TEXTES
1824, Poésies diverses (manuscrit autographe)
1824, L’Enterrement de la Quotidienne (manuscrit autographe)
1824, Poésies et poèmes (manuscrit autographe)
1825, « Pour la biographie des biographes » (manuscrit autographe)
15 février 1826 (BF), Napoléon et la France guerrière, chez Ladvocat
6 mai 1826 (BF), Complainte sur l’immortalité de M. Briffaut, par Cadet Roussel, chez Touquet
6 mai 1826 (BF), Monsieur Dentscourt ou le Cuisinier d’un grand homme, chez Touquet
20 mai 1826 (BF), Les Hauts faits des Jésuites, par Beuglant, chez Touquet
12 août 1826 (BF), Épître à M. de Villèle (Mercure de France du XIXe siècle)
11 novembre 1826 (BF), Napoléon et Talma, chez Touquet
13 et 30 décembre 1826 (BF), L’Académie ou les membres introuvables, par Gérard, chez Touquet
16 mai 1827 (BF), Élégies nationales et Satires politiques, par Gérard, chez Touquet
29 juin 1827, La dernière scène de Faust (Mercure de France au XIXe siècle)
28 novembre 1827 (BF), Faust, tragédie de Goëthe, 1828, chez Dondey-Dupré
15 décembre 1827, A Auguste H…Y (Almanach des muses pour 1828)
1828? Faust (manuscrit autographe)
1828? Le Nouveau genre (manuscrit autographe)
mai 1829, Lénore. Ballade allemande imitée de Bürger (La Psyché)
août 1829, Le Plongeur. Ballade, (La Psyché)
octobre 1829, A Schmied. Ode de Klopstock (La Psyché)
24 octobre 1829, Robert et Clairette. Ballade allemande de Tiedge (Mercure de France au XIXe siècle)
21 novembre 1829, Chant de l’épée. Traduit de Korner (Mercure de France au XIXe siècle)
19 décembre 1829, Lénore. Traduction littérale de Bürger (Mercure de France au XIXe siècle)
janvier 1830, La Lénore de Bürger, nouvelle traduction littérale (La Psyché)
16 janvier 1830, Ma Patrie, de Klopstock (Mercure de France au XIXe siècle)
23 janvier 1830, Légende, par Goethe (Mercure de France au XIXe siècle)
6 février (BF) Poésies allemandes, Klopstock, Goethe, Schiller, Burger (Bibliothèque choisie)
13 février 1830, Les Papillons (Mercure de France au XIXe siècle)
13 février 1830, Appel, par Koerner (1813) (Mercure de France au XIXe siècle)
13 mars 1830, L’Ombre de Koerner, par Uhland, 1816 (Mercure de France au XIXe siècle)
27 mars 1830, La Nuit du Nouvel an d’un malheureux, de Jean-Paul Richter (La Tribune romantique)
29 avril 1830, La Pipe, chanson traduite de l’allemand, de Pfeffel (La Tribune romantique)
13 mai 1830 Le Cabaret de la mère Saguet (Le Gastronome)
mai 1830, M. Jay et les pointus littéraires (La Tribune romantique)
juillet ? 1830, Récit des journées des 27-29 juillet (manuscrit autographe)
14 août 1830, Le Peuple (Mercure de France au XIXe siècle)
11 décembre 1830, A Victor Hugo. Les Doctrinaires (Almanach des muses pour 1831)
29 décembre 1830, La Malade (Le Cabinet de lecture )
29 janvier 1831, Odelette, Le Vingt-cinq mars (Almanach dédié aux demoiselles)
14 mars 1831, En avant, marche! (Cabinet de lecture)
23 avril 1831, Bardit, traduit du haut-allemand (Mercure de France au XIXe siècle)
7 mai 1831, Profession de foi (Mercure de France au XIXe siècle)
25 juin et 9 juillet 1831, Nicolas Flamel, drame-chronique (Mercure de France au XIXe siècle)
4 décembre 1831, Cour de prison, Le Soleil et la gloire (Le Cabinet de lecture)
17 décembre 1831, Fantaisie, odelette (Annales romantiques pour 1832)
24 septembre 1832, La Main de gloire, histoire macaronique (Le Cabinet de lecture)
14 décembre 1834, Odelettes (Annales romantiques pour 1835)
1835-1838 ? Lettres d’amour (manuscrits autographes)
26 mars et 20 juin 1836, De l’Aristocratie en France (Le Carrousel)
20 et 26 mars 1837, De l’avenir de la tragédie (La Charte de 1830)
12 août 1838, Les Bayadères à Paris (Le Messager)
18 septembre 1838, A M. B*** (Le Messager)
2 octobre 1838, La ville de Strasbourg. A M. B****** (Le Messager)
26 octobre 1838, Lettre de voyage. Bade (Le Messager)
31 octobre 1838, Lettre de voyage. Lichtenthal (Le Messager)
24 novembre 1838, Léo Burckart (manuscrit remis à la censure)
25, 26 et 28 juin 1839, Le Fort de Bitche. Souvenir de la Révolution française (Le Messager)
13 juillet 1839 (BF) Léo Burckart, chez Barba et Desessart
19 juillet 1839, « Le Mort-vivant », drame de M. de Chavagneux (La Presse)
15 et 16-17 août 1839, Les Deux rendez-vous, intermède (La Presse)
17 et 18 septembre 1839, Biographie singulière de Raoul Spifamme, seigneur des Granges (La Presse)
28 janvier 1840, Lettre de voyage I (La Presse)
25 février 1840, Le Magnétiseur
5 mars 1840, Lettre de voyage II (La Presse)
8 mars 1840, Lettre sur Vienne (L’Artiste)
26 mars 1840, Lettre de voyage III (La Presse)
28 juin 1840, Lettre de voyage IV, Un jour à Munich (La Presse)
18 juillet 1840 (BF) Faust de Goëthe suivi du second Faust, chez Gosselin
26 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort I (La Presse)
29 juillet, 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort II (La Presse)
30 juillet 1840, Allemagne du Nord - Paris à Francfort III (La Presse)
11 février 1841, Une Journée à Liège (La Presse)
18 février 1841, L’Hiver à Bruxelles (La Presse)
1841 ? Première version d’Aurélia (feuillets autographes)
février-mars 1841, Lettre à Muffe, (sonnets, manuscrit autographe)
1841 ? La Tête armée (manuscrit autographe)
mars 1841, Généalogie dite fantastique (manuscrit autographe)
1er mars 1841, Jules Janin, Gérard de Nerval (Journal des Débats)
5 mars 1841, Lettre à Edmond Leclerc
7 mars 1841, Les Amours de Vienne (Revue de Paris)
31 mars 1841, Lettre à Auguste Cavé
11 avril 1841, Mémoires d’un Parisien. Sainte-Pélagie en 1832 (L’Artiste)
9 novembre 1841, Lettre à Ida Ferrier-Dumas
novembre? 1841, Lettre à Victor Loubens
10 juillet 1842, Les Vieilles ballades françaises (La Sylphide)
15 octobre 1842, Rêverie de Charles VI (La Sylphide)
24 décembre 1842, Un Roman à faire (La Sylphide)
19 et 26 mars 1843, Jemmy O’Dougherty (La Sylphide)
11 février 1844, Une Journée en Grèce (L’Artiste)
10 mars 1844, Le Roman tragique (L’Artiste)
17 mars 1844, Le Boulevard du Temple, 1re livraison (L’Artiste)
31 mars 1844, Le Christ aux oliviers (L’Artiste)
5 mai 1844, Le Boulevard du Temple 2e livraison (L’Artiste)
12 mai 1844, Le Boulevard du Temple, 3e livraison (L’Artiste)
2 juin 1844, Paradoxe et Vérité (L’Artiste)
30 juin 1844, Voyage à Cythère (L’Artiste)
28 juillet 1844, Une Lithographie mystique (L’Artiste)
11 août 1844, Voyage à Cythère III et IV (L’Artiste)
15 septembre, Diorama (L’Artiste-Revue de Paris)
29 septembre 1844, Pantaloon Stoomwerktuimaker (L’Artiste)
20 octobre 1844, Les Délices de la Hollande I (La Sylphide)
8 décembre 1844, Les Délices de la Hollande II (La Sylphide)
16 mars 1845, Pensée antique (L’Artiste)
19 avril 1845 (BF), Le Diable amoureux par J. Cazotte, préface de Nerval, chez Ganivet
1er juin 1845, Souvenirs de l’Archipel. Cérigo (L’Artiste-Revue de Paris)
6 juillet 1845, L’Illusion (L’Artiste-Revue de Paris)
5 octobre 1845, Strasbourg (L’Artiste-Revue de Paris)
novembre-décembre 1845, Le Temple d’Isis. Souvenir de Pompéi (La Phalange)
28 décembre 1845, Vers dorés (L’Artiste-Revue de Paris)
1er mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste I (L’Artiste-Revue de Paris)
15 mars 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste II (L’Artiste-Revue de Paris)
1er mai 1846, Les Femmes du Caire. Scènes de la vie égyptienne (Revue des Deux Mondes)
17 mai 1846, Sensations d’un voyageur enthousiaste III (L’Artiste-Revue de Paris)
12 juillet 1846 Sensations d’un voyageur enthousiaste IV (L’Artiste-Revue de Paris)
16 août 1846, Un Tour dans le Nord. Angleterre et Flandre (L’Artiste-Revue de Paris)
30 août 1846, De Ramsgate à Anvers (L’Artiste-Revue de Paris)
20 septembre 1846, Une Nuit à Londres (L’Artiste-Revue de Paris)
1er novembre 1846, Un Tour dans le Nord III (L’Artiste-Revue de Paris)
22 novembre 1846, Un Tour dans le Nord IV (L’Artiste-Revue de Paris)
15 décembre 1846, Scènes de la vie égyptienne moderne. La Cange du Nil (Revue des Deux Mondes)
1847, Scénario des deux premiers actes des Monténégrins
15 février 1847, La Santa-Barbara. Scènes de la vie orientale (Revue des Deux Mondes)
15 mai 1847, Les Maronites. Un Prince du Liban (Revue des Deux Mondes)
15 août 1847, Les Druses (Revue des Deux Mondes)
17 octobre 1847, Les Akkals (Revue des Deux Mondes)
21 novembre 1847, Souvenirs de l’Archipel. Les Moulins de Syra (L’Artiste-Revue de Paris)
15 juillet 1848, Les Poésies de Henri Heine (Revue des Deux Mondes)
15 septembre 1848, Les Poésies de Henri Heine, L’Intermezzo (Revue des Deux Mondes)
1er-27 mars 1849, Le Marquis de Fayolle, 1re partie (Le Temps)
26 avril 16 mai 1849, Le Marquis de Fayolle, 2e partie (Le Temps)
6 octobre 1849, Le Diable rouge (Almanach cabalistique pour 1850)
7 mars-19 avril 1850, Les Nuits du Ramazan (Le National)
15 août 1850, Les Confidences de Nicolas, 1re livraison (Revue des Deux Mondes)
26 août 1850, Le Faust du Gymnase (La Presse)
1er septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 2e livraison (Revue des Deux Mondes)
9 septembre 1850, Excursion rhénane (La Presse)
15 septembre 1850, Les Confidences de Nicolas, 3e livraison (Revue des Deux Mondes)
18 et 19 septembre 1850, Les Fêtes de Weimar (La Presse)
1er octobre 1850, Goethe et Herder (L’Artiste-Revue de Paris)
24 octobre-22 décembre 1850, Les Faux-Saulniers (Le National)
29 décembre 1850, Les Livres d’enfants, La Reine des poissons (Le National)
novembre 1851, Quintus Aucler (Revue de Paris)
24 janvier 1852 (BF), L’Imagier de Harlem, Librairie théâtrale
15 juin 1852, Les Fêtes de mai en Hollande (Revue des Deux Mondes)
1er juillet 1852, La Bohême galante I (L’Artiste)
15 juillet 1852, La Bohême galante II (L’Artiste)
1er août 1852, La Bohême galante III (L’Artiste)
15 août 1852, La Bohême galante IV (L’Artiste)
21 août 1852 (BF), Lorely. Souvenirs d’Allemagne, chez Giraud et Dagneau (Préface à Jules Janin)
1er septembre 1852, La Bohême galante V (L’Artiste)
15 septembre 1852, La Bohême galante VI (L’Artiste)
1er octobre 1852, La Bohême galante VII (L’Artiste)
9 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 1re livraison (L’Illustration)
15 octobre 1852, La Bohême galante VIII (L’Artiste)
23 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 2e livraison (L’Illustration)
30 octobre 1852, Les Nuits d’octobre, 3e livraison (L’Illustration)
1er novembre 1852, La Bohême galante IX (L’Artiste)
6 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 4e livraison (L’Illustration)
13 novembre 1852, Les Nuits d’octobre, 5e livraison (L’Illustration)
15 novembre 1852, La Bohême galante X (L’Artiste)
20 novembre 1852, Les Illuminés, chez Victor Lecou (« La Bibliothèque de mon oncle »)
1er décembre 1852, La Bohême galante XI (L’Artiste)
15 décembre 1852, La Bohême galante XII (L’Artiste)
1er janvier 1853 (BF), Petits Châteaux de Bohême. Prose et Poésie, chez Eugène Didier
15 août 1853, Sylvie. Souvenirs du Valois (Revue des Deux Mondes)
14 novembre 1853, Lettre à Alexandre Dumas
25 novembre 1853-octobre 1854, Lettres à Émile Blanche
10 décembre 1853, Alexandre Dumas, Causerie avec mes lecteurs (Le Mousquetaire)
17 décembre 1853, Octavie (Le Mousquetaire)
1853-1854, Le Comte de Saint-Germain (manuscrit autographe)
28 janvier 1854 (BF) Les Filles du feu, préface, Les Chimères, chez Daniel Giraud
31 octobre 1854, Pandora (Le Mousquetaire)
25 novembre 1854, Pandora, épreuves du Mousquetaire
Pandora, texte reconstitué par Jean Guillaume en 1968
Pandora, texte reconstitué par Jean Senelier en 1975
30 décembre 1854, Promenades et Souvenirs, 1re livraison (L’Illustration)
1854 ? Sydonie (manuscrit autographe)
1854? Emerance (manuscrit autographe)
1854? Promenades et Souvenirs (manuscrit autographe)
janvier 1855, Oeuvres complètes (manuscrit autographe)
1er janvier 1855, Aurélia ou le Rêve et la Vie (Revue de Paris)
6 janvier 1855, Promenades et Souvenirs, 2e livraison (L’Illustration)
3 février 1855, Promenades et Souvenirs, 3e livraison (L’Illustration)
15 février 1855, Aurélia ou Le Rêve et la Vie, seconde partie (Revue de Paris)
15 mars 1855, Desiderata (Revue de Paris)
1866, La Forêt noire, scénario
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BF: annonce dans la Bibliographie de la France
Manuscrit autographe: manuscrit non publié du vivant de Nerval
18 juillet 1840 — Faust de Goëthe, suivi du second Faust. Choix de ballades et poésies de Goëthe, Schiller, Burger, Klopstock, Schubart, Kœrner, Uhland, etc. Traduits par Gérard, Paris, Charles Gosselin, 9 rue St-Germain-des-Prés, 1840.
Un temps indéterminé s’est écoulé : Euphorion, « le bel enfant », né de l’union d’Hélène et de Faust, ne vivra pas longtemps, invinciblement attiré par la mort. Et tandis que le chœur entonne un chant funèbre, Hélène dit à Faust, avant de disparaître : « Une ancienne parole s’éprouve aussi tristement en moi, c’est que la beauté et le bonheur ne se réunissent pas pour longtemps. Le lien de la vie et de l’amour est déchiré ».
Faust n’est toutefois pas encore désespéré de la vie : « Je veux laisser des monuments de mon passage et pétrir enfin la nature au moule idéal de ma pensée. Assez de rêves ; la gloire n’est rien ; mais l’action est tout. » Un nouvel épisode, résumé par Nerval, le montre en effet fondant un empire nouveau « nouveau prestige [...] pays d’illusions ».
Devenu très vieux, Faust comprend la vanité de ses efforts : « Le vieillard gît là sur le sable. L’heure s’arrête..... [...] Elle s’arrête ; elle se tait comme minuit [...] Elle tombe ! Tout est accompli [...] Tout est passé ! » conclut Méphistophélès en alternance avec le chœur. Ce dernier pourtant n’a pas gagné la partie : l’âme de Faust sera sauvée « par les enfants de minuit », jeunes pénitentes parmi lesquelles se trouve Marguerite.
<<< Faust de Goethe suivi du second Faust, Introduction
<<< Second Faust, Une contrée riante, une galerie sombre
<<< Second Faust, Dans le vide
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SECOND FAUST.
HÉLÈNE (suite)
PHORKYAS.
Je ne sais pas depuis quand les filles dorment ; si elles ont rêvé ce que j’ai vu clairement, je l’ignore. Éveillons-les. Les jeunes gens s’étonneront, et vous, adultes, qui, assis là-bas, attendez pour voir enfin la solution de ces miracles dignes de foi. Debout ! debout ! secouez vos cheveux, ne clignotez plus, et écoutez-moi.
LE CHŒUR.
Parle toujours et raconte ce qui s’est passé de merveilleux ; nous désirons entendre ce que nous ne pouvons pas croire, car nous nous ennuyons à regarder ces rochers.
PHORKYA.
A peine vous êtes-vous frotté les yeux, mes enfans, et déjà vous vous ennuyez. Apprenez donc ce qui suit : dans ces cavernes, dans ces grottes et kiosques, notre seigneur et son épouse trouvaient protection et sûreté, comme un couple amoureux épris des charmes de la nature.
LE CHŒUR.
Comment, là-dedans ?
PHORKYAS.
Séparés du monde, ils n’appelaient que moi seule pour les servir. J’étais auprès d’eux honorée de leur confiance ; mais, comme cela convient aux confidentes, je regardais autour de moi, je m’adressais partout, cherchant des racines, des mousses et des écorces dont je connaissais l’efficacité, et ils restaient seuls.
LE CHŒUR.
Tu parles comme si un monde entier était là dedans : des forêts et des prairies, des ruisseaux et des lacs ; quels contes nous récites-tu donc ?
PHORKYAS.
Sans doute, inexpérimentées que vous êtes, ce sont des profondeurs que vous n’avez point sondées ; des salles et des cours partout, que je découvrais à force de chercher. Tout à coup j’entends des éclats de rire résonnant dans la caverne ; j’y porte mes regards, et je vois un jeune garçon sautant du sein de la mère vers le père, du père vers la mère ; les badinages, les cajoleries, les agaceries du fol amour m’étourdirent. Nu, un génie sans ailes, un faune sans animalité, il bondit sur la terre ferme ; mais le sol, par la réaction, le fait sauter au milieu des airs, et, au second, au troisième saut, il touche à la voûte. La mère, pleine d’angoisse, s’écrie : « Bondis toujours ainsi et selon ton loisir ; mais garde-toi de voler, car le vol ne t’est pas permis. » Et le père lui donne des exhortations : « L’élasticité qui te pousse en haut est dans la terre ; touche le sol seulement du doigt du pied, et tu seras bientôt fort comme le fils de la terre, Antée. » Conformément à ces paroles, il sautille sur la masse du rocher d’une pente à l’autre, comme saute une balle au jeu de paume ; mais tout à coup il disparaît dans la fente du gouffre, et il nous semble perdu. La mère se lamente, le père console, et, moi, haussant les épaules, je me tiens debout. Et de nouveau quelle apparition ? Est-ce qu’il y a là des trésors cachés ? Il s’est richement vêtu d’habits rayés de fleurs ; des houppes tombent le long des bras, des écharpes flottent autour du sein ; portant dans sa main la lyre d’or, comme un petit Phébus, il avance, plein de courage, jusqu’au bord, jusqu’à la saillie. Nous fûmes frappés d’étonnement. Les parens, ravis d’admiration, se jetèrent l’un dans les bras de l’autre ; car quelle splendeur environne sa tête ? Cela est difficile à dire, si c’est l’éclat de l’or ou la flamme du génie qui brille. Et c’est ainsi qu’il s’annonce par ses actions et ses mouvemens comme maître futur de tout ce qui est beau, et sentant dans ses veines les mélodies éternelles ; tel vous l’entendrez et vous le verrez.
LE CHŒUR.
Tu appelles cela un miracle, toi, née en Crète ! Tu n’as donc jamais écouté la parole du poète, qui enseigne à tous ? N’as-tu jamais appris la richesse divine, héroïque, des traditions de l’Ionie, des souvenirs de la Grèce ? Tout ce qui se fait aujourd’hui n’est qu’une faible image des délicieux jours de nos aïeux. Ton récit n’égale pas celui qu’un agréable mensonge, plus digne de foi que la vérité, raconta du fils de Maïa. Les suivantes prodiguaient leurs soins à ce nourrisson, à peine né, gentil et vigoureux ; mais le petit espiègle retire bientôt ses membres souples et précieusement emmaillotés, semblable au papillon qui, déployant ses ailes, s’échappe promptement et voltige hardiment dans l’éther rayonnant. Ainsi, lui, plus agile encore, prouva bientôt par son adresse qu’il favoriserait les fripons et les voleurs. Il vola au dominateur des mers le trident, à Phébus l’arc et la flèche, à Héphestion la tenaille ; il eût pris même l’éclair de son père Jupiter, s’il n’eût pas eu peur du feu. Il remporta la victoire au carrousel sur Éros, et enleva la ceinture à Cypris, malgré ses caresses.
(Une musique douce et mélodieuse se fait entendre dans la caverne. Tous font attention et semblent être profondément touchés)
PHORKYAS.
Écoutez ces sons charmans, délivrez-vous vite des fables, abandonnez la foule de vos dieux ; c’est passé. Personne ne veut plus vous comprendre : nous demandons davantage, car ce qui doit toucher le cœur doit venir du cœur.
(Elle se retire vers le rocher)
LE CHŒUR.
Si tu aimes, être terrible, ces douces images, nous voilà touchées jusqu’aux larmes. Que l’éclat du soleil disparaisse des cieux, s’il peut se faire jour dans l’âme, nous trouverons alors dans notre cœur ce que le monde entier nous refuse.
HÉLÈNE, FAUST, EUPHORION, dans le costume ci-dessus indiqué.
EUPHORION.
Si vous entendez le chant d’un enfant, votre joie ressemble à la sienne ; si vous me voyez sauter selon leur cadence, le cœur vous bondit de plaisir.
HÉLÈNE.
L’amour, pour rendre heureux les hommes, unit deux personnes ; pour combler leur bonheur, il en faut trois.
FAUST.
Tout est alors trouvé : je suis à toi et tu es à moi, nous sommes unis pour toujours; que jamais cela ne change !
LE CHŒUR.
L’aspect de l’enfant réunit le plaisir de beaucoup d’années dans ce couple. Que cet aspect est doux à nos cœurs !
EUPHORION.
Laissez-moi danser ! laissez-moi sauter, au sein des airs ! Tout pénétrer et tout saisir, voilà ma joie.
FAUST.
Sois modéré, sois prudent ! Calme cette audace ! Ne te prépare point la chute et le malheur. Ta perte serait la nôtre, ô mon cher fils !
EUPHORION.
Je ne veux pas plus long-temps rester attaché à la terre ! laissez mes mains, laissez mes cheveux, laissez mes vêtemens, ils sont à moi.
HÉLÈNE.
Oh ! pense ! oh ! pense à qui tu appartiens : hélas ! quel malheur, si tu troublais ce noble assemblage : — moi, toi et lui !
LE CHŒUR.
Bientôt, je le crois, le nœud sera brisé.
HÉLÈNE et FAUST.
Arrête, arrête, pour l’amour de tes parens, tes désirs sans bornes ! Sois tranquille, suis l’usage de tous !
EUPHORION.
Seulement pour vous plaire, je m’arrêterai.
(Entraînant le chœur à la danse.)
Doucement je me mêlerai à ces chœurs joyeux. Est-ce bien là la mélodie ? est-ce bien le mouvement ?
HÉLÈNE.
Oui, cela est bien fait. Guide le cercle harmonieux de ces belles danseuses.
FAUST.
Oh ! si cela était passé ! La bouffonnerie me réjouit peu.
EUPHORION et LE CHŒUR, entrelacés, chantant et dansant.
Si tu remues tes bras charmans, si tu secoues dans les airs ta chevelure lumineuse, si ton pied et tes pas si doux frôlent la terre, si tes membres ont des mouvemens gracieux, alors tu as atteint ton but, bel enfant ! tous nos cœurs sont pour toi ; tout te sourit.
EUPHORION.
Vous êtes tous des chevreuils fugitifs ! C’est un jeu nouveau où il faut courir ! Je suis le chasseur, vous êtes le gibier.
LE CHŒUR.
Si tu veux que nous te suivions, sois moins agile ; car nous n’avons qu’un but, qu’un seul désir de récompense, c’est de t’embrasser, ô belle image !
EUPHORION.
Ah ! par les forêts, par les ronces et les rochers !... Ce qui est facilement atteint me répugne ; seulement, ce qu’il faut forcer me séduit.
HÉLÈNE et FAUST.
Quelle espièglerie ! quel tapage ! Aucune modération n’est à espérer. Il s’élance, et ses cris résonnent comme le cor à travers monts et vallées. Quel désordre ! quels cris !
LE CHŒUR, entrant isolé.
Il a passé devant nous, se riant de nous avec dédain ; de toute la foule, il amène la plus bruyante.
EUPHORION, entraînant une jeune fille.
Si je traîne ici la fière jeune fille, si je la serre contre mon sein avec délices, si je baise sa bouche, malgré sa résistance, je le fais pour montrer ma force et ma volonté.
LA JEUNE FILLE.
Laisse-moi ! Moi aussi, j’ai de la force et du courage. Ma volonté, comme la tienne, ne se laisse pas facilement forcer. Tu te fies à ton bras ? Tiens ferme, insensé que tu es, et je te brûle pour m’amuser.
(Elle jette des flammes et flamboie en s’élevant.)
Suis-moi dans les airs, suis-moi dans le tombeau ; cherche à attraper le but que tu as manqué.
EUPHORION, secouant les flammes.
Que dois-je faire ici, entre le rocher et la montagne touffue ? Ne suis-je pas jeune et frais ? Les vents sifflent, les flots mugissent dans le lointain, je les entends ; je veux m’en approcher.
(Il monte plus haut sur le rocher.)
HÉLÈNE, FAUST et LE CHŒUR.
Veux-tu ressembler aux chamois ? Nous tremblons de te voir tomber.
EUPHORION.
Il faut que je monte toujours plus haut, que mes regards se portent toujours plus loin. Maintenant, je sais où je suis : au milieu de l’île, au milieu du pays de Pélops ; moitié sur la terre, moitié dans la mer.
LE CHŒUR.
Si tu ne veux pas rester paisiblement à la montagne et dans la forêt, cherchons alors les vignes rangées au penchant des collines, allons cueillir des figues et des pommes. Reste, oh ! reste dans ce beau pays.
EUPHORION.
Rêvez-vous la paix ? Que chacun rêve ce qui lui est doux. La guerre est le mot de ralliement. La victoire ! voilà un mot qui sonne bien !
LE CHŒUR.
Celui qui en temps de paix désire le retour de la guerre se sépare de l’espérance et du bonheur...
EUPHORION.
Pas de vagues, pas de murs ; le cœur de l’homme, ferme comme l’airain, est le rempart le plus certain. Voulez-vous rester sans conquêtes ? Allons, armés légèrement, faire la guerre ; les femmes deviennent des amazones, et chaque enfant devient un héros.
LE CHŒUR.
Divine poésie ! qu’elle monte vers le ciel ! qu’elle brille, cette belle étoile, loin et toujours plus loin ! elle nous suit, et c’est avec plaisir qu’on entend sa marche harmonieuse.
EUPHORION.
Non, je n’ai pas paru comme un enfant ; l’adolescent arrive armé, associé avec ceux qui sont forts, libres et hardis. Partons ! ce n’est que là où s’ouvre le chemin de la gloire.
HÉLÈNE et FAUST.
A peine entré dans la vie, tu désires déjà en sortir ? Est-ce que nous ne sommes rien pour toi ? Notre belle réunion est donc un rêve ?
EUPHORION.
Entendez-vous le tonnerre sur la mer ? l’entendez-vous dans la vallée, dans la poussière et dans les vagues, dans la foule et dans le tumulte, vers la douleur et le tourment ? La mort est une loi ; cela se comprend assez.
HÉLÈNE, FAUST et LE CHŒUR.
Quelle horreur ! quel délire ! la mort est pour toi une loi !
EUPHORION.
Dois-je tendre ailleurs ? Non ; je veux ma part de misère et de malheur !
LES PRÉCÉDENS.
Orgueil et danger ! destin mortel !
EUPHORION.
Je sens des ailes qui se déplient... Là-bas, là-bas, il faut aller ! admirez mon vol !
(Il se jette dans les airs ; les vêtements le portent un instant, sa tête est radieuse, une trace de lumière devient visible.)
LE CHŒUR.
Icare ! assez de douleurs !
(Un beau jeune homme tombe aux pieds des parens ; l’on croit reconnaître dans ce cadavre une figure connue ; mais l’enveloppe matérielle disparaît aussitôt, l’auréole monte comme une comète vers le ciel, les vêtemens et le manteau restent sur la terre *)
* On suppose que cette allégorie se rapporte à Byron.
HÉLÈNE et FAUST.
De dures souffrances viennent tout de suite après la joie.
EUPHORION, voix venant de la profondeur.
Ne me laissez pas seul, ma mère, dans ce sombre séjour.
(Pause.)
LE CHŒUR, chant funèbre.
Pas seul ! — Qu’importe où tu séjourneras !
Nous croyons assez te connaître.
Hélas ! si tu quittes le jour,
Nul cœur ne se séparera de toi.
A peine nous osons te plaindre ;
Avec envie nous célébrons ton sort :
Dans le jour ou dans les ténèbres,
L’amour et le courage furent grands en toi !
_
Hélas ! né pour le bonheur de la terre,
Issu d’aïeux sublimes, doué de tant de force,
Hélas ! trop tôt perdu pour toi-même,
Enlevé dans la fleur de ta jeunesse !…
Un œil d’aigle pour contempler le monde ;
Une âme sympathique à tous les mouvemens du cœur,
Ardemment aimé de la meilleure des femmes.
Poète aux chants incomparables !…
_
Rien n’a pu t’arrêter, et toi-même.
Tu t’es pris au réseau fatal !
Ainsi, tu t’es brouillé sans crainte
Avec les mœurs et avec la loi.
Pourtant, tu as, par tes rêves sublimes,
Montré ce que valait ton audace si noble ;
Tu voulais remporter le plus beau des triomphes ;
Mais c’est là que tu t’es perdu !
_
Qui réussira mieux ? Sombre question,
Que le destin tient voilée encore,
Lorsqu’à la plus fatale des journées
Tous les peuples se taisent en perdant leur sang !
Mais de nouveaux chants retentissent,
Ne restez pas plus longtemps affligés,
Car le sol les reproduit encore
Comme il les a produits toujours !
(Pause complète. La musique cesse.)
HÉLÈNE, s’adressant à Faust.
Une ancienne parole s’éprouve aussi tristement en moi, c’est que la beauté et le bonheur ne se réunissent pas pour long-temps. Le lien de la vie et de l’amour est déchiré ; en le déplorant, je te dis adieu, pénétrée de douleur. Encore une fois, je me jette dans tes bras. Perséphone, reçois-moi ! reçois mon fils !
(Elle embrasse Faust ; tout ce qui est matériel en elle disparaît, le vêtement et le voile lui restent dans les bras.)
PHORKYAS, à Faust.
Tiens bien ce qui te reste de tout ce que tu possédais. Elle se détache du vêtement. Déjà les démons en tirent les pointes, et voudraient l’entraîner dans leur séjour. Tiens ferme ! La déesse n’est plus. Tu l’as perdue ; mais son vêtement est divin. Use de ce présent inestimable, et lève-toi. Il te transportera dans les airs aussi long-temps que tu pourras t’y maintenir. Nous nous reverrons, mais loin, très-loin d’ici.
(Les vêtemens d’Hélène se changent en nuages, ils entourent Faust, l’enlèvent, et l’emportent dans les airs.)
PHORKYAS. Elle lève de terre le manteau et la lyre, et les montre.
C’est par bonheur que je les trouve. Il est vrai que la flamme a disparu ; mais le monde n’est pas à plaindre : en voilà assez pour consacrer les poètes futurs, pour combattre l’envie et l’esprit de métier stérile. Et, si je ne puis conférer le génie, je puis du moins prêter l’habit.
PANTHALIS.
Maintenant, hâtez-vous, jeunes filles ! Enfin, nous sommes débarrassées du charme que nous imposait cette vieille sibylle de Thessalie. Ainsi nos oreilles n’entendent plus ce tintamarre de sons confus qui distrait l’ouïe, et plus encore le sens intérieur. Descendons dans le Hadès ! La reine n’y est-elle point allée à pas mesurés et graves ? Que les pas des fidèles servantes suivent immédiatement les siens ; nous la trouverons près du trône de ceux que nul n’approfondit.
LE CHŒUR.
Les reines sont reines partout ;
Même dans le Hadès, elles ont les premières places ;
Se rangeant fièrement près de leurs égales,
Familières avec Perséphone ;
Mais nous, nous sommes reléguées au fond
Sous les profondes prairies d’Asphodèle,
Parmi les peupliers longuement élancés,
Au sein des pâturages stériles.
Quel passe-temps nous reste-t-il ?
Plaintives comme les chauves-souris,
Bruissantes sans joie comme des spectres.
LA CORYPHÉE.
Celui qui ne s’est acquis aucun nom,
Qui n’aspire vers rien de noble,
Appartient aux élémens ; aussi passez, passez !
Je désire ardemment être seule avec ma reine ;
Non-seulement le mérite, mais la fidélité
Nous conserve notre existence.
(Elle part.)
TOUTES.
Nous sommes rendues à la lumière du jour ;
A la vérité, nous ne sommes plus des personnes,
Nous le sentons, nous le savons ;
Mais nous n’irons jamais vers le Hadès ;
La nature, éternellement vivante,
A des droits sur nous comme esprits,
Et nous sur elle comme nature.
UNE PARTIE DU CHŒUR.
Et nous, dans les sifflemens et les chuchottemens, dans les doux souffles des zéphyrs, nous attirons en folâtrant, nous appelons doucement les racines des sources vitales vers les branches, tantôt par des feuilles, tantôt par des fleurs. Nous ornons avec transport les cheveux qui flottent librement dans les airs. Lorsque le fruit tombe, aussitôt le peuple pleure de joie et de vie, et les troupeaux se rassemblent en hâte pour saisir, pour goûter, se reposant laborieusement, et, comme devant les premiers dieux, on se prosterne devant nous tout à l’entour.
UNE AUTRE PARTIE DU CHŒUR.
Nous, à ce miroir poli qui s’étend au flanc de ces parois de rochers, nous nous plions en caressant, nous nous mouvons en douces vagues, nous écoutons et prêtons l’oreille à chaque son, le chant des oiseaux, les bruits des roseaux ; que cela soit la voix formidable de Pan, notre réponse est toute prête. Si le vent souffle, nous soufflons aussi en réponse ; s’il tonne, nos tonnerres roulent et redoublent effroyablement ; trois fois, dix fois, nous y répondons.
UNE TROISIÈME PARTIE DU CHŒUR.
Sœurs ! les sens émus, nous avançons avec les ruisseaux ; car cette suite de collines richement ornées dans le lointain, là-bas, nous attire. Toujours en descendant, toujours plus profondément, nous versons l’eau, serpentant comme des méandres, tantôt vers la prairie, tantôt vers les pelouses, comme le jardin qui entoure la maison. Là, les sommets élancés des cyprès l’indiquent, par-delà le paysage, le long des rives et au miroir des vagues aspirant à l’Éther.
UNE QUATRIÈME PARTIE.
Errez, vous autres, où il vous plaira ; nous nous entrelaçons, nous bruissons autour de la colline plantée partout, où sur le cep la vigne verdit. Là, tous les jours, à chaque heure, la passion du vigneron nous fait voir le résultat heureux de son labeur plein d’amour ; tantôt avec la hache, tantôt avec la bêche, tantôt en amoncelant, en coupant, en rattachant ; il prie tous les dieux, mais avant tous le dieu du soleil. Bacchus le doucereux se soucie peu du fidèle serviteur ; il repose dans les feuillages ; il s’appuie dans les cavernes, folâtrant avec le plus jeune des faunes. Tout ce dont il a besoin pour la douce ivresse reste toujours préparé pour lui dans les antres, remplissant les cruches et les vases conservés à droite et à gauche, au fond de ces caves éternelles. Mais, lorsque tous les dieux, lorsque Hélios, avant tout, en formant de l’air, en créant des vapeurs, en chauffant, en brûlant, ont amoncelé la corne d’abondance des grains, où travaillait le silencieux vendangeur, aussitôt tout s’anime encore, et chaque feuillage remue ; un bruit sourd se fait entendre de cep à cep. Des corbeilles craquent, des seaux clapotent, des hottes gémissent de toutes parts vers la grande cuve, pour la danse vigoureuse des vignerons. Et c’est ainsi qu’on foule furieusement aux pieds la sainte abondance des grains pleins de sève. Écumant et vomissant, tout s’entremêle, hideusement broyé. Et maintenant retentissent dans l’oreille les sons d’airain des cymbales et des bassins. Car Dionysos a dépouillé le voile de ses mystères. Il se montre avec ses satyres et leurs femelles chancelantes, et l’animal aux longues oreilles de Silénus vient à travers, avec son ton rauque et criard. Rien n’est ménagé ; des animaux à pied fourchu foulent au pied toute pudeur : tous les sens tournent comme dans un tourbillon ; l’oreille est horriblement étourdie. Les hommes ivres tâtonnent après les coupes, les têtes, les ventres sont pleins. L’un ou l’autre résiste encore ; mais il ne fait qu’augmenter le tumulte ; car, pour faire place au vin nouveau, on vide rapidement les outres des vieilles vendanges.
(Le rideau tombe, Phorkyas se lève comme un géant à l’avant-scène, descend du cothurne, ôte son masque et son voile, et se montre comme Méphistophélès, pour commenter, si c’était nécessaire, la pièce dans l’épilogue.)
_____
LE CHAMP DE BATAILLE.
Après la mort, ou plutôt l’anéantissement du fantôme adoré d’Hélène, Faust se retrouve sur le sommet d’une montagne, encore ébloui des visions perdues, qui pour lui ont été réelles, et ont occupé quelque temps l’activité d son âme. Méphistophélès vient lui demander s’il n’est pas las encore de la vie, et s’il n’a pas tout épuisé, la science, la gloire, l’amour de cœur, l’amour d’intelligence, et n’est pas content encore d’avoir pu sonder vivant deux infinis : le temps et l’espace. Que peut-il vouloir encore ? La richesse, le pouvoir, le plaisir des sens ? Mais ce sont là des phases de l’existence, que Faust a traversées sans s’y arrêter.
« Je vois, dit Méphistophélès, qu’il faut passer à une autre sphère ; celle-ci est épuisée, tordue comme une orange vide. C’est vers la lune que ton esprit aspire maintenant, je le vois bien.
— Tu te trompes, dit Faust, la terre est encore un théâtre assez vaste pour l’activité qui me reste. Je veux frapper d’admiration les races humaines. Je veux laisser des monumens de mon passage et pétrir enfin la nature au moule idéal de ma pensée. Assez de rêves ; la gloire n’est rien ; mais l’action est tout.
— Qu’il soit donc fait à ton gré ! » dit le Diable, qui commence à désespérer de fatiguer une intelligence si robuste. Et ils abaissent de nouveau leur vol vers le monde matériel. La vie humaine recommence à bruire autour d’eux.
Combien de temps s’est-il passé depuis qu’ils ont quitté la cour de l’empereur ? Des années, des instans, peut-être. Mais l’empereur est encore vivant. La prospérité financière improvisée par Méphistophélès n’a pas été de longue durée. Le papier-monnaie est redevenu papier ; les folles dissipations de la cour ont mis le comble à la misère publique. Une grande partie de l’empire s’est soulevée, et le souverain légitime joue sa couronne dans une dernière bataille. Faust ordonne à Méphistophélès de le secourir, et se dispose lui-même à prendre part au combat, revêtu d’une armure brillante. Trois personnages magiques deviennent les aides de camp du nouveau général, et Méphistophélès évoque de terre les fantômes innombrables des âmes disparues. L’empereur, placé entre ses deux amis, les questionne en tremblant sur ces effrayantes levées qui se déroulent en légions bizarres, tantôt représentant des forces à vaincre le monde, et tantôt d’innocens brouillards embrasés des feux du couchant. L’aide de ces fantômes n’empêche pas les véritables troupes de l’empereur d’être taillées en pièces, si bien qu’il ne restera plus un bras de chair et de sang pour protéger le sein de l’empereur contre les hardis révoltés. En effet, ceux-là n’ont pas tardé à s’apercevoir que les lances qui les menaçaient ne faisaient aucune blessure, et déjà les voilà qui gravissent les hauteurs. Ici Méphistophélès fait appel aux esprits des sources souterraines qui envoient à la surface de la terre une apparence d’inondation. Le troupes ennemies se croient au moment d’être noyées, ainsi que l’armée de Pharaon, et se dispersent comme des troupeaux au milieu des brouillards qui égarent leurs yeux et leurs pensées. L’empereur, maître du champ de bataille, est bientôt rejoint par les siens. Il ne songe plus qu’à récompenser ceux qui lui sont restés fidèles. A ce moment chacun l’a été, et tout le monde apporte ses preuves. L’archevêque seul vient faire entendre des paroles sévères et reprocher à l’empereur de n’avoir triomphé qu’à l’aide des puissances infernales. On l’apaise en lui promettant de bâtir une magnifique église sur le lieu même de la bataille, et en faisant au clergé de l’empire de riches dotations.
Quant à Faust, il demande la concession d’un vaste royaume où il puisse réaliser ses plans et ses découvertes : pour n’avoir pas à s’embarrasser dans les mille réseaux du droit, des souvenirs et de la propriété, il choisit un terrain vierge encore, qu’il se charge lui-même de gagner sur la mer. Maintenant, soit qu’en effet la mer recule et se contienne derrière des digues immenses, soit qu’un nouveau prestige crée un pays d’illusions sur les dunes arides de l’océan, Faust se trouve le souverain d’une riche contrée habitée par un peuple paisible. Un voyageur, qui jadis a fait naufrage sur ces lieux mêmes reconnaît en passant les écueils qui brisèrent son navire, devenus aujourd’hui des rochers pittoresques ; la ligne bleue de la mer s’est reportée bien loin de là, à l’horizon. Il reconnaît néanmoins sur la hauteur qui jadis était le rivage, deux vieillards vénérables, personnages typiques formulés par les noms de Philémon et Baucis. Le vieux couple qui l’a sauvé jadis des flots lui apprend toutes les merveilles qui se sont passées depuis sa venue, et hoche la tête en parlant du nouveau maître du pays et de la prospérité chanceuse qu’il a répandue dans les environs. En effet, un palais éblouissant s’est élevé dans une nuit, de vastes forêts sont sorties de terre comme l’herbe, des maisons flottent au soleil, des canaux répandent la fécondité, et dans tout ce pays si riche et si vaste, il n’est pas une image de Dieu, pas une cloche, pas une église ; le nom du ciel y meurt sur les lèvres. Ce n’est que sur l’ancienne terre ferme qu’une antique chapelle est restée debout encore avec sa cloche qui tinte le jour, et sa lampe qui luit dans les ténèbres.
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UN PALAIS — UN GRAND PARC. — UN GRAND CANAL.
FAUST, très-vieux, se promène en rêvant, LYNCÉUS.
LYNCÉUS, le veilleur de la tour, à travers le porte-voix.
Le soleil tombe, les derniers vaisseaux entrent joyeusement dans le port. Une grande nacelle est sur le point d’arriver au canal. Les pavillons bigarrés flottent gaiement dans l’air, les mâts se dressent avec souplesse. C’est par toi que le nautonier se dit heureux ; le bonheur te salue à bon droit.
(La clochette sonne sur les dunes.)
FAUST, se réveillant.
Maudites cloches ! La blessure qu’elles me causent brûle comme un coup meurtrier. Devant moi, mon empire s’étend à l’infini ; derrière moi, le chagrin me harcèle et me rappelle par ces sons envieux que la source de mes richesses n’est pas pure ! La pelouse sous les tilleuls, la vieille maison, la petite église caduque, ne m’appartiennent pas... et, si je voulais aller respirer là-bas, ces ombrages étrangers me feraient frissonner ; ils sont une épine pour les yeux, une épine pour les pieds. Oh ! que ne suis-je loin d’ici !
LE VEILLEUR DE LA TOUR.
Comme la nacelle cingle joyeusement, poussée par un frais zéphyr ! Sa course rapide nous apporte des coffres, des caisses et des sacs pleins de richesses !
(La nacelle arrive, chargée des productions de toutes les contrées du monde.)
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PROFONDE NUIT.
LYNCÉUS, chantant sur les créneaux.
Né pour voir,
Payé pour apercevoir,
Attaché à la tour,
Le monde me charme.
Je vois au loin.
Je vois près de moi
La lune et les étoiles,
La forêt et le chevreuil.
Je vois en toutes choses
L’éternelle beauté,
Et, comme cela me plaît,
Je me plais à moi-même !
Mais quelle épouvantable horreur
Se lève sur ce monde sombre !
Je vois des feux étincelans
A travers la double nuit des tilleuls...
Hélas ! la cabane intérieure est en flamme.
Elle qui était garnie de mousse et située en lieu humide !
De cet enfer brûlant,
Des éclairs montent en langues de feu
A travers les feuilles, à travers les branches
O mes yeux ! faut-il que vous voyiez cela !
Faut-il que mon regard porte si loin !
Voici la petite chapelle qui croule
Écrasée du fardeau des branches.
Les flammes embrassent déjà le faîte,
Et jusqu’à la racine brûlent
Les troncs creux, rouges comme pourpre !...
FAUST, sur le balcon, le regard dirigé vers les dunes.
Quel chant plaintif entends-je là-haut ? D’abord des paroles, puis des sons ! Mon veilleur se lamente, et l’action qui vient de s’accomplir me chagrine intérieurement. Mais, pour quelques tilleuls ruinés et réduits en troncs de charbon, qu’importe ! Un vaste espace sera bientôt déblayé, et ma vue s’étendra à l’infini. Je verrai aussi la nouvelle demeure bâtie pour ce vieux couple, qui, dans le sentiment de sa vertu, achève paisiblement ses jours.
MÉPHISTOPHÉLÈS et SES TROIS SERVITEURS.
Nous voilà arrivés de toutes les forces des chevaux. Pardonnez si tout n’a pas été très-bien. Nous frappâmes d’abord à coups redoublés, et personne n’ouvrit la porte ; nous secouâmes et frappâmes toujours, et voilà la porte vermoulue enfoncée. Nous nous mîmes à appeler à grands cris et avec menaces ; mais les vieillards paraissaient tout étourdis, et, comme il arrive en pareille occurrence, nous ne pouvions leur faire entendre raison ; sur quoi, nous n’hésitâmes pas à les tirer dehors avec force. Le couple s’est beaucoup débattu, et ils ont fini par tomber expirans à terre. Un étranger, qui était caché dans la maison et qui fit mine de se défendre, fut étendu mort près d’eux. En peu de temps, la paille s’enflamma aux charbons brûlans répandus autour de la cabane. La voilà maintenant qui pétille dans le feu et sert de bûcher aux trois corps.
FAUST.
Étiez-vous sourds à mes paroles ? Je voulais l’échange et non le vol. J’abhorre cette action imprudente et tyrannique. Partagez entre vous ma malédiction.
CHŒUR.
La vieille parole retentit : obéis à la force !
Et, si tu es courageux, si tu tiens ferme,
Tu risqueras et la maison et la cour, et toi-même.
(Ils sortent.)
FAUST, sur le balcon.
Les étoiles ont perdu leurs regards et leur clarté ; la flamme tombe et s’amoindrit ; un frisson d’air l’éventé encore et porte jusqu’ici la vapeur et la fumée. Ordre vite donné et trop vite accompli ! Qui flotte là dans l’ombre ?
QUATRE FEMMES GRISES s’avancent.
LA PREMIÈRE.
Je m’appelle la famine.
LA SECONDE.
Je m’appelle la dette.
LA TROISIÈME.
Je m’appelle le souci.
LA QUATRIÈME.
Je m’appelle la détresse.
TOUTES TROIS.
La porte est close, nous ne pouvons entrer. C’est la maison d’un riche, nous n’y avons point affaire.
LA FAMINE.
Là, je deviens ombre.
LA DETTE.
Là, je deviens à rien.
LA DÉTRESSE.
Là, se détourne le visage déshabitué de moi.
LE SOUCI.
Vous, mes sœurs, vous ne pouvez et n’osez rien ici. Le souci peut se glisser seul par le trou de la serrure.
(Le Souci disparaît.)
LA FAMINE.
Vous, mes compagnes sombres, éloignez-vous.
LA DETTE.
Je m’attache à toi seule et marche à ton côté.
LA DÉTRESSE.
Et la détresse marche sur vos talons.
TOUTES TROIS.
Les nuages filent, les étoiles sont voilées. Là, derrière, derrière, de loin, de loin, le voilà qui vient, notre père le trépas.
FAUST, dans le palais.
Quatre j’en vis venir, et trois seulement s’en vont. Je ne puis saisir le sens de leurs paroles. Cela résonnait comme — détresse ; puis venait une rime plus sombre, — la mort. Cela sonnait creux et de la voix sourde des fantômes. Je n’ai pu m’affranchir encore de cette impression. Si je pouvais éloigner la magie de mon chemin et désapprendre tout à fait les formules cabalistiques ! Si je pouvais, nature, être seulement un homme devant toi ; alors, cela vaudrait bien la peine d’être homme !
Je l’étais jadis, avant que je cherchasse à pénétrer tes voiles, avant que j’eusse maudit avec des paroles criminelles le monde et moi-même. Maintenant, l’air est plein de tels fantômes, qu’on ne saurait comment leur échapper. Si le jour pur et clair vient sourire un seul instant, la nuit nous replonge aussitôt dans les voiles épais du rêve. Nous revenons gaiement des campagnes reverdies, tout-à -oup un oiseau crie ; que crie-t-il ? — Malheur ! Le malheur ! il nous surprend, enveloppés jeunes et vieux des liens de la superstition. Il arrive, il s’annonce, il avertit, et nous nous trouvons seuls, épouvantés en sa présence... La porte grince, mais personne n’entre. (Avec terreur.) Y a-t-il quelqu’un ici ?
LE SOUCI.
La réponse est dans la demande.
FAUST.
Et qui es-tu donc ?
LE SOUCI.
Je suis-là, voilà tout.
FAUST.
Éloigne-toi.
LE SOUCI.
Je suis où je dois être.
FAUST, d’abord en colère puis s’apaisant peu à peu.
Alors, ne prononce aucune parole magique... Prends garde à toi !
LE SOUCI.
L’oreille ne m’entendant pas,
Je murmurerai dans le cœur ;
Sous diverses métamorphoses
J’exerce mon pouvoir effrayant ;
Sur le sentier ou sur la vague,
Éternel compagnon d’angoisse.
Toujours trouvé, jamais cherché,
Tantôt flatté, tantôt maudit !
N’as-tu jamais connu le Souci ?
FAUST.
Je n’ai fait que courir par le monde, saisissant aux cheveux tout plaisir, négligeant ce qui ne pouvait me suffire, et laissant aller ce qui m’échappait. Je n’ai fait qu’accomplir et désirer encore, et j’ai ainsi précipité ma vie dans une éternelle action. D’abord grand et puissant, à présent, je marche avec sagesse et circonspection. Le cercle de la terre m’est suffisamment connu. La vue sur l’autre monde nous est fermée. Qu’il est insensé, celui qui dirige ses regards soucieux de ce côté, et qui s’imagine être au-dessus des nuages, au-dessus de ses semblables ! Qu’il se tienne ferme à cette terre ; le monde n’est pas muet pour l’homme qui vaut quelque chose. A quoi bon flotter dans l’éternité ? Tout ce que l’homme connaît, il peut le saisir. Qu’il poursuive donc son chemin, sans s’épouvanter des fantômes ; qu’il marche, il trouvera du malheur et du bonheur ; lui qui est toujours mécontent de tout, du mal comme du bien.
LE SOUCI.
Lorsqu’une fois je possède quelqu’un,
Le monde entier ne lui vaut rien ;
D’éternelles ténèbres le couvrent,
Le soleil ne se lève ni ne se couche pour lui ;
Ses sens, si parfaits qu’ils soient,
Sont couverts de voiles et de ténèbres.
De tous les trésors, il ne sait rien posséder ;
Bonheur, malheur deviennent des caprices.
Il meurt de faim au sein de l’abondance.
Que ce soient délices ou tourmens,
Il remet au lendemain,
N’attend rien de l’avenir
Et n’a plus jamais de présent.
FAUST.
Tais-toi ! je ne veux pas entendre un non-sens. Va-t’en ! cette mauvaise litanie rendrait fou l’homme le plus sage.
LE SOUCI.
S’il doit aller, s’il doit venir,
La résolution lui manque.
Sur le milieu d’un chemin frayé,
Il chancelle et marche à demi-pas.
Il se perd de plus en plus,
Regarde à travers toute chose,
A charge à lui-même et à autrui ;
Respirant et étouffant tour à tour,
Ni bien vivant, ni bien mort,
Sans désespoir, sans résignation,
Dans un roulement continuel,
Regrettant ce qu’il fait, haïssant ce qu’il doit faire,
Tantôt libre, tantôt prisonnier,
Sans sommeil ni consolation,
Il reste fixé à sa place
Et tout préparé pour l’enfer.
FAUST.
Misérables fantômes ! c’est ainsi que vous en agissez mille et mille fois avec la race humaine ; vous changez des jours indifférens en affreuses tortures. Je le sais, on se défait difficilement des esprits de ténèbres ; mais ta puissance, ô Souci ! rampant ou puissant, je ne la reconnaîtrai pas.
LE SOUCI.
Vois donc avec quelle rapidité
Je pars en te jetant des imprécations !
Les hommes sont aveugles toute leur vie ;
Eh bien, Faust, deviens-le à la fin de tes jours !
(Il lui souffle au visage.)
FAUST, aveugle.
La nuit paraît être devenue plus profonde ; mais à l’intérieur brille une lumière éclatante. Ce que j’ai résolu, je veux m’empresser de l’accomplir. La parole du Seigneur a seule de la puissance. O vous, mes serviteurs, levez-vous de vos couches l’un après l’autre, et faites voir ce que j’ai si audacieusement médité ; saisissez l’instrument, remuez la pelle et le pieu, il faut que cette œuvre désignée s’accomplisse ; l’ordre exact, l’application rapide sont toujours couronnés par le plus beau succès ; qu’une œuvre des plus grandes s’achève, un seul esprit suffit pour mille mains !
_____
GRAND VESTIBULE DU PALAIS.
Des flambeaux.
MÉPHISTOPHÉLÈS, comme gardien, en tête.
Venez, venez ! entrez, entrez !
Lémures paresseuses,
Formées de fibres, de veines et d’os
Rajustés et ranimés à demi.
LÉMURES, en chœur.
Nous voilà prêtes à l’instant ;
Car, d’après ce que nous avons appris,
Il s’agit d’une vaste contrée
Que nous devons occuper.
_
Les pieux pointus sont prêts,
Et la chaîne aussi, pour mesurer.
Quant à la cause de ton invocation,
C’est ce que nous avons oublié.
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Il ne s’agit pas ici de travaux artificiels ; procédez d’après les règles ordinaires. Le plus grand s’y couchera de toute sa grandeur ; vous autres, vous creuserez le gazon autour de lui. Comme on l’a fait à nos pères, faites une excavation oblongue et carrée ; hors du palais, une maison étroite ; c’est là la fin imbécile de tout le monde.
LÉMURES, creusant avec des gestes moqueurs.
Oh ! que j’étais jeune ! je vivais, j’aimais,
Et c’était si doux, ce me semble !
Partout où des sons joyeux frappaient mes oreilles,
Mes pieds se remuaient d’eux-mêmes.
Voilà que la vieillesse sournoise
M’a frappé de ses béquilles ;
J’ai bronché à travers la porte de la tombe.
Pourquoi aussi la porte était-elle justement ouverte ?
FAUST, sortant du palais en tâtonnant aux piliers de la porte.
Comme le cliquetis des pelles me réjouit ; c’est la foule qui me flatte, qui réconcilie la terre avec elle-même, qui met des bornes aux vagues et qui entoure la mer d’une sorte de chaîne.
MÉPHISTOPHÉLÈS, à part.
Tu ne travailles que pour nous avec tes digues et tes bords ; car tu apprêtes par là un grand repas au démon de la mer, à Neptune. Tu es perdu dans tous les cas. Les élémens ont pactisé avec nous, et le tout n’aboutit qu’à la destruction.
FAUST.
Gardien !
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Me voici.
FAUST.
Travailleur, travaille de ton mieux. Encourage-les par la jouissance et la sévérité ; paye, leurre ; pousse-les. Je veux, chaque jour, avoir des nouvelles du fossé et des progrès qu’il fait par la longueur.
MÉPHISTOPHÉLÈS, à demi-voix.
On parle, à ce que j’ai appris, non d’un fossé, mais d’une fosse.
FAUST.
Un marais se traîne le long des montagnes et infecte tout ce que nous avons acquis jusqu’à présent. Dessécher ce marais méphitique, ce serait le couronnement de nos travaux. J’offrirais de vastes plaines à des millions d’hommes pour qu’ils y vivent librement, sinon sûrement. Voici des champs verdoyans et fertiles ; hommes et troupeaux se reposent à leur aise sur la nouvelle terre, attachés par la ferme puissance des collines qu’ils élèvent par leurs travaux ardens. Un paradis sur terre ! Que dehors les flots bruissent jusqu’aux bords : à mesure qu’ils les lèchent pour faire une voie, nous nous empressons de remplir nous-mêmes la brèche.
Oui, je m’abandonne à la foi de cette parole, qui est la dernière fin de la sagesse. Celui-là seul est digne de la liberté comme de la vie, qui, tous les jours, se dévoue à les conquérir, et y emploie, sans se soucier du danger, d’abord son ardeur d’enfance, puis sa sagesse d’homme et de vieillard. Puissé-je jouir du spectacle d’une activité semblable et vivre avec un peuple libre sur une terre de liberté ! A un tel moment, je pourrais dire : « Reste encore ! tu es si beau ! » La trace de mes jours terrestres ne pourrait plus s’envoler dans le temps... Dans le pressentiment d’une telle félicité, je jouis maintenant du plus beau moment de ma vie.
(Faust tombe, les lémures le saisissent et le placent dans le tombeau.)
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Aucune joie ne le rassasie, aucun bonheur ne lui suffit. Il s’élance ainsi toujours après des images qui changent. Le dernier instant, si vide et si méprisable qu’il fût, le malheureux eût voulu le saisir et l’arrêter. Le temps est resté le maître. Le vieillard gît là sur le sable. L’heure s’arrête.....
LE CHŒUR.
Elle s’arrête ; elle se tait comme minuit.
(L’aiguille tombe.)
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Elle tombe ! Tout est accompli.
LE CHŒUR.
Tout est passé !
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Passé ! Un mot inepte. Pourquoi passé ? Ce qui est passé et le pur néant, n’est-ce pas la même chose ? Que nous veut donc cette éternelle création, si tout ce qui fut créé va s’engloutir dans le néant ! « C’est passé ! » Que faut-il lire à ce texte ? C’est comme si cela n’avait jamais été ! Et pourtant cela se meut encore dans une certaine région, comme si cela existait. Pourquoi ?... J’aimerais mieux simplement le vide éternel.
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ÉPILOGUE.
Faust est mort, le pacte est accompli, le pari semble gagné. Dans une sorte d’épilogue, Méphistophélès, resté près du cadavre, appelle à son aide les sombres légions. L’âme encore attachée au corps en va tomber comme un fruit mûr. Mais cette âme puissante a résisté jusqu’au dernier moment. Le son de la cloche mystique était arrivé jusqu’à son oreille. Une pensée divine l’avait remplie et enivrée à l’instant suprême. Aussi les anges arrivent près du corps en même temps que les démons. Les sombres cohortes lâchent pied sans résistance. L’Hosanna seul les met en déroute. Méphistophélès, sombre et railleur toujours, se dresse fièrement au milieu des armées célestes. Il fait valoir ses droits, il discute, il ergote comme un docteur sur la lettre du traité. Les anges lui répondent par des cantiques et développent devant lui toute la splendeur de leurs phalanges. Une pluie de roses tombe sur le sol. L’éther vibre de mélodies. Le Diable lui-même se sent séduit par ce spectacle. Le doute de sa propre négation le saisit ; entraîné depuis si long-temps par l’âme sublime de Faust à travers les sphères infinies, parmi toutes les beautés de la création, dans le dédale du monde antique qu’il ignorait, et dont les fantômes de sages et dieux se sont entretenus avec lui, le Diable, fils des temps nouveaux, a perdu beaucoup de son orgueil et de sa haine ; toujours il proteste, comme on vient de voir plus haut ; mais la vérité se glisse malgré lui dans son esprit rebelle. Les chants célestes lui sont doux à entendre, le parfum des roses divines flatte son odorat. L’admirable beauté des anges le séduit même, et lui inspire des paroles de désir et d’amour. Au milieu de ces anges lutins, de ces fleurs, de ces rondes d’esprits folâtres, le vieux Diable ressemble au satyre antique enlacé par des enfans. Cette double image participe de l’alliance du monde ancien et du monde nouveau tenté par le poète. On prévoit que le Diable un jour sera pardonné selon le vœu de sainte Thérèse. L’ange déchu se laisse enlever l’âme de Faust pendant ce rêve du paradis.
Réveillé par les chants de triomphe des anges qui remontent au ciel avec leur proie, Méphistophélès exhale ses plaintes comme l’avare qui a perdu son trésor :
« Qu’y a-t-il ? Que sont-ils devenus ? Je me suis donc laissé duper par cette engeance qui m’enlève le fruit de ma peine ! C’était pour cela qu’ils rôdaient autour de la tombe. Un grand, un unique trésor m’est ravi. Cette grande âme qui s’était donnée à moi, ils me l’ont dérobé par la ruse. A qui se plaindre, maintenant ! Qui jugera mon droit acquis ? — Te voilà donc trompé dans tes vieux jours, et tu l’as mérité ; tu as à plaisir gâté tes affaires ! Un désir insensé, une fantaisie vulgaire, une absurde pensée d’amour t’a égaré, toi, le démon !... Et quand tout ton esprit et toute ton expérience avaient su mener à bien cette sotte entreprise, voici, pour un moment d’insigne folie, le dénouement tourné contre toi ! »
Emporté loin de la terre par les esprits du ciel, l’âme de Faust traverse d’abord une région intermédiaire où prient de saints anachorètes, auxquels l’auteur donne les noms mystiques de Pater extaticus, Pater profundus, Pater seraphicus. Dans cette solitude céleste, les âmes s’épurent et laissent au passage les dernières souillures de leur enveloppe terrestre. Une sphère supérieure encore est habitée par les enfans de minuit et les anges novices, qui de là transmettent l’âme aux saintes femmes, sur lesquelles règne et plane la souveraine du ciel, Mater gloriosa.
Les trois grandes pénitentes, Magdelaine, la Samaritaine et Marie l’Égyptienne chantent un hymne à la Sainte-Vierge, en l’implorant. Marguerite, après elles, intercède pour l’âme de Faust, en répétant quelques paroles de la prière même qu’elle adressait, dans la première partie, à l’image de Mater dolorosa.
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DANS LE CIEL.
LES TROIS PÉNITENTES :
Magna Peccatrix. (St. Lucæ, VIII, 36), Mulier Samaritana. (St. Joh., IV) Maria Ægyptiaca (Acta Sanctorum.)
CHŒUR.
Toi qui à de grandes pécheresses
N’as jamais refusé de s’approcher de toi ;
Toi qui as fait monter dans l’éternité
La pénitence ressentie au fond du cœur.
Daigne accueillir cette bonne âme
Qui ne s’est qu’une fois oubliée
Et qui n’avait jamais pressenti sa faute ;
Daigne lui accorder son pardon.
UNE PÉNITENTE, appelée autrefois MARGUERITE.
Abaisse, abaisse,
Toi sans pareille.
Toi, radieuse,
Ton regard de grâce vers mon bonheur !
L’amant de ma jeunesse
Échappé aux troubles de la vie,
Il revient auprès de moi !
ENFANS BIENHEUREUX, s’approchant en cercle.
Il nous surpasse déjà en grandeur
Par la force de sa stature ;
Il récompensera pleinement
Nos soins, notre fidélité et notre sollicitude ;
Nous fûmes de bonne heure éloignés
Des chœurs joyeux des hommes ;
Mais celui-ci a appris beaucoup,
Et il nous apprendra à son tour.
LA PÉNITENTE, autrefois MARGUERITE.
Entouré du noble chœur des esprits,
Le nouveau venu se reconnaît à peine ;
A peine il pressentit cette vie renouvelée,
Et déjà il ressemble à la sainte cohorte.
Vois comme il se délivre de tout lien terrestre !
Comme il jette à bas ses vieilles dépouilles !
Et comme de la robe éthérée
Jaillit la première force de la jeunesse.
Permettez-moi de le guider et de l’instruire ;
Car le nouveau jour l’éblouit encore.
MATER GLORIOSA.
Viens, élève-toi jusqu’aux sphères supérieures !
Dès qu’il pressentira ta présence, il te suivra !
CHŒURS CÉLESTES.
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GÉRARD DE NERVAL - SYLVIE LÉCUYER tous droits réservés @
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