)

13 mai 1830 Le Cabaret de la mère Saguet (Le Gastronome)

mai 1830, M. Jay et les pointus littéraires (La Tribune romantique)

17 juillet 1830, L’Éclipse de lune. Épisode fantastique par Jean-Paul Richter (Mercure de France au XIXe siècle)

juillet ? 1830, Récit des journées des 27-29 juillet (manuscrit autographe)

14 août 1830, Le Peuple (Mercure de France au XIXe siècle)

30 octobre 1830 (BF), Choix de poésies de Ronsard, Dubellay, Baïf, Belleau, Dubartas, Chassignet, Desportes, Régnier (Bibliothèque choisie)

11 décembre 1830, A Victor Hugo. Les Doctrinaires (Almanach des muses pour 1831)

29 décembre 1830, La Malade (Le Cabinet de lecture )

29 janvier 1831, Odelette, Le Vingt-cinq mars (Almanach dédié aux demoiselles)

14 mars 1831, En avant, marche! (Cabinet de lecture)

23 avril 1831, Bardit, traduit du haut-allemand (Mercure de France au XIXe siècle)

30 avril 1831, Le Bonheur de la maison par Jean-Paul Richter. Maria. Fragment (Mercure de France au XIXe siècle)

7 mai 1831, Profession de foi (Mercure de France au XIXe siècle)

25 juin et 9 juillet 1831, Nicolas Flamel, drame-chronique (Mercure de France au XIXe siècle)

17 et 24 septembre 1831, Les Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre. Conte inédit d’Hoffmann (Mercure de France au XIXe siècle)

4 décembre 1831, Cour de prison, Le Soleil et la gloire (Le Cabinet de lecture)

17 décembre 1831, Odelettes. La Malade, Le Soleil et la Gloire, Le Réveil en voiture, Le Relais, Une Allée du Luxembourg, Notre-Dame-de-Paris (Almanach des muses)

17 décembre 1831, Fantaisie, odelette (Annales romantiques pour 1832)

24 septembre 1832, La Main de gloire, histoire macaronique (Le Cabinet de lecture)

14 décembre 1834, Odelettes (Annales romantiques pour 1835)

1835-1838 ? Lettres d’amour (manuscrits autographes)

26 mars et 20 juin 1836, De l’Aristocratie en France (Le Carrousel)

20 et 26 mars 1837, De l’avenir de la tragédie (La Charte de 1830)

12 août 1838, Les Bayadères à Paris (Le Messager)

18 septembre 1838, A M. B*** (Le Messager)

2 octobre 1838, La ville de Strasbourg. A M. B****** (Le Messager)

26 octobre 1838, Lettre de voyage. Bade (Le Messager)

31 octobre 1838, Lettre de voyage. Lichtenthal (Le Messager)

24 novembre 1838, Léo Burckart (manuscrit remis à la censure)

25, 26 et 28 juin 1839, Le Fort de Bitche. Souvenir de la Révolution française (Le Messager)

13 juillet 1839 (BF) Léo Burckart, chez Barba et Desessart

19 juillet 1839, « Le Mort-vivant », drame de M. de Chavagneux (La Presse)

15 et 16-17 août 1839, Les Deux rendez-vous, intermède (La Presse)

17 et 18 septembre 1839, Biographie singulière de Raoul Spifamme, seigneur des Granges (La Presse)

21 et 28 septembre 1839, Lettre VI, A Madame Martin (Lettres aux belles femmes de Paris et de la province)

28 janvier 1840, Lettre de voyage I (La Presse)

25 février 1840, Le Magnétiseur

5 mars 1840, Lettre de voyage II (La Presse)

8 mars 1840, Lettre sur Vienne (L’Artiste)

26 mars 1840, Lettre de voyage III (La Presse)

28 juin 1840, Lettre de voyage IV, Un jour à Munich (La Presse)

18 juillet 1840 (BF) Faust de Goëthe suivi du second Faust, chez Gosselin

26 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort I (La Presse)

29 juillet, 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort II (La Presse)

30 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort III (La Presse)

11 février 1841, Une Journée à Liège (La Presse)

18 février 1841, L’Hiver à Bruxelles (La Presse)

1841 ? Première version d’Aurélia (feuillets autographes)

février-mars 1841, Lettre à Muffe, (sonnets, manuscrit autographe)

1841 ? La Tête armée (manuscrit autographe)

mars 1841, Généalogie dite fantastique (manuscrit autographe)

1er mars 1841, Jules Janin, Gérard de Nerval (Journal des Débats)

5 mars 1841, Lettre à Edmond Leclerc

7 mars 1841, Les Amours de Vienne (Revue de Paris)

31 mars 1841, Lettre à Auguste Cavé

11 avril 1841, Mémoires d’un Parisien. Sainte-Pélagie en 1832 (L’Artiste)

9 novembre 1841, Lettre à Ida Ferrier-Dumas

novembre? 1841, Lettre à Victor Loubens

10 juillet 1842, Les Vieilles ballades françaises (La Sylphide)

15 octobre 1842, Rêverie de Charles VI (La Sylphide)

24 décembre 1842, Un Roman à faire (La Sylphide)

19 et 26 mars 1843, Jemmy O’Dougherty (La Sylphide)

11 février 1844, Une Journée en Grèce (L’Artiste)

10 mars 1844, Le Roman tragique (L’Artiste)

17 mars 1844, Le Boulevard du Temple, 1re livraison (L’Artiste)

31 mars 1844, Le Christ aux oliviers (L’Artiste)

5 mai 1844, Le Boulevard du Temple 2e livraison (L’Artiste)

12 mai 1844, Le Boulevard du Temple, 3e livraison (L’Artiste)

2 juin 1844, Paradoxe et Vérité (L’Artiste)

30 juin 1844, Voyage à Cythère (L’Artiste)

28 juillet 1844, Une Lithographie mystique (L’Artiste)

11 août 1844, Voyage à Cythère III et IV (L’Artiste)

15 septembre, Diorama (L’Artiste-Revue de Paris)

29 septembre 1844, Pantaloon Stoomwerktuimaker (L’Artiste)

20 octobre 1844, Les Délices de la Hollande I (La Sylphide)

8 décembre 1844, Les Délices de la Hollande II (La Sylphide)

16 mars 1845, Pensée antique (L’Artiste)

19 avril 1845 (BF), Le Diable amoureux par J. Cazotte, préface de Nerval, chez Ganivet

1er juin 1845, Souvenirs de l’Archipel. Cérigo (L’Artiste-Revue de Paris)

6 juillet 1845, L’Illusion (L’Artiste-Revue de Paris)

5 octobre 1845, Strasbourg (L’Artiste-Revue de Paris)

novembre-décembre 1845, Le Temple d’Isis. Souvenir de Pompéi (La Phalange)

28 décembre 1845, Vers dorés (L’Artiste-Revue de Paris)

1er mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste I (L’Artiste-Revue de Paris)

15 mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste II (L’Artiste-Revue de Paris)

1er mai 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne (Revue des Deux Mondes)

17 mai 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste III (L’Artiste-Revue de Paris)

1er juillet 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne. Les Esclaves (Revue des Deux Mondes)

12 juillet 1846 Sensations d’un voyageur enthousiaste IV (L’Artiste-Revue de Paris)

16 août 1846, Un Tour dans le Nord. Angleterre et Flandre (L’Artiste-Revue de Paris)

30 août 1846, De Ramsgate à Anvers (L’Artiste-Revue de Paris)

15 septembre 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne. Le Harem (Revue des Deux Mondes)

20 septembre 1846, Une Nuit à Londres (L’Artiste-Revue de Paris)

1er novembre 1846, Un Tour dans le Nord III (L’Artiste-Revue de Paris)

22 novembre 1846, Un Tour dans le Nord IV (L’Artiste-Revue de Paris)

15 décembre 1846, Scènes de la vie égyptienne moderne. La Cange du Nil (Revue des Deux Mondes)

1847, Scénario des deux premiers actes des Monténégrins

15 février 1847, La Santa-Barbara. Scènes de la vie orientale (Revue des Deux Mondes)

15 mai 1847, Les Maronites. Un Prince du Liban (Revue des Deux Mondes)

15 août 1847, Les Druses (Revue des Deux Mondes)

17 octobre 1847, Les Akkals (Revue des Deux Mondes)

21 novembre 1847, Souvenirs de l’Archipel. Les Moulins de Syra (L’Artiste-Revue de Paris)

15 juillet 1848, Les Poésies de Henri Heine (Revue des Deux Mondes)

15 septembre 1848, Les Poésies de Henri Heine, L’Intermezzo (Revue des Deux Mondes)

7 janvier-24 juin 1849, puis 2 septembre 1849-27 janvier 1850, Al-Kahira. Souvenirs d’Orient (La Silhouette)

1er-27 mars 1849, Le Marquis de Fayolle, 1re partie (Le Temps)

26 avril 16 mai 1849, Le Marquis de Fayolle, 2e partie (Le Temps)

6 octobre 1849, Le Diable rouge (Almanach cabalistique pour 1850)

3 novembre 1849 (BF), Le Diable vert, et Impression de voyage (Almanach satirique, chez Aubert, Martinon et Dumineray)

7 mars-19 avril 1850, Les Nuits du Ramazan (Le National)

15 août 1850, Les Confidences de Nicolas, 1re livraison (Revue des Deux Mondes)

26 août 1850, Le Faust du Gymnase (La Presse)

1er septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 2e livraison (Revue des Deux Mondes)

9 septembre 1850, Excursion rhénane (La Presse)

15 septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 3e livraison (Revue des Deux Mondes)

18 et 19 septembre 1850, Les Fêtes de Weimar (La Presse)

1er octobre 1850, Goethe et Herder (L’Artiste-Revue de Paris)

24 octobre-22 décembre 1850, Les Faux-Saulniers (Le National)

29 décembre 1850, Les Livres d’enfants, La Reine des poissons (Le National)

novembre 1851, Quintus Aucler (Revue de Paris)

24 janvier 1852 (BF), L’Imagier de Harlem, Librairie théâtrale

15 juin 1852, Les Fêtes de mai en Hollande (Revue des Deux Mondes)

1er juillet 1852, La Bohême galante I (L’Artiste)

15 juillet 1852, La Bohême galante II (L’Artiste)

1er août 1852, La Bohême galante III (L’Artiste)

15 août 1852, La Bohême galante IV (L’Artiste)

21 août 1852 (BF), Lorely. Souvenirs d’Allemagne, chez Giraud et Dagneau (Préface à Jules Janin)

1er septembre 1852, La Bohême galante V (L’Artiste)

15 septembre 1852, La Bohême galante VI (L’Artiste)

1er octobre 1852, La Bohême galante VII (L’Artiste)

9 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 1re livraison (L’Illustration)

15 octobre 1852, La Bohême galante VIII (L’Artiste)

23 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 2e livraison (L’Illustration)

30 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 3e livraison (L’Illustration)

1er novembre 1852, La Bohême galante IX (L’Artiste)

6 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 4e livraison (L’Illustration)

13 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 5e livraison (L’Illustration)

15 novembre 1852, La Bohême galante X (L’Artiste)

20 novembre 1852, Les Illuminés, chez Victor Lecou (« La Bibliothèque de mon oncle »)

1er décembre 1852, La Bohême galante XI (L’Artiste)

15 décembre 1852, La Bohême galante XII (L’Artiste)

1er janvier 1853 (BF), Petits Châteaux de Bohême. Prose et Poésie, chez Eugène Didier

15 août 1853, Sylvie. Souvenirs du Valois (Revue des Deux Mondes)

14 novembre 1853, Lettre à Alexandre Dumas

25 novembre 1853-octobre 1854, Lettres à Émile Blanche

10 décembre 1853, Alexandre Dumas, Causerie avec mes lecteurs (Le Mousquetaire)

17 décembre 1853, Octavie (Le Mousquetaire)

1853-1854, Le Comte de Saint-Germain (manuscrit autographe)

28 janvier 1854 (BF) Les Filles du feu, préface, Les Chimères, chez Daniel Giraud

31 octobre 1854, Pandora (Le Mousquetaire)

25 novembre 1854, Pandora, épreuves du Mousquetaire

Pandora, texte reconstitué par Jean Guillaume en 1968

Pandora, texte reconstitué par Jean Senelier en 1975

30 décembre 1854, Promenades et Souvenirs, 1re livraison (L’Illustration)

1854 ? Sydonie (manuscrit autographe)

1854? Emerance (manuscrit autographe)

1854? Promenades et Souvenirs (manuscrit autographe)

janvier 1855, Oeuvres complètes (manuscrit autographe)

1er janvier 1855, Aurélia ou le Rêve et la Vie (Revue de Paris)

6 janvier 1855, Promenades et Souvenirs, 2e livraison (L’Illustration)

3 février 1855, Promenades et Souvenirs, 3e livraison (L’Illustration)

15 février 1855, Aurélia ou Le Rêve et la Vie, seconde partie (Revue de Paris)

15 mars 1855, Desiderata (Revue de Paris)

1866, La Forêt noire, scénario

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BF: annonce dans la Bibliographie de la France

Manuscrit autographe: manuscrit non publié du vivant de Nerval

19 avril 1845 (BF) — Le Diable amoureux, roman fantastique par J. Cazotte. Précédé de sa vie, de son procès et de ses prophéties et révélations par Gérard de Nerval. Illustré de 200 dessins par Édouard de Beaumont.

<<< Cazotte, chapitres I et II

<<< Cazotte, chapitres III et IV

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V.

La correspondance de Cazotte nous montre tour à tour ses regrets de la marche qu’avaient suivie ses anciens frères, et le tableau de ses tentatives isolées contre une ère politique dans laquelle il croyait voir le règne fatal de l’Antechrist, tandis que les illuminés saluaient l’arrivée du Réparateur invisible. Les démons de l’un étaient pour les autres des esprits divins et des vengeurs. En se rendant compte de cette situation, on comprendra mieux certains passages des lettres de Cazotte, et la singulière circonstance qui fit prononcer plus tard sa sentence par la bouche même d’un illuminé martiniste.

La correspondance dont nous allons citer de courts fragments était adressée, en 1791, à son ami Ponteau, secrétaire de la liste civile :

« Si Dieu ne suscite pas un homme qui fasse finir tout cela merveilleusement, nous sommes exposés aux plus grands malheurs. Vous connaissez mon système : « Le bien et le mal sur la terre ont toujours été l’ouvrage des hommes, à qui ce globe a été abandonné par les lois éternelles. » Ainsi nous n’aurons jamais à nous prendre qu’à nous-mêmes de tout le mal qui aura été fait. Le soleil darde continuellement ses rayons plus ou moins obliques sur la terre, voilà l’image de la Providence à notre égard ; de temps en temps, nous accusons cet astre de manquer de chaleur, quand notre position, les amas de vapeurs ou l’effet des vents nous mettent dans le cas de ne pas éprouver la continuelle influence de ses rayons. Or donc, si quelque thaumaturge ne vient à notre secours, voici tout ce qu’il nous est permis d’espérer.

« Je souhaite que vous puissiez entendre mon commentaire sur le grimoire de Cagliostro. Vous pouvez, du reste, me demander des éclaircissements ; je les enverrai les moins obscurs qu’il me sera possible. »

La doctrine des théosophes apparaît dans le passage souligné ; en voici un autre qui se rapporte à ses anciennes relations avec les illuminés.

« Je reçois deux lettres de connaissances intimes que j’avais parmi mes confrères les Martinistes : ils sont démagogues comme Bret ; gens de nom, braves gens jusqu’ici ; le démon est maître d’eux. A l’égard de Bret en son acharnement au magnétisme, je lui ai attiré la maladie ; les Jansénistes affiliés aux convulsionnaires par état sont dans le même cas ; c’est bien celui de leur appliquer à tous la phrase : Hors de l’Église, point de salut, pas même de sens commun.

« Je vous ai prévenu que nous étions huit en tout dans la France, absolument inconnus les uns des autres, qui élevions, mais sans cesse, comme Moïse, les yeux, la voix, les bras vers le ciel, pour la décision d’un combat dans lequel les éléments eux-mêmes sont mis en jeu. Nous croyons voir arriver un événement figuré dans l’Apocalypse et faisant une grande époque. Tranquillisez-vous, ce n’est pas la fin du monde : cela la rejette à mille ans par delà. Il n’est pas encore temps de dire aux montagnes : Tombez sur nous ! mais, en attendant le mieux possible, ce va être le cri des Jacobins ; car il y a des coupables de plus d’une robe. »

Son système sur la nécessité de l’action humaine pour établir la communication entre le ciel et la terre est clairement énoncé ici. Aussi en appelle-t-il souvent, dans sa correspondance, au courage du roi Louis XVI, qui lui paraît toujours se reposer trop sur la Providence. Ses recommandations à ce sujet ont souvent quelque chose du sectaire protestant plutôt que du catholique pur :

« Il faut que le Roi vienne au secours de la garde nationale, qu’il se montre, qu’il dise : Je veux, j’ordonne, et d’un ton ferme. Il est assuré d’être obéi, et de n’être pas pris pour la poule mouillée que les démocrates dépeignent à me faire souffrir dans toutes les parties de mon corps.

« Qu’il se porte rapidement avec vingt-cinq gardes, à cheval comme lui, au lieu de la fermentation : tout sera forcé de plier et de se prosterner devant lui. Le plus fort du travail est fait, mon ami ; le roi s’est résigné et mis entre les mains de son Créateur ; jugez à quel degré de puissance cela le porte, puisque Achab, pourri de vices, pour s’être humilié devant Dieu par un seul acte d’un moment, obtint la victoire sur ses ennemis. Achab avait le cœur faux, l’âme dépravée ; et mon Roi a l’âme la plus franche qui soit sortie des mains de Dieu ; et l’auguste, la céleste Élisabeth a sur le front l’égide qui pend au bras de la véritable sagesse... Ne craignez rien de Lafayette : il est lié comme ses complices. Il est, comme sa cabale, livré aux esprits de terreur et de confusion ; il ne saurait prendre un parti qui lui réussisse, et le mieux pour lui est d’être mis aux mains de ses ennemis par ceux en qui il croit pouvoir placer sa confiance. Ne discontinuons pas cependant d’élever les bras vers le ciel ; songeons à l’attitude du prophète tandis qu’Israël combattait.

« Il faut que l’homme agisse ici, puisque c’est le lieu de son action ; le bien et le mal ne peuvent y être faits que par lui. Puisque presque toutes les églises sont fermées, ou par l’interdiction ou par la profanation, que toutes nos maisons deviennent des oratoires. Le moment est bien décisif pour nous : ou Satan continuera de régner sur la terre comme il fait, jusqu’à ce qu’il se présente des hommes pour lui faire tête comme David à Goliath ; ou le règne de Jésus-Christ, si avantageux pour nous, et tant prédit par les prophètes, s’y établira. Voilà la crise dans laquelle nous sommes, mon ami, et dont je dois vous avoir parlé confusément. Nous pouvons, faute de foi, d’amour et de zèle, laisser échapper l’occasion, mais nous la tenons. Au reste, Dieu ne fait rien sans nous, qui sommes les rois de la terre ; c’est à nous à amener le moment prescrit par ses décrets. Ne souffrons pas que notre ennemi, qui, sans nous, ne peut rien, continue à tout faire, et par nous. »

En général, il se fait peu d’illusions sur le triomphe de sa cause ; ses lettres sont remplies de conseils qu’il eût peut-être été bon de suivre ; mais le découragement finit par le gagner en présence de tant de faiblesse, et il en arrive à douter de lui-même et de sa science :

« Je suis bien aise que ma dernière lettre vous ait fait quelque plaisir. Vous n’êtes pas initié ! applaudissez-vous-en. Rappelez-vous le mot : Et scientia eorum perdet eos. Si je ne suis pas sans danger, moi que la grâce divine a retiré du piège, jugez du risque de ceux qui restent... la connaissance des choses occultes est une mer orageuse d’où l’on n’aperçoit pas le rivage. »

Est-ce à dire qu’il eût abandonné alors les pratiques qui lui semblaient pouvoir agir sur les esprits funestes ? On a vu seulement qu’il espérait les vaincre avec leurs armes. Dans un passage de sa correspondance il parle d’une prophétesse Broussole, qui, ainsi que la célèbre Catherine Théot, obtenait les communications des puissances rebelles en faveur des jacobins ; il espère avoir agi contre elle avec quelque succès. Au nombre de ces prêtresses de la propagande, il cite encore ailleurs la marquise Durfé « la doyenne des Médées françaises, dont le salon regorgeait d’empiriques et de gens qui galopaient après les sciences occultes... » Il lui reproche particulièrement d’avoir élevé et disposé au mal le ministre Duchâtelet.

On ne peut croire que ces lettres, surprises aux Tuileries dans la journée sanglante du 10 août, eussent suffi pour faire condamner un vieillard en proie à d’innocentes rêveries mystiques, si quelques passages de la correspondance n’eussent fait soupçonner des conjurations plus matérielles. Fouquier-Tinville, dans son acte d’accusation, signala certaines expressions des lettres comme indiquant une coopération au complot dit des chevaliers du poignard, déconcerté dans les journées du 10 et du 12 août ; une lettre plus explicite encore indiquait les moyens de faire évader le roi, prisonnier depuis le retour de Varennes, et traçait l’itinéraire de sa fuite ; Cazotte offrait sa propre maison comme asile momentané :

« Le roi s’avancera jusqu’à la plaine d’Ay ; là il sera à vingt-huit lieues de Givet ; à quarante lieues de Metz. Il peut se loger lui-même à Ay, où il y a trente maisons pour ses gardes et ses équipages. Je voudrais qu’il préférât Pierry, où il trouverait également vingt-cinq à trente maisons, dans l’une desquelles il y a vingt lits de maîtres et de l’espace, chez moi seul, pour coucher une garde de deux cents hommes, écuries pour trente à quarante chevaux, un vide pour établir un petit camp dans les murs. Mais il faut qu’un plus habile et plus désintéressé que moi calcule l’avantage de ces deux positions. »

Pourquoi faut-il que l’esprit de parti ait empêché d’apprécier, dans ce passage, la touchante sollicitude d’un homme presque octogénaire qui s’estime peu désintéressé d’offrir au roi proscrit le sang de sa famille, sa maison pour asile, et son jardin pour champ de bataille ? N’aurait-on pas dû ranger de tels complots parmi les autres illusions d’un esprit affaibli par l’âge ? La lettre qu’il écrivit à son beau-père, M. Roignan, greffier du conseil de la Martinique, pour l’engager à organiser une résistance contre six mille républicains envoyés pour s’emparer de la colonie, est comme un ressouvenir du bel enthousiasme qu’il avait déployé dans sa jeunesse pour la défense de l’île contre les Anglais : il indique les moyens à prendre, les points à fortifier, les ressources que lui inspirait sa vieille expérience maritime. On comprend après tout qu’une pièce pareille ait été jugée fort coupable par le gouvernement révolutionnaire ; mais il est fâcheux que l’on ne l’ait pas rapprochée de l’écrit suivant daté de la même époque, et qui aurait montré s’il fallait tenir plus de compte des rêveries que des rêves de l’infortuné vieillard.

MON SONGE DE LA NUIT DU SAMEDI AU DIMANCHE DE DEVANT LA SAINT-JEAN.

1791.

J’étais dans un capharnaüm depuis longtemps et sans m’en douter, quoiqu'un petit chien que j’ai vu courir sur un toit, et sauter d’une distance d’une poutre couverte en ardoises sur une autre, eût dû me donner du soupçon.

J’entre dans un appartement ; j’y trouve une jeune demoiselle seule ; on me la donne intérieurement pour une parente du comte de Dampierre ; elle paraît me reconnaître et me salue. Je m’aperçois bientôt qu’elle a des vertiges ; elle semble dire des douceurs à un objet qui est vis-à-vis elle ; je vois qu’elle est en vision avec un esprit, et soudain j’ordonne, en faisant le signe de la croix sur le front de la demoiselle, à l’esprit de paraître.

Je vois une figure de quatorze à quinze ans, point laide, mais dans la parure, la mine et l’attitude d’un polisson ; je le lie, et il se récrie sur ce que je fais. Paraît une autre femme pareillement obsédée ; je fais pour elle la même chose. Les deux esprits quittent leurs effets, me font face et faisaient les insolents, quand, d’une porte qui s’ouvre, sort un homme gros et court, de l’habillement et de la figure d’un guichetier : il tire de sa poche deux petites menottes qui s’attachent comme d’elles-mêmes aux mains des deux captifs que j’ai faits. Je les mets sous la puissance de Jésus-Christ. Je ne sais quelle raison me fait passer pour un moment de cette pièce dans une autre, mais j’y rentre bien vite pour demander mes prisonniers ; ils sont assis sur un banc dans une espèce d’alcôve ; ils se lèvent à mon approche, et six personnages vêtus en archers des pauvres s’en emparent. Je sors après eux ; une espèce d’aumônier marchait à côté de moi. Je vais, disait-il, chez M. le marquis tel ; c’est un bon homme ; j’emploie mes moments libres à le visiter. Je crois que je prenais la détermination de le suivre, quand je me suis aperçu que mes deux souliers étaient en pantoufle ; je voulais m’arrêter et poser les pieds quelque part pour relever les quartiers de ma chaussure, quand un gros homme est venu m’attaquer au milieu d’une grande cour remplie de monde ; je lui mis la main sur le front, et l’ai lié au nom de la sainte Trinité et par celui de Jésus, sous l’appui duquel je l’ai mis.

De Jésus-Christ ! s’est écriée la foule qui m’entourait. Oui, ai-je dit, et je vous y mets tous après vous avoir liés. On faisait de grands murmures sur ce propos.

Arrive une voiture comme un coche ; un homme m’appelle par mon nom, de la portière : Mais, sire Cazotte, vous parlez de Jésus-Christ ; pouvons-nous tomber sous la puissance de Jésus-Christ ? Alors j’ai repris la parole, et ai parlé avec assez d’étendue de Jésus-Christ et de sa miséricorde sur les pécheurs. Que vous êtes heureux ! ai-je ajouté : vous allez changer de fers. De fers ! s’est écrié un homme enfermé dans la voiture, sur la bosse de laquelle j’étais monté ; est-ce qu’on ne pouvait nous donner un moment de relâche ?

Allez, a dit quelqu’un, vous êtes heureux, vous allez changer de maître, et quel maître ! Le premier homme qui m’avait parlé, disait : J’avais quelque idée comme cela.

Je tournais le dos au coche et avançais dans cette cour d’une prodigieuse étendue ; on n’y était éclairé que par des étoiles. J’ai observé le ciel, il était d’un bel azur pâle et très étoilé : pendant que je le comparais dans ma mémoire à d’autres cieux que j’avais vus dans le capharnaüm, il a été troublé par une horrible tempête ; un affreux coup de tonnerre l’a mis tout en feu ; le carreau tombé à cent pas de moi est venu se roulant vers moi ; il en est sorti un esprit sous la forme d’un oiseau de la grosseur d’un coq blanc, et la forme du corps plus allongée, plus bas sur pattes, le bec plus émoussé. J’ai couru sur l’oiseau en faisant des signes de croix ; et, me sentant rempli d’une force plus qu’ordinaire, il est venu tomber à mes pieds. Je voulais lui mettre sur la tête... Un homme de la taille du baron de Loi, aussi joli qu’il était jeune, vêtu en gris et argent, m’a fait face et dit de ne pas le fouler aux pieds. Il a tiré de sa poche une paire de ciseaux enfermée dans un étui garni de diamants, en me faisant entendre que je devais m’en servir pour couper le cou de la bête. Je prenais les ciseaux quand j’ai été éveillé par le chant en chœur de la foule qui était dans le capharnaüm : c’était un chant plein, sans accord, dont les paroles non rimées étaient : Chantons notre heureuse délivrance.

Réveillé, je me suis mis en prières ; mais me tenant en défiance contre ce songe-ci, comme contre tant d’autres par lesquels je puis soupçonner Satan de vouloir me remplir d’orgueil, je continuai mes prières à Dieu par l’intercession de la sainte Vierge, et sans relâche, pour obtenir de lui de connaître sa volonté sur moi, et cependant je lierai sur la terre ce qu’il me paraîtra à propos de lier pour la plus grande gloire de Dieu et le besoin de ses créatures.

*

Quelque jugement que puissent porter les esprits sérieux sur cette trop fidèle peinture des hallucinations du rêve, si décousues que soient forcément les impressions d’un pareil récit, il y a dans cette série de visions bizarres, quelque chose de terrible et de mystérieux. Il ne faut voir aussi, dans ce soin de recueillir un songe en partie dépourvu de sens, que les préoccupations d’un mystique qui lie à l’action du monde extérieur les phénomènes du sommeil. Rien dans la masse d’écrits qu’on a conservés de cette époque de la vie de Cazotte n’indique un affaiblissement quelconque dans ses facultés intellectuelles. Ses révélations, toujours empreintes de ses opinions monarchiques, tendent à présenter dans tout ce qui se passe alors des rapports avec les vagues prédictions de l’Apocalypse. C’est ce que l’école de Swedenborg appelle la science des correspondances. Quelques phrases de l’introduction méritent d’être remarquées :

« Je voulais, en offrant ce tableau fidèle, donner une grande leçon à ces milliers d’individus dont la pusillanimité doute toujours, parce qu’il leur faudrait un effort pour croire. Ils ne marquent dans le cercle de la vie quelques instants plus ou moins rapides, que comme le cadran, qui ne sait pas quel ressort lui fait indiquer l’espace des heures ou le système planétaire.

« Quel homme, au milieu d’une anxiété douloureuse, fatigué d’interroger tous les êtres qui vivent ou végètent autour de lui, sans pouvoir en trouver un seul qui lui réponde de manière à lui rendre, sinon le bonheur, au moins le repos, n’a pas levé ses yeux mouillés de larmes vers la voûte des cieux ?

« Il semble qu’alors la douce espérance vient remplir pour lui l’espace immense qui sépare ce globe sublunaire du séjour où repose sur sa base inébranlable le trône de l’Éternel. Ce n’est plus seulement à ses yeux que luisent les feux parsemés sur ce voile d’azur, qui embrase l’horizon d’un pôle à l’autre : ces feux célestes passent dans son âme ; le don de la pensée devient celui du génie. Il entre en conversation avec l’Éternel lui-même ; la nature semble se taire pour ne point troubler cet entretien sublime.

« Dieu révélant à l’homme les secrets de sa sagesse suprême et les mystères auxquels il soumet la créature trop souvent ingrate, pour la forcer à se rejeter dans son sein paternel, quelle idée majestueuse, consolante surtout ! Car pour l’homme vraiment sensible, une affection tendre vaut mieux que l’élan même du génie ; pour lui, les jouissances de la gloire, celles même de l’orgueil finissent toujours où commencent les douleurs de ce qu’il aime. »

La journée du 10 août vint mettre fin aux illusions des amis de la monarchie. Le peuple pénétra dans les Tuileries, après avoir mis à mort les Suisses et un assez grand nombre de gentilshommes dévoués au roi ; l’un des fils de Cazotte combattait parmi ces derniers, l’autre servait dans les armées de l’émigration. On cherchait partout des preuves de la conspiration royaliste dite des chevaliers du poignard ; en saisissant les papiers de Laporte, intendant de la liste civile, on y découvrit toute la correspondance de Cazotte avec son ami Ponteau ; aussitôt il fut décrété d’accusation et arrêté dans sa maison de Pierry.

« Reconnaissez-vous ces lettres ? lui dit le commissaire de l’Assemblée législative.

— Elles sont de moi en effet.

— Et c’est moi qui les ai écrites sous la dictée de mon père, s’écria sa fille Élisabeth, jalouse de partager ses dangers et sa prison.

Elle fut arrêtée avec son père, et tous deux, conduits à Paris dans la voiture de Cazotte, furent enfermés à l’Abbaye dans les derniers jours du mois d’août. Madame Cazotte implora en vain de son côté la faveur d’accompagner son mari et sa fille.

Les malheureux réunis dans cette prison jouissaient encore de quelque liberté intérieure. Il leur était permis de se réunir à certaines heures, et souvent l’ancienne chapelle où se rassemblaient les prisonniers présentait le tableau des brillantes réunions du monde. Ces illusions réveillées amenèrent des imprudences ; on faisait des discours, on chantait, on paraissait aux fenêtres, et des rumeurs populaires accusaient les prisonniers du 10 août de se réjouir des progrès de l’armée du duc de Brunswick et d’en attendre leur délivrance. On se plaignait des lenteurs du tribunal extraordinaire, créé à regret par l’Assemblée législative sur les menaces de la commune ; on croyait à un complot formé dans les prisons pour en enfoncer les portes à l’approche des étrangers, se répandre dans la ville et faire une Saint-Barthélemy des républicains.

La nouvelle de la prise de Longwy et le bruit prématuré de celle de Verdun achevèrent d’exaspérer les masses. Le danger de la patrie fut proclamé, et les sections se réunirent au Champ de Mars. Cependant, des bandes furieuses se portaient aux prisons et établissaient aux guichets extérieurs une sorte de tribunal de sang, destiné à suppléer à l’autre.

A l’Abbaye, les prisonniers étaient réunis dans la chapelle, livrés à leurs conversations ordinaires, quand le cri des guichetiers : « Faites remonter les femmes ! » retentit inopinément. Trois coups de canon et un roulement de tambour ajoutèrent à l’épouvante, et les hommes étant restés seuls, deux prêtres, d’entre les prisonniers, parurent dans une tribune de la chapelle et annoncèrent à tous le sort qui leur était réservé.

Un silence funèbre régna dans cette triste assemblée ; dix hommes du peuple, précédés par les guichetiers, entrèrent dans la chapelle, firent ranger les prisonniers le long du mur, et en comptèrent cinquante-trois.

De ce moment, on fit l’appel des noms, de quart d’heure en quart d’heure, ce temps suffisant à peu près aux jugements du tribunal improvisé à l’entrée de la prison.

Quelques-uns furent épargnés, parmi eux le vénérable abbé Sicard ; la plupart étaient frappés au sortir du guichet par les meurtriers fanatiques qui avaient accepté cette triste tâche. Vers minuit, on cria le nom de Jacques Cazotte.

Le vieillard se présenta avec fermeté devant le sanglant tribunal, qui siégeait dans une petite salle précédant la guichet, et que présidait le terrible Maillard. En ce moment, quelques forcenés demandaient qu’on fît aussi comparaître les femmes, et on les fit en effet descendre une à une dans la chapelle ; mais les membres du tribunal repoussèrent cet horrible vœu, et Maillard, ayant donné l’ordre au guichetier Lavaquerie de les faire remonter, feuilleta l’écrou de la prison et appela Cazotte à haute voix. A ce nom, la fille du prisonnier qui remontait avec les autres femmes, se précipita au bas de l’escalier et traversa la foule au moment où Maillard prononçait le mot terrible : A la Force ! qui voulait dire : A la mort !

La porte extérieure s’ouvrait, la cour entourée de longs cloîtres, où l’on continuait à égorger, était pleine de monde et retentissait encore du cri des mourants ; la courageuse Élisabeth s’élança entre les deux tueurs qui déjà avaient mis la main sur son père, et qui s’appelaient, dit-on, Michel et Sauvage, et leur demanda, ainsi qu’au peuple, la grâce de son père.

Son apparition inattendue, ses paroles touchantes, l’âge du condamné, presque octogénaire, et dont le crime politique n’était pas facile à définir et à constater, l’effet sublime de ces deux nobles figures, touchante image de l’héroïsme filial, émurent des instincts généreux dans une partie de la foule. On cria grâce de toutes parts. Maillard hésitait encore. Michel versa un verre de vin et dit à Élisabeth : « Écoutez, citoyenne, pour prouver au citoyen Maillard que vous n’êtes pas une aristocrate, buvez cela au salut de la nation et au triomphe de la république ! »

La courageuse fille but sans hésiter ; les Marseillais lui firent place et la foule applaudissant s’ouvrit pour laisser passer le père et la fille ; on les reconduisit jusqu’à leur demeure.

On a cherché dans le songe de Cazotte cité plus haut, et dans l’heureuse délivrance chantée par la foule au dénoûment de la scène, quelques rapports vagues de lieux et de détails avec la scène que nous venons de décrire ; il serait puéril de les relever ; un pressentiment plus évident lui apprit que le beau dévouement de sa fille ne pouvait le soustraire à sa destinée.

Le lendemain du jour où il avait été ramené en triomphe par le peuple, plusieurs de ses amis vinrent le féliciter. Un d’eux, M. de Saint-Charles, lui dit en l’abordant : « Vous voilà sauvé ! — Pas pour longtemps, répondit Cazotte en souriant tristement... Un moment avant votre arrivée, j’ai eu une vision. J’ai cru voir un gendarme qui venait me chercher de la part de Pétion ; j’ai été obligé de le suivre ; j’ai paru devant le maire de Paris, qui m’avait fait conduire à la Conciergerie, et de là au tribunal révolutionnaire. Mon heure est venue. »

M. de Saint-Charles le quitta, croyant que sa raison avait souffert des terribles épreuves par lesquelles il avait passé. Un avocat, nommé Julien, offrit à Cazotte sa maison pour asile et les moyens d’échapper aux recherches ; mais le vieillard était résolu à ne point combattre la destinée. Le 11 septembre, il vit entrer chez lui l’homme de sa vision, un gendarme portant un ordre signé Pétion, Paris et Sergent ; on le conduisit à la mairie, et de là à la Conciergerie, où ses amis ne purent le voir. Élisabeth obtint, à force de prières, la permission de servir son père, et demeura dans sa prison jusqu’au dernier jour. Mais ses efforts pour intéresser les juges n’eurent pas le même succès qu’auprès du peuple, et Cazotte, sur le réquisitoire de Fouquier-Tinville, fut condamné à mort après vingt-sept heures d’interrogatoire.

Avant le prononcé de l’arrêt, l’on fit mettre au secret sa fille, dont on craignait les derniers efforts et l’influence sur l’auditoire ; le plaidoyer du citoyen Julienne fit sentir en vain ce qu’avait de sacré cette victime échappée à la justice du peuple ; le tribunal paraissait obéir à une conviction inébranlable.

La plus étrange circonstance de ce procès fut le discours du président Lavau, ancien membre, comme Cazotte, de la société des Illuminés.

« Faible jouet de la vieillesse ! dit-il, toi, dont le cœur ne fut pas assez grand pour sentir le prix d’une liberté sainte, mais qui as prouvé, par ta sécurité dans les débats, que tu savais sacrifier jusqu’à ton existence pour le soutien de ton opinion, écoute les dernières paroles de tes juges ! puissent-elles verser dans ton âme le baume précieux des consolations ! puissent-elles, en te déterminant à plaindre le sort de ceux qui viennent de te condamner, t’inspirer cette stoïcité qui doit présider à tes derniers instants, et te pénétrer du respect que la loi nous impose à nous-mêmes !…Tes pairs t’ont entendu, tes pairs t’ont condamné ; mais au moins, leur jugement fut pur comme leur conscience ; au moins, aucun intérêt personnel ne vint troubler leur décision. Va, reprends ton courage, rassemble tes forces ; envisage sans crainte le trépas ; songe qu’il n’a pas droit de t’étonner : ce n’est pas un instant qui doit effrayer un homme tel que toi. Mais, avant de te séparer de la vie, regarde l’attitude imposante de la France, dans le sein de laquelle tu ne craignais pas d’appeler à grands cris l’ennemi ; vois ton ancienne patrie opposer aux attaques de ses vils détracteurs autant de courage que tu lui as supposé de lâcheté. Si la loi eût pu prévoir qu’elle aurait à prononcer contre un coupable de ta sorte, par considération pour tes vieux ans, elle ne t’eût pas imposé d’autre peine ; mais, rassure-toi ; si elle est sévère, quand elle poursuit, quand elle a prononcé, le glaive tombe bientôt de ses mains ; elle gémit sur la perte même de ceux qui voulaient la déchirer. Regarde-la verser des larmes sur ces cheveux blancs qu’elle a cru devoir respecter jusqu’au moment de ta condamnation ; que ce spectacle porte en toi le repentir ; qu’il t’engage, vieillard malheureux, à profiter du moment qui te sépare encore de la mort, pour effacer jusqu’aux moindres traces de tes complots, par un regret justement senti ! Encore un mot : tu fus homme, chrétien, philosophe, initié, sache mourir en homme, sache mourir en chrétien ; c’est tout ce que ton pays peut encore attendre de toi. »

Ce discours, dont le fond inusité et mystérieux frappa de stupeur l’assemblée, ne fit aucune impression sur Cazotte, qui, au passage où le président tentait de recourir à la persuasion, leva les yeux au ciel et fit un signe d’inébranlable foi dans ses convictions. Il dit ensuite à ceux qui l’entouraient qu’il savait qu’il méritait la mort ; que la loi était sévère, mais qu’il la trouvait juste. Lorsqu’on lui coupa les cheveux, il recommanda de les couper le plus près possible, et chargea son confesseur de les remettre à sa fille, encore consignée dans une des chambres de la prison.

Avant de marcher au supplice, il écrivit quelques mots à sa femme et à ses enfants ; puis, monté sur l’échafaud, il s’écria d’une vois très-haute : « Je meurs comme j’ai vécu, fidèle à Dieu et à mon roi. » L’exécution eut lieu le 25 septembre, à sept heures du soir, sur la place du Carrousel.

Élisabeth Cazotte, fiancée depuis longtemps par son père au chevalier de Plas, officier du régiment de Poitou, épousa, huit ans après, ce jeune homme, qui avait suivi le parti de l’émigration. La destinée de cette héroïne ne devait pas être plus heureuse qu’auparavant : elle périt de l’opération césarienne en donnant le jour à un enfant et en s’écriant qu’on la coupât en morceaux s’il le fallait pour le sauver. L’enfant ne vécut que peu d’instants. Il reste encore cependant plusieurs personnes de la famille de Cazotte. Son fils Scévole, échappé comme par miracle au massacre du 10 août, existe à Paris, et conserve pieusement la tradition des croyances et des vertus paternelles.

GÉRARD DE NERVAL.

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