TEXTES

1824, Poésies diverses (manuscrit autographe)

1824, L’Enterrement de la Quotidienne (manuscrit autographe)

1824, Poésies et poèmes (manuscrit autographe)

1825, « Pour la biographie des biographes » (manuscrit autographe)

15 février 1826 (BF), Napoléon et la France guerrière, chez Ladvocat

19, 22 avril, 14 juin (BF), Complainte sur la mort de haut et puissant seigneur le Droit d’aînesse, chez Touquet

6 mai 1826 (BF), Complainte sur l’immortalité de M. Briffaut, par Cadet Roussel, chez Touquet

6 mai 1826 (BF), Monsieur Dentscourt ou le Cuisinier d’un grand homme, chez Touquet

20 mai 1826 (BF), Les Hauts faits des Jésuites, par Beuglant, chez Touquet

12 août 1826 (BF), Épître à M. de Villèle (Mercure de France du XIXe siècle)

11 novembre 1826 (BF), Napoléon et Talma, chez Touquet

13 et 30 décembre 1826 (BF), L’Académie ou les membres introuvables, par Gérard, chez Touquet

16 mai 1827 (BF), Élégies nationales et Satires politiques, par Gérard, chez Touquet

29 juin 1827, La dernière scène de Faust (Mercure de France au XIXe siècle)

28 novembre 1827 (BF), Faust, tragédie de Goëthe, 1828, chez Dondey-Dupré

15 décembre 1827, A Auguste H…Y (Almanach des muses pour 1828)

1828? Faust (manuscrit autographe)

1828? Le Nouveau genre (manuscrit autographe)

mai 1829, Lénore. Ballade allemande imitée de Bürger (La Psyché)

août 1829, Le Plongeur. Ballade, (La Psyché)

octobre 1829, A Schmied. Ode de Klopstock (La Psyché)

24 octobre 1829, Robert et Clairette. Ballade allemande de Tiedge (Mercure de France au XIXe siècle)

14 novembre 1829, Les Bienfaits de l’enseignement mutuel, Procès verbal de la Loge des Sept-Écossais-réunis, chez Bellemain

21 novembre 1829, Chant de l’épée. Traduit de Korner (Mercure de France au XIXe siècle)

12 décembre 1829, La Mort du Juif errant. Rapsodie lyrique de Schubart (Mercure de France au XIXe siècle)

19 décembre 1829, Lénore. Traduction littérale de Bürger (Mercure de France au XIXe siècle)

2 janvier 1830, La Première nuit du Sabbat. Morceau lyrique de Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)

janvier 1830, La Lénore de Bürger, nouvelle traduction littérale (La Psyché)

16 janvier 1830, Ma Patrie, de Klopstock (Mercure de France au XIXe siècle)

23 janvier 1830, Légende, par Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)

6 février (BF) Poésies allemandes, Klopstock, Goethe, Schiller, Burger (Bibliothèque choisie)

13 février 1830, Les Papillons (Mercure de France au XIXe siècle)

13 février 1830, Appel, par Koerner (1813) (Mercure de France au XIXe siècle)

13 mars 1830, L’Ombre de Koerner, par Uhland, 1816 (Mercure de France au XIXe siècle)

27 mars 1830, La Nuit du Nouvel an d’un malheureux, de Jean-Paul Richter (La Tribune romantique)

10 avril 1830, Le Dieu et la bayadère, nouvelle indienne par Goëthe (Mercure de France au XIXe siècle)

29 avril 1830, La Pipe, chanson traduite de l’allemand, de Pfeffel (La Tribune romantique)

13 mai 1830 Le Cabaret de la mère Saguet (Le Gastronome)

mai 1830, M. Jay et les pointus littéraires (La Tribune romantique)

17 juillet 1830, L’Éclipse de lune. Épisode fantastique par Jean-Paul Richter (Mercure de France au XIXe siècle)

juillet ? 1830, Récit des journées des 27-29 juillet (manuscrit autographe)

14 août 1830, Le Peuple (Mercure de France au XIXe siècle)

30 octobre 1830 (BF), Choix de poésies de Ronsard, Dubellay, Baïf, Belleau, Dubartas, Chassignet, Desportes, Régnier (Bibliothèque choisie)

11 décembre 1830, A Victor Hugo. Les Doctrinaires (Almanach des muses pour 1831)

29 décembre 1830, La Malade (Le Cabinet de lecture )

29 janvier 1831, Odelette, Le Vingt-cinq mars (Almanach dédié aux demoiselles)

14 mars 1831, En avant, marche! (Cabinet de lecture)

23 avril 1831, Bardit, traduit du haut-allemand (Mercure de France au XIXe siècle)

30 avril 1831, Le Bonheur de la maison par Jean-Paul Richter. Maria. Fragment (Mercure de France au XIXe siècle)

7 mai 1831, Profession de foi (Mercure de France au XIXe siècle)

25 juin et 9 juillet 1831, Nicolas Flamel, drame-chronique (Mercure de France au XIXe siècle)

17 et 24 septembre 1831, Les Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre. Conte inédit d’Hoffmann (Mercure de France au XIXe siècle)

4 décembre 1831, Cour de prison, Le Soleil et la gloire (Le Cabinet de lecture)

17 décembre 1831, Odelettes. La Malade, Le Soleil et la Gloire, Le Réveil en voiture, Le Relais, Une Allée du Luxembourg, Notre-Dame-de-Paris (Almanach des muses)

17 décembre 1831, Fantaisie, odelette (Annales romantiques pour 1832)

24 septembre 1832, La Main de gloire, histoire macaronique (Le Cabinet de lecture)

14 décembre 1834, Odelettes (Annales romantiques pour 1835)

1835-1838 ? Lettres d’amour (manuscrits autographes)

26 mars et 20 juin 1836, De l’Aristocratie en France (Le Carrousel)

20 et 26 mars 1837, De l’avenir de la tragédie (La Charte de 1830)

12 août 1838, Les Bayadères à Paris (Le Messager)

18 septembre 1838, A M. B*** (Le Messager)

2 octobre 1838, La ville de Strasbourg. A M. B****** (Le Messager)

26 octobre 1838, Lettre de voyage. Bade (Le Messager)

31 octobre 1838, Lettre de voyage. Lichtenthal (Le Messager)

24 novembre 1838, Léo Burckart (manuscrit remis à la censure)

25, 26 et 28 juin 1839, Le Fort de Bitche. Souvenir de la Révolution française (Le Messager)

13 juillet 1839 (BF) Léo Burckart, chez Barba et Desessart

19 juillet 1839, « Le Mort-vivant », drame de M. de Chavagneux (La Presse)

15 et 16-17 août 1839, Les Deux rendez-vous, intermède (La Presse)

17 et 18 septembre 1839, Biographie singulière de Raoul Spifamme, seigneur des Granges (La Presse)

21 et 28 septembre 1839, Lettre VI, A Madame Martin (Lettres aux belles femmes de Paris et de la province)

28 janvier 1840, Lettre de voyage I (La Presse)

25 février 1840, Le Magnétiseur

5 mars 1840, Lettre de voyage II (La Presse)

8 mars 1840, Lettre sur Vienne (L’Artiste)

26 mars 1840, Lettre de voyage III (La Presse)

28 juin 1840, Lettre de voyage IV, Un jour à Munich (La Presse)

18 juillet 1840 (BF) Faust de Goëthe suivi du second Faust, chez Gosselin

26 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort I (La Presse)

29 juillet, 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort II (La Presse)

30 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort III (La Presse)

11 février 1841, Une Journée à Liège (La Presse)

18 février 1841, L’Hiver à Bruxelles (La Presse)

1841 ? Première version d’Aurélia (feuillets autographes)

février-mars 1841, Lettre à Muffe, (sonnets, manuscrit autographe)

1841 ? La Tête armée (manuscrit autographe)

mars 1841, Généalogie dite fantastique (manuscrit autographe)

1er mars 1841, Jules Janin, Gérard de Nerval (Journal des Débats)

5 mars 1841, Lettre à Edmond Leclerc

7 mars 1841, Les Amours de Vienne (Revue de Paris)

31 mars 1841, Lettre à Auguste Cavé

11 avril 1841, Mémoires d’un Parisien. Sainte-Pélagie en 1832 (L’Artiste)

9 novembre 1841, Lettre à Ida Ferrier-Dumas

novembre? 1841, Lettre à Victor Loubens

10 juillet 1842, Les Vieilles ballades françaises (La Sylphide)

15 octobre 1842, Rêverie de Charles VI (La Sylphide)

24 décembre 1842, Un Roman à faire (La Sylphide)

19 et 26 mars 1843, Jemmy O’Dougherty (La Sylphide)

11 février 1844, Une Journée en Grèce (L’Artiste)

10 mars 1844, Le Roman tragique (L’Artiste)

17 mars 1844, Le Boulevard du Temple, 1re livraison (L’Artiste)

31 mars 1844, Le Christ aux oliviers (L’Artiste)

5 mai 1844, Le Boulevard du Temple 2e livraison (L’Artiste)

12 mai 1844, Le Boulevard du Temple, 3e livraison (L’Artiste)

2 juin 1844, Paradoxe et Vérité (L’Artiste)

30 juin 1844, Voyage à Cythère (L’Artiste)

28 juillet 1844, Une Lithographie mystique (L’Artiste)

11 août 1844, Voyage à Cythère III et IV (L’Artiste)

15 septembre, Diorama (L’Artiste-Revue de Paris)

29 septembre 1844, Pantaloon Stoomwerktuimaker (L’Artiste)

20 octobre 1844, Les Délices de la Hollande I (La Sylphide)

8 décembre 1844, Les Délices de la Hollande II (La Sylphide)

16 mars 1845, Pensée antique (L’Artiste)

19 avril 1845 (BF), Le Diable amoureux par J. Cazotte, préface de Nerval, chez Ganivet

1er juin 1845, Souvenirs de l’Archipel. Cérigo (L’Artiste-Revue de Paris)

6 juillet 1845, L’Illusion (L’Artiste-Revue de Paris)

5 octobre 1845, Strasbourg (L’Artiste-Revue de Paris)

novembre-décembre 1845, Le Temple d’Isis. Souvenir de Pompéi (La Phalange)

28 décembre 1845, Vers dorés (L’Artiste-Revue de Paris)

1er mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste I (L’Artiste-Revue de Paris)

15 mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste II (L’Artiste-Revue de Paris)

1er mai 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne (Revue des Deux Mondes)

17 mai 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste III (L’Artiste-Revue de Paris)

1er juillet 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne. Les Esclaves (Revue des Deux Mondes)

12 juillet 1846 Sensations d’un voyageur enthousiaste IV (L’Artiste-Revue de Paris)

16 août 1846, Un Tour dans le Nord. Angleterre et Flandre (L’Artiste-Revue de Paris)

30 août 1846, De Ramsgate à Anvers (L’Artiste-Revue de Paris)

15 septembre 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne. Le Harem (Revue des Deux Mondes)

20 septembre 1846, Une Nuit à Londres (L’Artiste-Revue de Paris)

1er novembre 1846, Un Tour dans le Nord III (L’Artiste-Revue de Paris)

22 novembre 1846, Un Tour dans le Nord IV (L’Artiste-Revue de Paris)

15 décembre 1846, Scènes de la vie égyptienne moderne. La Cange du Nil (Revue des Deux Mondes)

1847, Scénario des deux premiers actes des Monténégrins

15 février 1847, La Santa-Barbara. Scènes de la vie orientale (Revue des Deux Mondes)

15 mai 1847, Les Maronites. Un Prince du Liban (Revue des Deux Mondes)

15 août 1847, Les Druses (Revue des Deux Mondes)

17 octobre 1847, Les Akkals (Revue des Deux Mondes)

21 novembre 1847, Souvenirs de l’Archipel. Les Moulins de Syra (L’Artiste-Revue de Paris)

15 juillet 1848, Les Poésies de Henri Heine (Revue des Deux Mondes)

15 septembre 1848, Les Poésies de Henri Heine, L’Intermezzo (Revue des Deux Mondes)

7 janvier-24 juin 1849, puis 2 septembre 1849-27 janvier 1850, Al-Kahira. Souvenirs d’Orient (La Silhouette)

1er-27 mars 1849, Le Marquis de Fayolle, 1re partie (Le Temps)

26 avril 16 mai 1849, Le Marquis de Fayolle, 2e partie (Le Temps)

6 octobre 1849, Le Diable rouge (Almanach cabalistique pour 1850)

3 novembre 1849 (BF), Le Diable vert, et Impression de voyage (Almanach satirique, chez Aubert, Martinon et Dumineray)

7 mars-19 avril 1850, Les Nuits du Ramazan (Le National)

15 août 1850, Les Confidences de Nicolas, 1re livraison (Revue des Deux Mondes)

26 août 1850, Le Faust du Gymnase (La Presse)

1er septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 2e livraison (Revue des Deux Mondes)

9 septembre 1850, Excursion rhénane (La Presse)

15 septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 3e livraison (Revue des Deux Mondes)

18 et 19 septembre 1850, Les Fêtes de Weimar (La Presse)

1er octobre 1850, Goethe et Herder (L’Artiste-Revue de Paris)

24 octobre-22 décembre 1850, Les Faux-Saulniers (Le National)

29 décembre 1850, Les Livres d’enfants, La Reine des poissons (Le National)

novembre 1851, Quintus Aucler (Revue de Paris)

24 janvier 1852 (BF), L’Imagier de Harlem, Librairie théâtrale

15 juin 1852, Les Fêtes de mai en Hollande (Revue des Deux Mondes)

1er juillet 1852, La Bohême galante I (L’Artiste)

15 juillet 1852, La Bohême galante II (L’Artiste)

1er août 1852, La Bohême galante III (L’Artiste)

15 août 1852, La Bohême galante IV (L’Artiste)

21 août 1852 (BF), Lorely. Souvenirs d’Allemagne, chez Giraud et Dagneau (Préface à Jules Janin)

1er septembre 1852, La Bohême galante V (L’Artiste)

15 septembre 1852, La Bohême galante VI (L’Artiste)

1er octobre 1852, La Bohême galante VII (L’Artiste)

9 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 1re livraison (L’Illustration)

15 octobre 1852, La Bohême galante VIII (L’Artiste)

23 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 2e livraison (L’Illustration)

30 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 3e livraison (L’Illustration)

1er novembre 1852, La Bohême galante IX (L’Artiste)

6 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 4e livraison (L’Illustration)

13 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 5e livraison (L’Illustration)

15 novembre 1852, La Bohême galante X (L’Artiste)

20 novembre 1852, Les Illuminés, chez Victor Lecou (« La Bibliothèque de mon oncle »)

1er décembre 1852, La Bohême galante XI (L’Artiste)

15 décembre 1852, La Bohême galante XII (L’Artiste)

1er janvier 1853 (BF), Petits Châteaux de Bohême. Prose et Poésie, chez Eugène Didier

15 août 1853, Sylvie. Souvenirs du Valois (Revue des Deux Mondes)

14 novembre 1853, Lettre à Alexandre Dumas

25 novembre 1853-octobre 1854, Lettres à Émile Blanche

10 décembre 1853, Alexandre Dumas, Causerie avec mes lecteurs (Le Mousquetaire)

17 décembre 1853, Octavie (Le Mousquetaire)

1853-1854, Le Comte de Saint-Germain (manuscrit autographe)

28 janvier 1854 (BF) Les Filles du feu, préface, Les Chimères, chez Daniel Giraud

31 octobre 1854, Pandora (Le Mousquetaire)

25 novembre 1854, Pandora, épreuves du Mousquetaire

Pandora, texte reconstitué par Jean Guillaume en 1968

Pandora, texte reconstitué par Jean Senelier en 1975

30 décembre 1854, Promenades et Souvenirs, 1re livraison (L’Illustration)

1854 ? Sydonie (manuscrit autographe)

1854? Emerance (manuscrit autographe)

1854? Promenades et Souvenirs (manuscrit autographe)

janvier 1855, Oeuvres complètes (manuscrit autographe)

1er janvier 1855, Aurélia ou le Rêve et la Vie (Revue de Paris)

6 janvier 1855, Promenades et Souvenirs, 2e livraison (L’Illustration)

3 février 1855, Promenades et Souvenirs, 3e livraison (L’Illustration)

15 février 1855, Aurélia ou Le Rêve et la Vie, seconde partie (Revue de Paris)

15 mars 1855, Desiderata (Revue de Paris)

1866, La Forêt noire, scénario

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BF: annonce dans la Bibliographie de la France

Manuscrit autographe: manuscrit non publié du vivant de Nerval

6 mars 1849 — Le Marquis de Fayolle, dans Le Temps, 5e livraison.

Humilié publiquement au château par l’abbé Péchard : « Toi ? dit Péchard, pauvre garçon ! tu n’es même pas un homme du peuple... Tu es un enfant trouvé !... », Georges s’en retourne la rage au cœur avec le recteur Huguet qui, après mûres réflexions, décide de l’éloigner. Il ira à Rennes faire des études de médecine. Ainsi, « La honte de sa naissance ne lui sera pas un obstacle ». À Rennes, fin 1788, les idées révolutionnaires fermentent déjà.

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LE MARQUIS DE FAYOLLE.

Ire PARTIE. — LES CHOUANS.

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CHAPITRE II.

LE SOUPER. — (Suite.)

Georges leva la tête sous tant d’affront :

— Monsieur le comte disait tout à l’heure, s’écria-t-il, qu’il donnerait sa fille à un homme du peuple... Et que suis-je donc, moi ?

— Toi ? dit Péchard, pauvre garçon ! tu n’es même pas un homme du peuple... Tu es un enfant trouvé !...

Ce mot tomba comme un soufflet sur la joue du malheureux Georges.

Il resta un instant les yeux fixés à terre, pâle, immobile, frémissant de honte et de colère.

— Vous êtes cruel, Monsieur, dit Huguet en regardant fixement Péchard ; il n’est pas généreux de reprocher à ce jeune homme un malheur dont il est innocent.

— Eh ! mais, — observa la baronne, — séduire une noble fille, ce n’est pas si maladroit ; c’est une manière commode de se faire un nom... quand on n’en a pas.

— Il n’est pas nécessaire, je pense, dit sévèrement le comte à Huguet, de nous ramener ce petit jeune homme au château !

Georges, oppressé par ses sanglots, entendit tout et ne répondit pas.

L’abbé Huguet lui prit le bras et l’entraîna hors de la salle.

Comme ils passaient devant l’office, un petit homme en blouse bleue et coiffé d’un chapeau de paille recouvert d’une toile cirée, se leva précipitamment de table, et saluant respectueusement l’abbé :

— Vous retournez à Vitré, monsieur le recteur. Si vous le permettez, nous ferons route ensemble.

— Volontiers, père Martinet, — dit Huguet avec distraction.

Le père Martinet siffla son chien qui fracassait la vaisselle de l’office ; et tous trois sortirent ensemble du château d’Epinay.

Martinet qui, plus tard, jouera un rôle important dans ce récit, était un homme de trente-six ans environ ; il avait les jambes torses comme un basset, le nez crochu, les yeux petits, caves et inquiets. — Il faisait toutes sortes de métiers : sa sœur tenait un mauvais cabaret à la mi-forêt de Rennes... lui, courait les fermes des environs, changeait des chiffons pour des épingles, vendait de la mercerie, troquait pour de méchans mouchoirs mauvais teint les beaux cheveux des paysannes ; achetait des chevaux, des moutons et des vaches, qu’il engraissait dans la forêt et dans les rigoles des grands chemins.

Il connaissait les secrets, les besoins et les ressources de tout le monde, et prêtait à des taux fabuleux, aux paysans gênés, des fonds pour le compte de certains banquiers de Rennes et de Saint-Malo.

Il était partout et toujours suivi d’un mauvais barbet noir, sale et crotté, qu’il appelait Sansgêne, — à cause de ses façons gourmandes et familières.

Comme il savait lire et écrire, — il se flattait même d’avoir été clerc d’huissier, — les paysans, en lui parlant, l’appelaient monsieur Martinet, et par derrière, c’était le père Martinet, — capable de vendre son père pour un écu de six livres.

— C’est de drôle de monde, voyez-vous, que ces gens du château, — dit Martinet en cherchant à deviner la pensée de l’abbé Huguet, — ça vous donne à boire et à manger, je ne dis pas, mais dans le fond, ça vous regarde toujours de sa hauteur. — Je rends quelques petits services à M. le comte... Il a bien voulu m’inviter à dîner aujourd’hui, mais à l’office, comme de raison. Vous n’avez pas beaucoup mangé à la grande table, savez-vous ? — Les plats nous arrivaient quasi comme si on les avait faits pour nous... Ah ! nous avons bien dîné à l’office — moi et Sansgêne.

Le barbet, comprenant qu’on parlait de lui, répondit par un grognement.

— Ce sont des gens fiers, dit l’abbé Huguet qui ne put retenir cette observation.

— Oh ! c’est égal, dit Martinet, quand on est à la table d’honneur, ça n’humilie pas... mais qu’est-ce que vous avez donc, jeune homme, ajouta-t-il en s’adressant à Georges, on dirait que vous sanglotez...

— Moi ? dit Georges en comprimant aussitôt sa rage et partant d’un éclat de rire convulsif.

— Excusez, monsieur Georges, ah ! je me suis trompé ; quand on vient de dîner en si belle compagnie on a plus de sujet de rire que de pleurer.

L’abbé Huguet se hâta de parler de choses indifférentes, heureux encore en lui-même cependant de n’avoir pas à s’entretenir immédiatement avec Georges des événemens qui s’étaient passés au château. Il ne put toutefois retenir en causant avec Martinet quelques observations sur l’inégalité des classes, assez hardies déjà pour l’époque dans la bouche d’un recteur, mais son cœur débordait d’amertume et il fallait qu’il en manifestât quelque chose — même pour son grossier compagnon de route.

Martinet entrant dans ses idées lui dit d’un ton confidentiel :

— Patience, monsieur le Recteur, patience... ça ne durera pas longtemps... tout ce qui brille n’est pas or... Et ceux qu’on envoie manger à la cuisine ont souvent plus d’écus à leur service que les maîtres du château.

On arrivait à Vitré :

Martinet prit la route de Fougères pour se rendre à la foire du lendemain.

Georges suivit l’abbé Huguet, dans la petite maison qu’ils occupaient tous deux à quelques pas de l’église.

CHAPITRE III.

LE RECTEUR DE VITRÉ.

Aucune explication n’eut lieu entre eux ce soir-là. Huguet feignit une grande sévérité et ordonna à Georges de monter à sa chambre. Ce dernier fut au moment de se jeter aux genoux du prêtre et de l’interroger sur sa naissance ; mais on lui avait dit tant de fois qu’il avait été trouvé exposé sur le seuil d’une église, que rien ne lui faisait penser que l’abbé en sût davantage. Quant à se plaindre longuement de sa situation, il était trop fier pour le faire, et aussi trop coupable, au fond, des malheurs de cette journée.

Resté seul, le recteur ne put dormir de la nuit. Il se représentait les attaques terribles de l’abbé Péchard contre lui-même et contre son élève, il se reprochait de n’avoir rien trouvé à lui répondre, effrayé qu’il était de sa propre imprudence. — Mon Dieu ! se disait-il, serait-il vrai que tu daignes te manifester dans les événemens de chaque jour, — comme le disait Péchard avec ses maximes de théologie banale ! — Et moi, suis-je donc un prêtre indigne, moi qui pense que sur cette terre l’homme possède toute liberté d’agir, quitte à répondre après du mal qu’il aura pu faire ? S’il en est autrement, si la Providence intervient à toute heure, pourquoi tant de misères, pourquoi tant de souffrances, pourquoi tant de crimes ? Comment serait-on libre, au milieu d’un réseau de fatalités qui se dresseraient çà et là sur notre route ? Il faudrait se résoudre à ne point faire un pas, à ne point émettre une idée, — il faudrait passer sa vie dans l’immobilité comme un faquir de l’Inde. Oh ! non, il y a quelque chose qui compense les idées fausses, ce sont les nobles inspirations de l’âme humaine, — qui remontent à toi, mon Dieu !

Mais croire à une intervention matérielle de ta puissance, croire, par exemple, que le marquis de Fayolle serait mort misérablement en Amérique pour punition d’avoir tué en duel M. de Maurepas, voilà ce que je ne puis faire !

Et en admettant même que ta main frappe les grands crimes : qu’a fait ce pauvre enfant, qui ignore même toute la honte de sa naissance ? — Homme du peuple ! ce serait encore quelque chose, disait Péchard, mais ce n’est qu’un enfant trouvé ! Je n’ai rien dit, moi, contre ces paroles, car peut-être eussé-je laissé échapper un secret plus terrible — que nul ne soupçonne du moins !

Non, je ne crois pas à la fatalité ; pourtant, par quel aveuglement me suis-je laissé aller à conduire si souvent Georges dans ce château d’Epinay, où eut lieu sa triste naissance ? Comment ce château lui-même se trouve-t-il appartenir, après dix-huit ans, au frère du marquis de Fayolle ; comment arrive-t-il que ce pauvre jeune homme, dans lequel je voyais toujours un enfant — devient amoureux de la noble fille du comte ?... Eh ! mon Dieu, c’est une série de hasards, voilà tout ! Ce château, faute d’héritiers directs du comte de Maurepas, a passé dans la famille... dans la famille du meurtrier, c’est vrai —, mais par suite d’alliances étrangères à tout cela. Autre hasard. Le comte de Fayolle voit chez moi cet orphelin, le trouve aimable, s’intéresse à lui, et voulant se montrer au-dessus des préjugés vulgaires, m’engage à l’amener de temps en temps au château ; — quoi de plus naturel que tout cela ? L’amour entre deux enfans du même âge est un autre hasard bien simple, — auquel seulement j’aurais dû veiller.

Maintenant que le mal est fait... il faut éloigner Georges. Je l’enverrai commencer ses cours à Rennes ; car je n’en veux pas faire un prêtre... J’ai trop souffert moi-même... Il étudiera la médecine ; il se dévouera au soulagement de la souffrance humaine. C’est une autre forme de sacerdoce ; c’est une expiation aussi.

La honte de sa naissance ne lui sera pas un obstacle dans cette noble carrière ; — c’est le prêtre, c’est le médecin, c’est l’avocat encore, qui commencent à opérer une fusion salutaire dans cette société, composée de castes !... On ne leur demande pas d’où ils sortent, mais ce qu’ils valent. — Indépendant plus que tous, le médecin possède une autorité contre laquelle le monde ne peut se défendre ; — la société tient à lui, — et il ne tient pas à elle, c’est avant tout un savant et un philosophe ; — dans la chambre même de son malade, au château comme à la chaumière, il est le maître, il est chez lui !

On ne le jette pas à la porte, celui-là !

Le lendemain, l’abbé Huguet expliqua ses intentions à Georges, qui ne tarda pas à partir.

CHAPITRE IV.

LE CAFÉ DE L’UNION.

Quand Georges arriva à Rennes, les idées révolutionnaires fermentaient dans toutes les têtes, faisaient battre tous les cœurs généreux.

Le tiers-état de Bretagne, dès le 22 décembre 1788, avait formulé ses plaintes contre la Noblesse et exposé nettement et avec énergie ces grandes idées qui devaient plus tard immortaliser les travaux de l’Assemblée constituante.

Il demandait :

La souveraineté nationale. — La fusion des trois ordres de la grande famille du Peuple. — La délibération par tête ; — celle qui s’opérait par classe de privilégiés ne pouvant qu’anéantir l’esprit public et soumettre vingt-cinq millions d’hommes aux volontés de quelques milliers d’individus. — Le salaire des députés payé par leurs provinces. — L’abolition des lettres de cachet. — La suppression des prisons d’Etat. — L’affranchissement des serfs et mainmortables. — La liberté indéfinie de la presse. — La suppression des quêtes des religieux mendians et autres, « comme contraires à la décence et aux bonnes mœurs. » — La suppression de la vénalité des offices et des juridictions seigneuriales. — L’abrogation du Code criminel. — La réformation du Code civil. — L’extinction de la mendicité. — La loi sur la chasse, sur les écoles primaires. — « La nécessité pressante d’abolir la noblesse, » cri imposant et universel de toutes les paroisses de la sénéchaussée de Reims [sic pour Rennes]. — L’abolition gratuite des chevauchées, quintaines, soule, saut de poisson, baiser de mariée, chansons, transport de bœuf sur une charrette, silence de grenouilles, — et autres usages de ce genre, aussi superstitieux qu’extravagans.

Qu’on juge de la fermentation que produisirent ces idées jetées au milieu des masses, et surtout parmi la jeunesse des écoles.

C’était au café de l’Union, sur la place du Palais, que se réunissaient, le soir, les jeunes gens des comptoirs, des écoles de droit et de médecine, et la plupart des mécontens de la ville.

Là, à la lueur d’une lampe fumeuse, au milieu d’un nuage de fumée de tabac, on voyait groupés autour de petites tables couvertes de toile cirée et chargées de bouteilles, des jeunes gens à la parole vibrante et passionnée, à l’œil brillant, aux gestes animés, discutant avec chaleur.

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7 mars 1849 — Le Marquis de Fayolle, dans Le Temps, 6e livraison.

À Rennes, Georges se lie avec des étudiants fervents représentants de l’esprit révolutionnaire. Parmi eux, Chassebœuf, autrement dit Volney, les futurs généraux de Napoléon Moreau et Bernadotte.

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LE MARQUIS DE FAYOLLE.

Ire PARTIE. — LES CHOUANS

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CHAPITRE IV.

LE CAFÉ DE L’UNION. — (Suite.)

Dès les premiers jours de son arrivée à Rennes, Georges s’était lié avec les jeunes gens qui lui avaient paru le plus exaltés contre la noblesse.

En face de lui, à la même table, était assis un grand jeune homme de Morlaix, qui plus tard devait s’appeler le général Moreau et mourir les armes à la main contre sa patrie. — A cette époque, Moreau, par son audace et son sang-froid dans le danger, avait acquis une grande influence sur les étudians de son temps, qui l’avaient nommé prévôt de l’école de droit.

A côté de lui, un jeune homme pâle et fluet, au front large et lourd de pensées, avec de petits yeux à demi fermés, un nez recourbé sur une petite bouche aux lèvres minces, — Chassebœuf — qui plus tard ne garda que le nom de Volney.

En face s’épanouissait la face béate et rondelette d’un étudiant connu sous le singulier nom d’Omnes omnibus. Telliac, Marain, Jouault, Blin et une foule de jeunes gens à l’âme ardente et généreuse y causaient çà et là.

Tout-à-coup un sergent de royal-marine entra dans le café, l’habit débraillé et les cheveux en désordre.

— Bernadotte !... dirent plusieurs jeunes gens qui le reconnurent.

— Les infâmes !... s’écria-t-il en gesticulant avec violence, je ne serai heureux que quand j’aurai écrasé sous mon talon la tête du dernier de ces hobereaux !

Plusieurs de ses amis l’entourèrent.

— Qu’as-tu ?

— Tout à l’heure, dit-il, au détour de la rue Montfort, je me suis trouvé nez à nez avec une douzaine de ces épées de fer. L’un d’eux prétend que je l’ai heurté du coude. — Si je vous ai insulté, dis-je en dégainant, et lui montrant un réverbère, je suis tout prêt à vous donner satisfaction. — Mon cher, m’a-t-il répondu en me tournant le dos, je ne me bats pas avec un sergent... Adressez-vous à un de mes laquais... Furieux, j’allais lui passer mon épée au travers du corps, quand une bande de drôles à sa livrée m’entourent, me poussent, me bousculent, m’arrachent mon épée des mains, la brisent, m’en jettent les morceaux à la figure, et me mettent enfin dans l’état où vous me voyez...

— C’est une indignité !... s’écrie-t-on de tous côtés.

— Il faut que cela ait une fin... dit Moreau en se levant, et laissant retomber lourdement son poing sur la table. — Il y a assez longtemps que le peuple, comme un chien soumis, se tient couché à plat ventre devant ses maîtres... Qu’il se lève à la fin et montre les dents !

— Oui, dit Jouault, il y a assez longtemps que leur orgueil nous écrase... faisons voir aux gentilshommes que nous sommes des hommes !

— Et des hommes libres ! ajouta Omnes. — Ne sommes-nous pas tous sortis de la côte d’Adam ?

— Ceci est une question, dit Chassebœuf.

— Comment ?

— L’étude des races a démontré que chacun des grands continens a eu sa création... ou, si vous voulez ne pas admettre la création, — son éclosion d’hommes particulière. Il existe donc primitivement quatre races correspondant aux quatre parties du monde. Ainsi, la race noire appartient à l’Afrique, le plus ancien des continens, la race jaune à l’Asie, la blanche à l’Europe, la rouge à l’Amérique. Dans le principe, ces quatre portions du monde étaient séparées par des mers ; chacune d’elles avait ses animaux et ses plantes particulières... Il faudrait même supposer une cinquième série d’organisation pour le monde détruit des Atlantes, — dont Bailly a écrit l’histoire et qui reparaît peu à peu à la surface des eaux de l’Atlantique sous forme d’îles considérables. Quant à ce qui est de la race dite Adamique.....

— Où veux-tu en venir ? interrompit Moreau en fronçant le sourcil. Penses-tu nous prouver que les gentilshommes soient d’une race supérieure ?

— Ce n’est pas mon intention.

— Eh bien ! qu’importe tout cela, dit Bernadotte, j’ai été indignement outragé, j’en tirerai vengeance.

— Et nous serons tous avec toi, s’écria Moreau.

— Il fera jour demain, dit Omnes-Omnibus. Laisse-nous en attendant écouter les paradoxes scientifiques de ce brave Chassebœuf. C’est un homme qui a voyagé et qui a risqué sa vie plus souvent que nous tous. Il est allé puiser la sagesse en Orient, il a vécu quatre ans parmi les Egyptiens et les Druses, il est bon à écouter pour des jeunes gens comme nous.

— Je n’ai encore que trente ans, dit Chassebœuf avec ce fin sourire qui, aidé du soleil d’Orient, avait déjà prononcé des rides sur les pommettes saillantes de son visage.

— Et tu viens de recevoir, dit Moreau se rasseyant, une belle médaille d’or de l’impératrice Catherine, pour ton voyage de Syrie ; cela te rend plus indulgent à l’égard des grands de la terre.

— Tout jeune encore que je suis, dit Volney, j’ai beaucoup vécu, et les convictions qui me restent sont formées et irrévocables. Je souhaite que les tiennes aient une base aussi solide.

— L’origine de la noblesse est bien simple, dit Jouault, et il n’est pas besoin de remonter jusqu’au père Adam, — auquel Chassebœuf est bien libre de ne pas croire... — Dans les temps de barbarie, où la force brutale faisait loi, où chaque homme avait, à toute heure du jour, à défendre sa vie et sa chaumière, on avait besoin de se grouper autour d’un chef, de concentrer ses efforts, et de donner la part la plus large à celui qui était le plus vaillant et le plus courageux. Mais aujourd’hui, Messieurs, c’est la pensée, c’est l’intelligence qui gouvernent le monde ; c’est la loi qui protège tous les citoyens, et tous les hommes doivent être égaux devant la loi... Plus de noblesse ? plus de privilèges ! plus de servitude !

— Vive la liberté ! vive l’égalité ! — s’écria tout le café électrisé.

— Vive la liberté, en effet !... s’écria Volney, dont la voix grêle se perdait d’abord dans le tumulte, mais qui finit par le dominer... Quant à l’égalité, vous la réclamerez en vain. — Elle n’existe pas plus dans l’ordre moral que dans l’ordre physique. Ce qu’il faut établir, c’est la fraternité humaine, c’est la solidarité de tous les membres de la grande famille sociale, autrement l’égalité n’est qu’un vain mot. Ce que disait Jouault tout à l’heure était vrai... mais d’une vérité banale... La force seule ne constitua pas l’origine et le droit de la noblesse. Il faut compter aussi l’audace, le courage primitif, et souvent même la vertu des tribus militaires, — qui viennent, tout en les frappant, régénérer les civilisations dégradées, engourdies dans le vice et la lâcheté ! Ceux qui ne savent pas résister à l’oppression méritent de la subir !

Un murmure d’incertitude courait dans l’Assemblée. Cependant l’autorité d’un talent reconnu, les opinions avancées du journal la Sentinelle, fondé à Rennes par Volney, lui conciliaient encore l’attention...

— Paradoxe que tout cela, dit Bernadotte... A ce compte, j’appartiendrais à la race vaincue, et cependant je me sens plus brave que le lâche seigneur qui vient de m’insulter sans risque... à ce qu’il croit du moins.

— Laissons de côté les questions personnelles, dit l’étudiant Omnes-Omnibus.

— Chassebœuf, — recueilli en lui-même, promenait son regard perçant sur l’Assemblée et n’était nullement disposé à céder un pouce de son système ni à répondre aux interruptions.

— Il est évident, dit-il, que la constitution de la noblesse a été partout le résultat de la conquête. — La race franke, issue du rameau indo-germanique...

— Assez d’histoire, dit Moreau.

— Cette fois, tout le monde cria silence à l’interrupteur.

— ..... A conquis évidemment la plus grande partie de la Gaule, où elle est venue importer ce système dit féodal, qui existe encore dans toute sa pureté parmi les tribus du Caucase.

— Allons, allons, garde cela pour ton livre (Volney s’occupait alors de ses considérations sur les Turcs) et passons à notre époque, dit Jouault.

— Hé bien, mes amis, dit Chassebœuf comprenant que ce n’était pas le lieu de développer tout un système, il en est des races d’hommes comme des races d’animaux, lesquelles s’abâtardissent et dégénèrent. — C’est ainsi que le descendant du noble chien César devient un laridon digne à peine de mettre en jeu les tourne-broches.

Une salve d’applaudissemens accueillit cette comparaison.

— Ne niez pas, dit Chassebœuf en s’animant, que les races militaires n’aient joué un beau rôle sur notre globe... Mais leur mission est finie. La destinée a frappé les plus nobles souches et il n’en reste plus que de faibles surgeons. La guerre et l’échafaud ont détruit cette race altière, et, pour ce qui en reste, vous en aurez bon marché.

— Enfin, dégradé ou non, dit Moreau, c’est encore la race conquérante qui nous opprime, et, de par la science, tu nous classes parmi les populations inférieures et vaincues.

— De par l’histoire, prouverez-vous que vous n’avez pas supporté cet opprobre pendant un grand nombre de siècles ? Et d’ailleurs, la nature elle-même a classé différemment les familles dans des espèces identiques. Le cheval de labour n’est pas un cheval arabe ; le noble lévrier est quelque chose de plus qu’un carlin !

— Mais quelle est cette fantaisie de comparer l’homme à la brute ? Le courage est dans l’être fort, et non dans l’être dégradé...

— Qu’elles se lèvent donc, dit Chassebœuf, ces races que l’oppression a si longtemps courbées, dont un dur labeur a épaissi les membres et déjeté la stature, dont la souffrance et la crainte ont contracté les traits, ou leur ont donné l’expression de la ruse ! et elles se régénéreront à leur tour et ne transmettront plus à leurs enfans les signes physiques d’une longue servitude.

— Ainsi, selon toi, il n’y aurait que de ces natures difformes dans le peuple et parmi nous-mêmes ?

— Vous autres, vous appartenez à la bourgeoisie, — dont le type s’est déjà amélioré par suite d’une liberté relative et d’une aisance qui l’exempte des durs travaux. Ensuite, voyez-vous, il s’est opéré bien des croisemens d’alliances nobles et roturières, légales ou illégales. Les seigneurs, en vertu de leurs droits ou de leur position, ont peuplé les campagnes d’une postérité déjà bien nombreuse ; et n’y a-t-il pas souvent aussi des fantaisies inverses chez les nobles châtelaines ou chez nos dames de la cour ?...

— De telle sorte, dit Omnes-Omnibus, qu’il peut se trouver dans le peuple beaucoup de gens de noble race, et bien des manans parmi la noblesse ?

Un éclat de rire général applaudit à cette observation.

— A ce compte-là nous sommes près de nous entendre, dit Moreau.

— Tenez, reprit Chassebœuf, qui suivait toujours sa pensée à travers les interruptions, vous voyez bien ce jeune homme en face de moi ; — et il désignait Georges, spectateur muet de cette discussion un peu avancée pour lui, — Eh bien ! il est évident pour tout physiologiste qu’il n’appartient à aucun des quatre types qui constituent le populaire de la France, — il n’est ni Gaël, ni Kymri, ni Celte, ni Ibère d’origine — ce sont là les termes admis par la science, — ce n’est pas un gallo-romain — ce qui est généralement le caractère de la race bourgeoise, — c’est un franc, c’est un gentilhomme...

— Un gentilhomme ! s’écria-t-on.

— Oh ! de père et de mère, il n’y a pas de type plus pur. Quel est votre nom ? jeune étudiant.

— Je n’en ai pas, Monsieur, dit Georges en se levant de table. Mon nom de baptême est Georges.

— Alors, c’est un bâtard, dit Chassebœuf — avec l’indifférence, quant au sujet, d’un professeur qui fait une leçon d’histoire naturelle.

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8 mars 1849 — Le Marquis de Fayolle, dans Le Temps, 7e livraison.

Le marquis de Fayolle, revenu d’Amérique, donne une grande réception dans sa demeure de Rennes où il a convié la noblesse bretonne et qu’illumine la grâce de Gabrielle.

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LE MARQUIS DE FAYOLLE.

Ire PARTIE. — LES CHOUANS

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CHAPITRE IV.

LE CAFÉ DE L’UNION. — (Suite.)

Georges sentit son front rougir, et la colère brillait déjà dans ses regards ; — mais la réflexion, dans cette âme déjà forte, suffit pour arrêter sur ses lèvres une réponse provocante.

Il comprit que l’intention de Chassebœuf n’avait pas été de le blesser, — et d’ailleurs, la plupart de ses camarades savaient déjà qu’il n’était qu’un orphelin recueilli par l’abbé Huguet. Dans une telle réunion même, si au dessus des vulgaires préjugés, son malheur lui devenait un titre de sympathie générale.

Du reste, s’il y avait un côté blessant pour lui dans l’hypothèse du savant, est-il sûr que la supposition d’une illustre origine n’en compensât pas en partie l’amertume ?... Il sentit cependant le besoin de dire en relevant la tête :

— Un bâtard, Monsieur ! qui vous dit que je sois un bâtard ? J’ai été exposé dans la rue et recueilli par charité. Mais croyez-vous que, dans ces temps de misère, il n’y ait pas d’honnêtes familles du peuple réduites à abandonner leurs enfans faute de pouvoir les nourrir ? Je sens en moi vibrer l’âme et la loyauté d’un homme du peuple ; et quant aux indices donnés par les physionomies, c’est une rêverie folle qu’il faut laisser à Lavater.

— Il ne s’agit pas ici de physionomie, dit Chassebœuf peu touché de l’interruption et s’adressant à l’assemblée. Dans toutes les espèces animales, les diverses familles se reconnaissent à la forme particulière des pattes et des mâchoires. — C’est la forme du pied qui permet seule de distinguer l’homme des autres singes.

Un éclat de rire universel concilia de nouveau à l’orateur l’attention de tout le café.

— .... ou si vous voulez, des autres orangs, — continua le savant avec le plus grand sérieux. Etudiez chez ce jeune homme les types irrécusables de la race franke. La main est large, — l’ongle est long et taillé en amande, — et pourtant les doigts sont effilés, le pied doit être bombé et courbé en arc par dessous, ce qui est le propre des races militaires habituées à l’usage du cheval.

— C’est bien cela, dit Omnes-Omnibus, regardant le pied de son camarade.

— Les narines se dilatent dans la colère ; — comme chez les carnassiers, le nez est fort, l’œil est perçant... Tels sont les signes les plus communs de la race pure... Presque toujours le front est fuyant, ce qui n’indique qu’une intelligence ordinaire...

— Allons, finissons, dit Jouault qui sentait ce que cette énumération avait de pénible au fond pour celui qui en était l’objet ; — il est tard et nous avons à préparer pour demain des choses sérieuses... Assez de paradoxes pour aujourd’hui.

Volney, qui s’était laissé aller complaisamment à ses hypothèses favorites, sentit que la science devenait déplacée et qu’il était inutile de prolonger sa démonstration.

Nous saurons plus tard ce qui fut résolu au sortir du café, où il n’était pas prudent de faire connaître ses projets.

CHAPITRE V.

L’HÔTEL FAYOLLE.

Pendant que ces choses se passaient au café de l’Union, — un bal des plus brillans avait lieu à l’hôtel Fayolle.

Le marquis de Fayolle n’était point mort en Amérique, comme l’avait supposé Péchard ; — arrivé depuis quelques jours, il venait d’inviter toute la noblesse de Rennes et des environs, pour célébrer son retour, à une grande fête qu’il donnait.

Du milieu d’une rosace à ornemens historiés, pendait un lustre en cuivre doré, chargé d’une profusion de bougies ; au dessus de la cheminée en marbre blanc veiné, dessinée en arc d’amour, s’élevait jusqu’au plafond un trumeau encadré par un fouillis de branchages, de nids de tourterelles et de canaris dorés, dans lequel se miraient deux grands bras en cuivre doré, chargés de bougies.

Sur les fauteuils, sur les causeuses, sur le sopha en satin cerise et doré, se tenaient raides, guindées, poudrées, peinturées de blanc de céruse et vermillonnées, les plus grandes dames de la noblesse bretonne. C’étaient Mmes de Farcy, de Mué, de Genouillac, de Cormullier, de Coradens, Mlle de la Bintenaye et Mlle Gabrielle de Fayolle. Autour d’elles, les élégans, les heureux de cette société privilégiée, en habit et culotte de satin aurore, gris perle ou gorge de pigeon, soigneusement poudrés, papillonnaient, pirouettaient, chiffonnaient avec grâce la dentelle de leur jabot, faisaient glisser du bras droit sous le bras gauche, et réciproquement, leur petit tricorne galonné, ou s’occupaient à maintenir la pointe en l’air leurs épées à poignée de nacre ou d’ivoire. Parmi les plus élégans, on remarquait le marquis Tuffin de la Rouërie, — dont le marquisat était fort contesté parmi la noblesse d’alors ; MM. du Maz-Lamotte, de Batheul, de Piré, d’Epinay, de la Salle, de la Bourdonnaye, de Cintré-La Houssaye, etc.

Le marquis de Fayolle faisait les honneurs de son salon en homme façonné de longue main aux usages de la cour et du grand monde.

Tout le monde l’entourait : les femmes par curiosité, pour l’interroger sur les merveilles de l’Amérique, sur ses aventures qui devaient être fort étranges, sur une jeune enfant aux grands yeux noirs qu’il avait ramenée avec lui...

Messieurs du parlement trouvaient surprenant qu’un gentilhomme breton de bonne maison, — au lieu de rester à défendre les droits et prérogatives de sa province, eût été jusqu’au bout du monde prêter à des révoltés le secours de son épée. — Qu’étaient les Américains, après tout ?... des sujets en révolte contre les Anglais leurs suzerains.

— L’esprit révolutionnaire est partout aujourd’hui, — dit M. de la Houssaye ; — il a tourné toutes les têtes, bouleversé tous les esprits, — et d’Amérique il vient de passer jusqu’en Bretagne.

— Connaissez-vous le cahier des charges du tiers-état, marquis ? demanda M. de la Houssaye au marquis de Fayolle.

— Il y a quelque exagération, — répondit le marquis ; ces gens-là demandent plus pour avoir quelque chose.

— Comment, de l’exagération ? Dites plutôt de l’extravagance, de la folie ! s’écria M. de la Houssaye, pourpre d’indignation. Vouloir nous faire contribuer aux dépenses publiques ! vouloir taxer nos châteaux, nos parcs, nos jardins, nous faire payer les fouages !... c’est violer la propriété... Demander une représentation aux Etats égale aux deux nôtres ! Nous réduire à députer comme des roturiers ! à délibérer par tête encore ! c’est renverser la Constitution ! c’est ébranler le trône... Car nous sommes les soutiens du roi, Messieurs, et, quoique nous ne soyons que deux mille gentilshommes en Bretagne, c’est nous qui lui maintenons la province fidèle.

— Cela est évident ! dit M. de Cintré.

— Cependant, observa M. Tuffin de la Rouërie, je serais d’avis qu’on leur fît quelques concessions.

— Des concessions à ces gens-là, fi donc ! répondit M. de la Houssaye.

— Messieurs, les circonstances sont peut-être plus difficiles que vous ne paraissez le penser, dit le marquis de Fayolle... Le peuple crie...

— Eh bien ! c’est son rôle, dit M. de la Houssaye.

— Le peuple ! — dit M. de Boisgelin, voulez-vous dire une douzaine d’avocats et de marchands enrichis, qui s’en vont pérorant à tous les carrefours, déclamant dans les cafés, parlant beaucoup de liberté, d’égalité, de droits et d’impôts, pour flatter les passions de la multitude, les exploiter à leur profit et usurper nos privilèges?

— C’est aussi mon avis, — ajouta M. de Botherel ; — une centaine de lettres de cachet nous auraient bientôt débarrassés de leurs crailleries.

— Des lettres de cachet ! — y songez-vous, monsieur le comte ? dit M. de la Houssaye ; des lettres de cachet pour ces gens-là !... Mais que resterait-il donc à la noblesse ?

— Mon cher, — dit M. de Fayolle en prenant le bras de La Rouërie, faisons un tour dans le bal, et laissons ces messieurs se lamenter à cœur-joie.

— Et surtout taisons-nous, — dit Tuffin, ils nous croiraient devenus républicains pendant notre séjour en Amérique !

Tous deux s’arrêtèrent un instant à l’entrée de la salle de bal.

Gabrielle, en ce moment, faisait face à la porte d’entrée et dansait une gavotte avec M. de Tinteniac.

La Rouërie la contemplait avec admiration.

Le marquis de Fayolle suivit la direction de son regard, et eut peine à reconnaître sa nièce, tant il la trouva embellie et comme transfigurée par l’animation et le plaisir ; puis un nuage passa sur ses yeux, et ses sourcils se contractèrent... Un souvenir venait de traverser son esprit comme une flèche.

— Qu’elle est belle !... se disait-il à part soi. — Belle comme Héloïse ; comme Héloïse s’épanouissant à sa première pensée d’amour !

— Comment trouvez-vous cette jeune personne en robe de satin blanc qui danse avec M. de Tinteniac ? demanda La Rouërie en se penchant à l’oreille du marquis.

— Gabrielle ?... ma nièce ? — Je la trouve jolie, et vous ?

— Comment, jolie !… dites ravissante !... C’est la plus adorable personne que j’ai vue de ma vie... Voyez les beaux, les grands yeux bleus... et ses longs cils bruns relevés, et ses sourcils si finement dessinés !

— Ce sont de bien beaux yeux !

— Que de grâce et de fierté dans ce nez droit et fin, aux ailes mobiles et rosées !...

— C’est vrai, son nez est à ravir !

— Puis quand elle sourit, voyez donc les belles dents !...

— On dirait des perles, n’est-ce pas ?

— Je suis sûr que sous la poudre, ses cheveux sont du plus beau blond. Oh ! je donnerais dix ans de ma vie pour y plonger mes doigts et voir ses grands yeux humides s’arrêter sur les miens avec bonheur, avec volupté...

— Tudieu, le gaillard ! comme il prend feu ! Est-ce que, par hasard, vous seriez amoureux, mon ami ?

— Moi ! fit La Rouërie en protestant par un mouvement d’épaule ; mais, à mon avis, celui qui sera aimé de cette jeune fille sera heureux entre tous les hommes, car c’est une des plus belles personnes qu’il y ait au monde...

— Oh ! pour le coup, marquis, vous exagérez ; elle est un peu frêle, ceci soit dit entre nous.

— C’est de l’élégance et de la distinction, mon ami. Voyez quelle grâce dans la pose, dans les manières !

— Je la trouve très gracieuse, c’est vrai.

— Puis elle a je ne sais quel petit air dédaigneux qui lui sied à merveille ; on est tout heureux et tout fier, n’est-ce pas, quand elle veut bien vous regarder.

— Décidément, mon pauvre marquis, je vous plains... Vous êtes dangereusement amoureux, ou je ne m’y connais plus.

— Ah ! si j’avais vingt ans encore ! — s’écria La Rouërie avec un soupir de regret, si même je n’avais pas si follement gaspillé ma jeunesse...

— Il est certain qu’elle a été passablement tourmentée, votre jeunesse... Votre duel pour la Beaumesnil, de l’Opéra, qui refusa de vous épouser ; — votre duel avec le comte de Bourbon-Busset ; — votre empoisonnement, — votre entrée à la Trappe —, votre voyage en Amérique, votre dernière aventure avec Mlle de Moëlien... tout cela, que diable ! a dû calmer la fougue de votre caractère et vous guérir des femmes pour toujours.

— Est-ce qu’on guérit jamais de ces choses-là ?

— Je le crains bien... A chaque déception, on se dit qu’on est à jamais revenu de ces contrées utopiques de l’amour, qu’on est las de courir après cet Eldorado qui vous fuit toujours, — ce mirage des illusions qui danse devant vos yeux sans qu’on puisse l’atteindre... Comme on se rira sans pitié de ces doux regards, de ces émotions feintes, de ces trompeuses paroles... Oh ! les femmes ! elles peuvent venir à présent avec leur attirail de fausseté, leur arsenal d’armes émoussées et impuissantes !...

Et tout-à-coup, avant qu’on ait même songé à se mettre en garde, on voit surgir de nouveau tous ces blancs fantômes de la jeunesse, dont le souffle fait revivre mille pensées mortes, et reverdir l’arbre dépouillé par l’automne.

La danse venait de finir ; — le bal tirait à sa fin...

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9 mars 1849 — Le Marquis de Fayolle, dans Le Temps, 8e livraison.

Bientôt, une échauffourée va se produire entre les gentilshommes réunis chez le marquis de Fayolle et les étudiants révolutionnaires. Occasion pour Nerval, qui écrit, ne l’oublions pas, pour un journal républicain, de rappeler les revendications légitimes du Tiers-État.

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LE MARQUIS DE FAYOLLE.

Ire PARTIE. — LES CHOUANS.

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CHAPITRE V.

L’HÔTEL FAYOLLE. — (Suite.)

Le marquis de Fayolle emmena La Rouërie dans un petit salon à l’écart :

— Eh bien ! sérieusement, si ma nièce vous plaisait à ce point... nous verrions. Quant à moi, j’en serais charmé... Je ne vois pour vous d’autre rival que ce Tinteniac, garçon assez nul. Voulez-vous que j’en parle à mon frère ?

— Hum ! fit La Rouërie.

— Hein ?

— Je n’ai rien dit.

— Mais qu’est-ce que vous pensez ?

— J’admire beaucoup Mademoiselle de Fayolle, mais...

— Vous reculez encore devant le mariage... Bah ! il faut bien finir... par en finir. Nous ne sommes plus très jeunes, mon ami ; — mais qu’importe ?... On épouse, et cela vous fait une seconde jeunesse ; — on échappe au triste rôle de vieux garçon, — et l’on fait encore des conquêtes... en qualité de jeune mari.

— Fort bien ! mais écoutez ; — à un compagnon de voyage, à un frère d’armes, on peut tout dire... Je sais de bonne part que votre nièce a le cœur pris ailleurs.

— Je suis sûr qu’elle n’aime pas M. de Tinteniac.

— Aussi n’est-ce pas de lui que l’on parle...

Tinteniac, qui passait près du petit salon, entendant prononcer son nom, s’était retourné et s’avançait vers le marquis croyant qu’il l’appelait.

— Je crois même, continua La Rouërie sans le remarquer, que vous ne ferez pas mal de conseiller à votre frère de la marier le plus tôt possible...

— Pourquoi ?

— Je ne sais... des bruits de petite ville, des commérages de duègne, — des enfantillages...

— Enfin ?... dit Fayolle inquiet.

Tinteniac posa la main sur son cœur pour en comprimer les battemens.

— Mon Dieu ! rien, — reprit La Rouërie ; — vous savez qu’entre nous ces choses-là n’ont aucune importance, mais les épouseurs sont parfois plus exigeans.

— Est-ce que ma nièce ?...

— Non... on m’a seulement parlé de fleurs échangées, de petits sermens, de rendez-vous avec...

— Avec ?...

— Je ne sais qui... un bâtard, un enfant trouvé...

— Ceux qui disent cela ont menti et calomnié, — dit Tinteniac en se dressant devant La Rouërie.

— Monsieur !... dit La Rouërie.

— Comme ceux qui répètent ces mensonges !

De la main, La Rouërie lui montra une porte ouverte sur l’escalier.

—Un duel ! s’écria le marquis de Fayolle en se sentant pâlir et arrêtant les deux hommes à la porte. Tudieu, Messieurs ! prenez garde ! il suffit d’un duel pour empoisonner une vie entière ! pour briser d’un coup plusieurs existences à la fois... Vous ! La Rouërie... vous savez aussi, mon ami, combien pèse sur le cœur la mémoire d’un homme tué dans un duel...

La Rouërie et Tinteniac semblaient irrésolus encore, quand l’escalier se trouva envahi par une foule de gens venus du dehors :

— A nous, Messieurs ! à nous ! crièrent-ils ; — les étudians font le siège de l’hôtel du comte de Lamotte.

On avertit ce dernier, qui répondit :

— C’est une vengeance... C’est pour la sotte affaire de ce sergent de marine que j’ai fait châtier hier par mes gens !

— Eh bien ! allons tous à l’hôtel de Lamotte ! s’écrièrent les gentilshommes qui se répandirent en habit de bal, dans la ville, suivis par leurs laquais armés.

Il faisait jour déjà. L’expédition des étudians s’était bornée à briser quelques fenêtres ; la garde prévenue avait pu arriver à temps pour empêcher un plus grand ravage.

Il faut raconter maintenant ce qui résulta de cette échauffourée, dont la cause, si petite en apparence, fut cependant le germe de grands événemens.

CHAPITRE VI.

LA PLACE PUBLIQUE.

Echauffés par la dispute, irrités par la haine, les partis ne devaient pas tarder à se rencontrer sur la place publique.

Ce fut le 26 janvier 1789 que se joua sur la place des Cordeliers le prologue du grand drame révolutionnaire.

Mais pour bien apprécier les faits, il faut savoir quelle était alors la position respective de la Noblesse et du Tiers-Etat.

Le Tiers avait porté aux Etats de la Province deux demandes :

1° Que le tiers-Etat, qui ne comptait à cette Assemblée que quarante-deux députés, souvent nobles ou anoblis, et presque jamais librement élus, y fût représenté par un nombre égal à celui des deux ordres qui opineraient par tête.

2° Que les impositions supportées presque en entier par le Tiers seul fussent réparties entre tous les citoyens suivant leurs facultés.

Prévoyant bien que messieurs de la noblesse et du clergé ne feraient pas de bon cœur le sacrifice de leurs propres privilèges, le Tiers-Etat avait formellement interdit à ses députés de prendre part à aucune délibération jusqu’à ce que les Etats se fussent prononcés sur leurs réclamations.

Ce fut à cette occasion que Volney écrivait dans la Sentinelle du peuple :

« Amis et citoyens, il n’en coûte pas plus de bâtir à neuf que de rebâtir du vieux, et l’on est beaucoup mieux logé. Nous avons toujours vu se repentir ceux qui, par économie, réparaient les baraques.

« Si nous ne rasons pas de fond en comble notre gothique constitution, nous aurons toujours une tournure gothique, et nous devrions aussi rebâtir Rennes comme il était avant l’incendie.

« Les enfans qui regardent trop le fossé avant de sauter prennent la peur et y tombent ; si les Quarante-Deux n’avancent pas rondement, ils feront la culbute.

« Au lancer d’un vaisseau, tant que l’on tient la cheville, on est maître de la machine ; mais une fois partie, il est trop tard pour revirer, et si les Quarante-Deux accordent le premier sou, il n’y a pas de raison de refuser cent millions.

« Quand on veut prendre les oiseaux, il faut porter le filet tout fait, et les Quarante-Deux doivent porter le leur dans leur poche avec ces mots : — « Rien, ou signez… »

« On n’a jamais fait tant de choses avec si peu de mots, et NON est devenu l’art de gouverner.

« Quand les bons généraux ont de mauvaises troupes, ils mettent du monde à la queue pour sabrer ceux qui fuient, et pendant la bataille des Etats, les communes devront se tenir derrière, afin que si les Quarante-Deux reculent elles les cassent sur la place. — Mais que faire de ces gens cassés ?... — Des nobles de Bretagne.

« La bataille des Trente, si célèbre, ne fut qu’un combat de coqs pour le divertissement de la compagnie. Mais la bataille des Quarante-Deux, s’ils ont du courage, sera comme celle des Suisses, qui secouèrent le joug des Allemands vingt fois plus forts qu’eux... »

Les Etats ouvrirent le 29 décembre. Le 30, le don gratuit fut accordé, et la régie provisoire des fermes fut ordonnée.

La noblesse et le clergé voulurent engager d’autres délibérations. — Le Tiers demanda à être entendu, on le lui refusa. — Alors il déclara n’avoir pas pouvoir de délibérer sur aucun autre objet.

« Quelle fut, sire, notre surprise, — dirent la noblesse et le clergé dans leur mémoire au roi, — lorsqu’au lieu de nommer ses commissaires, l’ordre du Tiers déclara qu’il était sans pouvoir pour concourir à une délibération, jusqu’à ce que l’assemblée eût entendu la lecture du cahier des charges « et y eût fait droit ».

On se propose d’abolir les distinctions et les droits dont jouissent l’ordre de la noblesse et du clergé !... On ose proposer aux deux premiers ordres de sacrifier l’influence que chacun d’eux a toujours eue dans les Assemblées nationales !... Non, sire, le clergé de votre province de Bretagne, ni l’ordre de la noblesse ne peuvent consentir à un pareil changement.

Contrariée de ces obstacles, la noblesse résolut d’avoir recours à l’intimidation. Sept ou huit cents laquais et porteurs, ivres et armés de bâtons, se rendent sur le Champ-de-Mars.

Le domestique de la commission des Etats, pour la navigation intérieure, Dominique Hélandais, monte sur un banc et lit un long discours dans lequel il demande : le maintien de la Constitution, que leurs maîtres conservent leurs privilèges, et que le haut Tiers les soulage des corvées.

L’orateur finit sa harangue en criant :

— On vous attend au Parlement ! — Vive la noblesse ! vive le pain à quatre sous !

Puis l’assemblée se répandit par la ville en criant :

— Mort aux étudians ! A la lanterne les bazochiens ! — S’il n’y a pas de bourreau, nous en servirons !…

La cour reçut ces étranges pétitionnaires et leur promit de délibérer sur leurs demandes. Ils allaient se séparer quand Hélandais aperçut à la porte du café de l’Union une douzaine d’étudians.

— Haro ! haro ! ce sont des bazochiens !

Ils lancent sur les jeunes gens des bûches que l’on venait de décharger devant les Cordeliers. Des gardes de ville arrêtent quelques séditieux et les remettent à la maréchaussée qui les relâche à l’instant.

Un garde de ville veut arrêter un des valets qui venait d’abattre un étudiant à ses pieds. M. le marquis de Tremargent lui ordonne, le pistolet sur la gorge, de le lâcher. Deux autres gentilshommes et un monsieur du Parlement, en robe rouge, se fourrent dans la mêlée, maltraitent les gardes, trop respectueux pour le trouver mauvais, frappent à qui mieux sur les bazochiens, et par leur exemple excitent le courage de leurs laquais.

Avertis de ce guet-apens, Moreau, Berger et Ulliac accoururent au secours des étudians.

Les nobles, un peu calmés, rougirent de s’être mêlés à la canaille, et apaisèrent les plus irrités ; enfin, M. le comte de Thiars envoya un détachement de chasseurs qui rétablit la tranquillité. Mais le bon ordre n’était qu’apparent, chaque parti passa la nuit en préparatifs hostiles.

Ceci se passait le 26.

Le 27 au matin, le Procureur général, au nom du Parlement, ordonna aux officiers de justice de cesser toute information sur les troubles de la ville. Les laquais et les porteurs en conclurent qu’ils étaient sûrs de l’impunité et recommencèrent de plus belle.

De leur côté, les jeunes gens se réunirent sur la place du palais, l’épée au côté et le pistolet à la ceinture.

Au milieu des groupes, on voyait Moreau, Georges, Ulliac, Omnes, Blin, Jouault, et les plus ardens pérorer et gesticuler avec feu, en criant vengeance.

Le parlement se rendait au Palais en corps et en robes rouges.

— Messieurs, leur dit Moreau, vous savez que notre vie n’est pas en sûreté ; nous sommes traqués et poursuivis par vos laquais, et vous protégez nos assassins.

— Tout à l’heure, ajouta Georges, un teinturier vient de recevoir un coup de couteau... Nous demandons justice !

Une trentaine de gentilshommes sortirent au même instant des Cordeliers, l’épée au poing, et criant :

Que demandent ces drôles ?...

Plusieurs dames de la noblesse étaient aux fenêtres et montraient du doigt la jeunesse des Ecoles :

— Voyez donc, disaient-elles en riant, comme ils ont l’air méchant et terrible !... Ces enfans se blesseront... Vraiment, les parens ont tort de les laisser jouer avec des armes.

En levant la tête, Georges aperçut à une fenêtre, parmi ces dames, Mlle Gabrielle de Fayolle qui riait, causait et paraissait prendre le plus grand plaisir à ce spectacle.

Auprès d’elle et accoudé sur le même balcon était M. de Tinteniac.

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