TEXTES
1824, Poésies diverses (manuscrit autographe)
1824, L’Enterrement de la Quotidienne (manuscrit autographe)
1824, Poésies et poèmes (manuscrit autographe)
1825, « Pour la biographie des biographes » (manuscrit autographe)
15 février 1826 (BF), Napoléon et la France guerrière, chez Ladvocat
6 mai 1826 (BF), Complainte sur l’immortalité de M. Briffaut, par Cadet Roussel, chez Touquet
6 mai 1826 (BF), Monsieur Dentscourt ou le Cuisinier d’un grand homme, chez Touquet
20 mai 1826 (BF), Les Hauts faits des Jésuites, par Beuglant, chez Touquet
12 août 1826 (BF), Épître à M. de Villèle (Mercure de France du XIXe siècle)
11 novembre 1826 (BF), Napoléon et Talma, chez Touquet
13 et 30 décembre 1826 (BF), L’Académie ou les membres introuvables, par Gérard, chez Touquet
16 mai 1827 (BF), Élégies nationales et Satires politiques, par Gérard, chez Touquet
29 juin 1827, La dernière scène de Faust (Mercure de France au XIXe siècle)
28 novembre 1827 (BF), Faust, tragédie de Goëthe, 1828, chez Dondey-Dupré
15 décembre 1827, A Auguste H…Y (Almanach des muses pour 1828)
1828? Faust (manuscrit autographe)
1828? Le Nouveau genre (manuscrit autographe)
mai 1829, Lénore. Ballade allemande imitée de Bürger (La Psyché)
août 1829, Le Plongeur. Ballade, (La Psyché)
octobre 1829, A Schmied. Ode de Klopstock (La Psyché)
24 octobre 1829, Robert et Clairette. Ballade allemande de Tiedge (Mercure de France au XIXe siècle)
21 novembre 1829, Chant de l’épée. Traduit de Korner (Mercure de France au XIXe siècle)
19 décembre 1829, Lénore. Traduction littérale de Bürger (Mercure de France au XIXe siècle)
janvier 1830, La Lénore de Bürger, nouvelle traduction littérale (La Psyché)
16 janvier 1830, Ma Patrie, de Klopstock (Mercure de France au XIXe siècle)
23 janvier 1830, Légende, par Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)
6 février (BF) Poésies allemandes, Klopstock, Goethe, Schiller, Burger (Bibliothèque choisie)
13 février 1830, Les Papillons (Mercure de France au XIXe siècle)
13 février 1830, Appel, par Koerner (1813) (Mercure de France au XIXe siècle)
13 mars 1830, L’Ombre de Koerner, par Uhland, 1816 (Mercure de France au XIXe siècle)
27 mars 1830, La Nuit du Nouvel an d’un malheureux, de Jean-Paul Richter (La Tribune romantique)
29 avril 1830, La Pipe, chanson traduite de l’allemand, de Pfeffel (La Tribune romantique)
13 mai 1830 Le Cabaret de la mère Saguet (Le Gastronome)
mai 1830, M. Jay et les pointus littéraires (La Tribune romantique)
juillet ? 1830, Récit des journées des 27-29 juillet (manuscrit autographe)
14 août 1830, Le Peuple (Mercure de France au XIXe siècle)
11 décembre 1830, A Victor Hugo. Les Doctrinaires (Almanach des muses pour 1831)
29 décembre 1830, La Malade (Le Cabinet de lecture )
29 janvier 1831, Odelette, Le Vingt-cinq mars (Almanach dédié aux demoiselles)
14 mars 1831, En avant, marche! (Cabinet de lecture)
23 avril 1831, Bardit, traduit du haut-allemand (Mercure de France au XIXe siècle)
7 mai 1831, Profession de foi (Mercure de France au XIXe siècle)
25 juin et 9 juillet 1831, Nicolas Flamel, drame-chronique (Mercure de France au XIXe siècle)
4 décembre 1831, Cour de prison, Le Soleil et la gloire (Le Cabinet de lecture)
17 décembre 1831, Fantaisie, odelette (Annales romantiques pour 1832)
24 septembre 1832, La Main de gloire, histoire macaronique (Le Cabinet de lecture)
14 décembre 1834, Odelettes (Annales romantiques pour 1835)
1835-1838 ? Lettres d’amour (manuscrits autographes)
26 mars et 20 juin 1836, De l’Aristocratie en France (Le Carrousel)
20 et 26 mars 1837, De l’avenir de la tragédie (La Charte de 1830)
12 août 1838, Les Bayadères à Paris (Le Messager)
18 septembre 1838, A M. B*** (Le Messager)
2 octobre 1838, La ville de Strasbourg. A M. B****** (Le Messager)
26 octobre 1838, Lettre de voyage. Bade (Le Messager)
31 octobre 1838, Lettre de voyage. Lichtenthal (Le Messager)
24 novembre 1838, Léo Burckart (manuscrit remis à la censure)
25, 26 et 28 juin 1839, Le Fort de Bitche. Souvenir de la Révolution française (Le Messager)
13 juillet 1839 (BF) Léo Burckart, chez Barba et Desessart
19 juillet 1839, « Le Mort-vivant », drame de M. de Chavagneux (La Presse)
15 et 16-17 août 1839, Les Deux rendez-vous, intermède (La Presse)
17 et 18 septembre 1839, Biographie singulière de Raoul Spifamme, seigneur des Granges (La Presse)
28 janvier 1840, Lettre de voyage I (La Presse)
25 février 1840, Le Magnétiseur
5 mars 1840, Lettre de voyage II (La Presse)
8 mars 1840, Lettre sur Vienne (L’Artiste)
26 mars 1840, Lettre de voyage III (La Presse)
28 juin 1840, Lettre de voyage IV, Un jour à Munich (La Presse)
18 juillet 1840 (BF) Faust de Goëthe suivi du second Faust, chez Gosselin
26 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort I (La Presse)
29 juillet, 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort II (La Presse)
30 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort III (La Presse)
11 février 1841, Une Journée à Liège (La Presse)
18 février 1841, L’Hiver à Bruxelles (La Presse)
1841 ? Première version d’Aurélia (feuillets autographes)
février-mars 1841, Lettre à Muffe, (sonnets, manuscrit autographe)
1841 ? La Tête armée (manuscrit autographe)
mars 1841, Généalogie dite fantastique (manuscrit autographe)
1er mars 1841, Jules Janin, Gérard de Nerval (Journal des Débats)
5 mars 1841, Lettre à Edmond Leclerc
7 mars 1841, Les Amours de Vienne (Revue de Paris)
31 mars 1841, Lettre à Auguste Cavé
11 avril 1841, Mémoires d’un Parisien. Sainte-Pélagie en 1832 (L’Artiste)
9 novembre 1841, Lettre à Ida Ferrier-Dumas
novembre? 1841, Lettre à Victor Loubens
10 juillet 1842, Les Vieilles ballades françaises (La Sylphide)
15 octobre 1842, Rêverie de Charles VI (La Sylphide)
24 décembre 1842, Un Roman à faire (La Sylphide)
19 et 26 mars 1843, Jemmy O’Dougherty (La Sylphide)
11 février 1844, Une Journée en Grèce (L’Artiste)
10 mars 1844, Le Roman tragique (L’Artiste)
17 mars 1844, Le Boulevard du Temple, 1re livraison (L’Artiste)
31 mars 1844, Le Christ aux oliviers (L’Artiste)
5 mai 1844, Le Boulevard du Temple 2e livraison (L’Artiste)
12 mai 1844, Le Boulevard du Temple, 3e livraison (L’Artiste)
2 juin 1844, Paradoxe et Vérité (L’Artiste)
30 juin 1844, Voyage à Cythère (L’Artiste)
28 juillet 1844, Une Lithographie mystique (L’Artiste)
11 août 1844, Voyage à Cythère III et IV (L’Artiste)
15 septembre, Diorama (L’Artiste-Revue de Paris)
29 septembre 1844, Pantaloon Stoomwerktuimaker (L’Artiste)
20 octobre 1844, Les Délices de la Hollande I (La Sylphide)
8 décembre 1844, Les Délices de la Hollande II (La Sylphide)
16 mars 1845, Pensée antique (L’Artiste)
19 avril 1845 (BF), Le Diable amoureux par J. Cazotte, préface de Nerval, chez Ganivet
1er juin 1845, Souvenirs de l’Archipel. Cérigo (L’Artiste-Revue de Paris)
6 juillet 1845, L’Illusion (L’Artiste-Revue de Paris)
5 octobre 1845, Strasbourg (L’Artiste-Revue de Paris)
novembre-décembre 1845, Le Temple d’Isis. Souvenir de Pompéi (La Phalange)
28 décembre 1845, Vers dorés (L’Artiste-Revue de Paris)
1er mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste I (L’Artiste-Revue de Paris)
15 mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste II (L’Artiste-Revue de Paris)
1er mai 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne (Revue des Deux Mondes)
17 mai 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste III (L’Artiste-Revue de Paris)
12 juillet 1846 Sensations d’un voyageur enthousiaste IV (L’Artiste-Revue de Paris)
16 août 1846, Un Tour dans le Nord. Angleterre et Flandre (L’Artiste-Revue de Paris)
30 août 1846, De Ramsgate à Anvers (L’Artiste-Revue de Paris)
20 septembre 1846, Une Nuit à Londres (L’Artiste-Revue de Paris)
1er novembre 1846, Un Tour dans le Nord III (L’Artiste-Revue de Paris)
22 novembre 1846, Un Tour dans le Nord IV (L’Artiste-Revue de Paris)
15 décembre 1846, Scènes de la vie égyptienne moderne. La Cange du Nil (Revue des Deux Mondes)
1847, Scénario des deux premiers actes des Monténégrins
15 février 1847, La Santa-Barbara. Scènes de la vie orientale (Revue des Deux Mondes)
15 mai 1847, Les Maronites. Un Prince du Liban (Revue des Deux Mondes)
15 août 1847, Les Druses (Revue des Deux Mondes)
17 octobre 1847, Les Akkals (Revue des Deux Mondes)
21 novembre 1847, Souvenirs de l’Archipel. Les Moulins de Syra (L’Artiste-Revue de Paris)
15 juillet 1848, Les Poésies de Henri Heine (Revue des Deux Mondes)
15 septembre 1848, Les Poésies de Henri Heine, L’Intermezzo (Revue des Deux Mondes)
1er-27 mars 1849, Le Marquis de Fayolle, 1re partie (Le Temps)
26 avril 16 mai 1849, Le Marquis de Fayolle, 2e partie (Le Temps)
6 octobre 1849, Le Diable rouge (Almanach cabalistique pour 1850)
7 mars-19 avril 1850, Les Nuits du Ramazan (Le National)
15 août 1850, Les Confidences de Nicolas, 1re livraison (Revue des Deux Mondes)
26 août 1850, Le Faust du Gymnase (La Presse)
1er septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 2e livraison (Revue des Deux Mondes)
9 septembre 1850, Excursion rhénane (La Presse)
15 septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 3e livraison (Revue des Deux Mondes)
18 et 19 septembre 1850, Les Fêtes de Weimar (La Presse)
1er octobre 1850, Goethe et Herder (L’Artiste-Revue de Paris)
24 octobre-22 décembre 1850, Les Faux-Saulniers (Le National)
29 décembre 1850, Les Livres d’enfants, La Reine des poissons (Le National)
novembre 1851, Quintus Aucler (Revue de Paris)
24 janvier 1852 (BF), L’Imagier de Harlem, Librairie théâtrale
15 juin 1852, Les Fêtes de mai en Hollande (Revue des Deux Mondes)
1er juillet 1852, La Bohême galante I (L’Artiste)
15 juillet 1852, La Bohême galante II (L’Artiste)
1er août 1852, La Bohême galante III (L’Artiste)
15 août 1852, La Bohême galante IV (L’Artiste)
21 août 1852 (BF), Lorely. Souvenirs d’Allemagne, chez Giraud et Dagneau (Préface à Jules Janin)
1er septembre 1852, La Bohême galante V (L’Artiste)
15 septembre 1852, La Bohême galante VI (L’Artiste)
1er octobre 1852, La Bohême galante VII (L’Artiste)
9 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 1re livraison (L’Illustration)
15 octobre 1852, La Bohême galante VIII (L’Artiste)
23 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 2e livraison (L’Illustration)
30 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 3e livraison (L’Illustration)
1er novembre 1852, La Bohême galante IX (L’Artiste)
6 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 4e livraison (L’Illustration)
13 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 5e livraison (L’Illustration)
15 novembre 1852, La Bohême galante X (L’Artiste)
20 novembre 1852, Les Illuminés, chez Victor Lecou (« La Bibliothèque de mon oncle »)
1er décembre 1852, La Bohême galante XI (L’Artiste)
15 décembre 1852, La Bohême galante XII (L’Artiste)
1er janvier 1853 (BF), Petits Châteaux de Bohême. Prose et Poésie, chez Eugène Didier
15 août 1853, Sylvie. Souvenirs du Valois (Revue des Deux Mondes)
14 novembre 1853, Lettre à Alexandre Dumas
25 novembre 1853-octobre 1854, Lettres à Émile Blanche
10 décembre 1853, Alexandre Dumas, Causerie avec mes lecteurs (Le Mousquetaire)
17 décembre 1853, Octavie (Le Mousquetaire)
1853-1854, Le Comte de Saint-Germain (manuscrit autographe)
28 janvier 1854 (BF) Les Filles du feu, préface, Les Chimères, chez Daniel Giraud
31 octobre 1854, Pandora (Le Mousquetaire)
25 novembre 1854, Pandora, épreuves du Mousquetaire
Pandora, texte reconstitué par Jean Guillaume en 1968
Pandora, texte reconstitué par Jean Senelier en 1975
30 décembre 1854, Promenades et Souvenirs, 1re livraison (L’Illustration)
1854 ? Sydonie (manuscrit autographe)
1854? Emerance (manuscrit autographe)
1854? Promenades et Souvenirs (manuscrit autographe)
janvier 1855, Oeuvres complètes (manuscrit autographe)
1er janvier 1855, Aurélia ou le Rêve et la Vie (Revue de Paris)
6 janvier 1855, Promenades et Souvenirs, 2e livraison (L’Illustration)
3 février 1855, Promenades et Souvenirs, 3e livraison (L’Illustration)
15 février 1855, Aurélia ou Le Rêve et la Vie, seconde partie (Revue de Paris)
15 mars 1855, Desiderata (Revue de Paris)
1866, La Forêt noire, scénario
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BF: annonce dans la Bibliographie de la France
Manuscrit autographe: manuscrit non publié du vivant de Nerval
22 mars 1849 — Le Marquis de Fayolle, dans Le Temps, 17e livraison.
Deux ans ont passé, Huguet a emmené Georges avec lui à Paris pour le soustraire aux recherches du marquis de Fayolle. Nous sommes en janvier 1791. À Rennes, où le club des amis de la Constitution tient ses séances dans la salle des Cordeliers, un homme, Martinet, se fait remarquer par son enthousiasme républicain.
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LE MARQUIS DE FAYOLLE.
Ire PARTIE. — LES CHOUANS.
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CHAPITRE XIII.
LE CLUB DE RENNES.
Deux années s’étaient écoulées depuis le jour où l’abbé Huguet était parti de Rennes, emmenant avec lui Georges à Paris pour le soustraire aux recherches du marquis de Fayolle.
La Révolution, comme un torrent, tombait des hauteurs de la montagne, menaçant d’entraîner tous les débris de la vieille société.
Quoiqu’en apparence indifférent et résigné, le clergé n’avait pas perdu sans un profond chagrin ses grands biens et ses privilèges.
Il jeta un long cri d’alarme et se leva en masse, quand parut la nouvelle constitution civile du clergé.
Alors, il répandit, avec une profusion étonnante, des mandemens incendiaires, des bulles, des ordonnances ; fulmina l’anathème et la damnation éternelle, et accusa de schisme, d’hérésie, d’intrusion, d’apostasie, de sacrilège, de simonie, — les prêtres qui juraient fidélité à la constitution.
De ce moment, les campagnes se soulèvent : des paysans armés commettent des crimes isolés, mais se rattachant tous à une même pensée, convergeant tous vers un même but.
Disséminés sur les points les plus importans de la Bretagne et de la Vendée, les prêtres fouillent adroitement le terrain, flattent les intérêts blessés, les croyances froissées, et préparent de longue main ce brigandage si fameux sous le nom de CHOUANNERIE.
Cette guerre fut-elle ainsi nommée à cause des quatre frères Chouan dont le nom est assez connu dans cette partie de la Bretagne, et qui, les premiers, acquirent une triste célébrité ? ou à cause du chat-huant, du Chouan, dont le cri leur servait de signal ?...
C’est ce que les vieux chouans eux-mêmes n’ont pu nous dire.
Mais le clergé ne pouvait, comme au temps de Jules II, descendre dans l’arène, le casque en tête et l’épée au poing, il lui fallait un moyen d’action sur les paysans simples et crédules qu’il avait soulevés.
Cet auxiliaire était trouvé : la noblesse, en général, était peu enthousiaste des bienfaits de la révolution ; et si quelques-uns étaient venus avec M. Le Prévost de la Voltais, réclamer devant la municipalité de Rennes le titre de citoyen, et se soumettre aux lois établies, la plus grande partie n’avait vu s’évanouir qu’avec rage ses prérogatives et ses privilèges, et cherchait tous les moyens de les reconquérir.
Les circonstances politiques étaient on ne peut plus favorables à l’accomplissement de leurs projets : le pouvoir n’était nulle part ; l’ennemi partout.
Dans cette cour, qui entretenait des correspondances avec l’Europe coalisée contre nous ;
Dans les pétitions des Girondins ;
Dans l’émigration qui fomentait la résistance intérieure, payait la trahison, et laissait nos places fortes sans défense, quand les Prussiens étaient à nos frontières.
Alors, blessée au cœur, la France avait rugi d’indignation, et des points les plus opposés était parti ce cri sublime :
LA PATRIE EST EN DANGER !
La Patrie est en danger, et les navires anglais croisent en vue de nos côtes, laissées sans défense.
En Bretagne, les Chouans étaient devenus fiers et arrogans. Chaque jour, de nouveaux crimes, de nouvelles tentatives d’insurrection étaient dénoncées à la municipalité de Rennes par les districts environnans.
On saisissait chez le maire de Moisdon des cocardes blanches, un drapeau blanc, des armes et des munitions... A Mordelles, aux portes de Rennes, les paysans se soulevaient. — A Redon, Saint-Brice, Louvigné, des rassemblemens considérables parcouraient les campagnes, égorgeaient les patriotes aux cris de Vive le roi ! vivent les aristocrates !
Pas un bourg, pas un village, pas un hameau, qui ne soit le foyer d’une insurrection partielle, où il ne se commette des horreurs... et toujours à la tête des insurgés ce sont des prêtres réfractaires qui poussent au meurtre et au pillage de pauvres paysans égarés.
Ces excès expliquent et justifient les précautions que dut prendre la municipalité de Rennes et la surveillance active qu’elle dut exercer.
Les églises des paroisses soulevées et les chapelles des religieux furent fermées « afin, dit le rapport du conseil municipal, qu’elles cessent d’être plus longtemps le rendez-vous scandaleux des ennemis de la nation. »
Si le danger était pressant, la surveillance était active et la résistance opiniâtre. Depuis la fuite du roi, des clubs s’étaient organisés dans toutes les villes. Là se rassemblait cette fraction généreuse et intelligente du peuple qui avait formulé ses plaintes aux Etats-Généraux.
Affiliées au club des Jacobins de Paris et aux clubistes de Londres, les sociétés populaires d’Angers, Brest, Fougères, Rennes, Carhaix, Montfort, Lorient, Morlaix, Nantes, Pontivy, Quimper, Saint-Malo, Saint-Brieuc, Vannes, entretenaient une correspondance active, où l’on discutait tous les intérêts particuliers et généraux : l’on s’informait des mesures prises pour la sûreté générale... Dévoûmens obscurs et ignorés de patriotes qui, chargés par leurs concitoyens de veiller à l’indépendance du pays, exposent hardiment leurs vies et leurs fortunes, et envoient, sur tous les points menacés, des armes, des gardes nationaux et des cartouches !
Le club des amis de la Constitution tenait ses séances à Rennes, dans la salle des Cordeliers.
C’était une grande pièce froide et nue, blanchie à la chaux. — A un bout, dans un grand cadre de bois noir, la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. En face, un grand poële de fonte servait plus à orner qu’à chauffer la salle.
Autour d’une grande table ronde, couverte d’un tapis de serge verte, sur lequel étaient jetés çà et là des encriers de faïence, des canifs, du papier et les derniers décrets de l’Assemblée nationale, vinrent s’asseoir, sur de maigres chaises de paille, les citoyens Nouaïl, Denoual, Jouslain, Bouaissier, Montillon, percepteur à Fougères ; Martinet, l’ardent, le fougueux Martinet, dont le patriotisme donnait la chair de poule aux modérés...
Il vous était permis de nier le soleil ; à la rigueur, cela ne pouvait pas avoir grand inconvénient ; mais si, par malheur, vous aviez eu l’air de soupçonner sa pureté et son incorruptibilité, ou si vous l’aviez flétri de l’épithète de modéré, il vous en aurait infailliblement passé son sabre au travers du corps.
C’était un de ces hommes que Robespierre lui-même appelait les ultra-révolutionnaires, de ces hommes perfides que la tyrannie soudoie pour compromettre, par des actions fausses et funestes, les principes sacrés de nos Constitutions.
Martinet, par sa naissance et ses antécédens, pouvait satisfaire les exigences les plus démocratiques ; mais il avait à se faire pardonner les deux dernières années de sa vie, passées à Paris, dont l’emploi n’était pas suffisamment justifié, et qui même, nous devons le dire, étaient diversement motivées.
Or, dans ce temps-là, les actions les plus innocentes pouvaient être soupçonnées et envenimées ; mais qu’était-il allé faire à Paris, le brocanteur campagnard, le marchand forain, l’usurier anonyme, enfin le petit marchand de vaches ?
— Soumissionner des fournitures pour le gouvernement, se débarrasser de ses vieux préjugés et s’éclairer au flambeau révolutionnaire, — répondait Martinet.
— Espionner pour le compte des nobles, négocier des bons de la caisse de Calonne, confiés par Armand Tuffin de la Rouërie, — assuraient les révolutionnaires ombrageux.
Au reste, s’il avait décrassé son esprit, sa transformation physique n’était pas moins étonnante.
Ce n’était plus le paysan en blouse, marchant le menton sur la poitrine, la tête enfoncée dans son chapeau de toile cirée, et précédé de son barbet Sans-Gêne.
Son costume était propre, sinon élégant.
Une petite queue poudrée s’échappait de son grand chapeau à la française et frétillait sur le collet d’une longue redingote grenat à taille courte et à boutons d’acier taillés à facettes. Un gilet de piqué blanc et une culotte de satin noir attachée aux genoux par de petites boucles d’argent, et des bottes à retroussis jaunes complétaient un accoutrement qui pouvait au besoin le faire prendre pour un émigré ou pour un officier municipal.
Parmi les citoyens qui se pressaient dans les clubs, un paysan de haute taille, couvert d’une peau de bique, se tenait debout, adossé à l’angle de la porte d’entrée, les deux mains appuyées sur son bâton. Il avait l’air somnolent et ennuyé, et ses petits yeux gris ne s’entr’ouvraient que pour se fixer sur Martinet avec une expression indéfinissable.
Le président Bouaissier ouvrit la séance :
— Le citoyen Martinet, dit-il, a la parole pour donner au club communication d’une dépêche du comité de Salut public.
— Citoyens, — dit Martinet au milieu du plus grand silence, — le comité de Salut public rend justice à notre patriotisme, mais notre aveuglement lui paraît étrange. — Comme l’araignée immonde, un homme a ourdi la trame d’une vaste conspiration, nous a enlacés dans ses filets, — et nous n’avons pas encore brisé dans la coque l’œuf impur de la contre-Révolution !... Dans toutes les villes, des chefs se concertent entre eux et nous ne les avons pas fait arrêter !... Des prêtres parcourent les campagnes et soufflent le feu de l’insurrection, et nous laissons faire !... Le ci-devant marquis Tuffin de la Rouërie est l’âme de ce complot, comment n’est-il pas à notre barre ? Comment la loi n’en a-t-elle pas fait justice ?... Le comité n’accuse personne, citoyens, mais il me prie de lui rendre compte de notre inaction...
— Citoyen, répondit Bouaissier en se levant, tu arrives de Paris, mais tu sais ce que c’est que la Bretagne... Ici le patriotisme est ardent, sublime de dévoûment, mais aussi le peuple des campagnes est aveugle, crédule et fanatique ; la liberté lui brûle les yeux ; il les ferme pour ne pas la voir... Quant à La Rouërie, tout le monde sait comme toi qu’il conspire, mais peut-être n’est-il pas aussi facile de l’arrêter que tu parais le supposer... Tu ne connais pas Tuffin La Rouërie : marcheur infatigable et toujours armé jusqu’aux dents. Il s’en va de forêts en forêts, s’abrite sous la hutte du sabotier, passe les nuits dans les champs de genêts, dans les creux d’un chêne, sans prendre jamais deux fois le même gîte, sans suivre deux fois le même sentier. Demande des renseignemens aux paysans, ils te tromperont et riront de toi. — La conspiration, nous le savons, étend ses ramifications par toute la Bretagne ; mais dis-nous comment l’étouffer.
Dans presque toutes les localités, les administrations sont suspectes, mais leurs membres sont trop influens, trop nombreux pour qu’on puisse les faire arrêter tous à la fois ; nous manquons de troupes, et les gardes nationales refuseront certainement d’arrêter leurs parens, leurs amis, ou leur faciliteront des moyens d’évasion... Voilà les difficultés de l’entreprise, citoyen, c’est à ton patriotisme éclairé à nous donner les moyens de les surmonter.
— Citoyen, — dit Martinet, — je pense comme toi, l’entreprise offre les plus grands obstacles, mais il faut les vaincre... il le faut !... le salut public en dépend... et si personne ne peut s’emparer de La Rouërie, moi je m’en charge !
Des applaudissemens frénétiques répondirent à cette chaleureuse allocution.
La séance fut levée.
Martinet sortit, entouré des félicitations de ses nombreux amis, sans remarquer le paysan aux petits yeux, à la peau de chèvre et au nez crochu qui épiait tous ses mouvemens et le suivait à distance respectueuse.
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23 mars 1849 — Le Marquis de Fayolle, dans Le Temps, 18e livraison.
En même temps, au château qui porte son nom, le marquis Armand Tuffin de La Rouërie (personnage historique) tient conseil avec le marquis de Fayolle et l’abbé Péchard pour organiser en Bretagne la contre-révolution, avec l’appui du clergé.
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LE MARQUIS DE FAYOLLE.
Ire PARTIE. — LES CHOUANS.
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CHAPITRE XIV.
LE CHÂTEAU DE LA ROUËRIE.
Le château de La Rouërie est situé dans la commune de Saint-Ouen-la-Rouërie, à une lieue d’Antrain, sur un mamelon assez élevé, d’où l’on découvre le pays de Sougeal, — Vieux-Val, — La Fontenelle, berceau de la chouannerie, — les hauteurs de Saint-Georges, qui ouvrent une communication avec toute la côte, depuis Roz jusqu’à Saint-Malo, et de là, Jersey et l’Angleterre.
Le château est tout moderne, comme son histoire.
Au milieu, sur le fronton triangulaire, s’étalent sur deux écus oblongs les armes de La Rouërie, — d’argent à une bande de sable, chargée de trois croissans d’or, — les ailes du bâtiment, symétriquement dentelées de granit bleu, se détachent fort bourgeoisement sur un affreux enduit jaune.
C’est une sorte de transition maçonnée entre le château et la maison de campagne, entre la noblesse et la bourgeoisie.
A droite, en entrant, au milieu d’un bouquet de lilas, de sorbiers et d’acacias, une petite chapelle élève sa campanille qui se perd dans les branches d’un ormeau : tout près sont d’immenses écuries en brique, à grandes portes cintrées.
Devant le château s’étendent de beaux tapis de gazon où vient aboutir une longue suite de vieux chênes aux bras tordus et noueux, formant une longue voûte de verdure jusqu’à la route qui mène d’Antrain à Saint-James.
Le château est au milieu d’un jardin dans le goût anglais, de proportions assez mesquines, défendu par un fossé sans eau, de quatre pieds de profondeur environ, dont les terres sont supportées par un petit mur qui vient mourir à fleur de terre, — comme dans les fortifications modernes. — Des sentinelles échelonnées dans ce fossé préservaient le château de toute surprise.
Le 3 janvier de l’année 1791, — à neuf heures du soir, — trois hommes, assis devant la cheminée de la grande salle du château de La Rouërie, causaient les jambes croisées ou les pieds sur les chenets. Les portes étaient soigneusement fermées, et les volets calfeutrés ne laissaient filtrer à l’extérieur aucun rayon lumineux.
Sur la table encore couverte de sa nappe de fine toile blanche, plusieurs bouteilles d’âges et de physionomies différentes attestaient que le souper avait été copieux et les libations nombreuses. Ces trois hommes étaient :
Le marquis de Fayolle, — son ami Armand Tuffin de La Rouërie — et l’abbé Péchard.
— Messieurs, dit La Rouërie en repoussant la table, — il est temps, je crois, de nous occuper du motif pour lequel nous sommes réunis.
La révolution brise et renverse tout sur son passage... je veux l’arrêter... Le trône croule, je veux appuyer mon épaule pour le soutenir. — Je veux, dit-il, en portant la main à son front, que la contre-révolution sorte de là — toute armée comme Minerve du cerveau de Jupiter.
— Vous savez, mon ami, si vous pouvez compter sur moi, — dit le marquis de Fayolle en lui serrant la main.
— Je serai fier et heureux de pouvoir vous être utile à quelque chose, M. le marquis, — dit Péchard.
— L’entreprise, Messieurs, était grande et difficile, j’en conviens ; mais aujourd’hui le succès est certain. Il fallait réunir tous les mécontens, flatter tous les intérêts, toutes les passions, les grouper en un seul faisceau, les enlacer dans une vaste conspiration... C’est ce que j’ai fait... Toutes ces passions, toutes ces haines concentrées en un seul foyer s’enflammeront... Puis peu à peu l’incendie gagnera toute la France...
Les yeux noirs de La Rouërie jetaient des éclairs, et dans ce moment il était admirable de fanatisme et de passion.
— L’idée est chevaleresque, dit le marquis de Fayolle avec enthousiasme.
— Elle est sublime ! monsieur le marquis, s’écria l’abbé Péchard.
— La révolution, — reprit La Rouërie, a deux ennemis implacables, — la noblesse et le clergé ; ils seront, pour nous, deux leviers puissans : l’un pour soulever les masses, l’autre pour les diriger... Le clergé crée une armée, la noblesse la commande...
— Et le bras de Dieu sera avec nous ! — dit l’abbé ; — tant qu’on n’a fait que nous dépouiller des biens terrestres, nous avons courbé la tête avec résignation, et les yeux levés au ciel nous avons dit : « Deus dedit… deus abstulit, sit nomen domini benedictum… » Mais, non contens de nous dépouiller, vous venez nous dire avec insolence : « Vous jurerez d’être fidèles à la loi et au roi... et de maintenir de tout votre pouvoir la constitution du royaume !... » — Race !... soyez maudite !... victimes innocentes, nous mourrons sur le parvis avant que vos pieds aient profané le sanctuaire !...
— Les maladroits !... — s’écria La Rouërie, — s’attaquer au clergé !... Mais ces gens-là n’ont donc pas la plus légère idée de sa puissance !
— Ils ne savent pas, — reprit l’abbé, — que par la confession, nous gouvernons le monde... Il n’est point de famille dont nous ne connaissions les secrets les plus cachés, car il n’est point de famille dont un membre au moins ne comparaisse devant le tribunal sacré de la pénitence...
— La Bretagne n’entend pas grand’chose à la politique, — dit M. de Fayolle, mais elle est religieuse avant tout. Avec le clergé, nous pouvons tout.
— Tout ! Messieurs, s’écria Péchard. C’est en Bretagne surtout que le prêtre a conservé toute son influence ; avoir un prêtre dans sa famille est la plus grande ambition du fermier breton. Pour envoyer un fils aux écoles, il se résigne et condamne sa famille aux plus dures privations... Et quand son fils revient du séminaire, la famille tout entière l’entoure du plus grand respect ; pour lui on achète du pain blanc, la mère ou la sœur aînée lui apprête ses repas qu’il prend seul, sans que personne le jalouse.
— Maintenant, Messieurs, dit La Rouërie, permettez-moi de vous dire ce que j’ai fait :
J’arrive de Coblentz, — j’ai soumis aux princes le plan de mon association bretonne — ils l’ont approuvée, m’ont accordé tous les pouvoirs qui m’étaient nécessaires, et que je vous transmettrai en leur nom, Messieurs... Et alors on nous obéira sous peine de félonie et de trahison... Nous avons d’abord dressé une liste générale des mécontens en Bretagne ; puis les noms de tous ceux dont les intérêts, les croyances et les sympathies ont été blessés par la révolution..... Parmi ceux-là, nous avons choisi ceux dont les noms offrent de plus grandes garanties, ceux qui, par leur position, leur entourage, peuvent exercer une plus grande influence : ce seront là les chefs de l’entreprise, — qui seuls se connaîtront entre eux. Dans chaque localité, ils choisiront un sous-chef, avec lequel ils se concerteront pour soulever le plus de monde possible, distribuer les armes et les provisions de guerre, puis ils se réuniront en comité dans chaque ville... Voici, jusqu’à présent, les jalons que nous avons placés et autour desquels on devra se concerter... Ceci, marquis, sera votre rôle et le mien.
— Je ferai de mon mieux, mon ami.
— Je recevrai directement les ordres des princes et les secours du cabinet anglais ; nous aurons à les communiquer à nos généraux. Ce sont, dans la Mayenne, le prince de Talmont ; pour Avranches, Granville, Saint-James et Pontorson, le marquis de Saint-Gilles. Lahaye-Saint-Hilaire soulèvera le pays entre Rennes et Dol, Hédé, Combourg et les paroisses environnantes. MM. de Labourdonnaye et de Siltz armeront le Morbihan ; les Dubernord et les Caradeuc, postés à Redon, communiqueront facilement avec les Palierne et Labérillerois, chargés du pays nantais. Dubauberil-Dumoland est chargé de l’arrondissement de Montfort ; le baron Dampherné, du Finistère, et Charles Bois-Hardy des Côtes-du-Nord. Mon neveu Tuffin et le baron de Tinteniac visiteront tous ces Messieurs, les tiendront au courant des nouvelles qui nous parviendront, et leur feront part des résolutions que nous aurons concertées ensemble.
Bertin et Prigent nous faciliteront les relations avec Saint-Malo, et de là avec Jersey et l’Angleterre. Que vous semble de ce plan, marquis ?
— Il est d’une conception gigantesque, d’une admirable simplicité.
— De sorte qu’il obtient votre approbation ?
— De tout point, marquis.
— Et vous êtes prêt à le seconder ?
— De tous mes efforts.
— Quant à vous, l’abbé, votre rôle est tout tracé, vous représenterez l’Eglise, et l’Eglise militante ; vous ferez imprimer secrètement des petits livres religieux, des catéchismes, des oraisons, que nos prédicateurs répandront à millions dans les campagnes. Puis, pour la classe intelligente de la société, des proclamations, dans lesquelles nous ferons connaître les intentions des princes : comme les prêtres non assermentés sont forcés de résider à Rennes, vous choisirez parmi ces messieurs ceux qui vous paraîtront les plus intelligens et les plus dévoués.
L’abbé donna son approbation par un signe de tête.
— Nous aurons ici une réunion générale, le 6 janvier, jour des Rois, à minuit. — J’ai fait convoquer les principaux membres de l’association bretonne, à qui je communiquerai les plans que je viens de vous confier — et les pouvoirs qui m’ont été confiés par nos princes.
— Le 6 janvier, à minuit... Nous y serons, — dirent M. de Fayolle et Péchard.
— J’oubliais une chose importante, dit La Rouërie : voici le signe qui vous fera reconnaître de ces messieurs, et auquel vous les reconnaîtrez.
Il remit à chacun un anneau d’or sur lequel étaient gravés ces mots : Dum spiro, spero.
— Aux gars des environs de Vitré et de Fougères, vous ferez voir cet emblème que vous pourrez faire fabriquer et distribuer à profusion.
Et il leur remit un morceau d’étoffe violette, au milieu duquel était brodé un cœur en écarlate, surmonté d’une croix en soie cramoisie, traversé d’une flèche rose et entouré d’une couronne de soie blanche.
— Puis, quand vous voyagerez la nuit, je vous engage, de peur de surprise, à vous annoncer par le cri de la chouette que vous imiterez facilement... Les différentes modulations vous serviront d’avertissemens et de signaux... — Ainsi, le 6 janvier à minuit...
— Le 6 janvier à minuit, marquis !
CHAPITRE XV.
LE CABARET.
Le 6 janvier 1791, — quelques jours après la fameuse séance du club dans laquelle Martinet avait dénoncé avec tant d’éloquence les menées contre-révolutionnaires de la Rouërie à l’autorité municipale, — qui les connaissait aussi bien que lui, — la générale battait à la fois dans les villes de Rennes, de Vitré et de Fougères.
Les gardes nationales chargeaient leurs fusils, endossaient leurs costumes, et se mettaient en marche pour la commune de Saint-Ouen-la-Rouërie.
La garde nationale de Rennes comptait seule près de deux mille hommes, et traînait après elle une pièce de canon pour enfoncer les portes du château.
Pendant ce temps-là, Martinet, le nez caché dans son manteau, sortait de la petite maison qu’il habitait rue Derval. — Arrivé auprès de l’église de Saint-Germain, il aperçut un mendiant qui grelottait sur les marches...
Il lui fit signe de le suivre.
Tous deux entrèrent dans l’allée étroite et sombre d’une mauvaise maison en terre, qui faisait le coin de la rue Griffon.
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24 mars 184 — Le Marquis de Fayolle, dans Le Temps, 19e livraison.
Martinet joue double jeu. Avec un membre du conseil municipal de Rennes, Nouaïl, il est pris dans un guet-apens préparé par les chouans, mais se fait reconnaître, tandis que le malheureux Nouaïl sera égorgé sans le moindre état d’âme par le chouan dit Grand-Fumeur.
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LE MARQUIS DE FAYOLLE.
Ire PARTIE. — LES CHOUANS.
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CHAPITRE XV.
LE CABARET. — (Suite.) .
Martinet tira de dessous son manteau une assez grosse canne en bambou :
— Veux-tu porter cette canne à M. le marquis de La Rouërie ?
— Où est-il ? demanda le mendiant en prenant la canne.
— A son château, dans la commune de Saint-Ouen, à Antrain on t’enseignera la route.
— Mais d’ici Antrain, monsieur, il y a douze bonne lieues... dit le mendiant en montrant ses pieds nus ; je n’ai rien aux pieds, et rien dans le ventre.
— Tu arriveras comme tu pourras, — dit Martinet ; et lui mettant généreusement dans la main une pièce de trente sous, — voilà de quoi t’acheter une paire de sabots et bien déjeuner ; tu souperas et coucheras cette nuit au château. Le mendiant prit la canne et la pièce, et partit, évidemment séduit par cette brillante perspective.
Maintenant, — se dit Martinet en se drapant dans son manteau, — il arrivera ce qui pourra : il est prévenu...
Une heure après, une mauvaise carriole jaune, traînée par un cheval blanc assez vigoureux, sortait de la rue Verdiois et se dirigeait sur la route d’Antrain.
Un collier de grelots de différentes grosseurs était attaché au cou du cheval, et dissimulait autant que possible le bruit que faisaient les membrures disjointes du véhicule, et les cris que poussaient les malheureux voyageurs renfermés dans son sein mal rembourré.
Quand la machine se mit en branle sur les pavés si accidentés de la ville de Rennes, les voyageurs se cramponnèrent aux planches qui leur servaient de sièges, aux parois de la charrette, l’un à l’autre, partout où ils pouvaient trouver prise, et alors commencèrent des soubresauts convulsifs et désespérés.
Enfin, quand ils eurent laissé derrière eux les dernières maisons du faubourg, les voyageurs purent reprendre une position un peu moins tourmentée, et ils s’examinèrent réciproquement avec une attention méfiante.
Il y avait trois hommes dans la voiture : sur le devant était Martinet, à côté de lui le citoyen Nouaïl, membre du conseil municipal, l’orateur le plus influent du club des Cordeliers, — enveloppé d’un manteau bleu à petit rabat.
Derrière eux, les deux mains appuyées sur un bâton de chêne, et le menton au-dessus, — le paysan que nous avons vu au club des Cordeliers pendant le discours de Martinet. C’était un homme de quarante-cinq ans environ, d’une taille colossale, à la tête longue, maigre et ridée. Ses petits yeux gris et inquiets roulaient avec vivacité sous des sourcils épais.
Il portait, comme les paysans des environs de Rennes, une peau de chèvre, tannée aux coudes par l’usage ; par-dessous, un grand gilet d’étoffe brune mêlée, à petits boutons de métal étoilés. Des guêtres, ou gamaches, serrant une jambe sèche et nerveuse, s’arrêtaient au-dessous du genou, laissé à moitié nu par une large culotte de tiretaine grise.
— Jarry ? — demanda l’homme au manteau bleu, à quelle heure arriverons-nous à Antrain ?
— Entre huit et neuf heures, peut-être, M. Nouaïl.
— Comment ça, peut-être ?
— Ah ! dit Jarry, se ravisant, les chemins ne sont pas bons.
— Et pas trop sûrs, n’est-ce pas ?
— Oh ! les gars ne sont pas mauvais.
— Pas mauvais... pas mauvais, — grommela Nouaïl...
— Est-ce que vous rencontrez souvent les Chouans ? demanda Martinet.
— Quelquefois... pas souvent... dit Jarry.
— Et ils ne vous ont jamais fait de mal ?
— A moi ? jamais, au grand jamais.
— Décidément, dit Nouaïl à l’oreille de Martinet, je crois que nous aurions mieux fait d’attendre le détachement.
— Alors, ce n’était pas la peine de se déranger, répondit Martinet. La municipalité d’Antrain est entièrement composée des amis de La Rouërie, et si nous ne sommes pas là pour surveiller les ordres, il est certain qu’on le fera avertir.
— Comme on a toujours fait jusqu’ici, chaque fois que nous sommes venus pour l’arrêter.
— Tandis qu’en plaçant à l’entrée de la nuit des sentinelles tout autour du château, nous aurons le temps d’attendre l’arrivée de tous nos détachemens.
— Je ne dis pas... mais si les Chouans nous tenaient...
— Oh ! il n’y a pas de danger avec moi. J’ai couru ce pays-là pendant vingt ans... et j’y suis connu.
— On ne peut pas attendre grand’chose de voleurs de grand chemin.
— Je vois que vous les jugez mal, dit Martinet en remarquant le paysan qui s’était penché pour écouter la conversation. Il y a de bons enfans parmi eux.
— C’est possible, dit Nouaïl ; mais je ne souhaite qu’une chose, c’est de ne jamais les rencontrer sur mon chemin.
La carriole avait à peine gravi la côte de Romasi, et la nuit était déjà venue : une lieue plus loin, le cri de la chouette, modulé d’une façon étrange, se fit entendre à quelques pas derrière eux. A droite, un autre cri répondit.
— Diable ! dit Nouaïl, je n’aime pas le cri de ces oiseaux-là.
— Jarry, sommes-nous loin du Tremblay ?
— A un petit quart de lieue, monsieur Nouaïl.
— Bon, arrêtez, je préfère me rendre à pied, ça m’échauffera — et, se penchant à l’oreille de Martinet — c’est plus sûr, croyez-moi, nous sommes au milieu des chouans, la carriole va être fouillée ; tandis qu’en nous faufilant le long des haies...
Le cri de la chouette l’interrompit, et au même instant, une douzaine de bêtes fauves, aux longs poils, montrèrent leurs faces noircies au milieu des broussailles, sautèrent sur la route, et entraînèrent la voiture.
— Qu’as-tu ici, Jarry, demanda l’un d’eux en allongeant la tête dans la carriole.
— Deux messieurs qui comptent aller à Antrain, — répondit Jarry d’un air narquois.
— Bonsoir, les gars, — dit le paysan en allongeant sa tête entre les épaules des deux voyageurs placés sur le devant.
— Ah !... c’est toi, Chaudeboire ? dit l’un d’eux en sautant dans la voiture ; fouette, Jarry, pour qu’on voie leurs frimousses... A la Bonne-Foi !... cria-t-il aux Chouans arrêtés sur le chemin.
La voiture se remit en route.
Un quart d’heure après, elle s’arrêtait à la porte d’un cabaret situé à l’entrée du bourg.
Une douzaine de Chouans se tenaient déjà sur le seuil.
— Ah ça ! messieurs, vous prendrez bien un coup de cidre avec les amis ? — demanda le nouveau-venu.
— Ça n’est pas de refus, — dit Chaudeboire en s’apprêtant à descendre.
— Merci, dit Nouaïl en se renfonçant dans l’ombre, je n’ai pas soif.
Martinet sauta lestement à terre, passa avec assurance devant les gars qui se tenaient à la porte, et entra résolument dans le cabaret.
— Allons ! dit Chaudeboire, ne vous faites donc pas prier ; si vous n’avez pas soif, vous ne refuserez pas de vous chauffer les pieds.
L’Assemblée rit d’un rire bête et féroce, à cette affreuse plaisanterie qui fit frissonner le malheureux conseiller municipal.
Enfin, il se décida à descendre lentement, avec des précautions infinies, et, pour éloigner les soupçons autant que possible, il prit un air d’indifférence, ne parut pas remarquer les hideuses figures qui l’entouraient, serra son manteau autour de son corps, et entra dans le cabaret.
Au milieu d’un nuage épais de fumée de tabac et de cuisine combinées, il aperçut une vingtaine de paysans en peaux de bique et en sarreaux de toile jaune, accoudés sur une longue table chargée de houlons. Cinq ou six étaient assis, les pieds pendans, sur un banc, espèce de canapé en bois, placé près du lit qui lui servait de dossier.
D’autres groupes sous le manteau de la cheminée fumaient, les coudes sur les genoux et le houlon entre les jambes.
Un feu de genêts éclairait capricieusement la salle que traversait une énorme poutre noircie par la fumée.
A l’etrée des voyageurs, toutes les têtes se tournèrent de leur côté.
— Ah ! ça, les gars — dit le Grand-Fumeur aux chouans campés devant le feu, faites donc place à ces Mesieurs.
Celui qui venait de parler était un homme long, pâle et osseux, que nous avons déjà vu à la ferme de Jean le Chouan.
— Vous avez des passeports ? — demanda le Grand-Fumeur d’un ton d’autorité.
Martinet lui montra une bague sur laquelle était gravés deux mots que le chouan reconnut, et lui remit un petit carré de drap sur lequel étaient brodés deux cœurs enlacés et surmontés d’une croix.
— Monsieur n’a besoin de rien, — dit Jean le Chouan en s’approchant, je le connais et j’en réponds...
Martinet se retourna et lui tendit la main.
— Vous allez à Antrain ? — demanda Jean.
— Je voudrais voir M. le marquis de La Rouërie, pour une communication importante, — répondit Martinet à l’oreille du Chouan.
— Ah ! ah ! — dit le Chouan avec un ricanement étrange, — vous le verrez... C’est moi qui vous le promets...
Pendant ce temps-là, le malheureux avait été entouré d’une douzaine de chouans.
— Et vous avez vos papiers ? demanda le Grand-Fumeur.
— Je n’ai pas de papiers, répondit Nouaïl qui ne jugea pas prudent d’exhiber sa carte de civisme. — Je demeure à Rennes, et je suis connu dans les environs...
— Ah ! vous êtes de Rennes ? Et comment vous appelez-vous ?
— Désiré Nouaïl.
— Nous avons ici quelqu’un qui doit vous connaître... Chaudeboire !... — cria le Grand-Fumeur en se tournant du côté de la cheminée... approche ici... dévisage-moi un brin cette frimousse-là et dis-nous qui ça peut être...
— Ça, dit Chaudeboire, c’est monsieur Nouaïl.
— Et qu’est-ce que c’est que M. Nouaïl ?
— Un pataud... (Un patriote). »
Un frémissement d’indignation courut dans l’assemblée, et vingt bras s’allongèrent pour le saisir.
— Qu’est-ce qu’il fait ?... continua le Grand-Fumeur.
— Il vend du vin, où il met plus de la moitié d’eau, à de pauvres diables de débiteurs, qui le prennent à crédit, et le paient le double de ce qu’ils paieraient ailleurs... C’est comme ça qu’il s’est enrichi, en ruinant les autres.
— Ah ! mon Dieu ! s’écria Nouaïl, livide de peur, — peut-on parler ainsi ? Demandez à mes pratiques, pas une ne se plaint.
— Il est du conseil municipal, je parie.
— Et du club des Cordeliers, où je l’ai entendu parler comme un livre.
Martinet baissa les yeux et se sentit frissonner à son tour... plusieurs fois déjà, il avait cru surprendre, fixés sur lui, des regards ironiques...
— Ça suffit !... dit le Grand-Fumeur, qui trouva sa religion suffisamment éclairée. — Nouaïl ! tu sais qu’on ne peut pas entrer dans le paradis si on n’a pas restitué le bien mal acquis...
— Prenez, mes amis, dit Nouaïl en vidant la monnaie de ses poches.... Tout ce que j’ai vous appartient.
— Voyons, dit le Grand-Fumeur, mets-toi à cette table et écris ce que je vas te dire... Dérangez-vous, vous autres...
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27 mars 1849 — Le Marquis de Fayolle, dans Le Temps, 20e livraison. Pas de feuilletons les 25 et 26 mars.
Tandis que Nouaïl est exécuté de façon atroce, Martinet, plus trop sûr de l’appui des chouans, va passer à l’auberge une nuit de terreur.
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LE MARQUIS DE FAYOLLE.
Ire PARTIE. — LES CHOUANS.
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CHAPITRE XV.
LE CABARET. — (Suite.) .
Nouaïl fit un mouvement pour se reculer.
— Tu as peut-être froid aux doigts... de pied ? demanda le Grand-Fumeur en lui montrant la cheminée.
Nouaïl s’empressa de s’asseoir, et prit la plume qu’on lui offrait.
— Ecris : « Ma chère femme, Je suis prisonnier des chasseurs du roi, qui menacent de me tuer, si je ne consens à leur payer, pour les frais de la guerre qu’ils font pour le roi de France, — une somme de... »
— Chaudeboire, est-il riche, le pataud ? — demanda le Grand-Fumeur en portant son menton sur l’épaule droite.
— Il est riche, pour sûr.
— Ben riche, ben riche ?...
— Cousu d’or.
— Ah ! mes amis ! — s’écria Nouaïl d’une voix suppliante, je suis un homme ruiné.
— Ecris... « Une somme de dix mille livres. »
— Ah ! mon Dieu ! cria Nouaïl avec un soupir déchirant.
« Que tu feras remettre, au reçu de la présente, à l’abbé Péchard, prêtre en surveillance à Rennes. »
— Bien... Signe... C’est cela... L’adresse à présent...
Le malheureux Nouaïl, hébété par la peur, le front ruisselant d’une sueur glacée, remit la lettre au Grand-Fumeur, qui la parcourut pour s’assurer qu’il n’y manquait rien.
— A présent, — dit-il, lève-toi et suis-nous…
— Ah ! mes amis ! — dit Nouaïl en se jetant à genoux et les mains jointes... — Vous n’allez pas me tuer !... Tout ce que j’ai, je vous le donnerai. »
Le Grand-Fumeur le fit rouler à terre d’un coup de pied.
— Si Monsieur veut permettre, — dit-il en regardant Martinet, nous allons lui montrer comment les chouans traitent les patauds.
Martinet fit un mouvement d’épaules que ces Messieurs prirent pour un consentement.
Chaudeboire le saisit au collet.
— Grâce ! grâce ! — criait Nouaïl en reculant.
— Veux-tu ben te taire, poltron !
Jean le Chouan s’était assis devant le feu et bourrait tranquillement sa pipe, indifférent à ce qui se passait autour de lui... Seulement, de temps en temps, il jetait en dessous un regard sur Martinet qui, malgré son sang-froid, — commençait à regretter de s’être embarqué dans cette aventure.
Cinq ou six chouans prirent leurs fusils et se dirigèrent vers la porte :
— Non, mes gars, dit le Grand-Fumeur, faut ménager la poudre et les balles, ça ne vaut pas un coup de fusil.
— C’est juste !... répondit Chaudeboire en couchant le malheureux sur le banc.
— Coeurderoi ! tire-lui sa cravate…
Passe-Partout et Fleur-de-Rose vinrent par complaisance tenir les pieds et les mains, pendant que Chaudeboire, pour l’empêcher de crier, lui étreignait la gorge de son poignet d’acier.
Chaudeboire atteignit un large couteau pendu à sa boutonnière par une chaînette, et faisant glisser la lame sur la paume de sa main calleuse, à la façon des barbiers qui préparent leurs rasoirs :
— Jeanne, apporte un bassin, là, sous sa tête. N’aie pas peur, mon mignon, — dit-il au malheureux qui suivait tous ces horribles préparatifs, tu ne vas pas souffrir longtemps.
Le couteau s’enfonça dans le cou jusqu’au manche ; le sang jaillit de tous côtés ; la victime poussa deux ou trois cris rauques et étouffés.
Le corps frissonna dans une dernière convulsion.
— Là, c’est fini, il est saigné ! dit Chaudeboire.
Puis les chouans le dépouillèrent et se partagèrent ses habits.
— Portez ça loin, mes gars, dit le Grand-Fumeur en désignant le corps qui gisait au pied du lit.
Martinet avait suivi tous les détails de cette scène sans qu’aucun muscle eût tressailli en lui, sans qu’aucun signe annonçât la plus légère émotion.
— Comment vous appelez-vous, Monsieur ? demanda le Grand-Fumeur en lui mettant familièrement la main sur l’épaule.
Martinet tressaillit et regarda le chouan sans répondre.
— C’est votre nom de guerre que je vous demande, l’autre ne nous regarde pas.
— Je n’en ai pas encore, dit Martinet ; c’est aujourd’hui ma première expédition, et je me rends à Antrain pour parler à M. le marquis de La Rouërie.
— Nous y serons demain soir, pas vrai, Jean ?
— Faut l’espérer, dit le Chouan en regardant Martinet avec une expression dont ce dernier commençait à s’inquiéter.
— Puisque vous n’avez pas de nom, reprit le Grand-Fumeur, je vas vous en donner un, moi, et un crâne...
— Lequel ? demanda Martinet.
Le Grand-Fumeur prit à terre le bassin qui avait reçu le sang de Nouaïl, et le mettant sur la table :
— Faites comme nous avons tous fait... Trempez votre main dans ce sang, et jurez — Mort aux bleus ! et aux patauds !...
Involontairement, les yeux de Martinet se portèrent sur le chouan qui ne perdait pas un de ses mouvemens ; puis il plongea sa main dans le bassin.
— Vous avez nom : Patte-Saignante... — dit le Grand-Fumeur d’un ton sacramentel... A c’t’heure, voulez-vous me faire l’honneur de trinquer ? n’y a pas d’affront... J’sommes de bon gars !...
Martinet parut enchanté de la proposition, et s’attabla avec les chouans qui tous voulurent avoir l’honneur de boire à sa santé.
— Ah ! ça, mes gars, dit Jean le Chouan en secouant sur la paume de sa main les cendres de sa pipe, nous avons autre chose à faire qu’à fricoter toute la nuit... Jarry, donne-nous une chambre.
Jarry prit une chandelle de résine et se dirigea vers l’escalier.
— Suivez-moi, dit Jean le Chouan à Martinet, d’un ton plus impérieux que poli.
Ils entrèrent bientôt dans la même chambre ; Chaudeboire les y suivit.
Les deux chouans, après avoir essuyé la batterie de leurs fusils, se mirent sur le banc, au pied du lit, et s’agenouillèrent... Martinet, peu rassuré, feignit de dire aussi sa prière.
Des deux côtés de la cheminée étaient deux grands lits à colonnes avec leurs rideaux et leurs courtines de coton bleu et blanc. Le Grand-Fumeur se jeta bientôt sur un de ces lits, tout habillé, et, deux secondes après, il ronflait à briser les vitres.
— Quand vous aurez fini vos prières, dit Jean le Chouan à l’oreille de Martinet, nous irons nous coucher.
Martinet leva la tête... Il lui sembla que le chouan avait accentué le mot prières d’une manière ironique.
— Ensemble ? dit-il en regardant le chouan qui, par politesse, avait ôté ses gamaches et ses souliers.
— Dam !... dit le chouan, aimez-vous mieux le lit de Chaudeboire ?
— Non !... dit Martinet, qui songea à la mort de Nouaïl.
— Passez dans la ruelle, dit le Chouan, j’ai l’habitude de coucher sur le bord.
Martinet s’allongea tout habillé aux côtés du chouan.
CHAPITRE XVI.
UN MAUVAIS COUCHEUR.
Il pouvait être environ huit heures du soir.
A peine étendu dans son lit, Chaudeboire dormait avec le calme d’une conscience tranquille.
Quelques minutes se passèrent.
Malgré l’immobilité dans laquelle il se tenait, Martinet ne se sentait aucune envie de dormir. Rassuré peu à peu par le silence qui se faisait autour de lui, il leva timidement la tête, comme la tortue hors de sa carapace.
La lune, brillant dans un ciel sans nuage, éclairait capricieusement la chambre à travers une fenêtre sans rideau. Le fusil de Jean le Chouan, le grand couteau de Chaudeboire brillaient sur une table en face du lit...
Un instant, il eut la pensée de se laisser glisser dans la ruelle et de s’évader à travers champs ; la fenêtre donnait sur le jardin ; elle ne pouvait être bien élevée.
— Vous ne dormez donc pas ?... demanda Jean le Chouan.
— Au contraire, — dit Martinet en se renfonçant sous les draps.
— Ah ça !... vous connaissez donc M. le marquis de La Rouërie ?
— Beaucoup.
— C’est lui qui vous a donné le scapulaire que vous portez ?...
— Oui.
— Comment donc disiez-vous dans le club qu’il fallait l’arrêter ?
A cette interpellation si directe, Martinet comprit qu’il devait quelques explications.
— J’ai dit au club qu’il fallait l’arrêter, parce que je savais qu’on avait l’intention de le faire... et si je ne m’en étais pas chargé, on en aurait nommé un autre.
— Ah!... Et M. Nouaïl avec qui vous étiez?...
— Justement ; c’était un municipal qu’on avait désigné pour m’accompagner... pour me surveiller au besoin.
— De sorte que vous êtes content d’en être débarrassé.
— Très content... Je ne crains pas qu’il parle contre moi.
— Pour ça, dit le Chouan, il n’y a pas de danger...
— Eh bien ! dormons.
— Dormons... dit Martinet tranquillisé.
Il se fit de nouveau un silence profond, qu’interrompaient seuls les ronflemens consciencieux de Chaudeboire.
— Est-ce que tu dors, Chaudeboire ? demanda Jean le Chouan en élevant la voix.
— Quoi ? dit Chaudeboire.
— Ne m’as-tu pas dit que le tambour battait à Rennes et que la garde nationale s’assemblait quand vous êtes partis ?
— Oui, les rues étaient pleines...
— Tu as vu du canon ?
— Oui, une pièce...
— Et où allaient-ils ?
— Mais, à Saint-Ouen... dit Chaudeboire à moitié endormi.
Il se fit un silence.
— Est-ce que vous dormez, monsieur Martinet ? demanda Jean le Chouan en poussant du coude son camarade de lit.
— Hein ?... répondit Martinet comme réveillé en sursaut.
— Et où alliez-vous comme ça dans la voiture ?
— A Antrain... je vous l’ai déjà dit.
— Et qu’est-ce que vous alliez donc faire à Antrain ?
— Je vous l’ai dit, j’étais envoyé par le club.
— Pour faire arrêter M. le marquis ?
— M. de La Rouërie n’a rien à craindre, il a été averti.
— Ah ! et par qui ?
— Par moi, donc. Ce matin, je lui ai envoyé un exprès, — pour le prévenir de l’arrivée des gardes nationaux.
— Hé bien ! — dit le Chouan, nous n’avons plus qu’à dormir.
— Oui, dit Martinet, dormons.
Un instant après, Jean le Chouan reprit :
— Mais une fois à Antrain, qu’est-ce que vous comptiez donc faire ?
— Assembler le conseil municipal et faire attendre l’arrivée des détachemens de Rennes et de Fougères.
— Ah ! oui. Et après ?
— Je me serais mis à leur tête, et nous aurions été tous ensemble au château.
— Mais, puisque vous aviez fait prévenir M. le marquis ?
— C’est justement pour ça. Je voulais être sûr. de ne pas l’y trouver.
— C’est ingénieux, dit le Chouan... Ah ça ! nous avons encore près de quatre lieues d’ici à Saint-Ouen. Il est temps de se reposer.
— Oui, — il en est temps !
Martinet venait enfin de s’endormir, quand il sentit une main large et lourde se poser sur sa poitrine...
Il sauta à terre, et regardant le Chouan d’un air égaré :
— Que voulez-vous ?
— Le coq chante, dit le Chouan, en se jetant en bas du lit, et saisissant son fusil... Il est temps de se mettre en route ! Et toi, Chaudeboire, allons !
Chaudeboire fit entendre quelques grognemens, se frotta les paupières de ses poings fermés, et ouvrit enfin les yeux. En un instant, les trois hommes furent prêts à partir, et, suivis des autres, prirent à travers les champs pour se rendre à Saint-Ouen, — qui allait devenir le théâtre de grands événemens.
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GÉRARD DE NERVAL - SYLVIE LÉCUYER tous droits réservés @
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