TEXTES

1824, Poésies diverses (manuscrit autographe)

1824, L’Enterrement de la Quotidienne (manuscrit autographe)

1824, Poésies et poèmes (manuscrit autographe)

1825, « Pour la biographie des biographes » (manuscrit autographe)

15 février 1826 (BF), Napoléon et la France guerrière, chez Ladvocat

19, 22 avril, 14 juin (BF), Complainte sur la mort de haut et puissant seigneur le Droit d’aînesse, chez Touquet

6 mai 1826 (BF), Complainte sur l’immortalité de M. Briffaut, par Cadet Roussel, chez Touquet

6 mai 1826 (BF), Monsieur Dentscourt ou le Cuisinier d’un grand homme, chez Touquet

20 mai 1826 (BF), Les Hauts faits des Jésuites, par Beuglant, chez Touquet

12 août 1826 (BF), Épître à M. de Villèle (Mercure de France du XIXe siècle)

11 novembre 1826 (BF), Napoléon et Talma, chez Touquet

13 et 30 décembre 1826 (BF), L’Académie ou les membres introuvables, par Gérard, chez Touquet

16 mai 1827 (BF), Élégies nationales et Satires politiques, par Gérard, chez Touquet

29 juin 1827, La dernière scène de Faust (Mercure de France au XIXe siècle)

28 novembre 1827 (BF), Faust, tragédie de Goëthe, 1828, chez Dondey-Dupré

15 décembre 1827, A Auguste H…Y (Almanach des muses pour 1828)

1828? Faust (manuscrit autographe)

1828? Le Nouveau genre (manuscrit autographe)

mai 1829, Lénore. Ballade allemande imitée de Bürger (La Psyché)

août 1829, Le Plongeur. Ballade, (La Psyché)

octobre 1829, A Schmied. Ode de Klopstock (La Psyché)

24 octobre 1829, Robert et Clairette. Ballade allemande de Tiedge (Mercure de France au XIXe siècle)

14 novembre 1829, Les Bienfaits de l’enseignement mutuel, Procès verbal de la Loge des Sept-Écossais-réunis, chez Bellemain

21 novembre 1829, Chant de l’épée. Traduit de Korner (Mercure de France au XIXe siècle)

12 décembre 1829, La Mort du Juif errant. Rapsodie lyrique de Schubart (Mercure de France au XIXe siècle)

19 décembre 1829, Lénore. Traduction littérale de Bürger (Mercure de France au XIXe siècle)

2 janvier 1830, La Première nuit du Sabbat. Morceau lyrique de Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)

janvier 1830, La Lénore de Bürger, nouvelle traduction littérale (La Psyché)

16 janvier 1830, Ma Patrie, de Klopstock (Mercure de France au XIXe siècle)

23 janvier 1830, Légende, par Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)

6 février (BF) Poésies allemandes, Klopstock, Goethe, Schiller, Burger (Bibliothèque choisie)

13 février 1830, Les Papillons (Mercure de France au XIXe siècle)

13 février 1830, Appel, par Koerner (1813) (Mercure de France au XIXe siècle)

13 mars 1830, L’Ombre de Koerner, par Uhland, 1816 (Mercure de France au XIXe siècle)

27 mars 1830, La Nuit du Nouvel an d’un malheureux, de Jean-Paul Richter (La Tribune romantique)

10 avril 1830, Le Dieu et la bayadère, nouvelle indienne par Goëthe (Mercure de France au XIXe siècle)

29 avril 1830, La Pipe, chanson traduite de l’allemand, de Pfeffel (La Tribune romantique)

13 mai 1830 Le Cabaret de la mère Saguet (Le Gastronome)

mai 1830, M. Jay et les pointus littéraires (La Tribune romantique)

17 juillet 1830, L’Éclipse de lune. Épisode fantastique par Jean-Paul Richter (Mercure de France au XIXe siècle)

juillet ? 1830, Récit des journées des 27-29 juillet (manuscrit autographe)

14 août 1830, Le Peuple (Mercure de France au XIXe siècle)

30 octobre 1830 (BF), Choix de poésies de Ronsard, Dubellay, Baïf, Belleau, Dubartas, Chassignet, Desportes, Régnier (Bibliothèque choisie)

11 décembre 1830, A Victor Hugo. Les Doctrinaires (Almanach des muses pour 1831)

29 décembre 1830, La Malade (Le Cabinet de lecture )

29 janvier 1831, Odelette, Le Vingt-cinq mars (Almanach dédié aux demoiselles)

14 mars 1831, En avant, marche! (Cabinet de lecture)

23 avril 1831, Bardit, traduit du haut-allemand (Mercure de France au XIXe siècle)

30 avril 1831, Le Bonheur de la maison par Jean-Paul Richter. Maria. Fragment (Mercure de France au XIXe siècle)

7 mai 1831, Profession de foi (Mercure de France au XIXe siècle)

25 juin et 9 juillet 1831, Nicolas Flamel, drame-chronique (Mercure de France au XIXe siècle)

17 et 24 septembre 1831, Les Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre. Conte inédit d’Hoffmann (Mercure de France au XIXe siècle)

4 décembre 1831, Cour de prison, Le Soleil et la gloire (Le Cabinet de lecture)

17 décembre 1831, Odelettes. La Malade, Le Soleil et la Gloire, Le Réveil en voiture, Le Relais, Une Allée du Luxembourg, Notre-Dame-de-Paris (Almanach des muses)

17 décembre 1831, Fantaisie, odelette (Annales romantiques pour 1832)

24 septembre 1832, La Main de gloire, histoire macaronique (Le Cabinet de lecture)

14 décembre 1834, Odelettes (Annales romantiques pour 1835)

1835-1838 ? Lettres d’amour (manuscrits autographes)

26 mars et 20 juin 1836, De l’Aristocratie en France (Le Carrousel)

20 et 26 mars 1837, De l’avenir de la tragédie (La Charte de 1830)

12 août 1838, Les Bayadères à Paris (Le Messager)

18 septembre 1838, A M. B*** (Le Messager)

2 octobre 1838, La ville de Strasbourg. A M. B****** (Le Messager)

26 octobre 1838, Lettre de voyage. Bade (Le Messager)

31 octobre 1838, Lettre de voyage. Lichtenthal (Le Messager)

24 novembre 1838, Léo Burckart (manuscrit remis à la censure)

25, 26 et 28 juin 1839, Le Fort de Bitche. Souvenir de la Révolution française (Le Messager)

13 juillet 1839 (BF) Léo Burckart, chez Barba et Desessart

19 juillet 1839, « Le Mort-vivant », drame de M. de Chavagneux (La Presse)

15 et 16-17 août 1839, Les Deux rendez-vous, intermède (La Presse)

17 et 18 septembre 1839, Biographie singulière de Raoul Spifamme, seigneur des Granges (La Presse)

21 et 28 septembre 1839, Lettre VI, A Madame Martin (Lettres aux belles femmes de Paris et de la province)

28 janvier 1840, Lettre de voyage I (La Presse)

25 février 1840, Le Magnétiseur

5 mars 1840, Lettre de voyage II (La Presse)

8 mars 1840, Lettre sur Vienne (L’Artiste)

26 mars 1840, Lettre de voyage III (La Presse)

28 juin 1840, Lettre de voyage IV, Un jour à Munich (La Presse)

18 juillet 1840 (BF) Faust de Goëthe suivi du second Faust, chez Gosselin

26 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort I (La Presse)

29 juillet, 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort II (La Presse)

30 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort III (La Presse)

11 février 1841, Une Journée à Liège (La Presse)

18 février 1841, L’Hiver à Bruxelles (La Presse)

1841 ? Première version d’Aurélia (feuillets autographes)

février-mars 1841, Lettre à Muffe, (sonnets, manuscrit autographe)

1841 ? La Tête armée (manuscrit autographe)

mars 1841, Généalogie dite fantastique (manuscrit autographe)

1er mars 1841, Jules Janin, Gérard de Nerval (Journal des Débats)

5 mars 1841, Lettre à Edmond Leclerc

7 mars 1841, Les Amours de Vienne (Revue de Paris)

31 mars 1841, Lettre à Auguste Cavé

11 avril 1841, Mémoires d’un Parisien. Sainte-Pélagie en 1832 (L’Artiste)

9 novembre 1841, Lettre à Ida Ferrier-Dumas

novembre? 1841, Lettre à Victor Loubens

10 juillet 1842, Les Vieilles ballades françaises (La Sylphide)

15 octobre 1842, Rêverie de Charles VI (La Sylphide)

24 décembre 1842, Un Roman à faire (La Sylphide)

19 et 26 mars 1843, Jemmy O’Dougherty (La Sylphide)

11 février 1844, Une Journée en Grèce (L’Artiste)

10 mars 1844, Le Roman tragique (L’Artiste)

17 mars 1844, Le Boulevard du Temple, 1re livraison (L’Artiste)

31 mars 1844, Le Christ aux oliviers (L’Artiste)

5 mai 1844, Le Boulevard du Temple 2e livraison (L’Artiste)

12 mai 1844, Le Boulevard du Temple, 3e livraison (L’Artiste)

2 juin 1844, Paradoxe et Vérité (L’Artiste)

30 juin 1844, Voyage à Cythère (L’Artiste)

28 juillet 1844, Une Lithographie mystique (L’Artiste)

11 août 1844, Voyage à Cythère III et IV (L’Artiste)

15 septembre, Diorama (L’Artiste-Revue de Paris)

29 septembre 1844, Pantaloon Stoomwerktuimaker (L’Artiste)

20 octobre 1844, Les Délices de la Hollande I (La Sylphide)

8 décembre 1844, Les Délices de la Hollande II (La Sylphide)

16 mars 1845, Pensée antique (L’Artiste)

19 avril 1845 (BF), Le Diable amoureux par J. Cazotte, préface de Nerval, chez Ganivet

1er juin 1845, Souvenirs de l’Archipel. Cérigo (L’Artiste-Revue de Paris)

6 juillet 1845, L’Illusion (L’Artiste-Revue de Paris)

5 octobre 1845, Strasbourg (L’Artiste-Revue de Paris)

novembre-décembre 1845, Le Temple d’Isis. Souvenir de Pompéi (La Phalange)

28 décembre 1845, Vers dorés (L’Artiste-Revue de Paris)

1er mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste I (L’Artiste-Revue de Paris)

15 mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste II (L’Artiste-Revue de Paris)

1er mai 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne (Revue des Deux Mondes)

17 mai 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste III (L’Artiste-Revue de Paris)

1er juillet 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne. Les Esclaves (Revue des Deux Mondes)

12 juillet 1846 Sensations d’un voyageur enthousiaste IV (L’Artiste-Revue de Paris)

16 août 1846, Un Tour dans le Nord. Angleterre et Flandre (L’Artiste-Revue de Paris)

30 août 1846, De Ramsgate à Anvers (L’Artiste-Revue de Paris)

15 septembre 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne. Le Harem (Revue des Deux Mondes)

20 septembre 1846, Une Nuit à Londres (L’Artiste-Revue de Paris)

1er novembre 1846, Un Tour dans le Nord III (L’Artiste-Revue de Paris)

22 novembre 1846, Un Tour dans le Nord IV (L’Artiste-Revue de Paris)

15 décembre 1846, Scènes de la vie égyptienne moderne. La Cange du Nil (Revue des Deux Mondes)

1847, Scénario des deux premiers actes des Monténégrins

15 février 1847, La Santa-Barbara. Scènes de la vie orientale (Revue des Deux Mondes)

15 mai 1847, Les Maronites. Un Prince du Liban (Revue des Deux Mondes)

15 août 1847, Les Druses (Revue des Deux Mondes)

17 octobre 1847, Les Akkals (Revue des Deux Mondes)

21 novembre 1847, Souvenirs de l’Archipel. Les Moulins de Syra (L’Artiste-Revue de Paris)

15 juillet 1848, Les Poésies de Henri Heine (Revue des Deux Mondes)

15 septembre 1848, Les Poésies de Henri Heine, L’Intermezzo (Revue des Deux Mondes)

7 janvier-24 juin 1849, puis 2 septembre 1849-27 janvier 1850, Al-Kahira. Souvenirs d’Orient (La Silhouette)

1er-27 mars 1849, Le Marquis de Fayolle, 1re partie (Le Temps)

26 avril 16 mai 1849, Le Marquis de Fayolle, 2e partie (Le Temps)

6 octobre 1849, Le Diable rouge (Almanach cabalistique pour 1850)

3 novembre 1849 (BF), Le Diable vert, et Impression de voyage (Almanach satirique, chez Aubert, Martinon et Dumineray)

7 mars-19 avril 1850, Les Nuits du Ramazan (Le National)

15 août 1850, Les Confidences de Nicolas, 1re livraison (Revue des Deux Mondes)

26 août 1850, Le Faust du Gymnase (La Presse)

1er septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 2e livraison (Revue des Deux Mondes)

9 septembre 1850, Excursion rhénane (La Presse)

15 septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 3e livraison (Revue des Deux Mondes)

18 et 19 septembre 1850, Les Fêtes de Weimar (La Presse)

1er octobre 1850, Goethe et Herder (L’Artiste-Revue de Paris)

24 octobre-22 décembre 1850, Les Faux-Saulniers (Le National)

29 décembre 1850, Les Livres d’enfants, La Reine des poissons (Le National)

novembre 1851, Quintus Aucler (Revue de Paris)

24 janvier 1852 (BF), L’Imagier de Harlem, Librairie théâtrale

15 juin 1852, Les Fêtes de mai en Hollande (Revue des Deux Mondes)

1er juillet 1852, La Bohême galante I (L’Artiste)

15 juillet 1852, La Bohême galante II (L’Artiste)

1er août 1852, La Bohême galante III (L’Artiste)

15 août 1852, La Bohême galante IV (L’Artiste)

21 août 1852 (BF), Lorely. Souvenirs d’Allemagne, chez Giraud et Dagneau (Préface à Jules Janin)

1er septembre 1852, La Bohême galante V (L’Artiste)

15 septembre 1852, La Bohême galante VI (L’Artiste)

1er octobre 1852, La Bohême galante VII (L’Artiste)

9 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 1re livraison (L’Illustration)

15 octobre 1852, La Bohême galante VIII (L’Artiste)

23 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 2e livraison (L’Illustration)

30 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 3e livraison (L’Illustration)

1er novembre 1852, La Bohême galante IX (L’Artiste)

6 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 4e livraison (L’Illustration)

13 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 5e livraison (L’Illustration)

15 novembre 1852, La Bohême galante X (L’Artiste)

20 novembre 1852, Les Illuminés, chez Victor Lecou (« La Bibliothèque de mon oncle »)

1er décembre 1852, La Bohême galante XI (L’Artiste)

15 décembre 1852, La Bohême galante XII (L’Artiste)

1er janvier 1853 (BF), Petits Châteaux de Bohême. Prose et Poésie, chez Eugène Didier

15 août 1853, Sylvie. Souvenirs du Valois (Revue des Deux Mondes)

14 novembre 1853, Lettre à Alexandre Dumas

25 novembre 1853-octobre 1854, Lettres à Émile Blanche

10 décembre 1853, Alexandre Dumas, Causerie avec mes lecteurs (Le Mousquetaire)

17 décembre 1853, Octavie (Le Mousquetaire)

1853-1854, Le Comte de Saint-Germain (manuscrit autographe)

28 janvier 1854 (BF) Les Filles du feu, préface, Les Chimères, chez Daniel Giraud

31 octobre 1854, Pandora (Le Mousquetaire)

25 novembre 1854, Pandora, épreuves du Mousquetaire

Pandora, texte reconstitué par Jean Guillaume en 1968

Pandora, texte reconstitué par Jean Senelier en 1975

30 décembre 1854, Promenades et Souvenirs, 1re livraison (L’Illustration)

1854 ? Sydonie (manuscrit autographe)

1854? Emerance (manuscrit autographe)

1854? Promenades et Souvenirs (manuscrit autographe)

janvier 1855, Oeuvres complètes (manuscrit autographe)

1er janvier 1855, Aurélia ou le Rêve et la Vie (Revue de Paris)

6 janvier 1855, Promenades et Souvenirs, 2e livraison (L’Illustration)

3 février 1855, Promenades et Souvenirs, 3e livraison (L’Illustration)

15 février 1855, Aurélia ou Le Rêve et la Vie, seconde partie (Revue de Paris)

15 mars 1855, Desiderata (Revue de Paris)

1866, La Forêt noire, scénario

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BF: annonce dans la Bibliographie de la France

Manuscrit autographe: manuscrit non publié du vivant de Nerval

10 mai 1850 — Les Nuits du Ramazan, dans Le National, 29e livraison.

Invité à entrer au sérail d’été du pacha de Scutari avec Rogier, Nerval peut contempler « la plus délicieuse résidence du monde ». À Scutari se trouve également le couvent des Derviches hurleurs. C’est l’occasion pour Nerval d’une analyse des différents aspects de la religion musulmane et de leurs liens avec les traditions grecques.

Voir les notices ADONIRAM ET BALKIS et ÉLABORATION LITTÉRAIRE DU VOYAGE EN ORIENT

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LES NUITS DU RAMAZAN.

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XI.

LE PACHA DE SCUTARI.

Pendant que nous écoutions l’anecdote, très véridique, hélas ! racontée par le peintre, un Turc d’un âge mûr, vêtu de sa longue redingote boutonnée, coiffé de son fezzi à houppe de soie bleue, et décoré d’un petit nichan presque imperceptible, était venu s’asseoir sur le banc qui entourait l’arbre. Il avait amené un jeune garçon vêtu comme lui en diminutif, et qui nous salua avec la gravité qu’ont d’ordinaire les enfans turcs lorsque, sortis du premier âge, ils ne sont plus sous la surveillance des mères. Le Turc, nous voyant louer la gentillesse de son fils, nous salua à son tour, et appela un cafedji qui se tenait près de la fontaine. — Un instant après, nous fûmes étonnés de voir apporter des pipes et des rafraîchissemens, que l’inconnu nous pria d’accepter. Nous hésitions, lorsque le cafetier dit : « Vous pouvez accepter ; c’est un grand personnage qui vous fait cette politesse : c’est le pacha de Scutari. » On ne refuse rien d’un pacha.

Je fus étonné d’être le seul à n’avoir point part à la distribution ; mon ami en fit l’observation au cafedji, qui répondit : Je ne suis [sic pour sers] point un kafir (un hérétique).

— Kafir ! m’écriai-je, — car c’était une insulte ; — un kafir, c’est toi-même, fils de chien !

Je n’avais pas songé que cet homme, — sans doute fidèle musulman sunnite, — n’adressait son injure qu’au costume persan que je portais, et qui me déguisait en sectateur d’Ali, ou schiite.

Nous échangeâmes quelques injures, car il ne faut jamais laisser le dernier mot à un homme grossier en Orient, sans quoi il vous croit timide et peut vous frapper, tandis que les plus grosses injures n’aboutissant qu’à faire triompher l’un ou l’autre dans l’esprit des assistans. Cependant, comme le pacha voyait la scène avec étonnement, mes compagnons, qui avaient ri beaucoup d’abord de la méprise, me firent reconnaître pour un Frank. — Je ne cite cette scène que pour marquer le fanatisme qui existe encore dans les classes inférieures, et qui, très calmé à l’égard des Européens, s’exerce toujours avec force entre les différentes sectes. Il en est, du reste, à peu près de même du côté des chrétiens : un catholique romain estime plus un Turc qu’un Grec.

Le pacha rit beaucoup de l’aventure et se mit à causer avec le peintre. Nous partîmes ensemble, et comme nos barques avaient à passer devant le sérail d’été du sultan, situé sur la côte d’Asie, entre les Eaux-Douces et Scutari, il nous permit de le visiter.

Ce sérail d’été, qu’il ne faut pas confondre avec l’autre, situé sur la côte européenne, est la plus délicieuse résidence du monde. D’immenses jardins, étagés en terrasses, arrivent jusqu’au sommet de la montagne, d’où l’on aperçoit nettement Scutari sur la droite, et, aux derniers plans, la silhouette bleuâtre de l’Olympe de Bithynie. Le palais est bâti dans le style 18e siècle. Il fallut, avant d’y entrer, remplacer nos bottes par des babouches qui nous furent prêtées ; puis nous fûmes admis à visiter les appartemens des sultanes, — vides, naturellement, dans ce moment-là.

Les salles inférieures sont construites sur pilotis, la plupart de bois précieux ; — on nous a parlé même de pilotis de bois d’aloës, qui résistent davantage à la corruption que produit l’eau de mer. Après avoir visité les vastes pièces du rez-de-chaussée que l’on n’habite pas, nous fûmes introduits dans les appartemens. Il y avait au milieu une grande salle, sur laquelle s’ouvraient une vingtaine de cabinets avec des portes distinctes, comme dans les galeries des établissemens de bains.

Nous pûmes entrer dans chaque pièce, uniformément meublée d’un divan, de quelques chaises, d’une commode d’acajou, et d’une cheminée de marbre, surmontée d’une pendule à colonnes. On se serait cru dans la chambre à coucher d’une Parisienne, si le mobilier eût été complété par un lit à bateau ; — mais en Orient, les divans seuls servent de lits.

Chacune de ces chambres était celle d’une cadine (dame). La symétrie et l’exacte uniformité de ces chambres me frappa ; — on m’apprit que l’égalité la plus parfaite régnait entre les femmes du sultan.... Le peintre m’en donna pour preuve ce fait : que lorsque sa hautesse commande à Péra des boîtes de bonbons, — achetées ordinairement chez un confiseur français, — on est obligé de les composer de sucreries exactement pareilles. Une papillote de plus, un bonbon d’une forme particulière, des pastilles ou des dragées en plus ou en moins seraient causes de complications graves dans les relations de ces belles personnes ; comme tous les musulmans, quels qu’ils soient, elles ont le sentiment de l’égalité.

On fit jouer pour nous, dans la salle principale, une pendule à musique, exécutant plusieurs airs d’opéras italiens. Des oiseaux mécaniques, des rossignols chantant, des paons faisant la roue, égayaient l’aspect de ce petit monument. Au second étage, se trouvaient les logemens des odaleuk, qui se divisent en chanteuses et en servantes. Plus haut se trouvaient logées les esclaves. Il règne dans le harem un ordre pareil à celui qui existe dans les pensions bien tenues. La plus ancienne cadine exerce la principale autorité ; mais elle est toujours au-dessous de la sultane mère, — qu’elle doit de temps en temps aller consulter à Eski-Séraï, au centre de Stamboul.

Voilà ce que j’ai pu saisir des habitudes intérieures du sérail. — Tout s’y passe en général beaucoup plus simplement que ne le supposent les imaginations dépravées des Européens. La question du nombre de femmes ne tient chez les Turcs à aucune autre idée qu’à celle de reproduction. — La race caucasienne, si belle, si énergique, diminue de jour en jour, par un de ces faits physiologiques qu’il est difficile de définir. Les guerres du siècle dernier ont surtout affaibli la population spécialement turque. Le courage de ces hommes les a détruits, comme il est arrivé pour les races franques du moyen-âge.

Le sultan paraît fort disposé, pour sa part, à repeupler l’empire turc, — si l’on se rend compte du nombre de naissances de princes et de princesses annoncées à la ville de temps en temps par le bruit du canon et par les illuminations de Stamboul.

On nous fit voir ensuite les celliers, les cuisines, les appartemens de réception et la salle de concert ; tout est arrangé de manière à ce que les femmes puissent participer, sans être vues, à tous les divertissemens des personnes invitées par le sultan. Partout on remarque des loges grillées ouvertes sur les salles comme des tribunes, et qui permettent aux dames du harem de s’associer d’intention à la politique et aux plaisirs.

Nous admirâmes la salle des bains construite en marbre et la mosquée particulière du palais. Ensuite, on nous fit sortir par un péristyle donnant sur les jardins, orné de colonnes et fermé d’une galerie en vitrages qui contenait des arbustes, des plantes et des fleurs de l’Inde. Ainsi, Constantinople, déjà froid à cause de sa position montueuse et des orages fréquents de la Mer-Noire, a des serres de plantes tropicales comme nos pays du Nord.

Nous parcourûmes de nouveau les jardins, et l’on nous fit entrer dans un pavillon — où l’on nous avait servi une collation de fruits du jardin et de confitures. Le pacha nous invita à ce régal, mais il ne mangea rien lui-même, parce que la lune du Ramazan n’était pas encore levée. Nous étions tout confus de sa politesse, et un peu embarrassés de ne pouvoir la reconnaître qu’en paroles.

« Vous pourrez dire, répondit-il à nos remerciemens, que vous avez fait un repas chez le sultan ! »

Sans s’exagérer l’honneur d’une réception si gracieuse, on peut y voir du moins beaucoup de bienveillance, et l’oubli, presque complet aujourd’hui chez les Turcs, des préjugés religieux.

XII.

LES DERVICHES.

Après avoir suffisamment admiré les appartemens et les jardins du sérail d’Asie, nous renonçâmes à la fête grecque d’Arnaut-Keuil, qui nous eût obligés à remonter le Bosphore d’une demi-lieue, et, nous trouvant près de Scutari, nous fîmes le projet d’aller voir le couvent des Derviches hurleurs.

Scutari est la ville de l’orthodoxie musulmane beaucoup plus que Stamboul, où les populations sont mélangées, et qui appartient à l’Europe. L’asiatique Scutari garde encore les vieilles traditions musulmanes ; — le costume de la réforme y est presque inconnu ; le turban vert ou blanc s’y montre encore avec obstination, — c’est, en un mot, le faubourg Saint-Germain de Constantinople. Les maisons, les fontaines et les mosquées sont d’un style plus ancien ; les inventions nouvelles d’assainissement, de pavage ou de cailloutage, les trottoirs, les lanternes, les voitures attelées de chevaux, que l’on voit à Stamboul, sont considérés là comme des innovations dangereuses. Scutari est le refuge des vieux musulmans qui, persuadés que la Turquie d’Europe ne tardera pas à être la proie des chrétiens, désirent s’assurer un tombeau paisible sur la terre de Natolie. Ils pensent que le Bosphore sera la séparation des deux empires et des deux religions, et qu’ils jouiront ensuite en Asie d’une complète sécurité.

Scutari n’a de remarquable que sa grande mosquée et son cimetière aux cyprès gigantesques ; — ses tours, ses kiosques, ses fontaines et ses centaines de minarets ne la distingueraient pas, sans cela, de l’autre ville turque. — Le couvent des derviches hurleurs est situé à peu de distance de la mosquée ; il est d’une architecture plus vieille que le téké des derviches de Péra, qui sont, eux, des derviches tourneurs.

Le pacha, qui nous avait accompagnés jusqu’à la ville, voulait nous dissuader d’aller visiter ces moines, qu’il appelait des fous ; — mais la curiosité des voyageurs est respectable. Il le comprit, et nous quitta en nous invitant à retourner le voir.

Les derviches ont cela de particulier qu’ils sont plus tolérans qu’aucune institution religieuse. Les musulmans orthodoxes, obligés d’accepter leur existence comme corporation, — ne font réellement que les tolérer.

Le peuple les aime et les soutient, — leur exaltation, leur bonne humeur, la facilité de leur caractère et de leurs principes plaisent à la foule plus que la raideur des imans et des mollahs. Ces derniers les traitent de panthéistes et attaquent souvent leurs doctrines, — sans pouvoir absolument toutefois les convaincre d’hérésie.

Il y a deux systèmes de philosophie qui se rattachent à la religion turque et à l’instruction qui en découle. L’un est tout aristotélique, l’autre tout platonicien. — Les derviches se rattachent au dernier. — Il ne faut pas s’étonner de ce rapport des musulmans avec les Grecs, puisque nous n’avons connu nous-mêmes que par leurs traductions les derniers écrits philosophiques du monde ancien.

Que les derviches soient des panthéistes comme le prétendent les vrais Osmanlis, cela ne les empêche pas toutefois d’avoir des titres religieux incontestables. Ils ont été établis, disent-ils, dans leurs maisons et dans leurs privilèges par Orchan, second sultan des Turcs. Les maîtres qui ont fondé leurs ordres sont au nombre de sept, chiffre tout pythagoricien qui indique la source de leurs idées. Le nom général est Mévelwvis, — du nom du premier fondateur ; — quant à derviches ou durvesch, cela veut dire pauvre. C’est au fond une secte de communistes musulmans.

Plusieurs appartiennent aux muhasihi, qui croient à la transmigration des âmes. Selon eux, tout homme qui n’est pas digne de renaître sous une forme humaine entre, après sa mort, dans le corps de l’animal qui lui ressemble le plus comme humeur ou comme tempérament. — Le vide que laisserait cette émigration des âmes humaines se trouve comblé par celle des bêtes dignes, par leur intelligence ou leur fidélité, de s’élever dans l’échelle animale. Ce sentiment, qui appartient évidemment à la tradition indienne, explique les diverses fondations pieuses faites dans les couvens et les mosquées en faveur des animaux ; car on les respecte aussi bien comme pouvant avoir été des hommes que comme capables de le devenir. — Ceci explique pourquoi aucun musulman ne mange de porc, parce qu’ils semblent, par leur forme et par leurs appétits, plus voisins de l’espèce humaine.

Les eschrakis, ou illuminés, s’appliquent à la contemplation de Dieu dans les nombres, dans les formes et dans les couleurs. Ils sont, en général, plus réservés, plus aimans — et plus élégans que les autres. Ils sont préférés pour l’instruction, et cherchent à développer la force de leurs élèves par les exercices de vigueur ou de grâce. Leurs doctrines procèdent évidemment de Pythagore et de Platon. Ils sont poètes, musiciens et artistes.

Il y a parmi eux quelques haïretis, ou étonnés, (mot dont peut-être on a fait le mot d’hérétiques), qui représentent l’esprit de scepticisme ou d’indifférence. Ceux-là sont véritablement des épicuriens. Ils posent en principe que le mensonge ne peut se distinguer de la vérité, et qu’à travers les subtilités de la malice humaine il est imprudent de chercher à démêler une idée quelconque. La passion peut vous tromper, vous aigrir et vous rendre injustes dans le bien comme dans le mal ; de sorte qu’il faut s’abstenir et dire : « Allah bilour... bizé haranouk ! — Dieu le sait et nous ne le savons pas », — ou « Dieu sait bien ce qui est le meilleur ! »

Telles sont les trois opinions philosophiques qui dominent là comme à peu près partout, et, parmi les derviches, cela n’engendre point les haines que ces principes opposés excitent dans la société humaine ; les eschrakis, dogmatistes spirituels, vivent en paix avec les munasihi, panthéistes matériels, et les haïretis, sceptiques, se gardent bien d’épuiser leurs poumons à discuter avec les autres. Chacun vit à sa manière et selon son tempérament, les uns usant souvent immodérément de la nourriture, d’autres des boissons et des excitants narcotiques, d’autres encore de l’amour. — Le derviche est l’être favorisé par excellence parmi les musulmans, pourvu que ses vertus privées, son enthousiasme et son dévouement soient reconnus par ses frères.

La sainteté dont il fait profession, la pauvreté qu’il embrasse en principe, — et qui ne se trouve soulagée parfois que par les dons volontaires des fidèles, la patience et la modestie qui sont aussi ses qualités ordinaires, le mettent autant au-dessus des autres hommes moralement qu’il s’est mis naturellement au-dessous. Un derviche peut boire du vin et des liqueurs si on lui en offre, car il lui est défendu de rien payer. — Si, passant dans la rue, il a envie d’un objet curieux, d’un ornement exposé dans une boutique, le marchand le lui donne d’ordinaire, ou le lui laisse emporter. — S’il rencontre une femme, et qu’il soit très respecté du peuple, il est admis qu’il peut l’approcher sans impureté. — Il est vrai que ceci ne se passerait plus aujourd’hui dans les grandes villes où la police est médiocrement édifiée sur les qualités des derviches, — mais le principe qui domine ces libertés, c’est que l’homme qui abandonne tout peut tout recevoir, parce que sa vertu étant de repousser toute possession, celle des fidèles croyans est de l’en dédommager par des dons et des offrandes.

Sur la même cause de sainteté particulière, les derviches ont le droit de se dispenser du voyage à La Mecque ; ils peuvent manger du porc et du lièvre, et même toucher les chiens, — ce qui est défendu aux autres Turcs, malgré la révérence qu’ils ont tous pour le souvenir du chien des Sept-Dormans.

Quand nous entrâmes dans la cour du téké (couvent), nous vîmes un grand nombre de ces animaux auxquels des frères servans distribuaient le repas du soir. Il y a pour cela des donations fort anciennes et fort respectées. Les murs de la cour, plantés d’acacias et de platanes, étaient garnis çà et là de petites constructions en bois peint et sculpté suspendues à une certaine hauteur, comme des consoles. C’étaient des logettes consacrées à des oiseaux qui, au hasard, en venaient prendre possession et qui restaient parfaitement libres.

La représentation donnée par les derviches hurleurs ne m’offrit rien de nouveau, attendu que j’en avais déjà vu de pareilles au Caire. Ces braves gens passent plusieurs heures à danser en frappant fortement la terre du pied autour d’un mât décoré de guirlandes, qu’on appelle Sâry ; — cela produit un peu l’effet d’une farandole où l’on resterait en place. — Ils chantent sur des intonations diverses une éternelle litanie qui a pour refrain : Allah hay ! c’est-à-dire « Dieu vivant ! » Le public est admis à ces séances dans des tribunes hautes ornées de balustres de bois. Au bout d’une heure de cet exercice, quelques-uns entrent dans un état d’excitation qui les rend melbous (inspirés). Ils se roulent à terre et ont des visions béatifiques.

Ceux que nous vîmes dans cette représentation portaient des cheveux longs sous leur bonnet de feutre en forme de pot de fleurs renversé ; leur costume était blanc avec des boutons noirs ; — on les appelle kadris, du nom de leur fondateur.

Un des assistans nous raconta qu’il avait vu les exercices des derviches du téké de Péra, lesquels sont spécialement tourneurs. Comme à Scutari, on entre dans une immense salle de bois, dominée par des galeries et des tribunes où le public est admis sans conditions ; mais il est convenable de déposer une légère aumône. — Au téké de Péra, tous les derviches ont des robes blanches plissées comme des fustanelles grecques. Leur travail est, dans les séances publiques, de tourner sur eux-mêmes pendant le plus long-temps possible. Ils sont tous vêtus de blanc ; leur chef seul est vêtu de bleu. Tous les mardis et tous les vendredis, la séance commence par un sermon, après lequel tous les derviches s’inclinent devant le supérieur, puis se divisent dans toute la salle de manière à pouvoir tourner séparément sans se toucher jamais. Les jupes blanches volent, la tête tourne avec sa coiffe de feutre, et chacun de ces religieux a l’air d’un volant. Cependant, l’un d’eux exécute des airs mélancoliques sur une flûte de roseau. Il arrive pour les tourneurs comme pour les hurleurs un certain moment d’exaltation pour ainsi dire magnétique qui leur procure une extase toute particulière.

Il n’y a nulle raison pour des hommes instruits de s’étonner de ces pratiques bizarres. Ces derviches représentent la tradition non interrompue des cabires, des dactyles et des corybantes, — qui ont dansé et hurlé durant tant de siècles antiques sur ce même rivage. Ces mouvemens convulsifs, aidés par les boissons et les pâtes excitantes, font arriver l’homme à un état bizarre, — où Dieu, touché de son amour, consent à se révéler par des rêves sublimes, avant-goût du paradis..

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12 mai 1850 — Les Nuits du Ramazan, dans Le National, 30e livraison.

Le mois lunaire du Ramazan est achevé, les trois jours de fêtes musulmanes du Baïram commencent.

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LES NUITS DU RAMAZAN.

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XIII.

LE GRAND BAÏRAM.

En descendant du couvent des derviches pour regagner l’échelle maritime, nous vîmes la lune levée qui dessinait à gauche les immenses cyprès du cimetière du Scutari, et, sur la hauteur, les maisons brillantes de couleurs et de dorures de la haute ville de Scutari qu’on appelle la Cité d’argent.

Le palais de Béglier-Bey, que nous avions visité dans la journée, se montrait nettement à droite au bord de la mer, avec murs festonnés peints de blanc et relevés d’or pâle. Nous traversâmes la place du marché, — et les caïques, en vingt minutes, nous déposèrent à Tophana, sur la rive européenne.

En voyant Scutari se dessiner au loin sur son horizon découpé de montagnes bleuâtres, avec les longues allées d’ifs et de cyprès de son cimetière, je me rappelai cette phrase de Byron :

« O Scutari ! tes maisons blanches dominent sur des milliers de tombes, — tandis qu’au-dessus d’elles on voit l’arbre toujours vert, le cyprès élancé et sombre, dont le feuillage est empreint d’un deuil sans fin, comme un amour qui n’est pas partagé ! »

En retournant de Tophana à Péra, par les rues montueuses qui passent entre les bâtimens des ambassades, nous nous aperçûmes que le quartier franc était plus éclairé et plus bruyant que de coutume. C’est que les fêtes du Baïram, qui succèdent au mois de Ramazan, approchaient. — Ce sont trois journées de réjouissances qui succèdent à ce carême mélangé de carnaval dont j’ai cherché à décrire les phases diverses.

Le Baïram est à peu près le jour de l’an des Turcs. — La civilisation européenne, qui pénètre peu à peu dans leurs coutumes, les attire de plus en plus, quant aux détails compatibles avec leur religion ; — de sorte que les femmes et les enfans raffolent de parures, de bagatelles, de jouets venus de France ou d’Allemagne. En outre, si les dames turques font admirablement les confitures, le privilège des sucreries, des bonbons et des cartonnages splendides appartient à l’industrie parisienne. Une partie de la grande rue de Péra était devenue, ce soir-là, pareille à notre rue des Lombards. Nous nous arrêtâmes chez la confiseuse principale, Mme Meunier, pour prendre quelques rafraîchissemens et pour examiner la foule. Il y avait là des personnages éminens, des Turcs riches, qui venaient eux-mêmes faire leurs achats, — car il n’est pas prudent, en ce pays, de confier à de simples serviteurs le soin d’acheter ses bonbons. Mme Meunier a spécialement la confiance des effendis (hommes de distinction), et ils savent qu’elle ne leur livrerait pas des sucreries empoisonnées.... Les rivalités, les jalousies, les haines amènent des crimes dans la société musulmane ; et si les luttes sanglantes sont devenues rares, le poison est toujours, en certains cas, le grand argument des femmes, — beaucoup moins civilisées jusqu’ici que leurs maris.

A un moment donné, tous les Turcs disparurent, emportant leurs emplettes, comme des soldats quand sonne la retraite, — parce que l’heure les appelait à l’un des Namaz, — prières qui se font la nuit dans les mosquées.

Ces braves gens ne se bornent pas, pendant les nuits du Ramazan, à écouter des conteurs et à voir jouer les Caragueuz. Ils ont des momens de prières, nommés rikats, pendant lesquels on récite chaque fois une dizaine de versets du Coran. Il faut accomplir par nuit vingt rikats, — soit dans les mosquées, ce qui vaut mieux, ou chez soi, ou dans la rue, si l’on n’a pas de domicile, — ainsi qu’il arrive à beaucoup de gens qui ne dorment que dans les cafés. Un bon musulman doit, par conséquent, avoir récité pendant chaque nuit deux cents versets, ce qui fait six mille versets pour les trente nuits. — Les contes, spectacles et promenades ne sont que le délassement de ce devoir religieux.

La confiseuse nous raconta un fait qui peut donner quelque idée de la naïveté de certains fonctionnaires turcs. Elle avait fait venir par le bateau du Danube des caisses de jouets de Nuremberg. Le droit de douane se paye d’après la déclaration de la valeur des objets ; — mais à Constantinople, comme ailleurs, pour éviter la fraude, l’administration a le droit de garder les marchandises en payant la valeur déclarée, si l’on peut supposer qu’elles valent davantage.

Quand on déballa les caisses de jouets de Nuremberg, un cri d’admiration s’éleva parmi tous les employés des douanes. La déclaration était de dix mille piastres (2,500 fr.). Selon eux, cela en valait au moins trente mille. Ils retinrent donc les caisses, — qui se trouvaient ainsi fort bien payées et convenablement vendues, sans frais de montre et de déballage. Mme Meunier prit les dix mille piastres, en riant de leur simplicité. Ils se partagèrent les Polichinelles, les soldats de plomb et les poupées, — non pour les donner à leurs enfans, mais pour s’en amuser eux-mêmes.

Au moment de quitter la boutique, je retrouvai dans une poche, en cherchant mon mouchoir, le flacon que j’avais acheté la veille sur la place du Sérasquier. Je demandais à Mme Meunier ce que pouvait être cette liqueur qui m’avait été vendue comme rafraîchissement, et dont je n’avais pu supporter la première gorgée : était-ce une limonade aigrie ? une bavaroise tournée ? ou une liqueur particulière au pays ?

La confiseuse et ses demoiselles éclatèrent d’un fou rire en voyant le flacon ; — il fut impossible de tirer d’elles aucune explication. Le peintre me dit, en me reconduisant, que ces sortes de liqueur ne se vendaient qu’à des Turcs qui avaient acquis un certain âge. En général, dans ce pays, les sens s’amortissent après l’âge de trente ans. Or, chaque mari est forcé, lorsque se dessine la dernière échancrure de la lune du Baïram, de remplir ses devoirs les plus graves... Il en est pour qui les ébats de Caragueuz n’ont pas été une suffisante excitation.

La veille du Baïram était arrivée : l’aimable lune du Ramazan s’en allait où vont les vieilles lunes et les neiges de l’an passé, — chose qui fut un si grave sujet de rêverie pour notre vieux poète François Villon. — En réalité, ce n’est qu’alors que les fêtes sérieuses commencent. Le soleil qui se lève pour inaugurer le mois de Schaban doit détrôner la lune altière de cette splendeur usurpée, qui en a fait pendant trente jours un véritable soleil nocturne, — avec l’aide, il est vrai, des illuminations, des lanternes et des feux d’artifices. — Les Persans logés avec moi à Ildiz-Khan m’avertirent du moment où devait avoir lieu l’enterrement de la lune et l’intronisation de la nouvelle, ce qui donnait lieu à une cérémonie extraordinaire.

Un grand mouvement de troupes avait lieu cette nuit-là. On établissait une haie entre Eski-Sérail, résidence de la sultane mère, et le grand sérail situé à la pointe maritime de Stamboul. — Depuis le château des Sept-Tours et le palais de Bélisaire jusqu’à Sainte-Sophie, tous les gens des divers quartiers affluaient vers ces deux points.

Comment dire toutes les splendeurs de cette nuit privilégiée ? Comment dire surtout le motif singulier qui fait cette nuit-là du sultan le seul homme heureux de son empire. Tous les fidèles ont dû, pendant un mois, s’abstenir de toute pensée d’amour. — Une seule nuit encore, et ils pourront envoyer à une de leurs femmes, s’ils en ont plusieurs, le bouquet qui indique une préférence. — S’il n’en ont qu’une seule, le bouquet lui revient de droit. Mais quant au sultan, en qualité de padischa et de calife, il a le droit de ne pas attendre le premier jour de la lune de Lailet ul-id, qui est celle du mois de Schewal, et qui ne paraît qu’au premier jour du grand Baïram. Il a une nuit d’avance sur tous ses sujets pour la procréation d’un héritier, qui ne peut cette fois résulter que d’une femme nouvelle.

Ceci était le sens de la cérémonie qui se faisait entre le vieux sérail et le nouveau. — La mère du sultan devait conduire à son fils une esclave vierge — qu’elle achète elle-même au bazar, et qu’elle mène en pompe dans un carrosse de parade.

En effet, une longue file de voitures traversa bientôt les quartiers populeux de Stamboul, en suivant la rue centrale jusqu’à Sainte-Sophie, près de laquelle est située la porte du grand sérail. Ces voitures, au nombre d’une vingtaine, contenaient toutes les parentes de Sa Hautesse, ainsi que les sultanes — réformées avec pension, après avoir donné le jour à un prince ou à une princesse. Les grillages des voitures n’empêchaient pas que l’on ne distinguât la forme de leurs têtes voilées de blanc et de leurs vêtemens de dessus. Il y en avait une dont l’énormité m’étonna. — Par privilège sans doute, et grâce à la liberté que pouvait lui donner son rang ou son âge, elle n’avait la tête entourée que d’une gaze très fine qui laissait distinguer des traits autrefois beaux. Quant à la future cadine, elle était assise dans le carrosse principal, voilée par un étrange amas de minces lames d’or qui pleuvaient sur sa figure et la cachaient absolument. — Un grand nombre de valets de pied portaient des torches et des pots à feu des deux côtés du cortège.

On s’arrêta sur cette magnifique place de la porte du sérail, décorée d’une splendide fontaine, ornée de marbre, de découpures, d’arabesques dorées, — avec un toit à la chinoise et des bronzes étincelans.

La porte du sérail laisse voir encore entre ses colonnes les niches qui servaient autrefois à exposer des têtes, — les célèbres têtes du sérail !.

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19 mai 1850 — Les Nuits du Ramazan, dans Le National, 31e livraison.

Au sérail, dont on peut exceptionnellement visiter une partie, après un mois d’abstinence sexuelle, le sultan, comme ses sujets vaque au « devoir religieux qui lui est imposé cette nuit-là » et qui « répond autant que possible de la reproduction de sa race. Tel est aussi pour les musulmans ordinaires le sens des obligations que leur impose la première nuit du Baïram. » La conclusion de Nerval sur ce séjour à Constantinople est comme toujours ambiguë, moitié réaliste : « Constantinople semble une décoration de théâtre, — qu’il faut regarder de la salle sans en visiter les coulisses », moitié féerique, comme cette opale que lui offre l’un des hôtes persans de Ildiz Khan à son départ.

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LES NUITS DU RAMAZAN.

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XIV.

FÊTES AU SÉRAIL.

Je me vois forcé de ne pas décrire les cérémonies intérieures du sérail, — ayant l’usage de ne parler que de ce que j’ai pu voir par moi-même. Cependant, je connaissais déjà en partie le lieu de la scène. Tout étranger peut visiter les grands palais et les mosquées, à de certains jours désignés, en payant quatre mille piastres, — environ mille francs. — Mais la somme est si forte qu’un touriste ordinaire hésite souvent à la donner. Seulement, comme pour ce prix on peut amener autant de personnes que l’on veut, — les curieux se cotisent, — ou bien attendent qu’un grand personnage européen consente à faire cette dépense. J’avais pu visiter tous ces monumens à l’époque du passage du prince royal de Prusse. Il est d’usage, en pareil cas, que les Européens qui se présentent soient admis dans le cortège.

Sans risquer une description que l’on peut lire dans tous les voyages, il est bon d’indiquer la situation des nombreux bâtimens et des jardins du sérail occupant le triangle de terre découpé par la Corne d’Or et le Bosphore. — C’est toute une ville enfermée par de hauts murs crénelés et espacés de tours, se rattachant à la grande muraille construite par les Grecs, qui règne le long de la mer et en retour jusqu’au fond du port, — et qui ferme entièrement l’immense triangle formé par Stamboul.

Il y a dans les bâtimens du sérail un grand nombre de constructions anciennes, de kiosques, de mosquées ou de chapelles, ainsi que des bâtimens plus modernes, presque dans le goût européen. Des jardinets en terrasse, avec des parterres, des berceaux, des rigoles de marbre, des sentiers pavés de mosaïques, des arbustes taillés et des carrés de fleurs rares sont consacrés à la promenade des dames. D’autres jardins dessinés à l’anglaise, des pièces d’eau peuplées d’oiseaux — de hauts platanes, des saules, des sycomores, s’étendent autour des kiosques dans la partie la plus ancienne. Toutes les personnes un peu connues ou ayant affaire aux employés peuvent traverser pendant le jour les portions du sérail qui ne sont pas réservées aux femmes. Je m’y suis promené souvent en allant voir soit la bibliothèque, soit la trésorerie. La première, où il est facile de se faire admettre, renferme un grand nombre de livres et de manuscrits curieux, notamment un Coran gravé sur des feuilles minces de plomb, qui, grâce à leur excellente qualité, se tournent comme des feuillets ordinaires, les ornemens sont en émail et fort brillans. — A la trésorerie on peut admirer les bijoux impériaux conservés depuis des siècles. On voit aussi dans une salle tous les portraits des sultans peints en miniature, d’abord par les Belin de Venise, puis par des Italiens. Le dernier, celui d’Abdul-Medjid, a été peint par un Français, Camille Rogier.

On le voit, tout est là comme partout, et ces vieux usages de la vie retirée et farouche, attribués aux musulmans, ont cédé devant les progrès qu’amènent les idées modernes. Deux cours immenses précèdent, après la première entrée, nommée spécialement LA PORTE, les grands bâtimens du sérail. La plus avancée, entourée de galeries basses, est consacrée souvent aux exercices des pages, qui luttent d’adresse dans la gymnastique et l’équitation. La première, dans laquelle tout le monde peut pénétrer, offre une apparence rustique, avec ses arbres et ses treillages. — Une singularité la distingue, c’est un énorme mortier de marbre, qui de loin semble la bouche d’un puits. Ce mortier a une destination toute particulière. On doit y broyer, avec un pilon de fer assorti à sa grandeur, le corps du mufti, — chef de la religion, — si par hasard il venait à manquer à ses devoirs. Toutes les fois que ce personnage vient faire une visite au sultan, il est forcé de passer devant cet immense égrugeoir, — où il peut avoir la chance de terminer ses jours. La terreur salutaire qui en résulte est cause qu’aucun mufti ne s’est encore exposé à ce supplice. — Les coutumes chrétiennes n’ont jamais rien établi de pareil pour les papes.

L’affluence était si grande qu’il me parut impossible d’entrer même dans la première cour. J’y renonçai, bien que le public ordinaire pût pénétrer jusque-là et voir les dames du vieux sérail descendre de leurs voitures. Les torches et les lances à feu répandaient çà et là des flammèches sur les habits, et de plus, une grande quantité d’estafiers distribuaient force coups de bâton pour établir l’alignement des premières rangées. D’après ce que je puis savoir, il ne s’agissait que d’une scène de parade et de réception. La nouvelle esclave du sultan devait être reçue dans les appartemens par les sultanes, au nombre de trois, et par les cadines, au nombre de trente ; et rien ne pouvait empêcher que le sultan passât la nuit avec l’aimable vierge amenée par sa mère. Il faut admirer ici la sagesse musulmane, qui a prévu le cas où une favorite, peut-être stérile, absorberait l’amour et les faveurs du chef de l’état.

Le devoir religieux qui lui est imposé cette nuit-là répond autant que possible de la reproduction de sa race. Tel est aussi pour les musulmans ordinaires le sens des obligations que leur impose la première nuit du Baïram.

Cette abstinence de tout un mois, qui renouvelle probablement les forces de l’homme, ce jeûne partiel qui l’épure doivent avoir été calculés d’après des prévisions médicales analogues à celles que l’on retrouve dans la loi juive. N’oublions pas que l’Orient nous a donné la médecine, la chimie, et des préceptes d’hygiène qui remontent à des milliers d’années et regrettons que nos religions du Nord n’en représentent qu’une imitation imparfaite. — Je regretterais qu’on eût pu voir dans le tableau des coutumes bizarres rapportées plus haut l’intention d’inculper les musulmans de libertinage.

Leurs croyances et leurs coutumes diffèrent tellement des nôtres que nous ne pouvons les juger qu’au point de vue de notre dépravation relative. — Il suffit de se dire que la loi musulmane ne signale aucun péché dans cette ardeur des sens, utile à l’existence des populations méridionales décimées tant de fois par les pestes et par les guerres. Si l’on se rendait compte de la dignité et de la chasteté même des rapports qui existent entre un musulman et ses épouses, on renoncerait à tout ce mirage voluptueux qu’ont créé nos écrivains du dix-huitième siècle. — Il suffit de se dire que l’homme et la femme se couchent habillés ; que les yeux d’un musulman ne peuvent descendre, de par la loi religieuse, au-dessous de la ceinture d’une femme, — et cela est réciproque, — et que le sultan Mahmoud, le plus progressif des sultans, ayant un jour pénétré, dit-on, dans la salle de bain de ses femmes, fut condamné par elles-mêmes à une longue abstention de leur présence. — De plus, la ville, instruite par quelque indiscrétion de valets, en fut indignée, et des représentations furent faites au sultan par les imans.

Ce fait fut, du reste, regardé par ses partisans comme une calomnie — qui tenait probablement à ce qu’il avait construit au palais des Miroirs une salle de bain en amphithéâtre. — Je veux croire à la calomnie.

Le lendemain matin était le premier jour du Baïram. Le canon de tous les forts et de tous les vaisseaux retentit au lever du jour, dominant le chant des muezzins saluant Allah du haut d’un millier de minarets. La fête était, cette fois, à l’Atmeïdan, place illustrée par le souvenir des empereurs de Byzance qui y ont laissé des monumens. Cette place est oblongue et présente toujours son ancienne forme d’hippodrome, ainsi que les deux obélisques autour desquels tournaient les chars du temps de la lutte byzantine des verts et des bleus. — L’obélisque le mieux conservé, dont le granit rose est couvert d’hiéroglyphes encore distincts, est supporté par un piédestal de marbre blanc entouré de bas-reliefs qui représentent des empereurs grecs entourés de leur cour, des combats et des cérémonies. Ils ne sont pas d’une fort belle exécution ; — mais leur existence prouve que les Turcs ne sont pas aussi ennemis des sculpteurs que nous le supposons en Europe.

Au milieu de la place se trouve une singulière colonne composée de trois serpens enlacés, laquelle, dit-on, servait autrefois de trépied dans le temple de Delphes.

La mosquée du sultan Ahmed borde un des côtés de la place. — C’était là que S. H. Abdul-Medjid devait venir faire la grande prière du Baïram.

Le lendemain, qui était le premier jour du Baïram, un million peut-être d’habitans de Stamboul, de Scutari, de Péra et de leurs faubourgs encombrait le triangle immense qui se termine par la pointe du Sérail. Grâce à la proximité de ma demeure, je pus me trouver sur le passage du cortège qui se rendait sur la place de l’Atmeïdan. Le défilé, qui tournait par les rues environnant Sainte-Sophie, dura au moins une heure. Mais les costumes des troupes n’avait rien de fort curieux pour un Frank, car, à part le fezzi rouge qui leur sert uniformément de coiffure, les divers corps portaient à peu près les uniformes européens. Les mirlivas (généraux) avaient des costumes pareils à ceux des nôtres, brodés de palmes d’or sur toutes les coutures. Seulement, c’étaient partout des redingotes bleues ; on ne voyait pas un seul habit.

Tous les Européens de Péra se trouvaient mêlés à la foule ; car, dans les journées du Baïram, toutes les religions prennent part à l’allégresse musulmane. — C’est au moins une fête civile pour ceux qui ne s’unissent pas de cœur aux cérémonies de l’islam. — La musique du sultan, dirigée par le frère de Donizetti, exécutait des marches fort belles. — La curiosité principale du cortège était le défilé des icoglans, ou gardes du-corps, portant des casques ornés d’immenses cimiers garnis de hauts panaches bleus. On eût cru voir une forêt qui marche, comme au dénouement de Macbeth.

Le sultan parut ensuite, vêtu avec une grande simplicité, et portant seulement sur son bonnet une aigrette brillante. — Mais son cheval était tellement couvert de broderies d’or et de diamans, qu’il éblouissait tous les regards. Plusieurs chevaux, également caparaçonnés de harnais étincelans de pierreries, étaient menés par des saïs à la suite du souverain. Les vizirs, les sérasquiers, les casiaskers, les chefs des ulémas et tout un peuple d’employés suivaient naturellement le chef de l’état, puis de nouvelles troupes fermaient la marche.

Tout ce cortège, arrivant sur l’immense place de l’Atmeïdan, se fondit bientôt dans les vastes cours et dans les jardins de la mosquée. Le sultan descendit de cheval et fut reçu par les imans et les mollahs, qui l’attendaient à l’entrée et sur les marches. — Un grand nombre de voitures se trouvaient rangées sur la place, et toutes les grandes dames de Constantinople s’étaient réunies là, regardant la cérémonie par les grilles dorées des portières. Les plus distinguées avaient obtenu la faveur d’occuper les tribunes hautes de la mosquée.

Je ne pus voir ce qui se passait à l’intérieur, mais je savais que la cérémonie principale était le sacrifice d’un mouton. La même pratique a lieu ce jour-là dans toutes les maisons musulmanes.

La place était couverte de jeux, de divertissemens et de marchands de toutes sortes. — Après le sacrifice, chacun se précipita sur les vivres et les rafraîchissemens. Les galettes, les crèmes sucrées, les fritures — et les kébabs, mets favori du peuple, composé de grillades de mouton que l’on mange avec du persil et avec des tranches découpées de pain sans levain, étaient distribués à tous, aux frais des principaux personnages. De plus, chacun pouvait se présenter dans les maisons et prendre part aux repas qui s’y trouvaient servis. Pauvres ou riches, tous les musulmans occupant des maisons particulières traitent selon leur pouvoir les personnes qui viennent chez eux, sans se préoccuper de leur état ni de leur religion. — C’est, du reste, une coutume qui existait aussi chez les juifs, à la fête des sacrifices.

Le second jour du Baïram n’offre que la continuation des fêtes publiques du premier.

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Je n’ai pas entrepris de peindre Constantinople, — mais j’ai voulu seulement donner l’idée d’une promenade à travers ses rues et ses places à l’époque de principales fêtes. — Cette cité est, comme autrefois, le sceau splendide qui unit l’Europe à l’Asie. — Si son aspect extérieur est le plus beau du monde, on peut critiquer, comme l’ont fait tant de voyageurs, la pauvreté de certains quartiers et la malpropreté de beaucoup d’autres. Constantinople semble une décoration de théâtre, — qu’il faut regarder de la salle sans en visiter les coulisses. Il y a des Anglais maniérés qui se bornent à tourner la pointe du sérail, à parcourir la Corne d’Or et le Bosphore en bateau à vapeur, — et qui se disent : J’ai vu tout ce qu’il était bon de voir. — Là est l’exagération. Ce qu’il faut regretter, c’est peut-être que Stamboul, ayant en partie perdu sa physionomie d’autrefois, ne soit pas encore, comme régularité et comme salubrité, comparable aux capitales européennes. — Il est sans doute fort difficile d’établir des rues régulières sur les montagnes de Stamboul et sur les hauts promontoires de Péra et de Scutari ; — mais on y parviendrait avec un meilleur système de construction et de pavage. — Les maisons peintes, les dômes d’étain, les minarets élancés sont toujours admirables au point de vue de la poésie, mais ces vingt mille habitations de bois, que l’incendie visite si souvent, ces cimetières où les colombes roucoulent sur les ifs, mais où souvent les chacals déterrent les morts quand les grands orages ont amolli le sol, — tout cela forme le revers de cette médaille bysantine, — qu’on peut se plaire encore à nettoyer, après les savantes et gracieuses descriptions de lady Montague.

Rien, dans tous les cas, ne peut peindre les efforts que font les Turcs pour mettre aujourd’hui leur capitale au niveau de tous les progrès européens. Aucun procédé d’art, aucun perfectionnement matériel ne leur est inconnu. Il faut regretter seulement l’esprit de routine particulier à certaines classes, et appuyé sur le respect des vieilles coutumes religieuses. — Les Turcs sont sur ce point formalistes comme des Anglais.

Satisfait d’avoir vu, dans Stamboul même, les trente nuits du Ramazan, — je profitai du retour de la lune de Schaban pour donner congé du local que l’on m’avait loué à Ildiz-Khan. L’un des Persans qui m’avait pris en amitié, et qui m’appelait toujours le Myrza (lettré), voulut me faire un cadeau au moment de mon départ. — Il me fit descendre dans une cave pleine, à ce qu’il disait, de pierreries. Je crus que c’était le trésor d’Aboulcasem. — Mais la cave ne renfermait que des pierres et des cailloux fort ordinaires.

— Venez, me dit-il, il y a là des escarboucles, là des améthystes, là des grenats, là des turquoises, — là encore des opales : choisissez quelqu’une de ces pierres que je puisse vous offrir.

Cet homme me semblait un fou ; — à tout hasard, je choisis les opales. Il prit une hache, et fendit en deux une pierre grosse comme un pavé. L’éclat des opales renfermées dans ce calcaire m’éblouit aussitôt. — Prenez, me dit-il en m’offrant un des fragmens du pavé.

En arrivant à Malte, je voulus faire tailler quelques-unes des opales renfermées dans le bloc de chaux. La plupart, — les plus brillantes et les plus grosses en apparence, étaient friables. On put en tailler cinq ou six, — qui m’ont laissé un bon souvenir de mes amis d’Ildiz-Khan.

FIN.

GÉRARD DE NERVAL.

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[Ajout en 1851 :]

Malte

J’échappe enfin aux dix jours de quarantaine qu’il faut faire à Malte, avant de regagner les riants parages de l’Italie et de la France. Séjourner si longtemps dans les casemates poudreuses d’un fort, c’est une bien amère pénitence de quelques beaux jours passés au milieu des horizons splendides de l’Orient. J’en suis à ma troisième quarantaine ; mais du moins celles de Beyrouth et de Smyrne se passaient à l’ombre de grands arbres, au bord de la mer se découpant dans les rochers, bornés au loin par la silhouette bleuâtre des côtes ou des îles. Ici, nous n’avons eu pour tout horizon que le bassin d’un port intérieur et les rocs découpés en terrasses de la cité de La Valette, où se promenaient quelques soldats écossais aux jambes nues. — Triste impression ! je regagne le pays du froid et des orages, et déjà l’Orient n’est plus pour moi qu’un de ces rêves du matin auquel viennent bientôt succéder les ennuis du jour.

Que te dirai-je encore, mon ami ? Quel intérêt auras-tu trouvé dans ces lettres heurtées, diffuses, mêlées à des fragments de journal de voyage et à des légendes recueillies au hasard ? Ce désordre même est le garant de ma sincérité ; ce que j’ai écrit, je l’ai vu, je l’ai senti. Ai-je eu tort de rapporter aussi naïvement mille incidents minutieux, dédaignés d’ordinaire dans les voyages pittoresques ou scientifiques ?

Dois-je me défendre près de toi de mon admiration successive pour les religions diverses des pays que j’ai traversés ? Oui, je me suis senti païen en Grèce, musulman en Egypte, panthéiste au milieu des Druses, et dévot sur les mers aux astres-dieux de la Chaldée ; mais à Constantinople, j’ai compris la grandeur de cette tolérance universelle qu’exercent aujourd’hui les Turcs.

Ces derniers ont une légende des plus belles que je connaisse : « Quatre compagnons de route, un Turc, un Arabe, un Persan et un Grec, voulurent faire un goûter ensemble. Ils se cotisèrent de dix paras chacun. Mais il s’agissait de savoir ce que l’on achèterait : Uzum, dit le Turc. — Ineb, dit l’Arabe. — Inghûr, dit le Persan. — Stafilion, dit le Grec. Chacun voulant faire prévaloir son goût sur celui des autres, ils en étaient venus aux coups, lorsqu’un derviche qui savait les quatre langues appela un marchand de raisins, et il se trouva que c’était ce que chacun avait demandé. »

J’ai été fort touché à Constantinople en voyant de bons derviches assister à la messe. La parole de Dieu leur paraissait bonne dans toutes les langues. Du reste, ils n’obligent personne à tourner comme un volant au son des flûtes, ce qui pour eux-mêmes est la plus sublime façon d’honorer le ciel.

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GÉRARD DE NERVAL - SYLVIE LÉCUYER tous droits réservés @

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