TEXTES

1824, Poésies diverses (manuscrit autographe)

1824, L’Enterrement de la Quotidienne (manuscrit autographe)

1824, Poésies et poèmes (manuscrit autographe)

1825, « Pour la biographie des biographes » (manuscrit autographe)

15 février 1826 (BF), Napoléon et la France guerrière, chez Ladvocat

19, 22 avril, 14 juin (BF), Complainte sur la mort de haut et puissant seigneur le Droit d’aînesse, chez Touquet

6 mai 1826 (BF), Complainte sur l’immortalité de M. Briffaut, par Cadet Roussel, chez Touquet

6 mai 1826 (BF), Monsieur Dentscourt ou le Cuisinier d’un grand homme, chez Touquet

20 mai 1826 (BF), Les Hauts faits des Jésuites, par Beuglant, chez Touquet

12 août 1826 (BF), Épître à M. de Villèle (Mercure de France du XIXe siècle)

11 novembre 1826 (BF), Napoléon et Talma, chez Touquet

13 et 30 décembre 1826 (BF), L’Académie ou les membres introuvables, par Gérard, chez Touquet

16 mai 1827 (BF), Élégies nationales et Satires politiques, par Gérard, chez Touquet

29 juin 1827, La dernière scène de Faust (Mercure de France au XIXe siècle)

28 novembre 1827 (BF), Faust, tragédie de Goëthe, 1828, chez Dondey-Dupré

15 décembre 1827, A Auguste H…Y (Almanach des muses pour 1828)

1828? Faust (manuscrit autographe)

1828? Le Nouveau genre (manuscrit autographe)

mai 1829, Lénore. Ballade allemande imitée de Bürger (La Psyché)

août 1829, Le Plongeur. Ballade, (La Psyché)

octobre 1829, A Schmied. Ode de Klopstock (La Psyché)

24 octobre 1829, Robert et Clairette. Ballade allemande de Tiedge (Mercure de France au XIXe siècle)

14 novembre 1829, Les Bienfaits de l’enseignement mutuel, Procès verbal de la Loge des Sept-Écossais-réunis, chez Bellemain

21 novembre 1829, Chant de l’épée. Traduit de Korner (Mercure de France au XIXe siècle)

12 décembre 1829, La Mort du Juif errant. Rapsodie lyrique de Schubart (Mercure de France au XIXe siècle)

19 décembre 1829, Lénore. Traduction littérale de Bürger (Mercure de France au XIXe siècle)

2 janvier 1830, La Première nuit du Sabbat. Morceau lyrique de Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)

janvier 1830, La Lénore de Bürger, nouvelle traduction littérale (La Psyché)

16 janvier 1830, Ma Patrie, de Klopstock (Mercure de France au XIXe siècle)

23 janvier 1830, Légende, par Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)

6 février (BF) Poésies allemandes, Klopstock, Goethe, Schiller, Burger (Bibliothèque choisie)

13 février 1830, Les Papillons (Mercure de France au XIXe siècle)

13 février 1830, Appel, par Koerner (1813) (Mercure de France au XIXe siècle)

13 mars 1830, L’Ombre de Koerner, par Uhland, 1816 (Mercure de France au XIXe siècle)

27 mars 1830, La Nuit du Nouvel an d’un malheureux, de Jean-Paul Richter (La Tribune romantique)

10 avril 1830, Le Dieu et la bayadère, nouvelle indienne par Goëthe (Mercure de France au XIXe siècle)

29 avril 1830, La Pipe, chanson traduite de l’allemand, de Pfeffel (La Tribune romantique)

13 mai 1830 Le Cabaret de la mère Saguet (Le Gastronome)

mai 1830, M. Jay et les pointus littéraires (La Tribune romantique)

17 juillet 1830, L’Éclipse de lune. Épisode fantastique par Jean-Paul Richter (Mercure de France au XIXe siècle)

juillet ? 1830, Récit des journées des 27-29 juillet (manuscrit autographe)

14 août 1830, Le Peuple (Mercure de France au XIXe siècle)

30 octobre 1830 (BF), Choix de poésies de Ronsard, Dubellay, Baïf, Belleau, Dubartas, Chassignet, Desportes, Régnier (Bibliothèque choisie)

11 décembre 1830, A Victor Hugo. Les Doctrinaires (Almanach des muses pour 1831)

29 décembre 1830, La Malade (Le Cabinet de lecture )

29 janvier 1831, Odelette, Le Vingt-cinq mars (Almanach dédié aux demoiselles)

14 mars 1831, En avant, marche! (Cabinet de lecture)

23 avril 1831, Bardit, traduit du haut-allemand (Mercure de France au XIXe siècle)

30 avril 1831, Le Bonheur de la maison par Jean-Paul Richter. Maria. Fragment (Mercure de France au XIXe siècle)

7 mai 1831, Profession de foi (Mercure de France au XIXe siècle)

25 juin et 9 juillet 1831, Nicolas Flamel, drame-chronique (Mercure de France au XIXe siècle)

17 et 24 septembre 1831, Les Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre. Conte inédit d’Hoffmann (Mercure de France au XIXe siècle)

4 décembre 1831, Cour de prison, Le Soleil et la gloire (Le Cabinet de lecture)

17 décembre 1831, Odelettes. La Malade, Le Soleil et la Gloire, Le Réveil en voiture, Le Relais, Une Allée du Luxembourg, Notre-Dame-de-Paris (Almanach des muses)

17 décembre 1831, Fantaisie, odelette (Annales romantiques pour 1832)

24 septembre 1832, La Main de gloire, histoire macaronique (Le Cabinet de lecture)

14 décembre 1834, Odelettes (Annales romantiques pour 1835)

1835-1838 ? Lettres d’amour (manuscrits autographes)

26 mars et 20 juin 1836, De l’Aristocratie en France (Le Carrousel)

20 et 26 mars 1837, De l’avenir de la tragédie (La Charte de 1830)

12 août 1838, Les Bayadères à Paris (Le Messager)

18 septembre 1838, A M. B*** (Le Messager)

2 octobre 1838, La ville de Strasbourg. A M. B****** (Le Messager)

26 octobre 1838, Lettre de voyage. Bade (Le Messager)

31 octobre 1838, Lettre de voyage. Lichtenthal (Le Messager)

24 novembre 1838, Léo Burckart (manuscrit remis à la censure)

25, 26 et 28 juin 1839, Le Fort de Bitche. Souvenir de la Révolution française (Le Messager)

13 juillet 1839 (BF) Léo Burckart, chez Barba et Desessart

19 juillet 1839, « Le Mort-vivant », drame de M. de Chavagneux (La Presse)

15 et 16-17 août 1839, Les Deux rendez-vous, intermède (La Presse)

17 et 18 septembre 1839, Biographie singulière de Raoul Spifamme, seigneur des Granges (La Presse)

21 et 28 septembre 1839, Lettre VI, A Madame Martin (Lettres aux belles femmes de Paris et de la province)

28 janvier 1840, Lettre de voyage I (La Presse)

25 février 1840, Le Magnétiseur

5 mars 1840, Lettre de voyage II (La Presse)

8 mars 1840, Lettre sur Vienne (L’Artiste)

26 mars 1840, Lettre de voyage III (La Presse)

28 juin 1840, Lettre de voyage IV, Un jour à Munich (La Presse)

18 juillet 1840 (BF) Faust de Goëthe suivi du second Faust, chez Gosselin

26 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort I (La Presse)

29 juillet, 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort II (La Presse)

30 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort III (La Presse)

11 février 1841, Une Journée à Liège (La Presse)

18 février 1841, L’Hiver à Bruxelles (La Presse)

1841 ? Première version d’Aurélia (feuillets autographes)

février-mars 1841, Lettre à Muffe, (sonnets, manuscrit autographe)

1841 ? La Tête armée (manuscrit autographe)

mars 1841, Généalogie dite fantastique (manuscrit autographe)

1er mars 1841, Jules Janin, Gérard de Nerval (Journal des Débats)

5 mars 1841, Lettre à Edmond Leclerc

7 mars 1841, Les Amours de Vienne (Revue de Paris)

31 mars 1841, Lettre à Auguste Cavé

11 avril 1841, Mémoires d’un Parisien. Sainte-Pélagie en 1832 (L’Artiste)

9 novembre 1841, Lettre à Ida Ferrier-Dumas

novembre? 1841, Lettre à Victor Loubens

10 juillet 1842, Les Vieilles ballades françaises (La Sylphide)

15 octobre 1842, Rêverie de Charles VI (La Sylphide)

24 décembre 1842, Un Roman à faire (La Sylphide)

19 et 26 mars 1843, Jemmy O’Dougherty (La Sylphide)

11 février 1844, Une Journée en Grèce (L’Artiste)

10 mars 1844, Le Roman tragique (L’Artiste)

17 mars 1844, Le Boulevard du Temple, 1re livraison (L’Artiste)

31 mars 1844, Le Christ aux oliviers (L’Artiste)

5 mai 1844, Le Boulevard du Temple 2e livraison (L’Artiste)

12 mai 1844, Le Boulevard du Temple, 3e livraison (L’Artiste)

2 juin 1844, Paradoxe et Vérité (L’Artiste)

30 juin 1844, Voyage à Cythère (L’Artiste)

28 juillet 1844, Une Lithographie mystique (L’Artiste)

11 août 1844, Voyage à Cythère III et IV (L’Artiste)

15 septembre, Diorama (L’Artiste-Revue de Paris)

29 septembre 1844, Pantaloon Stoomwerktuimaker (L’Artiste)

20 octobre 1844, Les Délices de la Hollande I (La Sylphide)

8 décembre 1844, Les Délices de la Hollande II (La Sylphide)

16 mars 1845, Pensée antique (L’Artiste)

19 avril 1845 (BF), Le Diable amoureux par J. Cazotte, préface de Nerval, chez Ganivet

1er juin 1845, Souvenirs de l’Archipel. Cérigo (L’Artiste-Revue de Paris)

6 juillet 1845, L’Illusion (L’Artiste-Revue de Paris)

5 octobre 1845, Strasbourg (L’Artiste-Revue de Paris)

novembre-décembre 1845, Le Temple d’Isis. Souvenir de Pompéi (La Phalange)

28 décembre 1845, Vers dorés (L’Artiste-Revue de Paris)

1er mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste I (L’Artiste-Revue de Paris)

15 mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste II (L’Artiste-Revue de Paris)

1er mai 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne (Revue des Deux Mondes)

17 mai 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste III (L’Artiste-Revue de Paris)

1er juillet 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne. Les Esclaves (Revue des Deux Mondes)

12 juillet 1846 Sensations d’un voyageur enthousiaste IV (L’Artiste-Revue de Paris)

16 août 1846, Un Tour dans le Nord. Angleterre et Flandre (L’Artiste-Revue de Paris)

30 août 1846, De Ramsgate à Anvers (L’Artiste-Revue de Paris)

15 septembre 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne. Le Harem (Revue des Deux Mondes)

20 septembre 1846, Une Nuit à Londres (L’Artiste-Revue de Paris)

1er novembre 1846, Un Tour dans le Nord III (L’Artiste-Revue de Paris)

22 novembre 1846, Un Tour dans le Nord IV (L’Artiste-Revue de Paris)

15 décembre 1846, Scènes de la vie égyptienne moderne. La Cange du Nil (Revue des Deux Mondes)

1847, Scénario des deux premiers actes des Monténégrins

15 février 1847, La Santa-Barbara. Scènes de la vie orientale (Revue des Deux Mondes)

15 mai 1847, Les Maronites. Un Prince du Liban (Revue des Deux Mondes)

15 août 1847, Les Druses (Revue des Deux Mondes)

17 octobre 1847, Les Akkals (Revue des Deux Mondes)

21 novembre 1847, Souvenirs de l’Archipel. Les Moulins de Syra (L’Artiste-Revue de Paris)

15 juillet 1848, Les Poésies de Henri Heine (Revue des Deux Mondes)

15 septembre 1848, Les Poésies de Henri Heine, L’Intermezzo (Revue des Deux Mondes)

7 janvier-24 juin 1849, puis 2 septembre 1849-27 janvier 1850, Al-Kahira. Souvenirs d’Orient (La Silhouette)

1er-27 mars 1849, Le Marquis de Fayolle, 1re partie (Le Temps)

26 avril 16 mai 1849, Le Marquis de Fayolle, 2e partie (Le Temps)

6 octobre 1849, Le Diable rouge (Almanach cabalistique pour 1850)

3 novembre 1849 (BF), Le Diable vert, et Impression de voyage (Almanach satirique, chez Aubert, Martinon et Dumineray)

7 mars-19 avril 1850, Les Nuits du Ramazan (Le National)

15 août 1850, Les Confidences de Nicolas, 1re livraison (Revue des Deux Mondes)

26 août 1850, Le Faust du Gymnase (La Presse)

1er septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 2e livraison (Revue des Deux Mondes)

9 septembre 1850, Excursion rhénane (La Presse)

15 septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 3e livraison (Revue des Deux Mondes)

18 et 19 septembre 1850, Les Fêtes de Weimar (La Presse)

1er octobre 1850, Goethe et Herder (L’Artiste-Revue de Paris)

24 octobre-22 décembre 1850, Les Faux-Saulniers (Le National)

29 décembre 1850, Les Livres d’enfants, La Reine des poissons (Le National)

novembre 1851, Quintus Aucler (Revue de Paris)

24 janvier 1852 (BF), L’Imagier de Harlem, Librairie théâtrale

15 juin 1852, Les Fêtes de mai en Hollande (Revue des Deux Mondes)

1er juillet 1852, La Bohême galante I (L’Artiste)

15 juillet 1852, La Bohême galante II (L’Artiste)

1er août 1852, La Bohême galante III (L’Artiste)

15 août 1852, La Bohême galante IV (L’Artiste)

21 août 1852 (BF), Lorely. Souvenirs d’Allemagne, chez Giraud et Dagneau (Préface à Jules Janin)

1er septembre 1852, La Bohême galante V (L’Artiste)

15 septembre 1852, La Bohême galante VI (L’Artiste)

1er octobre 1852, La Bohême galante VII (L’Artiste)

9 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 1re livraison (L’Illustration)

15 octobre 1852, La Bohême galante VIII (L’Artiste)

23 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 2e livraison (L’Illustration)

30 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 3e livraison (L’Illustration)

1er novembre 1852, La Bohême galante IX (L’Artiste)

6 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 4e livraison (L’Illustration)

13 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 5e livraison (L’Illustration)

15 novembre 1852, La Bohême galante X (L’Artiste)

20 novembre 1852, Les Illuminés, chez Victor Lecou (« La Bibliothèque de mon oncle »)

1er décembre 1852, La Bohême galante XI (L’Artiste)

15 décembre 1852, La Bohême galante XII (L’Artiste)

1er janvier 1853 (BF), Petits Châteaux de Bohême. Prose et Poésie, chez Eugène Didier

15 août 1853, Sylvie. Souvenirs du Valois (Revue des Deux Mondes)

14 novembre 1853, Lettre à Alexandre Dumas

25 novembre 1853-octobre 1854, Lettres à Émile Blanche

10 décembre 1853, Alexandre Dumas, Causerie avec mes lecteurs (Le Mousquetaire)

17 décembre 1853, Octavie (Le Mousquetaire)

1853-1854, Le Comte de Saint-Germain (manuscrit autographe)

28 janvier 1854 (BF) Les Filles du feu, préface, Les Chimères, chez Daniel Giraud

31 octobre 1854, Pandora (Le Mousquetaire)

25 novembre 1854, Pandora, épreuves du Mousquetaire

Pandora, texte reconstitué par Jean Guillaume en 1968

Pandora, texte reconstitué par Jean Senelier en 1975

30 décembre 1854, Promenades et Souvenirs, 1re livraison (L’Illustration)

1854 ? Sydonie (manuscrit autographe)

1854? Emerance (manuscrit autographe)

1854? Promenades et Souvenirs (manuscrit autographe)

janvier 1855, Oeuvres complètes (manuscrit autographe)

1er janvier 1855, Aurélia ou le Rêve et la Vie (Revue de Paris)

6 janvier 1855, Promenades et Souvenirs, 2e livraison (L’Illustration)

3 février 1855, Promenades et Souvenirs, 3e livraison (L’Illustration)

15 février 1855, Aurélia ou Le Rêve et la Vie, seconde partie (Revue de Paris)

15 mars 1855, Desiderata (Revue de Paris)

1866, La Forêt noire, scénario

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BF: annonce dans la Bibliographie de la France

Manuscrit autographe: manuscrit non publié du vivant de Nerval

28 novembre 1827 — La Bibliographie de la France enregistre la publication de Faust, tragédie de Goethe, nouvelle traduction complète en prose et en vers, par Gérard, chez Dondey-Dupré.

<<< Faust, Prologue

<<< Faust, Première partie

<<< Faust, Seconde partie

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NUIT DU SABBAT

Montagne de Harz

(Vallée de Shirk, et désert)

Méphistophélès

N’aurais-tu pas besoin d’un manche à balai ? Quant à moi, je voudrais bien avoir le bouc le plus solide… dans ce chemin, nous sommes encore loin du but.

Faust

Tant que je me sentirai ferme sur mes jambes, ce bâton noueux me suffira. A quoi servirait-il de raccourcir le chemin ? car se glisser dans le labyrinthe des vallées, ensuite gravir ce rocher du haut duquel une source se précipite en bouillonnant, c’est le seul plaisir qui puisse assaisonner une pareille route. Le printems agit déjà sur les bouleaux, et les pins mêmes commencent à sentir son influence : ne doit-il pas agir aussi sur nos membres ?

Méphistophélès

Je n’en sens vraiment rien, j’ai l’hiver dans le corps ; je désirerais sur mon chemin de la neige et de la gelée. Comme le disque épais de la lune rouge élève tristement son éclat tardif ! Il éclaire si mal, qu’on donne à chaque pas contre un arbre ou contre un rocher. Permets que j’appelle un feu follet : j’en vois un là-bas qui brûle assez drôlement. Holà ! l’ami ! oserais-je t’appeler vers nous ? Pourquoi flamber ainsi inutilement ? aie donc la complaisance de nous éclairer jusque là-haut.

Le Follet

J’espère pouvoir, par honnêteté, parvenir à contraindre mon naturel léger, car notre course va habituellement en zigzag.

Méphistophélès

Hé ! hé ! il veut, je pense, singer les hommes. Qu’il marche donc droit au nom du diable, ou bien je souffle son étincelle de vie.

Le Follet

Je m’aperçois bien de vous êtes le maître d’ici, et je m’accommoderai à vous volontiers. Mais pensez donc ! la montagne est bien enchantée aujourd’hui, et si un feu follet doit vous montrer le chemin, vous ne pourrez le suivre bien exactement.

FAUST, MÉPHISTOPHÉLÈS, LE FOLLET

Chœur alternatif

Sur le pays des chimères

Notre vol s’est arrêté,

Fais-nous avec sûreté

Voyager dans ces bruyères,

Ces rocs, ce champ dévasté.

_

Vois ces arbres qui se pressent,

Se froisser rapidement ;

Vois ces rochers qui s’abaissent,

Trembler dans leur fondement.

Entends-tu comme le vent

Parmi ces pics souffle et crie ?

_

Dans ces rocs, avec furie,

Se heurtent fleuve et ruisseau ;

J’entends là le bruit de l’eau,

Si cher à la rêverie ;

Et du ciel les tendres chants

Qu’on espère, qu’on adore,

Et l’écho, qui gronde encore,

Comme les voix des vieux tems.

_

Ou hou ! chouchou ! retentissent

Les chats huans, les geais unissent

L’accord plaintif de leurs voix :

Mais sont-ils seuls dans ces bois ?

Non ; grands os, longues échines,

Salamandres flamboyans,

Et tortueuses racines,

Parmi les rocs, les ruines,

Glissent comme des serpens.

Ces nœuds de bois qui s’enlacent,

Comme un polype aux cent bras,

Partout arrêtent mes pas.

_

Des souris courent et passent,

Ayant soin de se cacher,

Dans la mousse du rocher.

Là, des mouches fugitives

Nous précèdent par milliers,

Et d’étincelles si vives

Illuminent les sentiers.

_

Mais quels menaçans passages

Dis-moi donc si nous restons,

Ou bien si nous avançons :

Là, de perfides branchages,

Là, ce follet incertain

Nous détourne du chemin.

Méphistophélès

Tiens-toi ferme à ma queue ! voici un sommet intermédiaire, d’où l’on voit avec étonnement comme Mammon resplendit dans la montagne.

Faust

Que cet éclat d’un triste crépuscule brille singulièrement dans la vallée ! Il pénètre jusqu’aux profondeurs de l’abîme. Là monte une vapeur, là un nuage déchiré ; là brille une flamme dans l’ombre du brouillard ; tantôt serpentant comme un sentier étroit, tantôt bouillonnant comme une source. Ici, elle ruisselle bien loin par cent jets différens, au travers de la plaine ; puis se réunit en un seul entre des rocs serrés. Près de nous jaillissent des étincelles qui répandent partout une poussière d’or. Mais regarde : dans toute sa hauteur, le mur de rochers s’enflamme.

Méphistophélès

Le seigneur Mammon n’illumine-t-il pas son palais comme il faut pour cette fête ? C’est un bonheur pour toi de voir cela ! Je devine déjà l’arrivée des bruyans convives.

Faust

Comme le vent s’agite dans l’air ! De quels coups il frappe mes épaules.

Méphistophélès

Il faut t’accrocher aux vieux pics, ou il te précipiterait au fond de l’abîme. Un nuage obscurcit la nuit. Ecoute comme les bois crient. Les hiboux fuient épouvantés. Entends-tu éclater les colonnes de ces palais de verdure ? Entends-tu les branches trembler et se briser ? Quel puissant mouvement dans les tiges ! Parmi les racines, quel murmure et quel ébranlement ! Dans leur chute épouvantable et confuse, ils craquent les uns sur les autres, et parmi les cavernes éboulées sifflent et hurlent les tourbillons. Entends-tu ces voix dans les hauteurs, dans le lointain ou tout près ?... Eh oui, la montagne retentit dans toute sa longueur d’un furieux chant magique.

Sorcières, en chœur.

Gravissons le Brocken ensemble,

Le chaume est jaune, le grain vert,

Et c’est là-haut, dans le désert,

Que toute la troupe s’assemble :

Là, monseigneur Urian s’asseoit,

Tout le monde approche et le voit.

Une Voix

La vieille Baubo vient derrière ;

Place au cochon, place à la mère !

Chœur

Honneur sans doute à tout ancien,

Passez Baubo, et passez bien…

D’abord le cochon, puis la mère,

Et puis la maison toute entière.

Une Voix

Par quelle route prends-tu, toi ?

Une Autre

Par celle d’Ilsenstein, où j’aperçois une chouette dans son nid, qui me fait des yeux…

Une Voix

Oh ! viens donc en enfer ; pouquoi cours-tu si vite ?

Une Autre Voix

Elle m’a mordu : vois quelle blessure !

Sorcières, Chœur

La route est longue, et les passans

Sont très-nombreux et très-bruyans ;

Maint balai se brise ou s’arrête,

L’enfant crie, et la mère pète.

Sorciers, Demi-Chœur

Messieurs, nous montons mal vraiment,

Les femmes sont toujours devant ;

Quand le Diable les met en danse,

Elles ont mille pas d’avance.

Autre Demi-Chœur

Voilà parler comme il convient ;

Pour aller au palais du maître,

Il leur faut mille pas peut-être,

Quand d’un seul bond l’homme y parvient.

Voix, d’en haut.

Avancez, avancez, sortez de cette mer de rochers.

Voix, d’en bas.

Nous gagnerions volontiers le haut. Nous barbottons toutes sans cesse, mais notre peine est éternellement infructueuse.

Les Deux Chœurs

Le vent se calme, plus d’étoiles,

La lune se couvre de voiles,

Mais le chœur voltige avec bruit,

Et de mille feux il reluit.

Voix, d’en bas.

Halte ! halte !

Voix, d’en haut.

Qui appelle dans ces fentes de rochers ?

Voix, d’en bas.

Prenez-moi avec vous ; prenez-moi ! Je monte depuis trois cents ans, et ne puis atteindre le sommet ; je voudrais bien me trouver avec mes semblables.

Les Deux Chœurs

Le balai, le bouc, et la fourche

Sont là : que chacun les enfourche !

Aujourd’hui qui n’est point monté

Est perdu pour l’éternité.

Demi-Sorcière, en bas.

De bien travailler je m’honore,

Et pourtant je reste en mon coin ;

Que les autres sont déjà loin,

Quand si bas je me traîne encore !

Chœur de Sorcières

Une auge est un vaisseau fort bon ;

On y met pour voile un torchon,

Car si l’on ne vogue à cette heure,

Sans voguer il faudra qu’on meure.

Les Deux Chœurs

Au sommet nous touchons bientôt,

Que chacun donc se jette à terre,

Et que de là l’armée entière

Partout se répande aussitôt.

(Ils s’arrêtent.)

Méphistophélès

Cela se serre, cela pousse, cela saute, cela glapit, cela siffle et se remue, cela marche et babille, cela reluit, étincelle, pue et brûle ! C’est un véritable élément de sorcières… Allons, ferme, à moi ! ou nous serons bientôt séparés. Où es-tu ?

Faust, dans l’éloignement.

Ici !

Méphistophélès

Quoi ! déjà emporté là-bas ? Il faut que j’use de mon droit de maître du logis. Place ! c’est M. Volant qui vient. Place, bon peuple, place ! Ici, docteur, saisis-moi ! Et maintenant, fendons la presse en un tas ; c’est trop extravagant, même pour mes pareils. Là-bas brille quelque chose d’un éclat singulier. Cela m’attire du côté de ce buisson. Viens ! viens ! nous nous glisserons par là.

Faust

Esprit de contradiction ! Allons, tu peux me conduire. Je pense que c’est bien sagement fait ; nous montons au Brocken dans la nuit du sabbat et c’est pour nous isoler ici à plaisir.

Méphistophélès

Tien, regarde quelles flammes bigarrées ! c’est un club joyeux assemblé. On n’est pas seul avec ces petits êtres.

Faust

Je voudrais bien pourtant être là-haut ! Déjà je vois la flamme et la fumée en tourbillons ; là, la multitude roule vers l’esprit du mal. Il doit s’y dénouer mainte énigme.

Méphistophélès

Mainte énigme s’y noue aussi. Laisse le grand monde bourdonner encore : nous nous reposerons ici en silence. Il est reçu depuis long-tems que dans le grand monde on fait des petits mondes… Je vois là de jeunes sorcières toutes nues, et des vieilles qui se voilent prudemment. Soyez aimables, pour l’amour de moi : c’est une peine légère, et cela aide au badinage. J’entends quelques instrumens ; le maudit charivari ! il faut s’y habituer. Viens donc, viens donc, il n’en peut être autrement ; je marche devant et t’introduis ; c’est encore un nouveau service que je te rends ; qu’en dis-tu, mon cher ? Ce n’est pas une petite place ; regarde seulement là : tu en vois à peine la fin. Une centaine de feux brûlent dans le cercle ; on danse, on babille, on cuit, on boit et on aime ; dis-moi maintenant où il y a quelque chose de mieux.

Faust

Veux-tu, pour nous introduire ici, te produire comme magicien ou comme diable ?

Méphistophélès

Je suis, il est vrai, fort habitué à aller incognito ; un jour de gala cependant on fait voir ses cordons. Une jarretière ne me distingue pas, mais le pied de cheval est ici fort honoré. Vois-tu là cet escargot ? Il arrive en rampant, tout en tâtant avec ses cornes, il aura déjà reconnu quelque chose en moi. Si je veux, aussi bien, je ne me déguiserai pas ici. Viens donc, nous allons de feux en feux : je suis le demandeur, et tu es le galant. (A quelques personnes assises autour des charbons à demi consumés.) Mes vieux messieurs, que faites-vous dans ce coin-ci ? Je vous louerais, si je vous trouvais gentiment placés dans le milieu, au sein du tumulte et d’une jeunesse bruyante. On est toujours assez isolé chez soi.

Général

Aux nations bien fou qui se fiera !

Car c’est en vain qu’on travaille pour elles,

Auprès du peuple, ainsi qu’auprès des belles,

Jeunesse toujours prévaudra.

Ministre

L’avis des vieux me semble salutaire,

Du droit chemin tout s’éloigne à présent,

Au tems heureux que nous régnions, vraiment

C’était l’âge d’or sur la terre.

Parvenu

Nous n’étions pas sots non plus, Dieu merci,

Et nous menions assez bien notre affaire ;

Mais le métier va mal, en ce tems-ci

Que tout le monde veut le faire.

Auteur

Qui peut juger maintenant des écrits

Assez épais, mais remplis de sagesse ?

Nul ici-bas. – Ah ! jamais la jeunesse

Ne fut plus sotte en ses avis.

Méphistophélès, paraissant soudain très vieux.

Tout va périr ; et moi, je m’achemine

Vers le Blocksberg pour la dernière fois ;

Déjà mon vase est troublé. Je le vois,

Le monde touche à sa ruine.

La Sorcière revendeuse.

Messieurs, n’allez pas si vite ! Ne laissez point échapper l’occasion ! Regardez attentivement mes denrées ; il y en a là de bien des sortes. Et cependant, rien dans mon magasin qui ait son égal sur la terre, rien qui n’ait causé une fois un grand dommage aux hommes et au monde. Ici, pas un poignard d’où le sang n’ait coulé ; pas une coupe qui n’ait versé dans un corps entièrement sain un poison actif et dévorant ; pas une parure qui n’ait séduit une femme vertueuse ; pas une épée qui n’ait rompu une alliance, ou frappé quelque ennemi par derrière.

Méphistophélès

Ma mie, vous comprenez mal les tems ; ce qui est fait est fait. Fournissez vous de nouveautés, il n’y a plus que les nouveautés qui nous attirent.

Faust

Que je n’aille pas m’oublier moi-même… J’appellerais cela une foire.

Méphistophélès

Tout ce tourbillon s’élance là-haut, tu crois pousser, tu es poussé.

Faust

Qui est celle-là ?

Méphistophélès

Considère-la bien, c’est Lilith.

Faust

Qui ?

Méphistophélès

La première femme d’Adam. Tiens-toi en garde contre ses beaux cheveux, parure dont elle seule brille : quand elle peut atteindre un jeune homme, elle ne le laisse pas échapper de si tôt.

Faust

En voilà deux assises, une vieille et une jeune : elles ont déjà sauté comme il faut.

Méphistophélès

Aujourd’hui cela ne se donne aucun repos. On passe à une danse nouvelle ; viens maintenant, nous les prendrons.

Faust, dansant avec la jeune.

Hier, un aimable mensonge

Me fit voir un jeune arbre en songe,

Deux beaux fruits y semblaient briller ;

J’y montai : c’était un pommier.

La Belle

Les deux pommes de votre rêve

Sont celles de notre mère Ève ;

Mais vous voyez que le destin

Les mit aussi dans mon jardin.

Méphistophélès, avec la vieille.

Hier, un dégoûtant mensonge

Me fit voir un vieux arbre en songe.

………….

…………..

La Vieille

Salut ! qu’il soit le bien-venu,

Le chevalier au pied cornu !

…………..

…………..

Proctophantasmist

Maudites gens ! Qu’est-ce qui se passe entre vous ? Ne vous a-t-on pas instruit dès long-tems ? Jamais un esprit ne se tient sur ses pieds ordinaires. Vous dansez maintenant comme nous autres hommes.

La Belle, dansant.

Qu’est-ce qu’il veut dans notre bal, celui-ci ?

Faust, dansant.

Eh ! il est le même en tout. Il faut qu’il juge ce que les autres dansent. S’il ne pouvait point dire son avis sur un pas, le pas serait comme non-avenu. Ce qui le pique le plus, c’est de nous voir avancer. Si vous vouliez tourner en cercle, comme il fait dans son vieux moulin, à chaque tour, il trouverait tout bon, surtout si vous aviez bien soin de le saluer.

Proctophantasmist

Vous êtes donc toujours là ! Non, c’est inoui. Disparaissez donc ! Nous avons déjà tout éclairci ; la canaille des diables ne connaît aucun frein ; nous sommes bien prudens, et cependant le creuset est toujours aussi plein. Que de tems n’ai-je pas employé dans cette idée ; et rien ne s’épure. C’est pourtant inoui.

La Belle

Alors, cesse donc de nous ennuyer ici.

Proctophantasmist

Je le dis à votre nez, Esprits : je ne puis souffrir le despotisme d’esprit ; et mon esprit ne peut l’exercer (On danse toujours.) Aujourd’hui, je le vois, rien ne peut me réussir. Cependant je fais toujours un voyage, et l’espère encore à mon dernier pas mettre en déroute les diables et les poètes.

Méphistophélès

Il va de suite se placer dans une mare ; c’est la manière dont il se soulage, et quand une sangsue s’est bien délectée après son derrière, il se trouve guéri des Esprits et de l’esprit. (A Faust, qui a quitté la danse.) Pourquoi donc as-tu laissé partir la jeune fille, qui chantait si agréablement à la danse ?

Faust

Ah ! au milieu de ses chants, une souris rouge s’est élancée de sa bouche.

Méphistophélès

C’était bien naturel ! Il ne faut pas faire attention à ça. Il suffit que la souris ne soit pas grise. Qui peut y attacher de l’importance à l’heure du berger ?

Faust

Que vois-je là ?

Méphistophélès

Quoi ?

Faust

Méphisto, vois-tu une fille pâle et belle qui demeure seule dans l’éloignement ? Elle se retire languissamment de ce lieu et semble marcher les fers aux pieds. Je crois m’apercevoir qu’elle ressemble à la bonne Marguerite.

Méphistophélès

Laisse cela ! personne ne s’en trouve bien. C’est une figure magique, sans vie, une idole. Il n’est pas bon de la rencontrer ; son regard fixe engourdit le sang de l’homme et le change presque en pierre. As-tu déjà entendu parler de la Méduse ?

Faust

Ce sont vraiment les yeux d’un mort, qu’une main chérie n’a point fermés. C’est bien là le sein que Marguerite m’abandonna, c’est bien le corps si doux que je possédai !

Méphistophélès

C’est de la magie, pauvre fou, car chacun croit y rencontrer celle qu’il aime.

Faust

Quelles délices !... et quelles souffrances ! Je ne puis m’arracher à ce regard. Qu’il est singulier, cet unique ruban rouge qui semble parer ce beau cou… pas plus large que le dos d’un couteau !

Méphistophélès

Fort bien ! Je le vois aussi ; elle peut bien porter sa tête sous son bras ; car Persée la lui a coupée. – Toujours cette chimère dans l’esprit ! Viens donc sur cette colline ; elle est aussi gaie que le Prater. Eh ! je ne me trompe pas, c’est un théâtre que je vois. Qu’est-ce qu’on y donne donc ?

Un Servant

On va recommencer une nouvelle pièce ; la dernière des sept. C’est l’usage ici d’en donner autant. C’est un dilettante qui l’a écrite, et ce sont des dilettanti qui la jouent. Pardonnez-moi, messieurs, si je disparais, mais j’aime à lever le rideau.

Méphistophélès

Si je vous rencontre sur le Blocksberg, je le trouve tout simple. Car c’est à vous qu’il appartient d’y être.

______

WALPURGISNACTSTRAUM

(Songe d’une nuit de Sabbat)

ou

NOCES D’OR D’OBÉRON ET DE TITANIA

Intermède

La scène qui va suivre, où Goëthe attaque la foule d’auteurs de son tems, est presque incompréhensible, même pour les Allemands, dans certains passages ; cela en rendait la traduction exacte très-difficile, aussi ne me flatté-je pas d’être parvenu à la rendre claire et élégante autant que précise, mais j’ai tâché d’en éclaircir une partie en me servant des notes de l’édition Sautelet.

Directeur du théâtre

Aujourd’hui nous nous reposons,

Fils de Mieding (1), de notre peine :

Vieille montagne et frais vallons

Formeront le lieu de la scène.

Héraut

Les noces d’or communément

Se font après cinquante années,

Mais les brouilles (2) sont terminées,

Et l’or me plaît infiniment.

Obéron

Messieurs, en cette circonstance,

Montrez votre esprit comme moi ;

Aujourd’hui la reine et le roi

Contractent nouvelle alliance.

Puck (3)

Puck arrive assez gauchement

En tournant son pied en spirales ;

Puis cent autres par intervalles

Autour de lui dansent gaîment.

Ariel (4)

Pour les airs divins qu’il module,

Ariel veut gonfler sa voix ;

Son chant est souvent ridicule,

Mais rencontre assez bien parfois.

Obéron

Notre union vraiment est rare,

Qu’on prenne exemple sur nous deux !

Quand bien long-tems on les sépare,

Les époux s’aiment beaucoup mieux.

Titania

Époux sont unis, Dieu sait comme :

Voulez-vous les mettre d’accord ?...

Au fond du midi menez l’homme,

Menez la femme au fond du nord.

Orchestre. Tutti, fortissimo.

Nez de mouches et becs d’oiseaux,

Avec mille métamorphoses ;

Grenouilles, grillons et crapauds,

Ce sont bien là nos virtuoses.

Solo

De la cornemuse écoutez,

Messieurs, la musique divine :

On entend bien, ou l’on devine

Le schnickschnack qui vous sort du nez.

Esprit, qui vient de se former

A l’embryon qui vient de naître,

Ailes et pattes l’on joindra ;

C’est moins qu’un insecte peut-être…

Mais c’est au moins un opéra.

Un Petit Couple

Dans les brouillards et la rosée

Tu t’élances… à petits pas ;

Ta démarche sage et posée

Nous plaît, mais ne s’élève pas (5).

Un Voyageur curieux

Une mascarade, sans doute,

En ce jour abuse mes yeux ;

Trouverais-je bien sur ma route

Obéron, beau parmi les dieux ?

Orthodoxe

Ni griffes, ni queue, ah ! c’est drôle !

Ils me sont cependant suspects :

Ces diables-là, sur ma parole,

Ressemblent fort aux dieux des Grecs (6).

Artiste du nord

Ébauche, esquisse, ou folie,

Voilà mon travail jusqu’ici ;

Pourtant je me prépare aussi

Pour mon voyage d’Italie.

Puriste

Ah ! plaignez mon malheur, passans,

Mes espérances sont trompées :

Des sorcières qu’on voit céans,

Il n’en est que deux de poudrées.

Jeune Sorcière

Poudres et robes, c’est ce qu’il faut

Aux vieilles qui craignent la vue ;

Pour moi, sur mon bouc, je suis nue,

Car mon corps n’a point de défaut.

Matrone

Ah ! vous serez bientôt des nôtres

Ma chère, je le parierais ;

Votre corps, si jeune et si frais,

Se pourrira, comme tant d’autres.

Maître de chapelle

Nez de mouches et becs d’oiseaux,

Ne me cachez pas la nature ;

Grenouilles, grillons et crapauds,

Restez donc au moins en mesure.

Girouette, tournée d’un côté.

Bonne compagnie en ces lieux :

Hommes, femmes, sont tous, je pense,

Gens de la plus belle espérance ;

Que peut-on désirer de mieux ?

Girouette, tournée d’un autre côté.

Si la terre n’ouvre bientôt

Un abîme à cette canaille,

Dans l’enfer, où je veux qu’elle aille,

Je me précipite aussitôt.

Xénies (7)

Vrais insectes de circonstance,

De bons ciseaux on nous arma,

Pour faire honneur à la puissance

Du grand Satan, notre papa.

Hennings (8)

Ces coquins, que tout homme abhorre,

Naïvement chantent en chœur ;

Auront-ils bien le front encore,

De nous parler de leur bon cœur ?

Musagète (9)

Des sorcières la sombre masse,

Pour mon esprit a mille appas ;

Je saurais mieux guider leurs pas

Que ceux des vierges du Parnasse.

Ci-devant Génie du tems (10)

Les braves gens entrent partout :

Le Blocksberg est un vrai Parnasse…

Prends ma perruque par un bout,

Tout le monde ici trouve place.

Voyageur curieux

Dites-moi, cet homme si grand (11),

Après qui donc court-il si vite ?

Dans tous les coins il va flairant…

Il chasse sans doute au jésuite.

Grue

Quant à moi, je chasse aux poissons

En eau trouble comme en eau claire :

Mais les gens dévots, d’ordinaire,

Sont mêlés avec les démons.

Mondain

Les dévots trouvent dans la foi

Toujours un puissant véhicule,

Et sur le Blocksberg, croyez-moi,

Se tient plus d’un conventicule.

Danseur

Déjà viennent les chœurs nouveaux ;

Quel bruit fait frémir la nature ?

Paix ! du héron dans les roseaux

C’est le monotone murmure.

Dogmatique (12)

Moi, sans crainte je le soutien,

La critque au doute s’oppose,

Car si le diable est quelque chose,

Comment donc ne serait-il rien ?

Idéaliste

La fantaisie, hors de sa route,

Conduit l’esprit je ne sais où,

Aussi, si je suis tout, sans doute

Je ne suis aujourd’hui qu’un fou.

Réaliste

Sondant les profondeurs de l’être,

Mon esprit s’est mis à l’envers ;

A présent, je puis reconnaître,

Que je marche un peu de travers.

Supernaturaliste

Quelle fête ! quelle bombance !

Ah ! vraiment je m’en réjouis,

Puisque, d’après l’enfer, je pense

Pouvoir juger du paradis.

Sceptique

Follets, illusion aimable,

Séduisent beaucoup ces gens-ci ;

Le doute paraît plaire au diable,

Je vais donc me fixer ici.

Maître de chapelle

En mesure ! maudites bêtes !

Nez de mouches et becs d’oiseaux,

Grenouilles, grillons et crapauds,

Ah ! quels dilettanti vous êtes !

Les Souples

Qui peut avoir plus de vertus

Qu’un sans-souci ?... rien ne l’arrête ;

Quand les pieds ne le portent plus,

Il marche très-bien sur la tête.

Les Embarrassés

Autrefois nous vivions gaîment,

Aux bons repas toujours fidèles ;

Mais ayant usé nos semelles,

Nous courons nus-pieds à présent.

Follets

Nous sommes enfans de la boue,

Cependant plaçons-nous devant ;

Car puisqu’ici chacun nous loue,

Il faut prendre un maintien galant.

Étoile, tombée.

Tombée, et gisante sur l’herbe,

Du sort je subis les décrets ;

A ma gloire, à mon rang superbe,

Qui peut me rendre désormais ?

Les Massifs

Place ! place ! au poids formidable,

Qui sur le sol tombe d’aplomb :

Ce sont des esprits !... lourds en diable,

Car ils ont des membres de plomb.

Puck

Gros éléphans, ou pour bien dire,

Esprits, marchez moins lourdement :

Le plus massif, en ce moment,

C’est Puck, dont la face fait rire.

Ariel

Si la nature, ou si l’esprit

Vous pourvut d’ailes azurées,

Suivez mon vol dans ces contrées,

Où la rose pour moi fleurit.

L’Orchestre, pianissimo.

Les brouillards, appuis du mensonge,

S’éclaircissent sur ces coteaux ;

Le vent frémit dans les roseaux…

Et tout a fui comme un vain songe.

___

(1) Chef de troupe au théâtre de Weimar

(2) Allusion aux querelles d’Obéron et de Titania, dans le Songe d’une nuit d’été, de Shakespear. Goëthe semble avoir en vue cette pièce dans le titre et quelques détails de son intermède.

(3) Personnage fantastique de Shakespear. Esprit à la suite d’Obéron, exécutant ses volontés, et le divertissant par ses bouffonneries.

(4) Petit génie aérien, aux ordres du magicien, dans la Tempête.

(5) Peut-être le Petit Couple s’adresse-t-il à Wieland. Au moins, ce qu’il dit paraît convenir merveilleusement à l’Obéron de ce poète, imitateur un peu lourd du divin Arioste.

(6) Schiller ayant composé une Ode fort belle, où il regrettait, en poète, la riante mythologie des Grecs, il y eut, à ce propos, grande rumeur parmi les théologiens allemands ; car, prenant l’Ode au sérieux, ils se fâchèrent tout de bon et crièrent à l’impiété. C’est à ce petit poème, intitulé les Dieux de la Grèce, que Goëthe fait allusion.

(7) Recueil d’épigrammes, recueillies par Goëthe et Schiller, où tout ce qu’il y avait en Allemagne d’écrivains, hors eux, fut passé en revue et moqué. La scène est en enfer, comme ici.

(8) Une des victimes immolées dans les Xénies.

(9) Rédacteur d’un journal littéraire qui avait pour titre : les Muses.

(10) Autre journal rédigé par Hennings. Goëthe y était fort mal traité.

(11) Ceci porte sur Nicolaï, qui publia un Voyage en Europe, où il recherchait curieusement, et dénonçait à l’opinion les hommes par lui soupçonnés d’appartenir au corps des jésuites.

(12) Ici commence une série de philosophes des différentes sectes qui partagent l’Allemagne, et ont de tems en tems partagé le monde. Nous ne nommerons pas les individus, de peur de nous tromper. D’ailleurs, les plaisanteries portant sur les doctrines plus que sur les hommes, elles gagneraient peu à devenir personnelles.

______

JOUR SOMBRE

(Au champ)

FAUST, MÉPHISTOPHÉLÈS

Faust

Dans le malheur !... le désespoir ! Long-tems misérablement égarée sur la terre, et maintenant captive ! Jetée, comme une criminelle, dans un cachot, la douce et malheureuse créature se voit réservée à d’insupportables tortures ! Jusque-là, jusque-là ! — Imposteur, indigne esprit !... et tu me le cachais ! Reste maintenant, reste ! roule avec furie tes yeux diaboliques dans ta tête infâme ! — Reste ! et brave-moi par ton insoutenable présence !... Captive ! accablée d’un malheur irréparable ! abandonnée aux mauvais esprits et à l’inflexible justice des hommes !... Et tu m’entraînes pendant ce temps à de dégoûtantes fêtes, tu me caches sa misère toujours croissante, et tu l’abandonnes sans secours au trépas qui va l’atteindre.

Méphistophélès

Elle n’est pas la première.

Faust

Chien ! exécrable monstre ! — Change-le, esprit infini ! qu’il reprenne sa première forme de chien, sous laquelle il se plaisait souvent à marcher la nuit devant moi, pour se rouler devant les pieds du voyageur tranquille, et se jeter sur ses épaules après l’avoir renversé ! Rends-lui la figure qu’il aime ; que dans le sable, il rampe devant moi sur le ventre, et que je le foule aux pieds, le maudit ! — Ce n’est pas la première ! — Horreur ! horreur, qu’aucune âme humaine ne peut comprendre ! plus qu’une créature plongée dans l’abîme d’une telle infortune ! Et la première, dans les tortures de la mort, n’a pas suffi pour racheter les péchés des autres, aux yeux de l’éternelle miséricorde ! La souffrance de cette seule créature dessèche la moelle de mes os, et dévore tout ce que j’ai de vie ; et toi, tu souris tranquillement à la pensée qu’elle partage le sort d’un millier d’autres.

Méphistophélès

Nous sommes encore aux premières limites de notre esprit, que celui de vous autres hommes est déjà dépassé. Pourquoi marcher dans notre compagnie, si tu ne peux en supporter les conséquences ? Tu veux voler, et n’es pas assuré contre le vertige ! Est-ce nous qui t’avons invoqué, ou si c’est le contraire ?

Faust

Ne grince pas si près de moi tes dents avides. Tu me dégoûtes ! — Sublime Esprit, toi qui m’as jugé digne de te contempler, pourquoi m’avoir accouplé à ce compagnon d’opprobre, qui se nourrit de carnage et se délecte de destruction ?

Méphistophélès

Est-ce fini ?

Faust

Sauve-la !... ou malheur à toi ! La plus horrible malédiction sur toi, pour des milliers d’années.

Méphistophélès

Je ne puis détacher les chaînes de la vengeance, je ne puis ouvrir les verroux. — Sauve-la ! - Qui donc l’a entraînée à sa perte ?... Moi ou toi ? (Faust lance autour de lui des regards sauvages.) Cherches-tu le tonnerre ? Il est heureux qu’il ne soit pas confié à de chétifs mortels. Écraser l’innocent qui résiste, c’est un moyen que les tyrans emploient pour se faire jour en mainte circonstance.

Faust

Conduis-moi où elle est ! il faut qu’elle soit libre !

Méphistophélès

Et le péril auquel tu t’exposes ! Sache que le sang répandu de ta main fume encore dans cette ville. Sur la demeure de la victime planent des esprits vengeurs, qui guettent le retour du meurtrier.

Faust

L’apprendre encore de toi ! Ruine, mort de tout un monde sur toi, monstre ! Conduis-moi, te dis-je, et délivre-la.

Méphistophélès

Je t’y conduis ; quant à ce que je puis faire, écoute ! Ai-je tout pouvoir sur la terre et dans le ciel ? Je brouillerai l’esprit du geolier, et je te mettrai en possession de la clef, il n’y a plus ensuite qu’une main humaine qui puisse la délivrer. Je veillerai, les chevaux enchantés seront prêts, et je vous enlèverai. C’est tout ce que je puis.

Faust

Allons ! partons !

______

LA NUIT, EN PLEIN CHAMP

FAUST, MÉPHISTOPHÉLÈS, galopant sur des chevaux noirs.

Faust

Qui se remue là autour du lieu du supplice ?

Méphistophélès

Je ne sais ni ce qu’ils cuisent, ni ce qu’ils font.

Faust

Ils s’agitent çà et là, se lèvent et se baissent.

Méphistophélès

C’est une communauté de sorciers.

Faust

Ils sèment et consacrent.

Méphistophélès

Passons ! passons !

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CACHOT

Faust, avec un paquet de clefs et une lampe, devant une petite porte de fer

Je sens un frisson inaccoutumé s’emparer lentement de moi. Toute la misère de l’humanité s’appesantit sur ma tête. Ici ! ces murailles humides… voilà le lieu qu’elle habite, et son crime fut une douce erreur ! Faust, tu trembles de t’approcher ! tu crains de la revoir ! Entre donc ! ta timidité hâte l’instant de son supplice.

(Il tourne la clef. On chante au dedans.)

Ma mère, la catin,

Qui m’a tuée,

Mon père, le coquin,

Qui m’a mangée,

Et ma petite sœur, qui m’a jetée dans l’eau,

Où je deviens un bel oiseau :

Vole ! vole ! vole !

Faust, ouvrant la porte.

Elle ne se doute pas que son bien-aimé l’écoute, qu’il entend le cliquetis de ses chaînes et le froissement de sa paille. (Il entre.)

Marguerite, se cachant sous sa couverture.

Hélas ! hélas ! les voilà qui viennent. Que la mort est amère !

Faust, bas.

Paix ! paix ! je viens te délivrer.

Marguerite, se traînant jusqu’à lui.

Es-tu un homme ? tu compatiras à ma misère.

Faust

Tes cris vont éveiller les gardes ! (Il saisit les chaînes pour les détacher.)

Marguerite

Bourreau ! qui t’a donné ce pouvoir sur moi ? tu viens me chercher déjà, à minuit ! Aie compassion de moi, et laisse-moi vivre. Demain, de grand matin, n’est-ce pas assez tôt ? (Elle se lève.) Je suis pourtant si jeune, si jeune, et je dois déjà mourir ! Je fus belle aussi, c’est ce qui causa ma perte. le bien-aimé était près de moi, maintenant il est bien loin ; ma couronne est arrachée, les fleurs en sont dispersées… Ne me saisis pas si brusquement ! épargne-moi ! que t’ai-je fait ? ne sois pas insensible à mes larmes : de ma vie je ne t’ai vu.

Faust

Puis-je résister à ce spectacle de douleur ?

Marguerite

Je suis entièrement en ta puissance ; mais laisse-moi encore allaiter mon enfant. Toute la nuit je l’ai pressé contre mon cœur ; ils viennent de me le prendre pour m’affliger, et disent maintenant que c’est moi qui l’ai tué. Jamais ma gaîté ne me sera rendue. Ils chantent des chansons sur moi ! c’est méchant de leur part ! Il y a un vieux conte qui finit comme cela. A quoi veulent-ils faire allusion ?

Faust, se jetant à ses pieds.

Ton amant est à tes pieds, il cherche à détacher tes chaînes douloureuses.

Marguerite, s’agenouillant aussi.

Oh ! oui, agenouillons-nous pour invoquer les saints ! Vois, sous ces marches, au seuil de cette porte… c’est là que bouillonne l’enfer ! et l’esprit du mal, avec ses grincemens effroyables… quel bruit il fait !

Faust, plus haut.

Marguerite ! Marguerite !

Marguerite, attentive.

C’était la voix de mon ami ! (Elle s’élance, les chaînes tombent.) Où est-il ? je l’ai entendu m’appeler. Je suis libre ! personne ne peut me retenir, et je veux voler dans ses bras, reposer sur son sein ! Il a appelé Marguerite, il était là, sur le seuil. Au milieu des hurlemens et du tumulte de l’enfer, à travers les grincemens, les ris des démons, j’ai reconnu sa voix si douce, si chérie !

Faust

C’est moi-même.

Marguerite

C’est toi ! oh ! redis-le encore ! (Le pressant.) C’est lui ! c’est lui ! Où sont toutes mes peines ? où sont les angoisses de la prison ? où sont les chaînes ?... C’est bien toi ! tu viens me sauver… Me voilà sauvée ! — La voici la rue où je te vis la première fois ! voilà l’agréable jardin où Marthe et moi nous t’attendîmes.

Faust, s’efforçant de l’entraîner.

Viens ! viens avec moi !

Marguerite

Oh ! reste ! reste encore… j’aime tant à être où tu es ! (Elle l’embrasse.)

Faust

Hâte-toi ! nous paierions cher un instant de retard.

Marguerite

Quoi ! tu ne peux plus m’embrasser ? Mon ami, depuis si peu de temps que tu m’as quittée, déjà tu as désappris à m’embrasser ? Pourquoi dans tes bras suis-je si inquiète ?... quand naguère une de tes paroles, un de tes regards m’ouvraient tout le ciel, et que tu m’embrassais à m’étouffer. Embrasse-moi donc ; ou je t’embrasse moi-même ! (Elle l’embrasse.) O Dieu ! tes lèvres sont froides, muettes. Ton amour, où l’as-tu laissé ? qui me l’a ravi ? (Elle se détourne de lui.)

Faust

Viens ! suis-moi ! ma bien-aimée, du courage ! je brûle pour toi de mille feux ; mais suis-moi, c’est ma seule prière !

Marguerite, le fixant.

Est-ce bien toi ? es-tu bien sûr d’être toi ?

Faust

C’est moi ! viens donc !

Marguerite

Tu détaches mes chaînes, tu me reprends contre ton sein… comment se fait-il que tu ne te détournes pas de moi avec horreur ? — Et sais-tu bien, mon ami, sais-tu qui tu délivres ?

Faust

Viens ! viens ! la nuit profonde commence à s’éclaircir.

Marguerite

J’ai tué ma mère ! Mon enfant ! je l’ai noyé ! il te fut donné comme à moi ! oui, à toi aussi. — C’est donc toi !... je le crois à peine. Donne-moi ta main. — Non, ce n’est point un rêve. Ta main chérie !... Ah ! mais elle est humide ! essuie-la donc ! il me semble qu’il y a du sang. Oh Dieu ! qu’as-tu fait ? cache cette épée, je t’en conjure !

Faust

Laisse-là le passé, qui est passé ! Tu me fais mourir.

Marguerite

Non, tu dois me survivre ! Je vais te décrire les tombeaux que tu auras soin d’élever dès demain ; il faudra donner la meilleure place à ma mère, que mon frère soit tout près d’elle, moi, un peu sur le côté, pas trop loin cependant, et le petit contre mon sein droit. Nul autre ne sera donc auprès de moi ! — Reposer à tes côtés, c’eût été un bonheur bien doux, bien sensible ! mais il ne peut m’appartenir désormais. Dès que je veux m’approcher de toi, il me semble toujours que tu me repousses ! Et c’est bien toi pourtant, et ton regard a tant de bonté et de tendresse.

Faust

Puisque tu sens que je suis là, viens donc !

Marguerite

Dehors ?

Faust

A la liberté.

Marguerite

Dehors, c’est le tombeau ! c’est la mort qui me guette !... Viens ! d’ici dans la couche de l’éternel repos, et pas un pas plus loin. — Tu t’éloignes ! ô Henri ! si je pouvais te suivre !

Faust

Tu le peux ! veuille-le seulement, la porte est ouverte.

Marguerite

Je n’ose sortir, il ne me reste plus rien à espérer, et, pour moi, de quelle utilité serait la fuite ? Ils épient mon passage ! Et puis ! se voir réduite à mendier, c’est si misérable, et avec une mauvaise conscience encore ! C’est si misérable d’errer dans l’exil ! et d’ailleurs ils sauraient bien me reprendre.

Faust

Je reste donc avec toi !

Marguerite

Vite, vite ! sauve ton pauvre enfant ! va, suis le chemin le long du ruisseau, dans le sentier, au fond de la forêt, à gauche, où est l’écluse, dans l’étang. Saisis-le vite, il s’élève à la surface, il se débat encore ! sauve-le ! sauve-le !

Faust

Reprends donc tes esprits ; un pas encore, et tu es libre !

Marguerite

Si nous avions seulement dépassé la montagne ! Ma mère est là, assise sur la pierre. Le froid me saisit la nuque ! Ma mère est là, assise sur la pierre, et elle secoue la tête, sans me faire aucun signe, sans cligner de l’œil, sa tête est si lourde, elle a dormi si long-tems !... Elle ne veille plus ! elle dormait pendant nos plaisirs. C’étaient là d’heureux tems !

Faust

Puisque ni larmes ni paroles n’opèrent sur toi, j’oserai t’entraîner loin d’ici.

Marguerite

Laisse-moi ! non, je ne supporterai aucune violence ! Ne me saisis pas si violemment ! je n’ai que trop fait ce qui pouvait te plaire.

Faust

Le jour se montre !... mon amie ! ma bien-aimée !

Marguerite

Le jour ? oui, c’est le jour ! c’est le dernier des miens : il devait être celui de mes noces ! Ne va dire à personne que Marguerite t’a reçu si matin. Ah ! ma couronne !... elle est bien aventurée !... Nous nous reverrons, mais ce ne sera pas à la danse. La foule se presse, on ne cesse de l’entendre ; la place, les rues pourront-elles lui suffire ? La cloche m’appelle, la baguette de justice est brisée. Comme ils m’enchaînent ! comme ils me saisissent ! Je suis déjà enlevée sur l’échafaud, déjà tombe sur le cou de chacun le tranchant jeté sur le mien. Voilà le monde entier muet comme le tombeau !

Faust

Oh ! que ne suis-je jamais né !

Méphistophélès se montre au dehors.

Sortez ! ou vous êtes perdus. Que de paroles inutiles ! que de retards et d’incertitudes ! Mes chevaux s’agitent, et le jour commence à poindre.

Marguerite

Qui s’élève ainsi de la terre ? Lui ! lui ! chasse-le vite ; que vient-il faire dans le saint lieu ?... c’est moi qu’il veut.

Faust

Il faut que tu vives !

Marguerite

Justice de Dieu, je me suis livrée à toi !

Méphistophélès, à Faust.

Viens ! viens ! ou je t’abandonne avec elle sous le couteau !

Marguerite

Je t’appartiens, père ! sauve-moi ! Anges, entourez-moi, protégez-moi de vos saintes armées !... Henri, tu me fais horreur !

Méphistophélès

Elle est jugée !

Voix, d’en haut.

Elle est sauvée !

Méphistophélès, à Faust.

Viens à moi ! (Il disparaît avec Faust.)

Voix, du fond, qui s’affaiblit.

Henri ! Henri !

FIN.

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