TEXTES

1824, Poésies diverses (manuscrit autographe)

1824, L’Enterrement de la Quotidienne (manuscrit autographe)

1824, Poésies et poèmes (manuscrit autographe)

1825, « Pour la biographie des biographes » (manuscrit autographe)

15 février 1826 (BF), Napoléon et la France guerrière, chez Ladvocat

19, 22 avril, 14 juin (BF), Complainte sur la mort de haut et puissant seigneur le Droit d’aînesse, chez Touquet

6 mai 1826 (BF), Complainte sur l’immortalité de M. Briffaut, par Cadet Roussel, chez Touquet

6 mai 1826 (BF), Monsieur Dentscourt ou le Cuisinier d’un grand homme, chez Touquet

20 mai 1826 (BF), Les Hauts faits des Jésuites, par Beuglant, chez Touquet

12 août 1826 (BF), Épître à M. de Villèle (Mercure de France du XIXe siècle)

11 novembre 1826 (BF), Napoléon et Talma, chez Touquet

13 et 30 décembre 1826 (BF), L’Académie ou les membres introuvables, par Gérard, chez Touquet

16 mai 1827 (BF), Élégies nationales et Satires politiques, par Gérard, chez Touquet

29 juin 1827, La dernière scène de Faust (Mercure de France au XIXe siècle)

28 novembre 1827 (BF), Faust, tragédie de Goëthe, 1828, chez Dondey-Dupré

15 décembre 1827, A Auguste H…Y (Almanach des muses pour 1828)

1828? Faust (manuscrit autographe)

1828? Le Nouveau genre (manuscrit autographe)

mai 1829, Lénore. Ballade allemande imitée de Bürger (La Psyché)

août 1829, Le Plongeur. Ballade, (La Psyché)

octobre 1829, A Schmied. Ode de Klopstock (La Psyché)

24 octobre 1829, Robert et Clairette. Ballade allemande de Tiedge (Mercure de France au XIXe siècle)

14 novembre 1829, Les Bienfaits de l’enseignement mutuel, Procès verbal de la Loge des Sept-Écossais-réunis, chez Bellemain

21 novembre 1829, Chant de l’épée. Traduit de Korner (Mercure de France au XIXe siècle)

12 décembre 1829, La Mort du Juif errant. Rapsodie lyrique de Schubart (Mercure de France au XIXe siècle)

19 décembre 1829, Lénore. Traduction littérale de Bürger (Mercure de France au XIXe siècle)

2 janvier 1830, La Première nuit du Sabbat. Morceau lyrique de Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)

janvier 1830, La Lénore de Bürger, nouvelle traduction littérale (La Psyché)

16 janvier 1830, Ma Patrie, de Klopstock (Mercure de France au XIXe siècle)

23 janvier 1830, Légende, par Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)

6 février (BF) Poésies allemandes, Klopstock, Goethe, Schiller, Burger (Bibliothèque choisie)

13 février 1830, Les Papillons (Mercure de France au XIXe siècle)

13 février 1830, Appel, par Koerner (1813) (Mercure de France au XIXe siècle)

13 mars 1830, L’Ombre de Koerner, par Uhland, 1816 (Mercure de France au XIXe siècle)

27 mars 1830, La Nuit du Nouvel an d’un malheureux, de Jean-Paul Richter (La Tribune romantique)

10 avril 1830, Le Dieu et la bayadère, nouvelle indienne par Goëthe (Mercure de France au XIXe siècle)

29 avril 1830, La Pipe, chanson traduite de l’allemand, de Pfeffel (La Tribune romantique)

13 mai 1830 Le Cabaret de la mère Saguet (Le Gastronome)

mai 1830, M. Jay et les pointus littéraires (La Tribune romantique)

17 juillet 1830, L’Éclipse de lune. Épisode fantastique par Jean-Paul Richter (Mercure de France au XIXe siècle)

juillet ? 1830, Récit des journées des 27-29 juillet (manuscrit autographe)

14 août 1830, Le Peuple (Mercure de France au XIXe siècle)

30 octobre 1830 (BF), Choix de poésies de Ronsard, Dubellay, Baïf, Belleau, Dubartas, Chassignet, Desportes, Régnier (Bibliothèque choisie)

11 décembre 1830, A Victor Hugo. Les Doctrinaires (Almanach des muses pour 1831)

29 décembre 1830, La Malade (Le Cabinet de lecture )

29 janvier 1831, Odelette, Le Vingt-cinq mars (Almanach dédié aux demoiselles)

14 mars 1831, En avant, marche! (Cabinet de lecture)

23 avril 1831, Bardit, traduit du haut-allemand (Mercure de France au XIXe siècle)

30 avril 1831, Le Bonheur de la maison par Jean-Paul Richter. Maria. Fragment (Mercure de France au XIXe siècle)

7 mai 1831, Profession de foi (Mercure de France au XIXe siècle)

25 juin et 9 juillet 1831, Nicolas Flamel, drame-chronique (Mercure de France au XIXe siècle)

17 et 24 septembre 1831, Les Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre. Conte inédit d’Hoffmann (Mercure de France au XIXe siècle)

4 décembre 1831, Cour de prison, Le Soleil et la gloire (Le Cabinet de lecture)

17 décembre 1831, Odelettes. La Malade, Le Soleil et la Gloire, Le Réveil en voiture, Le Relais, Une Allée du Luxembourg, Notre-Dame-de-Paris (Almanach des muses)

17 décembre 1831, Fantaisie, odelette (Annales romantiques pour 1832)

24 septembre 1832, La Main de gloire, histoire macaronique (Le Cabinet de lecture)

14 décembre 1834, Odelettes (Annales romantiques pour 1835)

1835-1838 ? Lettres d’amour (manuscrits autographes)

26 mars et 20 juin 1836, De l’Aristocratie en France (Le Carrousel)

20 et 26 mars 1837, De l’avenir de la tragédie (La Charte de 1830)

12 août 1838, Les Bayadères à Paris (Le Messager)

18 septembre 1838, A M. B*** (Le Messager)

2 octobre 1838, La ville de Strasbourg. A M. B****** (Le Messager)

26 octobre 1838, Lettre de voyage. Bade (Le Messager)

31 octobre 1838, Lettre de voyage. Lichtenthal (Le Messager)

24 novembre 1838, Léo Burckart (manuscrit remis à la censure)

25, 26 et 28 juin 1839, Le Fort de Bitche. Souvenir de la Révolution française (Le Messager)

13 juillet 1839 (BF) Léo Burckart, chez Barba et Desessart

19 juillet 1839, « Le Mort-vivant », drame de M. de Chavagneux (La Presse)

15 et 16-17 août 1839, Les Deux rendez-vous, intermède (La Presse)

17 et 18 septembre 1839, Biographie singulière de Raoul Spifamme, seigneur des Granges (La Presse)

21 et 28 septembre 1839, Lettre VI, A Madame Martin (Lettres aux belles femmes de Paris et de la province)

28 janvier 1840, Lettre de voyage I (La Presse)

25 février 1840, Le Magnétiseur

5 mars 1840, Lettre de voyage II (La Presse)

8 mars 1840, Lettre sur Vienne (L’Artiste)

26 mars 1840, Lettre de voyage III (La Presse)

28 juin 1840, Lettre de voyage IV, Un jour à Munich (La Presse)

18 juillet 1840 (BF) Faust de Goëthe suivi du second Faust, chez Gosselin

26 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort I (La Presse)

29 juillet, 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort II (La Presse)

30 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort III (La Presse)

11 février 1841, Une Journée à Liège (La Presse)

18 février 1841, L’Hiver à Bruxelles (La Presse)

1841 ? Première version d’Aurélia (feuillets autographes)

février-mars 1841, Lettre à Muffe, (sonnets, manuscrit autographe)

1841 ? La Tête armée (manuscrit autographe)

mars 1841, Généalogie dite fantastique (manuscrit autographe)

1er mars 1841, Jules Janin, Gérard de Nerval (Journal des Débats)

5 mars 1841, Lettre à Edmond Leclerc

7 mars 1841, Les Amours de Vienne (Revue de Paris)

31 mars 1841, Lettre à Auguste Cavé

11 avril 1841, Mémoires d’un Parisien. Sainte-Pélagie en 1832 (L’Artiste)

9 novembre 1841, Lettre à Ida Ferrier-Dumas

novembre? 1841, Lettre à Victor Loubens

10 juillet 1842, Les Vieilles ballades françaises (La Sylphide)

15 octobre 1842, Rêverie de Charles VI (La Sylphide)

24 décembre 1842, Un Roman à faire (La Sylphide)

19 et 26 mars 1843, Jemmy O’Dougherty (La Sylphide)

11 février 1844, Une Journée en Grèce (L’Artiste)

10 mars 1844, Le Roman tragique (L’Artiste)

17 mars 1844, Le Boulevard du Temple, 1re livraison (L’Artiste)

31 mars 1844, Le Christ aux oliviers (L’Artiste)

5 mai 1844, Le Boulevard du Temple 2e livraison (L’Artiste)

12 mai 1844, Le Boulevard du Temple, 3e livraison (L’Artiste)

2 juin 1844, Paradoxe et Vérité (L’Artiste)

30 juin 1844, Voyage à Cythère (L’Artiste)

28 juillet 1844, Une Lithographie mystique (L’Artiste)

11 août 1844, Voyage à Cythère III et IV (L’Artiste)

15 septembre, Diorama (L’Artiste-Revue de Paris)

29 septembre 1844, Pantaloon Stoomwerktuimaker (L’Artiste)

20 octobre 1844, Les Délices de la Hollande I (La Sylphide)

8 décembre 1844, Les Délices de la Hollande II (La Sylphide)

16 mars 1845, Pensée antique (L’Artiste)

19 avril 1845 (BF), Le Diable amoureux par J. Cazotte, préface de Nerval, chez Ganivet

1er juin 1845, Souvenirs de l’Archipel. Cérigo (L’Artiste-Revue de Paris)

6 juillet 1845, L’Illusion (L’Artiste-Revue de Paris)

5 octobre 1845, Strasbourg (L’Artiste-Revue de Paris)

novembre-décembre 1845, Le Temple d’Isis. Souvenir de Pompéi (La Phalange)

28 décembre 1845, Vers dorés (L’Artiste-Revue de Paris)

1er mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste I (L’Artiste-Revue de Paris)

15 mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste II (L’Artiste-Revue de Paris)

1er mai 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne (Revue des Deux Mondes)

17 mai 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste III (L’Artiste-Revue de Paris)

1er juillet 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne. Les Esclaves (Revue des Deux Mondes)

12 juillet 1846 Sensations d’un voyageur enthousiaste IV (L’Artiste-Revue de Paris)

16 août 1846, Un Tour dans le Nord. Angleterre et Flandre (L’Artiste-Revue de Paris)

30 août 1846, De Ramsgate à Anvers (L’Artiste-Revue de Paris)

15 septembre 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne. Le Harem (Revue des Deux Mondes)

20 septembre 1846, Une Nuit à Londres (L’Artiste-Revue de Paris)

1er novembre 1846, Un Tour dans le Nord III (L’Artiste-Revue de Paris)

22 novembre 1846, Un Tour dans le Nord IV (L’Artiste-Revue de Paris)

15 décembre 1846, Scènes de la vie égyptienne moderne. La Cange du Nil (Revue des Deux Mondes)

1847, Scénario des deux premiers actes des Monténégrins

15 février 1847, La Santa-Barbara. Scènes de la vie orientale (Revue des Deux Mondes)

15 mai 1847, Les Maronites. Un Prince du Liban (Revue des Deux Mondes)

15 août 1847, Les Druses (Revue des Deux Mondes)

17 octobre 1847, Les Akkals (Revue des Deux Mondes)

21 novembre 1847, Souvenirs de l’Archipel. Les Moulins de Syra (L’Artiste-Revue de Paris)

15 juillet 1848, Les Poésies de Henri Heine (Revue des Deux Mondes)

15 septembre 1848, Les Poésies de Henri Heine, L’Intermezzo (Revue des Deux Mondes)

7 janvier-24 juin 1849, puis 2 septembre 1849-27 janvier 1850, Al-Kahira. Souvenirs d’Orient (La Silhouette)

1er-27 mars 1849, Le Marquis de Fayolle, 1re partie (Le Temps)

26 avril 16 mai 1849, Le Marquis de Fayolle, 2e partie (Le Temps)

6 octobre 1849, Le Diable rouge (Almanach cabalistique pour 1850)

3 novembre 1849 (BF), Le Diable vert, et Impression de voyage (Almanach satirique, chez Aubert, Martinon et Dumineray)

7 mars-19 avril 1850, Les Nuits du Ramazan (Le National)

15 août 1850, Les Confidences de Nicolas, 1re livraison (Revue des Deux Mondes)

26 août 1850, Le Faust du Gymnase (La Presse)

1er septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 2e livraison (Revue des Deux Mondes)

9 septembre 1850, Excursion rhénane (La Presse)

15 septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 3e livraison (Revue des Deux Mondes)

18 et 19 septembre 1850, Les Fêtes de Weimar (La Presse)

1er octobre 1850, Goethe et Herder (L’Artiste-Revue de Paris)

24 octobre-22 décembre 1850, Les Faux-Saulniers (Le National)

29 décembre 1850, Les Livres d’enfants, La Reine des poissons (Le National)

novembre 1851, Quintus Aucler (Revue de Paris)

24 janvier 1852 (BF), L’Imagier de Harlem, Librairie théâtrale

15 juin 1852, Les Fêtes de mai en Hollande (Revue des Deux Mondes)

1er juillet 1852, La Bohême galante I (L’Artiste)

15 juillet 1852, La Bohême galante II (L’Artiste)

1er août 1852, La Bohême galante III (L’Artiste)

15 août 1852, La Bohême galante IV (L’Artiste)

21 août 1852 (BF), Lorely. Souvenirs d’Allemagne, chez Giraud et Dagneau (Préface à Jules Janin)

1er septembre 1852, La Bohême galante V (L’Artiste)

15 septembre 1852, La Bohême galante VI (L’Artiste)

1er octobre 1852, La Bohême galante VII (L’Artiste)

9 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 1re livraison (L’Illustration)

15 octobre 1852, La Bohême galante VIII (L’Artiste)

23 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 2e livraison (L’Illustration)

30 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 3e livraison (L’Illustration)

1er novembre 1852, La Bohême galante IX (L’Artiste)

6 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 4e livraison (L’Illustration)

13 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 5e livraison (L’Illustration)

15 novembre 1852, La Bohême galante X (L’Artiste)

20 novembre 1852, Les Illuminés, chez Victor Lecou (« La Bibliothèque de mon oncle »)

1er décembre 1852, La Bohême galante XI (L’Artiste)

15 décembre 1852, La Bohême galante XII (L’Artiste)

1er janvier 1853 (BF), Petits Châteaux de Bohême. Prose et Poésie, chez Eugène Didier

15 août 1853, Sylvie. Souvenirs du Valois (Revue des Deux Mondes)

14 novembre 1853, Lettre à Alexandre Dumas

25 novembre 1853-octobre 1854, Lettres à Émile Blanche

10 décembre 1853, Alexandre Dumas, Causerie avec mes lecteurs (Le Mousquetaire)

17 décembre 1853, Octavie (Le Mousquetaire)

1853-1854, Le Comte de Saint-Germain (manuscrit autographe)

28 janvier 1854 (BF) Les Filles du feu, préface, Les Chimères, chez Daniel Giraud

31 octobre 1854, Pandora (Le Mousquetaire)

25 novembre 1854, Pandora, épreuves du Mousquetaire

Pandora, texte reconstitué par Jean Guillaume en 1968

Pandora, texte reconstitué par Jean Senelier en 1975

30 décembre 1854, Promenades et Souvenirs, 1re livraison (L’Illustration)

1854 ? Sydonie (manuscrit autographe)

1854? Emerance (manuscrit autographe)

1854? Promenades et Souvenirs (manuscrit autographe)

janvier 1855, Oeuvres complètes (manuscrit autographe)

1er janvier 1855, Aurélia ou le Rêve et la Vie (Revue de Paris)

6 janvier 1855, Promenades et Souvenirs, 2e livraison (L’Illustration)

3 février 1855, Promenades et Souvenirs, 3e livraison (L’Illustration)

15 février 1855, Aurélia ou Le Rêve et la Vie, seconde partie (Revue de Paris)

15 mars 1855, Desiderata (Revue de Paris)

1866, La Forêt noire, scénario

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BF: annonce dans la Bibliographie de la France

Manuscrit autographe: manuscrit non publié du vivant de Nerval

10 mars 1849 — Le Marquis de Fayolle, dans Le Temps, 9e livraison.

Au cours de l’algarade devenue une véritable bataille rangée, Georges est blessé, sous les yeux de Gabrielle qui du balcon assiste à la scène. Son trouble n’a pas échappé au marquis de Fayolle qui en avertit son frère le comte de Fayolle, père de la jeune fille.

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LE MARQUIS DE FAYOLLE.

Ire PARTIE. — LES CHOUANS.

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CHAPITRE VI.

LA PLACE PUBLIQUE. — (Suite.)

La place des Cordeliers où se passait la scène que nous essayons de peindre — et qui porte aujourd’hui le nom de place du Palais — n’avait pas alors cette physionomie symétrique et régulière que lui ont donnée les constructions modernes.

Vis-à-vis la rue de Bourbon qui conduit aux quais de la Villaine, on voyait, comme on le voit encore, le Palais-de-Justice, commencé sous Louis XIV sur les dessins de Jacques Desbrosses.

Les sommes que coûta ce temple de la bazoche, assez médiocre en réalité, paraissaient si exagérées que Louis XVI, avec ses idées d’économies bourgeoises, regrettait que le grand roi ne l’eût pas fait construire en écus de six livres.

Mais rien n’était assez beau, assez grandiose pour messieurs du Parlement.

A gauche, en sortant du palais, on trouvait le couvent des Cordeliers (démoli en 1830), qui communiquait par un souterrain au vieux couvent de Saint Georges, agrandi sous Louis XV par la piété d’une dame de Lafayette, et converti depuis la révolution en une caserne d’infanterie.

Un couvent de moines et un couvent de nonnes communiquent par un souterrain. — Quel scandale cela devait produire trois ans plus tard.

Le reste de la place, formant un grand carré, avait gardé sa physionomie du moyen-âge ; les boutiques n’étaient alors que des rez-de-chaussées, humides et obscurs, de maisons en bois et en torchis, avec de petites portes, lourdes et massives, des fenêtres étroites et de longues allées obscures.

En face du couvent des Cordeliers, — on voyait, sur une petite enseigne de bois, noire, deux mains enlacées peintes en jaune, c’était là le café de l’UNION, auquel nous avons déjà rendu visite.

C’est sur cette place, telle que nous venons de la décrire, qu’allait avoir lieu cette lutte étrange des jeunes gens de la bourgeoisie, — plutôt que du peuple — contre ceux de la noblesse. On se serait cru dans une de ces villes italiennes du moyen-âge, — où se livraient des combats entre les grandes maisons rivales, divisées par des haines purement politiques ou religieuses. — Ici un élément nouveau apparaissait, — deux castes ennemies se trouvaient en présence. Quant au peuple, il se divisait en deux partis, — les laquais du côté des nobles, les ouvriers du côté des étudians.

Beau spectacle, pourtant ! — offrant l’image d’un tournoi chevaleresque, — sous les regards des nobles dames, qui encourageaient du regard leurs champions, — tandis que les pauvres bazochiens n’avaient à attendre d’elles que mépris et qu’injures.

Cependant, Gabrielle avait remarqué Georges dans la foule qui s’était rangée devant le café de l’Union. Elle se retourna avec crainte du côté de M. de Tinteniac ; il avait disparu. — Un instant après elle le vit reparaître sur la place, où il se mêla parmi les gentilshommes.

— Hors d’ici les lâches !... cria-t-il en faisant tournoyer son épée.

— Oui !... répondit Georges avec amertume, — ceux-là sont des lâches qui arment leurs valets pour nous assommer...

Les épées furent tirées, — les pistolets armés.

— Retirez-vous ! M. de Boishüe, — dit Moreau avec sang-froid, — votre mère est là au balcon, ne nous forcez pas de vous tuer sous ses yeux.

— Feu !... s’écria Tinteniac.

— Feu !... répéta Moreau.

Vingt coups de feu partirent en même temps des deux côtés... MM. de Saint-Riveul et Boishüe tombèrent morts.

Georges s’élança au premier rang et croisa l’épée avec Tinteniac. Celui-ci, plus expert dans l’art de l’escrime, écarta le fer, lui porta un coup droit et l’atteignit profondément à l’épaule.

Georges tombe.

Un mouvement tumultueux se faisait en ce moment dans la foule, de sorte qu’aucun de ses camarades ne put lui porter secours. Bernadotte venait d’apercevoir le comte de Lamotte, et, perçant jusqu’à lui, à l’aide d’un groupe d’amis, il l’avait pris à la gorge et précipité à genoux. L’épée impuissante du comte roula à terre, et Bernadotte accabla son adversaire des coups du pommeau de la sienne, brisée la veille, en criant : — Tiens, lâche ! tu ne vaux pas un coup de pointe... Ah ! tu ne te bats pas avec un sergent, — mais le sergent a bien le droit de t’assommer, n’est-ce pas ?

Puis, le voyant à terre, il le poussa du pied sans daigner l’achever.

Tels furent les deux épisodes les plus saillans de cette journée.

De tous côtés, gentilshommes et étudians accouraient au bruit et se battaient partout où ils se rencontraient ; — chaque rue, chaque place devint le théâtre d’un duel, et la mêlée ne cessa qu’avec le jour.

La nuit, les nobles enfoncèrent la boutique de l’armurier Jourgeon, brisèrent les banquettes des Etats, et se barricadèrent dans le cloître des Cordeliers.

Le lendemain, la place du Palais était pleine de jeunes gens, accourus de Saint-Malo et des villes voisines.

Enfin, grâce à l’intervention de M. le comte de Thiard, la paix fut rétablie pour quelque temps, et les Nobles consentirent à quitter le couvent des Cordeliers à des conditions assez insolentes, qui pourtant furent acceptées.

CHAPITRE VII.

LES DEUX FRÈRES.

Les Cordeliers venaient d’être évacués par les gentilshommes ; la lutte était finie dans la rue, et la bonne ville de Rennes était retombée dans sa léthargie accoutumée.

Il était près de minuit.

Le comte de Fayolle se promenait seul, soucieux et pensif, dans la chambre qu’il occupait depuis quelques jours à l’hôtel de son frère.

Le marquis entra.

Les premiers jours de son arrivée avaient été complètement absorbés par les visites de ses amis qu’il revoyait après une absence de dix-huit années.

C’était à peine s’il avait trouvé quelques heures pour causer avec le comte son frère

— Tout est calme ? demanda le comte.

— Pour le moment, du moins.

— Oh ! cela ne peut aller bien loin.

— Qui sait ?

— Le général Thiard est un esprit ferme et prudent à la fois.

— Les soldats répriment les émeutes — et précipitent les révolutions.

— Nous n’en sommes pas encore là, Dieu merci.

— Je l’espère... Pourtant les haines me semblent bien vives, entre la noblesse et le peuple... J’ai déjà remarqué les mêmes symptômes à Paris.

— Enfin, Dieu protège la France !

— Dieu protège la France !

— Assieds-toi là, dit le comte, en indiquant à son frère un fauteuil de l’autre côté de la cheminée. Nous avons à causer de choses très sérieuses. — Qu’est-ce donc que cette petite fille que tu nous as ramenée d’Amérique ?

— C’est ma fille.

— Je le suppose... Mais, tu ne t’es pas marié là-bas, je pense.

— Sa mère est morte, — dit le marquis, en évitant de répondre.

— Je comprends, — dit le comte avec un mouvement de satisfaction intérieure, tu as toujours été de ceux qui aiment souvent... mais qui n’épousent jamais.

— D’ici à quelques jours, j’aurai besoin d’argent, dit le marquis avec l’embarras d’un homme qui méprise les détails et qui commence à prévoir le moment où il lui faudra compter.

— De l’argent !... et où veux-tu que j’en prenne ?

— Mais, il me semble que ma fortune...

— Ta fortune ? elle est dans un tel état !... Tu étonnes Paris par un luxe de prince... tu fais des voyages d’Amérique... tu donnes des fêtes magnifiques... Tout cela est fort beau, mais cela coûte, mon cher ! L’argent est rare en Bretagne... et pour éviter le scandale des emprunts hypothécaires, j’ai été forcé d’emprunter, sous-main, à des taux fabuleux.

— C’est bon... nous paierons tout cela.

— Comment ?

— Je n’en sais rien... nous verrons.

— Prends garde, mon frère ; quand une fois on a des dettes, on peut se regarder comme ruiné : ce n’est pas qu’une question de temps ; c’est la pelotte de neige qui grossit... c’est la tache d’huile qui s’étend.

Le marquis fit un mouvement d’impatience.

— Voyons, dit le comte, combien te faut-il ?

— Un bagatelle... une vingtaine de mille livres...

— Vingt mille livres !... c’est beaucoup dans ce moment—ci... enfin, j’en parlerai au père Martinet...

— Qu’est-ce que le père Martinet ?... Un usurier ?...

— C’est un fripon de bas étage qui prête pour ces coquins de premier ordre que l’on nomme traitans.

— Demandes-en au diable si tu veux, pourvu que j’en aie...

— Tu es mon maître... c’est toi l’aîné, la fortune t’appartient... Seulement je te répète de prendre garde... tu vas vite...

— Eh ! mon Dieu ! cela me regarde, — dit le marquis impatienté... Mais toi-même, tu ferais bien de surveiller un peu mieux les affaires de ta maison.

— Que veux-tu dire ?

— On parle beaucoup d’une aventure de ta fille avec un nommé Georges... qui n’a pas d’autre nom...

— Une aventure ?... Un enfantillage tout au plus !

— Tu ne sais pas tout... et cela probablement a été plus loin que tu ne l’imagines.

— Pourquoi cela ?

— Cet après-midi, Gabrielle était à une fenêtre pendant qu’on se battait sur la place du Palais, et, en voyant Georges tomber blessé par Tinteniac, elle a jeté un cri et s’est évanouie.

— Ne veux-tu pas qu’une jeune fille de seize ans voie une bataille du même œil que le prince de Condé ou le maréchal de Saxe ?

— Cette émotion a été jugée différemment par plusieurs personnes... On a parlé de rendez-vous, de sermens.

— Bergerades que tout cela ! et, mieux que personne, tu dois savoir qu’en penser, toi le plus mauvais sujet que je connaisse.

— C’est possible, mais celui qui épouse a le droit de se montrer plus exigeant... et je ne serais pas surpris que, maintenant, M. de Tinteniac n’y regardât à deux fois...

— Comme il lui plaira... je n’ai pas d’ailleurs l’intention de marier ma fille avant un couple d’années... ce n’est encore qu’une enfant...

— Mais après tout, si elle l’aime, ce Georges, pourquoi ne la lui donnerais-tu pas ?...

— Sais-tu ce que c’est que ce garçon ?

— Un enfant trouvé, je crois... un bâtard ?

— Et tu veux que je lui donne ma fille ?

— Pourquoi pas ?

— A un bâtard ?...

— Sans doute... ne sais-tu pas qu’en Espagne, tout bâtard est de droit gentilhomme...

— Parce que ?...

— Parce qu’il est possible qu’il le soit.

— Donner ma fille à ce petit bonhomme, il y aurait de quoi me faire montrer au doigt par tout le monde... et tout le monde aurait raison... Nous ne sommes pas en Espagne, mon cher ami, nous sommes en Bretagne, c’est-à-dire dans un pays où la noblesse est le plus entichée de ses privilèges... Tu me pardonneras de n’avoir pas encore tout à fait dépouillé tous mes vieux préjugés de gentilhomme ; je n’ai pas comme toi passé ma jeunesse à courir le monde et les aventures... Je suis resté claquemuré comme un seigneur du douzième siècle — dans mon vieux château d’Epinay, que j’ai fait restaurer de mon mieux.

— Ton château d’Epinay ?... dit le marquis avec un mouvement de surprise.

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13 mars 1849 — Le Marquis de Fayolle, dans Le Temps, 10e livraison. Pas de feuilleton de Nerval le 12 mars.

Les deux frères en viennent à se remémorer la tragique histoire du comte et de la comtesse de Maurepas, le comte assassiné, la comtesse désormais cloîtrée dans un couvent de Bénédictines. Et tandis que le marquis se rappelle ces événements passés, le comte morigène sa fille.

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LE MARQUIS DE FAYOLLE.

Ire PARTIE. — LES CHOUANS.

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CHAPITRE VII.

LES DEUX FRÈRES. — (Suite).

Le comte de Fayolle reprit :

— Comment ! est-ce que tu ne sais pas que j’ai par ma femme hérité du comte de Maurepas, mort sans héritiers et sans testament ?

— Mais... le comte avait un fils, ou une fille... je ne sais.

— Qui t’a dit cela ?....

— Ma mémoire peut me tromper... mais pourtant il me semble...

— Il te semble... — dit le comte avec un mouvement d’épaules, mais moi, je le sais mieux que personne, puisque j’en ai hérité...

Le marquis demeura un instant pensif, les yeux fixés à terre...

— Tu ne connais pas l’histoire de Maurepas ? — demanda le comte.

— J’ai peu connu le comte... seulement j’ai quelquefois rencontré la comtesse à Paris, chez Mme de Penguern, et je croyais me rappeler...

— Le comte de Maurepas, mon cher, a été assassiné à la porte de son château.

— Assassiné !... s’écria le marquis, qui aussitôt comprima son émotion.

— Je te l’écrivis dans le temps ; mais tu l’auras oublié... peut-être même n’avais-tu pas le temps de lire mes lettres. — Après sa mort, la comtesse resta six mois dans son château sans vouloir voir personne... puis un jour elle alla s’enfermer au couvent des Bénédictines, qui est au milieu de la forêt de Rennes.

Le marquis prit son chapeau et sortit sans laisser une parole d’adieu, sans même prendre garde à ce qu’il faisait... La nuit fatale du 13 janvier venait tout-à-coup de se dresser devant lui avec son drame sanglant, et les conséquences si terribles...

Il revoit la grande salle du château d’Epinay : les portraits de famille, roides et rébarbatifs, s’ennuyant dans leurs cadres enfumés ; la comtesse, évanouie sur le sofa, — le comte debout, l’œil en feu, ses habits en désordre, l’air terrible et menaçant... puis les événemens se suivent, se précipitent avec la rapidité de la foudre...

A dix pas du château, sur la lisière du bois, deux pistolets sont jetés à terre... deux coups de feu partent... Il entend le bruit sourd d’un corps qui tombe lourdement, — le dernier râle de l’agonie.

Il se sent pâlir, une sueur froide perle à son front... et il fuit dans l’ombre, se cachant lâchement, comme un voleur, comme un assassin.

Le marquis, tout à ses souvenirs, laissa tomber son front dans ses deux mains et se prit à pleurer comme un enfant...

CHAPITRE VIII.

CONSEILS D’UN PÈRE À SA FILLE.

La nuit passée au bal de l’hôtel de Fayolle avait étrangement modifié les idées de Gabrielle. Une jeune fille dans un bal, c’est l’ange dans le camp des Philistins : que d’enfans pures qui ignoraient leur beauté, et comme Eve ne savaient pas qu’elles étaient nues, sont revenues de ces fêtes, le corps brûlant, le cœur défloré, la tête agitée.

La lumière des bougies les avaient éclairées sur des choses inconnues : maintenant, enfermées dans leurs robes montantes, elles jalousent les jeunes femmes qui découvrent leurs gorges. La puissance du corset leur est révélée : elles s’étudient à le serrer autour de leur taille, à se plier, se dresser, marcher, prendre des poses gracieuses et irritantes ; la chaleur du bal amollit leur âme, fond leur innocence ; leur imagination inquiète s’égare à la recherche d’un monde inconnu... Des sensations nouvelles, incomprises, les font frissonner, et des rêves étranges tourmentent leurs couches solitaires. Alors, elles parfument leurs corps, frisent leurs cheveux, stylent leurs paroles, dirigent leurs regards, et les dressent à la conquête d’un mari.

Rentrée chez elle, Gabrielle, encore émerveillée des splendeurs de la fête, avait refait toute sa nuit, s’était rappelé le plus léger incident, les paroles les plus insignifiantes... et elle réfléchit longuement.

Quelle différence entre les jugemens du monde auquel elle venait d’être initiée, et l’Eldorado fantastique dans lequel elle s’était endormie jusque-là !... Comme elle eût rougi, la chère enfant, si quelqu’un de ces beaux seigneurs de velours et de satin, ou de ces grandes dames diamantées, avait pu lire au fond de son cœur et connaître son secret !

Quelle figure aurait faite le pauvre Georges, parmi tous ces beaux seigneurs, si fiers, si élégans !... Il y avait donc entre eux une immense différence ! Evidemment, son amour n’avait été qu’une surprise, qu’un rêve... et ce serait vraiment folie à elle que de sacrifier des prérogatives dont elle ne soupçonnait pas l’importance.

A cause d’elle, Georges avait, il est vrai, éprouvé une sanglante injure ; mais aussi à qui la faute ? Pourquoi s’était-il avisé de l’aimer ? Ne devait-il pas sentir la distance que la naissance et la fortune avait mise entre eux ? et même, cet amour — si toutefois on peut appeler amour un enfantillage de quelques mois, — Georges l’avait sans doute oublié, puisqu’on le voyait au premier rang parmi les ennemis les plus acharnés de la noblesse. Voilà ce que disait la raison.

Mais tout aussitôt l’amour lui rappelait Georges tombant sous ses yeux, blessé par Tinteniac, — et, malgré elle, la pauvre enfant, elle se prenait à haïr Tinteniac, et à s’attendrir sur le sort de Georges...

Que pensait-il d’elle à cette heure ? souffrant et malheureux, elle ne pouvait que le plaindre... Arrogant et fier, elle eût pu le haïr et le mépriser, mais la pensée que Georges se mourait peut-être en la maudissant comme une femme fausse et perfide, troublait son sommeil et la faisait cruellement souffrir.

L’entrée de son père chez elle vint interrompre ces profondes méditations.

Malgré la sécurité apparente du comte, les révélations de son frère l’avaient légèrement inquiété ; et il n’était pas fâché de voir jusqu’à quel point ses craintes étaient fondées.

Après quelques paroles insignifiantes, il alla s’asseoir sur un fauteuil auprès de la fenêtre où Gabrielle travaillait habituellement ; et donnant à sa voix l’inflexion la plus caressante :

— Viens ici, dit-il en attirant la jeune fille sur ses genoux, nous avons à causer de choses qui t’intéressent profondément : hier, pendant que M. de Tinteniac et Georges se battaient, tu es tombée évanouie.

— J’ai eu peur, — dit Gabrielle en se sentant rougir.

— Pour lequel ?

— Je n’ai pas pensé...

— Ecoute, mon enfant, nous ne sommes plus au fond des bois, au château d’Epinay, où l’on peut vivre et penser à sa guise ; ici, nos paroles, nos gestes, nos regards même sont jugés, commentés et sévèrement appréciés. — C’est toute une vie à apprendre... Souvent même il nous faut cacher comme des crimes nos pensées les plus innocentes en réalité : ainsi, par exemple, au château, tu aimais M. Georges.

— Je l’aimais... dit Gabrielle avec une petite moue et un mouvement d’épaules... c’est-à-dire qu’il me plaisait un peu…

— Tu sais si là-bas je t’ai jamais fait la moindre observation à cet égard... mais le monde sera moins indulgent peut-être, et tôt ou tard il te jugera sévèrement.

— Que puis-je craindre ?

— Je ne sais, mais sois sûre que M. de Tinteniac recevra d’étranges confidences...

— Que m’importe ?

— Prends garde ! nous autres de la noblesse, nous vivons pour le monde d’abord, et pour nous ensuite. Nous avons un nom qu’il faut transmettre pur et honoré à nos descendans. Aujourd’hui, je puis te parler sérieusement, parce que tu n’es plus une petite fille.

Gabrielle prit la pose et la dignité qui convenait à une grande demoiselle.

Qu’une femme de la bourgeoisie épouse l’homme qui lui plaît, il n’y a aucun inconvénient à cela... mais, nous avons, nous autres, un rang à tenir dans le monde... la chose la plus importante pour nous est donc la fortune... J’en ai très peu, n’étant pas l’aîné, — et tu comprends... Ainsi, admettons que tu aimes ce petit Georges...

— Je ne l’aime pas, mon père, balbutia Gabrielle.

— Quand tu l’aimerais, il n’y aurait pas grand mal à cela... car, comme me disait l’autre jour l’abbé Péchard, on n’est pas maître d’aimer ou de haïr qui l’on veut.

— L’abbé Péchard disait cela !

— Oui, ma fille... tu sais que je n’aime pas beaucoup les prêtres. « Ils ne sont pas ce qu’un vain peuple pense. » C’était l’opinion de M. de Voltaire, et c’est aussi la mienne... mais il en faut. — Péchard est fort tolérant et de bon conseil... Quant à toi, ma fille, tu dois avant tout te garder de compromettre ton avenir... La réputation d’une jeune personne est fragile comme le verre, on ne lui tient aucun compte de son inexpérience, le monde est pour elle d’une sévérité impitoyable, — et la moindre étourderie peut compromettre l’honneur de toute une famille respectable... Une fois mariée, c’est autre chose...

— Mon père...

— Enfin, on fait comme on veut... Dans la noblesse, le mariage, c’est l’indépendance de la femme... elle peut voir et aimer qui bon lui semble, elle a le beau rôle ; — mais avant tout, il faut se marier.

— Oh ! je ne suis pas pressée...

— Je le sais... seulement, il faut, pour l’avenir, te montrer prudente et circonspecte à l’excès... éviter avec le plus grand soin tout ce qui pourrait prêter aux insinuations perfides, aux suppositions malveillantes...

— Je ne vous comprends pas, mon père...

— Pour cela, il faut commencer par avoir en l’abbé Péchard et en moi une confiance illimitée...

— Mais, mon père, je n’ai rien à vous cacher, dit Gabrielle.

— Bien vrai ?

— Je vous jure...

— Attends... Qu’as-tu fait de l’anneau de ta mère que je te donnai quand tu sortis du couvent ?

— J’avais eu peur de le perdre, et je l’ai laissé au château...

— Tu ne mens pas ? dit le marquis lentement.

Gabrielle se troubla sous le regard profond et pénétrant de son père.

— Je l’ai égaré il y a quelque temps, — dit-elle en détournant les yeux. — Je ne voulais pas vous le dire de crainte de vous affliger..

— Tu sais que j’y tenais beaucoup... C’était l’alliance de ta mère... Nos deux noms sont gravés à l’intérieur... Il est très fâcheux que tu l’aies perdu... Mais ce qui serait plus malheureux encore, c’est que cet anneau fût tombé entre les mains d’un jeune homme qui, par fatuité, pourrait le montrer à ses amis... Tu comprends, n’est-ce pas, quelles présomptions cela ferait peser sur toi, et quelle apparence de vérité cela donnerait à ses mensonges...

Gabrielle rougit et pâlit tour à tour. En ce moment elle maudissait Georges et l’inexplicable folie qui l’avait entraînée vers lui...

— Que répondrais-tu, par exemple, à quelqu’un qui viendrait te dire que M. Georges l’a montré à ses amis du café de l’Union ?

— Que c’est un misérable et un lâche ! s’écria Gabrielle avec indignation.

— On ne te croirait pas, ou du moins on ferait semblant de te plaindre d’avoir si mal placé ton affection... Voyons, ma fille, avoue-moi franchement que tu lui as donné cet anneau, et nous verrons ce qui nous reste à faire pour prévenir les suites de ton étourderie...

Touchée par tant de bonté, Gabrielle cacha en pleurant son front rouge de honte dans le sein de son père.

— Il faut redemander cet anneau, — dit le comte, c’est indispensable. — Seulement, si Péchard ou moi exigions que ce jeune homme le rendît — il est probable qu’il nous le refuserait... Il faudrait que la demande soit faite par toi.

— Je n’oserai jamais ! mon père, dit Gabrielle en sanglotant.

— C’est pénible, je le comprends ; mais enfin c’est un mal nécessaire... Tu ne veux pas te retrouver seule avec lui ?

— Oh ! jamais... J’aimerais mieux mourir.

— Eh bien, tu iras trouver Marianne de Renac ; c’est une excellente femme, prudente et de bon conseil ; et elle lui fera comprendre, de ta part, l’indélicatesse et la lâcheté qu’il y aurait à abuser de l’étourderie, de l’inexpérience d’une jeune fille, de son imprudence même...

— Ah ! mon père, c’est une faute que je ne me pardonnerai pas !...

— Aie seulement cet anneau, dit le comte en la baisant au front, et nous verrons, Péchard et moi, ce qui reste à faire.

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14 mars 1849 — Le Marquis de Fayolle, dans Le Temps, 11e livraison.

Remonté à sa mémoire, l’épisode tragique rappelé par son frère suscite chez le marquis de Fayolle le désir d’en savoir plus sur l’enfant né de ses amours adultères. Il se rend donc au couvent des Bénédictines dont Mme de Maurepas est devenue abbesse. Mais, soutenue par le recteur Huguet, cette dernière se montre muette sur l’identité de l’enfant.

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LE MARQUIS DE FAYOLLE.

Ire PARTIE. — LES CHOUANS.

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CHAPITRE IX.

LES BÉNÉDICTINES.

Rentré dans son appartement, le marquis se promena toute la nuit, le front soucieux et penché, les bras croisés sur la poitrine. Il éprouvait pour le sommeil cet insurmontable dégoût que donnent les passions violemment surexcitées.

Oubliés pendant près de vingt années, chassés chaque jour par des distractions nouvelles, ses souvenirs se réveillaient tout-à-coup, vifs et pénétrans comme s’ils étaient de la veille... Jusque-là le marquis n’avait pas attaché plus d’importance à cette aventure qu’aux mille bonnes fortunes qui avaient accidenté sa vie folle et dissipée. Une bonne fortune et un duel, M. de Fayolle ne s’étonnait pas pour si peu... Mais le nom du château d’Epinay, la suppression de l’enfant, brusquement tombés dans la conversation, l’avaient violemment impressionné. Pour la première fois de sa vie, peut-être, il se prenait à réfléchir aux conséquences d’un caprice, d’une fantaisie...

Un mari tué, une femme aimée, un moment du moins, arrachée à une vie douce et tranquille, et ensevelie pour toujours dans l’horreur d’un cloître... Un enfant...

Qu’était devenu cet enfant ?...

Il ne pouvait l’oublier, la comtesse était enceinte, — et même c’était afin de cacher une faute pour laquelle toute excuse était impossible, qu’elle s’était résignée d’abord à suivre le marquis à Paris.

L’arrivée imprévue du marquis de Maurepas avait détruit leurs projets et précipité le dénouement de cette aventure sanglante.

Si l’enfant était mort en venant au monde, pourquoi avoir caché sa naissance ?... S’il était vivant, — pourquoi ne pas lui avoir laissé le nom et la fortune des Maurepas ?...

Pourquoi, enfin, tous ce biens étaient-ils passés entre les mains de son frère ?...

Le lendemain matin, le marquis sortait seul, à cheval, et se dirigeait vers le couvent des Bénédictines, qui se trouvait au milieu de la forêt de Rennes, à quatre lieues de la ville environ.

Les chemins étaient tristes et déserts, le vent se lamentait dans les grands chênes et les bouleaux, courbait les genêts, les bruyères et les ronces, et balayait une petite pluie froide et pénétrante.

Après avoir hermétiquement fermé son manteau et enfoncé son feutre sur ses yeux, le marquis mit son cheval au galop, et une heure après, il voyait à travers les arbres se dessiner les tourelles aiguës du couvent.

Il mit pied à terre, passa la bride de son cheval dans un anneau de fer scellé dans la muraille, et heurta fortement à la petite porte.

— Qui frappe ?... demanda la tourière à travers le guichet grillé.

— Le marquis de Fayolle.

— Que désirez-vous ?

— Voir Mme la comtesse de Maurepas.

— Nous n’avons pas de comtesse dans cette maison, Monsieur ; — il n’y a que des sœurs Bénédictines, et il n’est possible de leur parler qu’en présence de Mme l’abbesse et avec sa permission.

Le marquis tira un calepin et écrivit son nom sur une feuille qu’il déchira :

— Veuillez, je vous prie, demander à madame l’abbesse quelle est celle de vos sœurs qui a porté le nom de comtesse de Maurepas.

La tourière regarda le marquis avec surprise et lui dit :

— Mais c’est l’abbesse elle-même.

— Eh bien ! c’est à elle que je désire parler.

La tourière prit le papier et ouvrit la porte.

Le marquis la suivit au parloir.

Demeuré seul, il se trouva assailli, dominé par de douloureuses pensées.

Après vingt ans, son passé entr’ouvrait le sépulcre d’un cloître pour lui rappeler les fautes de sa jeunesse : son crime se parait des formes les plus séduisantes, les plus gracieuses...

Il retrouvait Hélène comme il l’avait vue à Paris, dans le salon de Mme de Penguern, avec ses grands yeux noirs, si doux et si tristes à la fois, comme si elle eût déjà pressenti tous les malheurs qui l’attendaient.

En levant les yeux, il vit venir vers lui une femme enveloppée d’une large robe noire, et la tête entièrement couverte d’un long voile blanc.

C’était comme un fantôme glissant sans bruit sur les losanges noirs et blancs du cloître.

Un grillage de bois, peint en noir, les séparait :

— Vous avez demandé à me parler, Monsieur, dit Hélène en écartant légèrement son voile.

D’un regard, le marquis comprit toutes les souffrances passées de cette femme.

Ses grands yeux, cerclés de noir, étaient fatigués par les larmes, et une idée fixe avait creusé, entre ses sourcils, une ride perpendiculaire. Son nez maigri s’était légèrement recourbé sur ses lèvres serrées, et le menton paraissait plus vigoureusement accentué.

Dans ce regard froid, sur ces joues pâlies, il lisait une fierté que rien n’avait pu dompter : mais, sous ce masque impénétrable, il lui était impossible de lire ce qui se passait au fond du cœur.

— Je vous demande pardon, Madame, d’avoir troublé la paix de votre solitude, dit le marquis en s’efforçant de cacher son émotion ; mais vous comprenez, j’espère, que je n’ai cédé qu’à un sentiment impérieux et irrésistible.

— J’ai moi-même hésité longtemps à vous recevoir, monsieur, dit la comtesse d’une voix parfaitement claire ; mais l’abbé Huguet, mon directeur, m’a fait comprendre qu’une dernière entrevue était nécessaire.

— Vous comprenez alors, Madame, le motif de ma visite ?...

— Je le pense, Monsieur.

— Voudrez-vous bien m’apprendre, Madame, ce qu’est devenu l’enfant...

Une vive rougeur colora subitement le front de la comtesse.

— Impossible, Monsieur, — dit-elle en reprenant aussitôt toute son impassibilité.

— Permettez-moi, Madame, — dit le marquis, avec une politesse froide et pleine de dignité, — de vous rappeler que je ne suis pas tout-à-fait un étranger pour vous.

— Je le sais, Monsieur.

— Cet enfant, Madame, vous l’avez abandonné.

— Ç’a été la plus cruelle punition que le ciel ait pu m’infliger.

Le marquis crut voir une larme dans ses yeux...

— Mais il avait, en venant au monde, un nom, une position, une famille... Pourquoi l’avoir déshérité de tout cela ? Vous avez été bien cruelle, Madame !

— N’est-ce pas ? dit la comtesse, — avec un sourire ironique, — à ce crime d’adultère, il fallait joindre le vol... jeter dans une famille, qui m’avait donné son nom, — l’enfant d’un autre homme...

— Et de quel droit, Madame, avez-vous puni cet enfant d’une faute qui n’était pas la sienne ?

— Je n’ai rien fait, Monsieur, que d’après les conseils de personnes plus sages et plus éclairées que moi.

— Enfin, Madame, je ne veux point ajouter mes reproches aux remords que vous avez dû éprouver... Je suis seul coupable, et je veux seul réparer autant qu’il sera en mon pouvoir — tout le mal que j’ai fait... Est-ce une fille ?...

La comtesse baissa les yeux et demeura impassible.

— Je veux lui rendre possible son entrée dans le monde, dans le cas où ses goûts ne lui permettraient pas de passer sa vie dans un cloître...

La comtesse ne leva pas les yeux.

— Si c’est un garçon... dit le marquis en accentuant lentement ses paroles, en cherchant à pénétrer cette femme plus froide en apparence que les dalles de marbre du parloir, — si c’est un garçon, je le placerai à Kergus (1), sous le nom d’un de nos parens éloignés... et peut-être qu’un jour il pourra, par quelque action d’éclat, effacer la tache de sa naissance.

La comtesse n’eut pas l’air de comprendre... Seulement un observateur plus attentif eût pu voir ses lèvres frémir et un frisson courir par tous ses membres.

— Mais répondez-moi donc, Madame, dit le marquis, exaspéré de cette froideur glaciale, de cette insensibilité de statue... C’est de mon enfant que je vous parle !...

La comtesse laissa retomber son voile et fit un mouvement pour se retirer. Derrière elle la porte d’une cellule s’ouvrit.

Huguet entra.

Les deux hommes se regardèrent en face un instant. Ils ne s’étaient pas vus jusque-là. Huguet ne connaissait le marquis que par ce qu’il en avait ouï raconter au château d’Epinay.

Il salua le marquis avec une dignité froide, et s’approchant de la grille :

— Madame n’a pas de secrets pour moi, Monsieur, je suis son directeur... et elle m’a confié les douleurs de sa vie passée...

— Ah ! dit le marquis en le toisant du regard, — c’est vous, Monsieur, qui avez pu conseiller à une mère d’abandonner son enfant ?...

— C’est moi, Monsieur — dit Huguet avec fierté, qui n’ai pas voulu que le fils d’un étranger héritât d’un nom et d’une fortune qui ne lui appartenaient pas... C’est moi qui n’ai pas voulu que l’enfant du crime souillât les saintes joies de la maternité...

Hélène cacha son front dans ses deux mains et laissa couler ses larmes qu’elle ne pouvait plus comprimer.

— Je crois, comme vous à la nécessité d’une expiation, M. l’abbé, — dit le marquis, voulant essayer la persuasion, — et je viens vous supplier de m’en donner la possibilité.

— Vous avez attendu dix-neuf ans, monsieur le marquis ?...

— Il n’est jamais trop tard pour se repentir, monsieur l’abbé.

— C’est vrai, Monsieur ; mais de quel droit venez-vous réclamer un bonheur dont vous n’êtes pas digne ?

— Monsieur !... dit le marquis avec fierté. — Puis, se radoucissant tout à coup. — En venant ici, j’ai cru accomplir un devoir que me prescrivait ma conscience... J’ai offert une réparation, vous la refusez... Vous avez sans doute, pour vous montrer aussi sévère, des motifs que je ne connais pas... Mais permettez-moi de vous faire une dernière observation. — Dans toute la France, les esprits sont irrités, la lutte des parlemens contre la royauté peut amener une guerre civile... Hier, Monsieur, sur la place des Cordeliers, le sang a coulé.

— Le sang a coulé !... dit Huguet en pâlissant.

— Les gentilshommes se sont battus contre le peuple et les étudians... des deux côtés, il y a eu des morts et des blessés...

La comtesse poussa un cri étouffé et se sentit chanceler...

Huguet prit son bras pour l’empêcher de tomber... et regardant le comte avec anxiété, il fut un instant sur le point de tout lui avouer...

— Voyez, monsieur l’abbé, ajouta le marquis avec émotion, — si vous voulez m’exposer à tuer mon fils ou à être tué par lui...

— Votre fils !... dit l’abbé d’une voix attendrie et tendant à travers les barreaux une main tremblante...

Il s’arrêta tout à coup ; — il venait de voir Péchard qui sortait de la sacristie et se dirigeait de leur côté...

— Dieu ne l’a pas voulu !... ajouta-t-il en soutenant la comtesse qui s’affaissait, brisée par sa douleur. — Encore ce sacrifice, Madame, et Dieu veuille que ce soit le dernier !...

Huguet entraîna la comtesse demi-morte. Un instant le marquis les regarda s’éloigner, — puis il sortit sans remarquer le salut obséquieux que lui adressait l’abbé Péchard.

Depuis longtemps déjà, il y avait entre ces deux prêtres une haine sourde, une inimitié violente qui s’était plus nettement dessinée, plus vigoureusement accusée le jour où Georges fut chassé du château d’Epinay.

Huguet avait pour Péchard ce froid dédain, cette profonde indifférence, qu’ont les hommes supérieurs par l’intelligence et par le cœur pour les natures mauvaises et les esprits bornés : ce sentiment toutefois, n’allait pas jusqu’à troubler la parfaite sérénité de son cœur et à diminuer l’amour immense qu’il avait pour l’humanité tout entière.

(1) C’était une sorte d’école militaire où l’on plaçait les enfants nobles, illégitimes ou sans fortune..

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15 mars 1849 — Le Marquis de Fayolle, dans Le Temps, 12e livraison.

À Rennes, à la suite de l’échauffourée, Georges, blessé, a été conduit chez les demoiselles de Renac, « de saintes filles qui auront pour lui tous les soins que réclame sa position » sur les ordres de Péchard qui fait miroiter aux yeux de Georges la perspective d’apprendre le secret de sa haute naissance et arrange une entrevue avec Gabrielle.

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LE MARQUIS DE FAYOLLE.

Ire PARTIE. — LES CHOUANS.

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CHAPITRE IX.

LES BÉNÉDICTINES. — (Suite.)

Le recteur voyait en Péchard une créature méchante, dont il se bornait à éviter le contact, sans chercher à lui rendre les coups détournés qu’il en avait reçus déjà.

Mais dans le crâne étroit de Péchard, la haine pour Huguet était devenue une passion violente, un tourment continuel.

Il souffrait à la fois de cette supériorité, qui le rapetissait à ses yeux, et de ce dédain qu’il sentait mérité.

Malgré ses fréquentes insinuations sur les croyances peu orthodoxes du recteur, et quoiqu’il eût énergiquement et savamment combattu plusieurs de ses opinions entachées d’hérésie, — Péchard n’avait pu détruire l’influence que ce dernier exerçait sur l’abbesse, — ce qui, par conséquent, le reléguait dans une position secondaire.

Plusieurs fois déjà, il avait éveillé les scrupules de la comtesse, alarmé sa conscience, inquiété son esprit, et toujours, quoi qu’il eût pu faire, elle s’obstinait à garder Huguet pour confesseur, bien que Péchard fût le directeur de la plupart des autres religieuses.

Avec la finesse et la pénétration qu’acquièrent les esprits étroits tournant sans cesse dans le même cercle d’idées, Péchard venait de comprendre qu’il y avait entre Huguet et la comtesse un secret terrible.

La mort de M. de Maurepas, tué à la porte de son château le soir même de son arrivée ; le silence de Jean le Chouan et de sa femme qui avaient toujours refusé de répondre à ses questions ; cette ferme de la Haie que la comtesse leur avait donnée en les renvoyant... cette vocation subite qui l’avait fait s’enfermer dans un couvent, à vingt-deux ans, belle, riche, veuve et sans enfans... Si encore elle avait eu pour son mari une de ces passions violentes qui rendent le monde odieux et la solitude nécessaire... Mais tout le monde savait que leur mariage n’avait été qu’une affaire de convenance arrangée par les grands-parens et subie par les époux.

L’arrivée du marquis au couvent et sa visite à la comtesse qu’il avait fort peu fréquentée, jetaient sur ces conjectures une demi-clarté.

Comment expliquer aussi cet amour si profond de Huguet pour Georges ?

D’où venait-il ce Georges ?... un enfant trouvé...

Mais, en y réfléchissant davantage, Péchard se disait :

S’il était le fils de la comtesse, Georges aurait le nom et les biens des Maurepas... Pour quel motif la mère l’en eût-elle dépouillé ?...

Les âmes inférieures, habituées à tout juger au point de vue de l’intérêt, ne soupçonnent pas même chez les autres les sentimens dont elles-mêmes n’auraient jamais été capables. Le conseil donné par Huguet à la comtesse de ne point donner le nom et la fortune de son mari à un enfant étranger, — que cependant la loi des hommes eût reconnu pour légitime, — était donc lettre close pour Péchard.

Il imaginait plutôt que l’enfant avait dû naître quelque temps avant la mort du comte.

Il aimait à se dire même que Huguet pouvait bien être le père.

Mais alors, comment expliquer la visite du marquis de Fayolle au couvent ?

Enfin, il y avait sur tout cela un voile qu’il espérait ne pas tarder à soulever ; il se hâta de repartir pour Rennes, où il n’avait plus qu’à poursuivre une manœuvre déjà commencée.

CHAPITRE X.

L’ENTREVUE.

Voici ce qui était arrivé à la suite du combat de la place des Cordeliers. M. de Thiard, avec ses chasseurs, ayant fini par dissiper l’émeute, — des deux côtés l’on s’empressait de relever les morts et les blessés couchés sur la place du Palais.

Au coin de la rue Saint-François, Péchard avait aperçu deux étudians qui portaient sur un brancard Georges évanoui par suite du coup d’épée qu’il avait reçu de Tinteniac.

— Pauvre enfant ! dit l’abbé d’un ton paterne, il expie cruellement les malheurs d’une éducation vicieuse... Je connais ce jeune homme, dit-il aux étudians. Il est à Rennes seul, sans famille... Portez-le ici près, chez les demoiselles de Renac ; — ce sont de saintes filles qui auront pour lui tous les soins que réclame sa position.

Un quart d’heure après, Georges était couché dans une chambre, chez mesdemoiselles de Renac.

Un médecin pansait sa blessure, et Marianne, assise à son chevet, veillait sur lui avec la touchante sollicitude d’une sœur de charité.

Marianne et Madeleine de Renac occupaient une petite maison, entre cour et jardin, un peu au-dessous de la préfecture. La cour donnait sur la rue qui longe la promenade dite la Mothe-à-Madame, et le jardin du Thabor.

Il était midi ; Marianne était occupée à tricoter dans une grande pièce très propre, servant à la fois de salon et de chambre à coucher, lambrissée à hauteur d’appui et tapissée d’un papier fond bleu avec des fleurs impossibles et des oiseaux invraisemblables.

C’était une petite femme de trente ans, pâle, maigre et austère, vivant fort retirée et ne connaissant de la ville de Rennes, où pourtant elle était née, que le trajet de sa maison à l’église et de l’église à sa maison.

Madeleine, de quelques années plus jeune que sa sœur, avait pour elle une amitié qui était presque de l’adoration ; elle s’efforçait de l’imiter en tout et de s’effacer, pour ainsi dire, derrière elle.

Le lendemain, Georges était hors de danger, et sa blessure ne présentait plus beaucoup de gravité.

En reprenant connaissance, il avait été contrarié de se trouver chez les demoiselles de Renac, qui appartenaient à la noblesse. — Cela pouvait le compromettre auprès de ses amis.

Son mécontentement redoubla quand il apprit que c’était par les soins de Péchard qu’il avait été transporté dans cette maison.

Georges était peu favorablement prévenu en faveur de Péchard, dont il connaissait l’esprit cauteleux et dissimulé.

Mais il se rassura promptement : le médecin qui pansa sa blessure l’assura qu’il pourrait sortir sous quelques jours, en portant son bras en écharpe.

Un instant après, l’abbé Péchard lui faisait demander la permission de le voir.

Georges eût bien voulu éviter cette politesse ironique, mais comment ?... On avait eu pour lui, dans cette maison, les soins les plus affectueux et les plus empressés... seulement, il souffrait de se trouver forcément lié par la reconnaissance à la caste qu’il abhorrait, — en ce moment surtout.

Péchard entra.

Georges tourna la tête et prit un air très souffrant pour éviter toute explication.

Après quelques banalités dévotes sur les avertissemens envoyés par le ciel, sur les châtimens infligés par le Seigneur à ses enfans bien-aimés...

— Mon cher enfant, — dit Péchard d’un ton paterne, que le premier coup qui vous frappe vous mette en garde contre les mauvais exemples et les conseils perfides qui vous précipitent dans la voie de la perdition.

— Je ne suis pas encore guéri, monsieur l’abbé, répondit Georges d’une voix faible. — Les sermons me font mal... Une autre fois, si vous le permettez.

— J’ai quelques mots seulement à vous dire, mon enfant. — Il y a deux sortes d’amis : ceux qui approuvent toujours, et ceux qui ont une voix sévère, de salutaires conseils pour les fautes qu’ils voient commettre.

Georges ferma les yeux et n’eut pas l’air de comprendre.

— Aujourd’hui, mon fils, nous vous voyons avec peine parmi les ennemis les plus acharnés du trône et de l’autel... Déjà le Seigneur vous a châtié... prenez garde...

— Eh ! Monsieur, — dit Georges en rejetant brusquement la couverture, et le regardant avec des yeux brillans de fièvre, — si je suis l’ennemi des nobles, si j’ai juré de les combattre jusqu’à la mort, — à qui la faute ? — Avez-vous oublié la scène du château d’Epinay ?... Qui m’en a fait chasser ?... Qui donc a égayé la noble assemblée de mes aveux surpris, de mes confidences écoutées ?... Voyons, monsieur l’abbé, quand on est l’ennemi des gens, il faut avoir le courage de le leur dire en face.

— Moi, votre ennemi, Georges ?... Ah ! vous me connaissez mal ; je n’eus jamais dans le cœur d’inimitié pour personne, contre vous surtout, l’enfant d’adoption du révérend ecclésiastique que j’estime et honore plus que personne au monde, tout en déplorant souvent ses erreurs philosophiques...

Je vous aime, Georges, comme un fils bien-aimé ; j’espère un jour vous en donner des preuves irrécusables... Seulement, alors, je dus me montrer sévère et impitoyable pour une faiblesse qui ne pouvait que vous rendre malheureux. Sans le vouloir et par la force des choses, vous vous trouviez fatalement entraîné vers une jeune fille appartenant aux premières familles du pays... J’ignorais à cette époque le secret de votre naissance... Aujourd’hui...

— Aujourd’hui ?... s’écria Georges en se levant à demi, et regardant Péchard avec un inexprimable sentiment d’anxiété.

— Aujourd’hui, — reprit l’abbé. — Je n’ai encore que des soupçons, des pressentimens, graves à la vérité... mais j’attendrai d’avoir des preuves certaines, palpables, pour vous dire : voilà votre famille... voilà votre mère !...

— Eh ! Monsieur, — dit Georges en se laissant retomber affaissé sur son lit, — que puis-je attendre de parens qui m’ont abandonné pendant près de vingt années ?

— Si c’est une faute, si c’est un crime, nous appellerons l’expiation par le repentir... Et si, comme je l’espère, votre nom vous le permet, je serai le premier à bénir votre amour.

— Mon amour ?... dit Georges avec colère. J’ai pu aimer la jeune fille timide, l’ange que j’avais rêvé ; mais je n’ai plus que du dédain pour la femme qui vient froidement s’accouder à un balcon pendant que des hommes s’égorgent.

— Eh ! mon Dieu, mon enfant, qui peut sonder les replis mystérieux du cœur des femmes ? Qui vous assure que Gabrielle n’a été attirée que par une curiosité barbare ? N’y avait-il pas dans la foule quelqu’un à qui elle s’intéressait ? Croyez-vous que la haine puisse remplacer aussi subitement une tendre affection dans le cœur candide d’une jeune fille ?

— C’est vrai : M. de Tinteniac était là, dit Georges avec amertume.

— Mieux que moi, reprit l’abbé avec un sourire insinuant, — Mlle de Fayolle pourra vous expliquer le motif qui l’avait attirée à cette fenêtre.

Georges le regarda avec surprise... La porte s’ouvrit.

Gabrielle parut suivie de Mlle de Renac.

L’abbé se retira discrètement en leur adressant un salut.

Dans cette chambre haute et froide, à laquelle l’ordre minutieux répandu partout donnait une empreinte austère, après la visite d’un prêtre et les émotions étranges que ses paroles avaient excitées dans l’âme du jeune homme, l’apparition de Gabrielle avait quelque chose de céleste. Toute la méfiance de Georges, tout son ressentiment, toute son indifférence affectée disparurent comme un brouillard que percent les rayons du jour. Qui n’a admiré avec un charme mêlé de tristesse ces vieilles peintures de jeunes femmes du temps passé, dont la beauté fraîche et radieuse se détache sur le fond bruni d’une ancienne toile tout écaillée. L’œil est vert, le sourcil trace un arc délié qui fait ressortir la blancheur mate du front, la chevelure d’or crespelé fuit sur les tempes en boucles légèrement tordues, la bouche petite et ferme a pris la teinte du grenat, la ligne majestueuse du nez révèle une haute origine ; — il y a dans ces figures quelque chose de l’aïeule et quelque chose de l’enfant... Seulement, elles sont un peu pâles.

Mlle Gabrielle de Fayolle était déjà devenue telle à force d’inquiétude et de douleur, — ou, peut-être encore, à la suite des nuits passées au bal et des impressions du monde nouveau qui s’était ouvert devant elle.

Ce n’était plus, dans tous les cas, la petite fille, à demi paysanne, qui courait les prés avec Georges, qui l’accompagnait à la ferme, — si bien qu’il n’avait jamais pu songer, dans ce temps-là, à la différence de leurs conditions. La soie, le velours et la dentelle étaient aussi pour quelque chose dans cette transformation..

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